Réf. : Cass. com., 3 avril 2013, n° 12-15.492, F-P+B (N° Lexbase : A6369KBI) ; Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-18.193, F-P+B+I (N° Lexbase : A9962KBL)
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N7102BT9
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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, membre de l'Institut universitaire de France
le 23 Mai 2013
Dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt de la Chambre commerciale du 3 avril 2013 (Cass. com., 3 avril 2013, n° 12-15.492, F-P+B), le litige portait sur un bail commercial. L'une des parties agissait en responsabilité contre son cocontractant pour "détournement du droit au bail". Selon la cour d'appel, les faits qui constituaient le point de départ de la prescription se situaient en 2002 et 2003 et l'assignation interruptive de prescription était intervenue le 30 juillet 2009, soit plus de 5 années après.
En matière commerciale, la prescription extinctive était de 10 années jusqu'à la loi du 17 juin 2008, qui a procédé à une harmonisation des délais et diminué la prescription commerciale à 5 ans (1). La question de l'application dans le temps du nouveau délai se posait donc ici, puisque le fait générateur de responsabilité était antérieur à la loi nouvelle, mais que l'assignation était postérieure. Si l'on appliquait l'ancien délai (10 ans), la prescription n'était pas acquise au jour de l'assignation, mais la solution était inverse si l'on appliquait le nouveau délai (5 ans).
La cour d'appel avait opté pour le nouveau délai de 5 ans, en faisant ainsi une application immédiate de la loi nouvelle. Mais elle omettait de tenir compte des principes d'application de la loi dans le temps prévus depuis 2008 par le Code civil (2). L'article 2222 du Code civil (N° Lexbase : L7186IAE) aménage deux mécanismes d'application dans le temps des lois qui modifient un délai de prescription, selon que le délai est allongé ou réduit. L'alinéa 2 prévoit, ainsi, qu'"en cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure".
La formule est complexe et tout l'intérêt de l'arrêt commenté réside précisément dans la mise en oeuvre de cette disposition. S'agissant du cas d'espèce, l'article 2222, alinéa 2, prévoit que l'ancien délai de 10 ans court avant l'entrée en vigueur de la loi (2008) et que le nouveau délai de 5 ans court à compter de cette entrée en vigueur. Toutefois, il est interdit d'additionner ces deux délais. En effet, l'article 2222, alinéa 2, précise que la durée totale de prescription ne peut excéder la durée de l'ancienne prescription (donc 10 ans).
Dans l'espèce étudiée, les faits qui ont donné naissance à la dette de responsabilité se sont déroulés au plus tard en 2003. Le délai de 10 ans a couru jusqu'en 2008 et lors de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, la prescription n'était pas échue. A partir de 2008, un nouveau délai de 5 ans a couru et ce délai devait respecter la durée maximale de l'ancien délai (10 ans). Ce qui signifiait que la prescription était échue en 2013, comme on peut le montrer à travers un schéma.
Dans l'espèce étudiée, la cour d'appel avait, à tort, appliqué le délai de 5 ans dès le point de départ de la prescription en 2003 et constaté que la prescription était échue en 2009 (date de l'assignation). Cet arrêt est censuré au visa de l'article 2222 du Code civil (3) et la Cour de cassation affirme simplement "qu'en statuant ainsi, alors que la durée du délai de prescription prévu à l'article L. 110-4 I du Code de commerce a été réduite de dix à cinq ans par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
L'arrêt signe, donc, un retour à l'orthodoxie juridique, mais il montre également la complexité des règles d'application dans le temps des lois de prescription. En effet, le principe de l'application immédiate des lois de procédure est mal adapté aux lois de prescription. Dans le cas d'espèce, si l'on avait appliqué en 2008 le nouveau délai de 5 ans, il ne se serait pas agi d'une application immédiate, mais d'une rétroactivité. C'est pour cette raison que les principes énoncés à l'article 2222 du Code civil partagent le temps entre les deux délais. L'ancien délai s'écoule avant l'entrée en vigueur de la loi et le nouveau délai, après. Pour connaître la durée totale de la prescription, il faut combiner savamment ces deux délais sans que la durée totale ne dépasse le délai le plus long.
2. Effet de la radiation sur la computation d'un délai de prescription
La loi du 17 juin 2008 a eu le mérite de définir avec une certaine exhaustivité les règles de computation des délais de prescription. Plus particulièrement, l'article 2231 du Code civil prévoit que l'interruption de la prescription efface le délai écoulé et fait courir un nouveau délai identique à l'ancien.
Dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 10 avril 2013 (Cass. civ. 1, 10 avril 2013, n° 12-18.193, F-P+B+I), la responsabilité d'un avocat était recherchée, car il ne s'était pas présenté à l'audience prud'homale concernant son client et n'avait pas sollicité une réinscription au rôle de l'affaire après sa radiation. La cour d'appel saisie de l'action en responsabilité contre l'avocat avait considéré que le préjudice subi par le client était caractérisé, puisque la radiation de l'affaire prud'homale avait mis fin à l'effet interruptif de prescription de l'action en justice et que le délai -qui avait recommencé à courir après cette radiation- était échu au jour de l'action en responsabilité contre l'avocat.
De façon indirecte, à travers une action en responsabilité contre un avocat, la Cour de cassation avait à définir l'impact de la radiation sur l'interruption de la prescription. L'article 2241 du Code civil (N° Lexbase : L7181IA9) énonce ainsi que la demande en justice interrompt le délai de prescription. Toutefois, l'article 2243 du même code (N° Lexbase : L7179IA7) prévoit que l'interruption de la prescription est "non avenue" si le demandeur laisse périmer l'instance. Dans l'espèce étudiée, l'instance n'était pas périmée, mais l'affaire avait simplement été radiée.
Péremption d'instance et radiation constituent deux incidents d'instance, mais seule la péremption d'instance est visée par l'article 2243 du Code civil. Par ailleurs, péremption et radiation ne produisent pas le même effet sur l'instance. Lorsque l'affaire est radiée, elle peut être rétablie sur justification de l'accomplissement des diligences dont le défaut avait entraîné la radiation (C. pr. civ., art. 383 N° Lexbase : L2268H4R). La radiation n'est donc qu'une cause de suspension de l'instance (C. pr. civ., art. 377 N° Lexbase : L2241H4R). En revanche, la péremption a pour effet d'éteindre l'instance.
La cour d'appel avait pourtant fait jouer à la radiation le même effet que celui de la péremption d'instance sur la prescription civile. Elle avait ainsi jugé que "la radiation de l'instance a emporté reprise du cours de la prescription et que celle-ci étant désormais acquise, M. Y a définitivement perdu toute chance de remporter l'action engagée devant le conseil de prud'hommes de Bobigny". Les juges du second degré faisaient donc une interprétation extensive de l'article 2243 du Code civil, en considérant que l'interruption de prescription était "non avenue" en cas de radiation de l'affaire et, qu'en conséquence, la prescription reprenait son cours.
La Cour de cassation censure cette décision en affirmant clairement que "le cours de la prescription avait été interrompu par l'introduction de l'instance prud'homale et que la radiation de l'affaire était sans effet sur la poursuite de cette interruption".
La Haute juridiction livre ici une interprétation à la fois littérale et logique de l'article 2243 du Code civil (4). Seule la péremption -qui a pour effet d'éteindre l'instance- peut entraîner la disparition de l'effet interruptif de la demande en justice. La solution est dans la droite ligne de la jurisprudence qui juge que la prescription est interrompue durant toute la durée de l'instance, jusqu'au jugement définitif (5) ou jusqu'à ce que le litige trouve sa solution (Cass. civ. 1, 8 décembre 1976, n° 74-10.180 N° Lexbase : A6882CGY, Bull. civ. I, n° 392).
La radiation n'a donc pas d'effet sur l'interruption de la prescription. C'est l'apport qu'il faut retenir de cet arrêt important (6). En revanche, les plaideurs doivent rester attentifs à la règle de l'article 386 du Code civil (N° Lexbase : L2938ABG), qui indique que si aucune partie n'accomplit de diligence durant 2 ans, l'instance se périme. La radiation du rôle n'entraîne donc pas un effet définitif, à condition de ne pas laisser passer ce délai. La péremption est une suite lointaine de la radiation, lorsque la négligence des parties s'éternise.
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