Réf. : Cass. soc., 10 avril 2013, n° 11-25.841, FS-P+B (N° Lexbase : A0793KCD)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 01 Mai 2013
Résumé
La clause contractuelle, qui permet au salarié de rompre le contrat de travail, ladite rupture étant imputable à l'employeur, en cas de changement de direction, de contrôle, de fusion-absorption ou de changement significatif d'actionnariat entraînant une modification importante de l'équipe de direction, est licite dès lors qu'elle est justifiée par les fonctions du salarié au sein de l'entreprise et qu'elle ne fait pas échec à la faculté de résiliation unilatérale du contrat par l'une ou l'autre des parties. Il résulte de la combinaison des articles L. 225-79-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L9222HZL) et 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) que n'est pas soumise à la procédure spéciale d'autorisation des conventions conclues entre une société et l'un des membres du directoire, la clause prévoyant une indemnité de départ, contenue dans un contrat de travail conclu régulièrement et sans fraude à une date à laquelle le bénéficiaire n'était pas encore mandataire social. |
I - Une prise d'acte originale
La stipulation. Il est désormais bien connu que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail, celle-ci produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient (1), soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission. Il est toutefois un cas, certes beaucoup plus rare, dans lequel la prise d'acte peut produire des effets qui ne sont ni ceux de la démission, ni ceux du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Plus précisément, la prise d'acte peut, lorsqu'une clause insérée dans le contrat le prévoit expressément, produire les effets d'un licenciement dont les conséquences sont déterminées par la clause elle-même. Une telle stipulation, qui avait déjà donné lieu à une première prise de position de la Cour de cassation dans un important arrêt en date du 26 janvier 2011 (2), était à nouveau au coeur de l'affaire ayant conduit à la décision rapportée.
En l'espèce, M. X avait été engagé, le 1er septembre 2005, par la société A., en qualité de directeur Europe du Sud et Amérique. L'article 13 de son contrat de travail stipulait que "dans les cas où, au cours des vingt-quatre mois suivant la date d'effet, le président du directoire viendrait à quitter la société, ou un changement de contrôle portant sur plus de 33 % du capital de la société viendrait à survenir, le salarié pourra quitter la société et obtenir une indemnité équivalente au double de la rémunération totale perçue au cours des douze mois précédant le fait générateur". Le 8 juin 2006, M. X a été nommé membre du directoire de la société. A la suite de la démission, le 22 septembre 2006, de M. Y, président du directoire et de son remplacement par M. Z, le salarié a, par courrier du 10 novembre 2006, invoquant les stipulations de son contrat de travail, démissionné. Il a alors saisi la juridiction prud'homale pour obtenir paiement de l'indemnité prévue par l'article 13 de son contrat.
L'arrêt attaqué ayant fait droit à la demande du salarié, la société employeur a formé un pourvoi en cassation auquel, très certainement, le montant important de l'indemnité à verser au salarié n'est pas étranger.
La contestation. Le pourvoi de la société employeur était articulé autour de deux moyens. Au terme du premier, il était soutenu qu'une obligation dépourvue de cause ne peut avoir aucun effet. Est dépourvue de cause l'obligation de payer au salarié une indemnité contractuelle de rupture dite "golden parachute", qui trouve son fait générateur dans la seule décision d'un tiers au contrat de travail ou de circonstances extérieures à ce contrat, parmi lesquelles, notamment le départ du président du directoire de la société employeur ou un changement de contrôle portant sur un pourcentage déterminé du capital de la société. La clause permettant au salarié de rompre dans ces circonstances son contrat de travail et de bénéficier du versement d'une indemnité dite "golden parachute" ne trouve sa contrepartie ni dans le salaire versé, ni dans l'indemnisation d'un préjudice. En l'absence de toute contrepartie, l'obligation de l'employeur est privée de cause.
Dans le second moyen, la société employeur reprochait à l'arrêt attaqué d'avoir accueilli la demande du salarié alors que, dans les sociétés cotées, les dispositions des contrats de travail des membres du directoire sont soumises au régime des conventions réglementées lorsqu'elles correspondent à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dues à raison de la cessation ou du changement de fonctions. L'indemnité contractuelle de départ prévue dans le contrat de travail d'un mandataire social, serait-ce antérieurement à sa nomination, est en conséquence soumise au régime des conventions réglementées. En décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 225-79-1 du Code de commerce.
Aucun de ces arguments n'aura trouvé grâce auprès de la Cour de cassation qui, rejetant le pourvoi, vient confirmer et préciser les conditions de validité de ce genre de stipulations.
II - Une prise d'acte strictement encadrée
Validité de la clause au regard du droit des contrats et du droit du travail. En réponse au premier moyen du pourvoi, la Cour de cassation reprend, à l'identique, le motif de principe qui figurait dans l'arrêt précité du 26 janvier 2011. Selon la Chambre sociale, "la clause contractuelle, qui permet au salarié de rompre le contrat de travail, ladite rupture étant imputable à l'employeur, en cas de changement de direction, de contrôle, de fusion-absorption ou de changement significatif d'actionnariat entraînant une modification importante de l'équipe de direction, est licite dès lors qu'elle est justifiée par les fonctions du salarié au sein de l'entreprise et qu'elle ne fait pas échec à la faculté de résiliation unilatérale du contrat par l'une ou l'autre des parties". Il résulte de cette affirmation, que la stipulation en cause est soumise, quant à sa validité, à deux conditions ; la première relevant du droit du travail, la seconde du droit commun des contrats.
En premier lieu, la clause "ne doit pas faire échec à la faculté de résiliation unilatérale du contrat par l'une ou l'autre des parties". On peut voir là une application de l'article L. 1231-4 du Code du travail (N° Lexbase : L1068H9G) selon lequel "l'employeur et le salarié ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles prévues par le Titre consacré à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée" (3). Il est également permis de considérer qu'il s'agit d'une conséquence de la règle énoncée à l'article L. 1231-1, selon lequel "le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié [...]" ; qui n'est elle-même que la conséquence de la prohibition des engagements perpétuels. Toujours est-il que la clause ne doit pas faire obstacle à la possibilité, pour l'une ou l'autre des parties, de rompre le contrat de travail (4).
En second lieu, la clause "doit être justifiée par les fonctions du salarié au sein de l'entreprise". Au lendemain de l'arrêt du 26 juin 2011, dont on a rappelé qu'il énonce la même condition, il n'était pas évident de comprendre la justification de cette exigence. En effet, il n'était pas illégitime de considérer qu'une telle clause pouvait parfaitement être stipulée au bénéfice d'un salarié occupant des fonctions tout à fait subalternes. La décision sous examen permet toutefois de saisir tout le sens et la nécessité de cette condition. En effet, ainsi que le précise la Cour de cassation, "ayant constaté que la clause litigieuse avait été convenue en raison des avantages que la société A. tirait du recrutement de ce salarié et de l'importance des fonctions qui lui avaient été attribuées, la cour d'appel en a déduit à bon droit, que l'obligation de l'employeur avait une cause".
On comprend ainsi que les fonctions du salarié ont à voir avec la cause de l'obligation souscrite par l'employeur. En réalité, celui-ci avait consenti à une double obligation. Tout d'abord, il avait accepté que le salarié puisse, dans certaines circonstances, prendre acte de la rupture de son contrat de travail, ladite rupture lui étant imputable. Ensuite, il s'était engagé, dans ce cas, à verser au salarié une indemnité de rupture conséquente, justement qualifiée dans son pourvoi de "golden parachute". Conformément au droit commun, ces obligations devaient être causées ; ce qui revenait à se poser la question suivante : pourquoi est-ce dû ? (5) Pour la Cour de cassation, la réponse était à rechercher dans les avantages tirés du recrutement du salarié et dans l'importance des fonctions attribuées. Pour le dire autrement, on peut penser que sans cette stipulation, le salarié n'aurait pas accepté d'entrer au service de cette société.
En allant au-delà de la solution retenue dans l'arrêt sous examen, on peut se demander si la société employeur n'aurait pas été en droit, sur le fondement de l'article 1152 du Code civil (N° Lexbase : L1253ABZ), de demander au juge de réduire le montant de l'indemnité stipulée au contrat, en l'occurrence le double de la rémunération totale perçue au cours des douze mois précédant "le fait générateur", en raison de son caractère manifestement excessif. Il faut, en effet, rappeler que la Cour de cassation admet, de longue date, que l'indemnité contractuelle de licenciement peut être qualifiée de clause pénale (6). Cette qualification paraît cependant devoir être exclue en l'espèce. Outre le fait que n'est pas en cause une indemnité de licenciement, l'indemnité stipulée au contrat ne vient pas véritablement garantir l'exécution, par son débiteur, d'une obligation (7).
Il faut, en revanche, admettre que l'article 1152 du Code civil s'applique aux "parachutes dorés" stipulés dans les contrats de travail en cas de licenciement, qui doivent aussi, et à l'évidence, être causés. Cette situation se rencontre fréquemment en cas de cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social. Cela ne saurait toutefois entraîner une confusion entre les deux statuts juridiques, qui restent soumis à leur régime juridique propre. Par voie de conséquence, il nous semble critiquable que la validité du "parachute doré" et, par extension, du contrat de travail soit appréciée au regard de ses conséquences sur la libre révocabilité du mandataire social (8). Dès lors que l'on est en présence d'une indemnité contractuelle de licenciement, il convient uniquement de s'interroger sur sa cause, qui ne peut être décelée que dans le cadre de la relation de travail salariée, et sur le fait de savoir si, par son montant, elle ne remet pas en cause, purement et simplement, le droit de rupture unilatérale de l'employeur. Dans la négative, il y a encore place pour l'application du pouvoir de réduction du juge, conformément aux prescriptions de l'article 1152 du Code civil.
Validité de la clause au regard du droit des sociétés. Répondant au second moyen de cassation, la Cour de cassation énonce tout d'abord "qu'il résulte de la combinaison des articles L. 225-79-1 du Code de commerce et 1134 du Code civil que n'est pas soumise à la procédure spéciale d'autorisation des conventions conclues entre une société et l'un des membres du directoire, la clause prévoyant une indemnité de départ, contenue dans un contrat de travail conclu régulièrement et sans fraude à une date à laquelle le bénéficiaire n'était pas encore mandataire social". Elle relève ensuite "qu'ayant constaté que le contrat de travail contenant la clause contestée avait été conclu dix mois avant la désignation du salarié comme mandataire social, indépendamment de ce mandat et sans fraude, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que la procédure d'autorisation ne lui était pas applicable et que cette clause devait recevoir application".
Cette solution doit être pleinement approuvée. L'article L. 225-79-1 du Code de commerce prévoit que dans les sociétés cotées, "en cas de nomination aux fonctions de membre du directoire d'une personne liée par un contrat de travail à la société [...], les dispositions dudit contrat correspondant, le cas échéant, à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d'être dus à raison de la cessation ou du changement de ces fonctions, ou postérieurement à celles-ci, sont soumises au régime prévu par l'article L. 225-90-1 (N° Lexbase : L9223HZM)". Dans le champ défini par le texte qui vient d'être cité, trouve donc à s'appliquer la procédure dite "des conventions réglementées", qui exige principalement que la convention en cause soit préalablement autorisée par le conseil d'administration ou le conseil de surveillance selon les cas (9).
Toutefois, et parce qu'il s'agit d'éviter que le dirigeant ne profite de sa situation pour se faire consentir par la société qu'il dirige des avantages indus, la convention conclue alors qu'il n'est pas encore dirigeant ne donne pas lieu à cette autorisation préalable (10). En revanche, le renouvellement de la convention ou sa modification postérieurement à la nomination en qualité de mandataire social exige le respect de la procédure des conventions réglementées. A titre d'exemple, quand un salarié devient administrateur, l'autorisation préalable est exigée lorsque les conditions du contrat de travail sont modifiées, notamment, du fait d'une augmentation de salaire (11), ou en raison de l'insertion dans le contrat de travail d'une clause similaire à celle qui était en cause en l'espèce (12).
Cette clause litigieuse avait été introduite dans le contrat de travail du salarié au moment de sa conclusion, dont la Cour de cassation prend soin de relever qu'elle était intervenue dix mois avant la désignation du salarié comme mandataire social. Cette précision est importante. En effet, le critère chronologique ne saurait être exagéré. A défaut, il suffirait de conclure la convention quelques minutes avant la nomination aux fonctions de mandataire social pour qu'elle soit valable. A notre sens, une telle pratique n'a pas pour effet de déclencher la procédure des conventions réglementées. Dans ce cas, il faut se demander si la pratique ne constitue pas une fraude à la loi. Cela rejoint la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté, qui relève que le contrat de travail contenant la clause avait été conclu "indépendamment de ce mandat et sans fraude" (13).
Au final, il apparaît que la validité de la clause de rupture du contrat de travail en cas de changement de direction est soumise à une pluralité de conditions, issues du droit commun des contrats, du droit du travail et du droit des sociétés. Il faut, en outre, ajouter, bien que l'arrêt sous examen n'en fasse pas mention, que cette clause doit également être déterminée dans son objet (14) et qu'elle ne doit pas porter atteinte à la liberté d'entreprendre de l'employeur (15).
(1) Dans cette hypothèse, la prise d'acte peut aussi produire les effets d'un licenciement nul si le salarié bénéfice d'une protection renforcée contre le licenciement. Il en va notamment ainsi lorsque ce dernier est investi d'un mandat de représentant du personnel ou encore lorsque son contrat de travail est suspendu en raison d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.
(2) Cass. soc., 26 janvier 2011, n° 09-71.271, FS-P+B, sur le 1er moyen (N° Lexbase : A8543GQH), RDT, 2011, p. 175, note J. Pélissier. Adde, S. Béal et P. Klein, Validité de la clause de conscience en cas de changement de contrôle de la société, JCP éd. S, 2011, 1185.
(3) En ce sens, J. Pélissier, note préc., p. 175.
(4) Exigence expressément affirmée dans l'arrêt précité du 26 janvier 2011.
(5) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit des obligations, Précis Dalloz, 10ème édition, 2009, n° 332.
(6) V. par ex. en dernier lieu, Cass. soc., 22 juin 2011, n° 09-68.762, FS-P+B (N° Lexbase : A5241HUN), Bull. civ. V, n °160.
(7) Rappelons que l'alinéa 1er de l'article 1152 du Code civil dispose, à cet égard, que "lorsque la convention porte que celui qui manquera de l'exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l'autre une somme plus forte, ni moindre".
(8) V. en ce sens, Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-42.061, publié (N° Lexbase : A0339AU4), Bull. Joly Sociétés, 1999, p. 1107, note J.-Ph. Dom. Arrêt dans lequel la Cour de cassation approuve les juges d'appel d'avoir prononcé la nullité du contrat de travail qui comportait une indemnité de licenciement d'un montant tel qu'elle portait atteinte au principe de libre révocation des dirigeants.
(9) Sur cette procédure, v., par ex., M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, 25ème édition, 2012, n° 626 et s..
(10) L'article L. 225-90-1 du Code de commerce est en ce sens, qui vise "les engagements au bénéfice d'un membre du directoire" et non les engagements au bénéfice d'un salarié devenu membre du directoire.
(11) En ce sens, M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, op. cit., n° 629.
(12) De même, il aurait fallu solliciter l'autorisation préalable du conseil de surveillance si le montant de l'indemnité due au salarié en application de la clause avait été majoré postérieurement à sa nomination en tant qu'administrateur.
(13) Remarquons que cette affirmation semble laisser entendre que l'application de la clause pourrait être écartée alors même qu'elle a été stipulée en l'absence de fraude, dès lors qu'elle est en rapport avec le mandat. Est-ce à dire que, dans ce cas, la clause devrait être soumise à autorisation préalable, contrairement à ce qui a été affirmé précédemment ? Cela serait en contradiction avec les textes qui n'exigent cette autorisation que pour les conventions conclues avec un mandataire social en place.
(14) V. en ce sens, l'arrêt précédent du 26 janvier 2011, dans lequel il est relevé que "la clause litigieuse avait un objet déterminé en ce qu'elle définissait avec précision les événements pouvant être invoqués par la salariée comme étant la cause de la rupture de son contrat de travail". Si la Cour de cassation fonde visiblement la solution sur la nécessité que l'objet de l'obligation soit déterminé, c'est la potestativité de la stipulation qui aurait pu être discutée.
(15) V. encore en ce sens, l'arrêt précédent du 26 janvier 2011, où il est précisé que "le montant de l'indemnité contractuelle due à la salariée n'était pas, au regard de la capacité financière de la société, de nature à empêcher toute évolution de l'actionnariat ou tout changement de stratégie ou de direction".
Décision
Cass. soc., 10 avril 2013, n° 11-25.841, FS-P+B (N° Lexbase : A0793KCD) Rejet, CA Paris, Pôle 6, 11ème ch., 6 septembre 2011 Textes concernés : C. civ., art. 1108 (N° Lexbase : L1014AB8), 1131 (N° Lexbase : L1231AB9) et 1134 (N° Lexbase : L1234ABC), C. com., art. L. 225-79-1 (N° Lexbase : L9222HZL) Mots-clés : contrat de travail, clause de rupture en cas de changement de dirigeant social, validité Liens base : (N° Lexbase : E5542ETG) |
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