Lexbase Social n°526 du 1 mai 2013 : QPC

[Jurisprudence] QPC et licenciement des salariés dont l'entreprise est liquidée : bis repetita !

Réf. : Cass. soc., 19 avril 2013, n° 13-40.006, FS-P+B (N° Lexbase : A4204KCP)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 01 Mai 2013

La procédure de QPC est ainsi faite que seuls les textes validés par le Conseil constitutionnel ne peuvent plus donner lieu à de nouvelles contestations, sauf changement de circonstances. Lorsque la Cour de cassation refuse de transmettre une QPC qu'elle n'estime pas sérieuse, rien n'interdit donc à un autre justiciable, dans une autre affaire, de poser la même question, au risque, comme cette affaire le démontre, de se heurter au même refus. Il s'agissait ici de discuter la conformité au principe constitutionnel d'égalité devant la loi de l'article L. 1233-4 du Code du travail (N° Lexbase : L3135IM3), siège de l'obligation de reclassement de l'employeur qui procède à un ou des licenciements pour motif économique, lorsque le salarié concerné appartient à une entreprise en liquidation judiciaire (I). Comme on pouvait s'y attendre, compte tenu des termes d'un arrêt rendu en 2011, la question n'est pas transmise, ce qui est tout à la fois logique et problématique (II).
Résumé

La Cour de cassation refuse de transmettre une QPC remettant en cause, au regard du principe d'égalité devant la loi, le régime de l'obligation de reclassement de l'employeur en liquidation judiciaire.

I - La remise en cause de l'effectivité du droit au reclassement du salarié licencié dans une entreprise soumise à une liquidation judiciaire

Contexte. Le licenciement des salariés dans une entreprise soumise à une liquidation judiciaire répond à un régime qui relève en partie du droit commun, et en partie de règles spéciales. Ainsi, le licenciement pour motif économique des salariés par le liquidateur doit respecter le droit du licenciement économique ; le liquidateur, qui licencie au moins dix salariés dans une même période de trente jours, doit mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi comme pour n'importe quel autre grand licenciement.

Le législateur a toutefois pris en compte les particularités de la situation des entreprises soumises à une procédure collective en allégeant certaines obligations. C'est ainsi que les dispositions sanctionnant par la nullité les plans de reclassement, et les licenciements subséquents, ne sont pas applicables, précisément pour ne pas venir aggraver la situation financière déjà compromise de ces entreprises, et on sait que dernièrement le Conseil constitutionnel a considéré que cette dérogation au droit commun était justifiée précisément par ce motif (1).

Question posée. C'est de nouveau une QPC mettant en cause le régime applicable au licenciement des salariés d'entreprises en situation de liquidation judiciaire qui avait été ici posée à la Chambre sociale de la Cour de cassation. Le salarié, dont le licenciement avait été prononcé dans les quinze jours du jugement de liquidation, discutait la conformité des règles qui lui avaient été appliquées au principe d'égalité devant la loi.

Plus précisément, la question avait été ainsi formulée : "voir le Conseil constitutionnel déclarer non conforme l'article L. 1233-4 du Code du travail, et l'interprétation jurisprudentielle qui en est faite, aux droits et libertés, tels que l'égalité principe posé par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1370A9M), garantis par la Constitution au regard des impératifs d'ordre généraux résultant des articles L. 641-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L8861INI) et L. 3253-8 du Code du travail (N° Lexbase : L8807IQA)".

Saisie dans les mêmes termes en 2011, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà opposé à un autre demandeur un refus de transmission (2).

Mais la procédure est ainsi faite que les demandeurs ne sont pas privés du droit de reposer une question déjà posée et écartée, seule une décision rendue par le Conseil constitutionnel étant de nature à rendre une nouvelle QPC irrecevable. La Cour devait donc répondre de nouveau à la même question.

Absence d'intérêt de la question posée. Le moins que l'on puisse dire, à titre liminaire, est que la question avait été formulée de manière calamiteuse... et qu'on ne saurait que trop inciter les justiciables, et leurs conseils à se montrer plus explicites dans la formulation de leurs questions.

On observera ensuite que le fait de poser une QPC rigoureusement identique à la précédente fait immanquablement penser à une manoeuvre dilatoire, et on se demande quel intérêt il peut y avoir à laisser faire ce genre de pratiques durablement...

Sens de la question posée. Le demandeur demandait que soit déclaré inconstitutionnel le siège légal de l'obligation de reclassement (C. trav., art. L. 1233-4) de l'employeur en matière de licenciement pour motif économique, dès lors que le liquidateur qui procède à un licenciement, par application de l'article L. 641-4 du Code de commerce, est incité à le faire très rapidement, plus exactement dans un délai de quinze jours, de manière à ce que les créances du salarié soient garanties par l'AGS par application du c) du 2° de l'article L. 3253-8 du Code du travail, ce qui ruinerait tout effort de reclassement.

II - Une non-transmission justifiée mais problématique

Rejet. La question, qui n'est ni nouvelle, le Conseil ayant déjà eu par le passé à connaître du principe d'égalité, ni sérieuse, n'a pas été transmise, ce qui n'est pas une surprise compte tenu des termes de la précédente décision rendue en octobre 2011.

Rappel sur le principe constitutionnel d'égalité devant la loi. La Cour commence par rappeler le principe selon lequel "le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit".

On aura reconnu ici la formule de style du Conseil constitutionnel en matière d'égalité depuis 1988 (3) et qui a été adoptée tant par le Conseil d'Etat (4) que par la Cour de cassation (5).

Deux arguments peuvent donc être retenus pour écarter le grief d'atteinte au principe d'égalité devant la loi (6) : soit considérer que les personnes dont on compare le traitement ne sont pas placées dans la même situation au regard de l'avantage considéré, soit que la différence de traitement est justifiée (7).

Solution. Après avoir rappelé que les salariés licenciés pour un motif économique bénéficient, comme les autres salariés d'ailleurs, d'un même droit au reclassement fondé sur l'article L. 1233-4 du Code du travail, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère, dans une formule rigoureusement identique à celle qu'elle avait retenu en 2011, que le délai de quinze jours à partir du jugement de liquidation qui est exigé par l'article L. 3253-8 du Code du travail vise à leur permettre de voir leur créance garantie par l'AGS, ce qui "satisfait à des raisons d'intérêt général".

Une solution problématique. La solution est justifiée car d'évidence la mise en oeuvre d'une garantie des créances salariales répond à un motif d'intérêt général.

Mais cette raison explique-t-elle que le législateur subordonne la prise en charge de la garantie de l'AGS au fait que les salariés soient licenciés dans les quinze jours du jugement de liquidation, rendant vains, ou presque, les espoirs de reclassement des salariés, notamment lorsque l'entreprise appartient à un groupe dont les filiales sont disséminées aux quatre coins de la planète ?

N'était-ce d'ailleurs précisément pas l'objet de la question que de s'interroger sur la compatibilité de ce délai au droit au reclassement ? Alors certes, il appartient au législateur, qui dispose d'une marge d'appréciation particulière en matière économique et sociale, de déterminer dans quel délai la garantie de l'AGS est due, et ce pour favoriser la liquidation rapide de l'entreprise et, le cas échéant, l'exécution des autres mesures décidées par le tribunal. Mais ne fallait-il transmettre la question au Conseil constitutionnel pour laisser le soin à ce dernier de répondre à la question qui était posée, pour la deuxième fois, à la Haute juridiction ?

La nécessité de revoir la procédure de transmission des QPC ? On le comprend aussitôt, rien n'interdit aujourd'hui à un justiciable de poser une question qui a déjà été traitée par la Cour de cassation, par hypothèse sans que celle-ci ne soit transmise au Conseil constitutionnel. Or, il s'agit des questions les moins "sérieuses" qui peuvent ainsi revenir indéfiniment, sans qu'aucun moyen procédural n'existe pour les bloquer dès leur présentation devant les juges du fond. Ne pourrait-on pas imaginer une solution qui économise le temps et les moyens de la Cour de cassation, à moins que celle-ci ne décide, de sa propre initiative, à transmettre les questions qui se présentent à plusieurs reprises devant elle, et ce afin de "purger" le litige ? Ce serait alors confier au Conseil constitutionnel une mission plus large, mais plus conforme sans doute à ce que désirait le Constituant en 2008...


(1) Cons. const., 28 mars 2013, n° 2013-299 QPC (N° Lexbase : A0763KBU), v. nos obs., Les entreprises en difficulté ne sont pas des entreprises comme les autres (à propos de la décision n° 2013-299 QPC du 28 mars 2013), Lexbase Hebdo n° 523 du 11 avril 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N6553BTU).
(2) Cass. soc., 6 octobre 2011, n° 11-40.056, F-P+B (N° Lexbase : A6122HYE), v. nos obs., La Chambre sociale de la Cour de cassation, chambre des requêtes constitutionnelles, Lexbase Hebdo n° 458 du 20 octobre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N8247BSA). Dans cette affaire, le demandeur contestait la constitutionnalité de l'article L. 641-4 du Code de commerce, mais selon une argumentation tirée d'une application jurisprudentielle combinée des mêmes dispositions.
(3) Cons. const., décision n° 87-232 DC du 7 janvier 1988, loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole (N° Lexbase : A8176ACS), cons. 10.
(4) Dernièrement CE 1° s-s-r., 10 avril 2013, n° 353316 (N° Lexbase : A0991KCP).
(5) Cass. soc., 16 juillet 2010, n° 10-90.081, P+B (N° Lexbase : A0220E7B) ; Cass. soc., 11 juillet 2011, n° 11-40.031, F-P+B ([LXB=A0377HW]) ; Cass. soc., 6 octobre 2011, n° 11-40.057, F-P+B (N° Lexbase : A6123HYG) ; Cass. soc., 8 mars 2012, n° 11-24.638, F-P+B+I (N° Lexbase : A4968IEQ) ; Cass. soc., 5 juillet 2012, n° 12-40.037, FS-P+B (N° Lexbase : A5544IQE).
(6) Sans compter le fait que le grief peut manquer en fait, c'est-à-dire que l'atteinte alléguée ne soit en réalité pas établie parce que le texte incriminé ne porte pas atteinte au droit ou à la liberté en question. C'est pour cette raison qu'une précédente QPC avait été rejetée en ce qu'elle discutait la constitutionnalité de l'obligation de reprendre le paiement des salaires passé le délai d'un mois qui fait suite à l'avis d'inaptitude, lorsque le salarié n'a été ni reclassé, ni licencié : Cass. soc., 5 octobre 2011, n° 11-40.053, FS-P+B (N° Lexbase : A6053HYT) v. nos obs., La Chambre sociale de la Cour de cassation, chambre des requêtes constitutionnelles, Lexbase Hebdo n° 458 du 20 octobre 2011 - édition sociale, préc..
(7) La différence de traitement pouvant d'ailleurs résulter soit du fait de traiter différemment des personnes placées dans la même situation, soit de traiter de la même manière des personnes placées dans une situation différente.

Décision

Cass. soc., 19 avril 2013, n° 13-40.006, FS-P+B (N° Lexbase : A4204KCP)

Non-lieu à renvoi

Textes contestés : C. trav., art. L. 1233-4 (N° Lexbase : L3135IM3) et interprétation jurisprudentielle qui en est faite

Mots-clés : liquidation judiciaire, licenciement pour motif économique, obligation de reclassement, QPC, principe d'égalité

Liens base : (N° Lexbase : E9308ESK)

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