Réf. : Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi (N° Lexbase : L0394IXU)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la protection sociale"
le 09 Juillet 2013
L'ANI du 11 janvier 2013 avait proposé la création d'un compte personnel de formation, ainsi qu'un assouplissement de l'accès des salariés de moins de 30 ans au CIF-CDD (1). Pour les partenaires sociaux, ce compte devait être universel (toute personne dispose d'un compte personnel de formation dès son entrée sur le marché du travail et jusqu'à son départ à la retraite), individuel (chaque personne bénéficie d'un compte, qu'elle soit salarié ou demandeur d'emploi) et enfin, intégralement, transférable (la personne garde le même compte tout au long de sa vie professionnelle et quel que soit son parcours professionnel).
A - Contenu, modalités
Les droits acquis par le salarié au titre du compte auraient représenté vingt heures par an pour les salariés à temps plein, proratisés pour les salariés à temps partiel ou pour les salariés en contrat à durée déterminée. Les heures acquises et non utilisées au titre du DIF par le salarié auraient été acquises au titre du compte personnel de formation. Le compte serait plafonné à 120 heures.
La transférabilité n'aurait pas emporté monétisation des heures. Les droits acquis auraient été comptabilisés en heures, quel que soit le coût horaire de la formation. Ce dispositif aurait vocation à se substituer au DIF (2) (C. trav., art. L. 6323-1 N° Lexbase : L3634H9H).
B - Régime, mise en oeuvre
Le compte n'aurait jamais été débité sans l'accord exprès du salarié et ne pouvait jamais être diminué du fait d'un changement d'employeur, quel que soit la fréquence des changements. Le salarié aurait pu mobiliser son compte personnel avec l'accord de l'employeur. Celui-ci lui aurait notifié sa réponse dans un délai d'un mois. L'absence de réponse de l'employeur aurait valu acceptation. L'accord de l'employeur n'aurait pas été nécessaire lorsque le salarié entendait bénéficier d'un congé individuel de formation.
Lorsque le salarié aurait souhaité mobiliser son compte en dehors du congé individuel de formation, l'employeur pouvait abonder le compte du salarié au-delà du nombre d'heures créditées sur le compte de manière à permettre au salarié d'accéder à une formation qualifiante ou certifiante.
Le demandeur d'emploi aurait pu mobiliser son compte dès lors que la formation visée correspond à une des priorités de formation définie conjointement par les partenaires sociaux et les pouvoirs publics, ou accéder au socle de compétences tel que défini par les articles 39 et 40 de l'ANI du 7 janvier 2009.
Les partenaires sociaux avaient prévu que le financement du compte personnel de formation aurait fait l'objet d'une concertation avec l'Etat et les régions et d'une négociation entre les partenaires sociaux, les régions et l'Etat portant sur les modalités de financement.
II - Création d'un compte personnel de formation, consacrée par le législateur
A - Objet
La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 (3) (N° Lexbase : L0394IXU) met, donc, en place un compte personnel de formation, dont l'objet est de favoriser l'accès à la formation professionnelle tout au long de la vie, de chaque personne. Les salariés disposent dès leur entrée sur le marché du travail de ce droit, indépendamment de leur statut (C. trav., art. L. 6111-1 N° Lexbase : L0445IXR).
Le compte personnel de formation est comptabilisé en heures et mobilisé par la personne lorsqu'elle accède à une formation à titre individuel, qu'elle soit salariée ou demandeuse d'emploi. C'est là toute la différence du nouveau dispositif avec le DIF (réservé à titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée ; les droits des salariés titulaires d'un contrat à durée déterminée et des salariés intérimaires sont proratisés), puisqu'il est ouvert à "toute personne", quel que soit son statut, actif ou inactif, en activité ou au chômage. Le compte personnel de formation peut offrir de nouvelles marges d'initiative tant dans les phases d'emploi que dans les phases de recherche d'emploi.
Le compte personnel de formation a donc vocation à remplacer le droit individuel à la formation (DIF) créé par la loi du 4 mai 2004 qui visait à donner au salarié un instrument de maîtrise de son parcours professionnel en lui permettant de disposer, tout au long de la vie professionnelle, d'un crédit d'heures de formation, utilisable à son initiative, avec l'accord de l'employeur.
La création de ce compte personnel de formation répond à des critiques formulées à l'égard des dispositifs en vigueur, notamment la complexité croissante d'un système de formation professionnelle marqué par le cloisonnement des publics et des financements (4).
B - Régime
Le compte personnel de formation est, intégralement, transférable en cas de changement ou de perte d'emploi et ne peut en aucun cas être débité sans l'accord exprès de son titulaire. La solution existait déjà au titre du DIF : de nombreux accords de branches et d'entreprises ont prévu des mécanismes de transférabilité permettant la conservation du droit en cas de changement d'entreprise d'un même groupe ou d'une même branche.
De même, la loi n° 2009-1437, du 24 novembre 2009, relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (N° Lexbase : L9345IET), avait instauré un nouveau mécanisme dit de "portabilité". Ce mécanisme applicable à toute rupture ou arrivée à terme de contrat de travail ouvrant droit à l'assurance chômage, à l'exception du licenciement pour faute lourde, permet de conserver et de faire valoir les droits à DIF résiduels, soit pendant la période de chômage consécutive, soit pendant deux ans chez un nouvel employeur.
La mise en place du nouveau dispositif vise à supprimer l'ensemble des limites résultant des anciens dispositifs de transférabilité ou de portabilité du DIF, notamment, l'insuffisante portabilité dans les cas de mobilité professionnelle sans épisode de chômage, puisque la majorité des démissions n'ouvrent pas droit à portabilité du DIF.
Le compte personnel de formation vise à sécuriser les parcours professionnels. Il doit pouvoir être abondé par les pouvoirs publics en charge des politiques de formation et d'emploi ; par l'employeur, qui a l'obligation de veiller au maintien de la capacité des salariés à occuper un emploi. La loi de sécurisation de l'emploi a prévu que le compte est alimenté :
- selon les modalités prévues aux articles L. 6323-1 à L. 6323-5 (N° Lexbase : L3643H9S) portant sur le DIF ;
- par des abondements complémentaires, notamment par l'Etat ou la région, en vue de favoriser l'accès à l'une des qualifications (mentionnées à l'article L. 6314-1 N° Lexbase : L9612IEQ), en particulier pour les personnes qui ont quitté le système scolaire de manière précoce ou qui, à l'issue de leur formation initiale, n'ont pas obtenu de qualification professionnelle reconnue.
- enfin, peuvent être mobilisés en complément du compte les autres dispositifs de formation auxquels son titulaire peut prétendre.
C - Mise en place
Le législateur a prévu qu'une concertation soit engagée avant le 1er juillet 2013 entre l'Etat, les régions et les organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel sur la mise en oeuvre du compte personnel de formation.?
Avant le 1er janvier 2014, les organisations syndicales d'employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel procèdent aux adaptations nécessaires des stipulations conventionnelles interprofessionnelles en vigueur.
Le Gouvernement présentera un rapport au Parlement sur les modalités de fonctionnement du compte personnel de formation et sur les modalités de sa substitution au droit individuel à la formation et du transfert intégral au sein du compte personnel de formation des heures acquises au titre du droit individuel à la formation.
(1) V. nos obs., Commentaire des articles 3 à 10 de l'Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels des salariés, Lexbase Hebdo n° 514 du 31 janvier 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N5575BTN); V. aussi G. Auzero, De quelques effets de l'ANI du 11 janvier 2013 sur le droit du contrat de tra-vail, RDT, 2013 p. 179 ; F. Géa, Vers un nouveau modèle de droit du travail ? A propos de l'ANI du 11 janvier 2013, SSL, n° 1568, 21 janvier2013 ; P. Lokiec, O. Leclerc, A. G. Hernández, P. Rémy, Regards sur l'ANI, RDT, 2013, p. 202 ; P. Lokiec, Accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 : les excès du droit négocié, D., 2013, p. 579 ; J. Freyssinet et M.-A. Souriac, Peut-on faire confiance à la négociation interprofessionnelle ?, RDT, 2013, p. 156 ; T. Sachs, Vers un droit du marché du travail, SSL, n° 1568, 21 janvier2013 ; Des mises à l'écart flagrantes du droit international et européen, Entretien avec N. Moizard, SSL, n° 1568, 21 janvier 2013 ; L'ANI tente de briser la capacité de résistance des salaries, entretien avec A. Braun, SSL, n° 1568, 21 janvier2013 ; Les enjeux de la négociation sur la sécurisa-tion de l'emploi, entretien avec F. Morel, SSL, n° 1551, 17 septembre 2012.
(2) S. Pélicier-Loevenbruck, Le nouveau paysage de la formation professionnelle, SSL, n° 1488, 18 avril 2011.
(3) J.-M. Germain, Rapport, Assemblée nationale, n° 847, 27 mars 2013, p. 86 ; C. Jeannerot, Rapport, Sénat, n° 501, 11 avril 2013, p. 25.
(4) J.-M. Germain, Rapport, Assemblée nationale, n° 847, 27 mars 2013, préc., p. 89 ; Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, L'individu, acteur de sa qualification, état des lieux et questionnements, octobre 2012, p. 25-26.
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