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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 09 Janvier 2014
Lexbase : Le sport professionnel est un marché florissant, qui ne semble pas être touché par la crise. La fiscalité a-t-elle aidé ce domaine à prendre cet essor ?
Jean-Jacques Bertrand et Thierry Bardaud : Contrairement à ce que l'opinion publique peut penser, le sport, comme toute autre activité, est également touché par la crise économique nationale et internationale. Le football professionnel a vu deux de ses clubs placés en liquidation judiciaire en 2013. Il s'agit du FC Rouen, club pourtant centenaire, et du FC Le Mans.
De plus, la baisse des subventions publiques, la perte de partenaires, la suppression du DIC, etc., font que de nombreux clubs connaissent actuellement des difficultés financières qui se traduisent par des restrictions budgétaires, des négociations de salaire à la baisse, et, pour les administratifs, des licenciements économiques.
Lexbase : Quelle est la fiscalité applicable à l'AS Monaco ? Ce club est-il le plus attractif du monde, ou d'autres pays font eux aussi rimer "football" et "avantage fiscal" ?
Jean-Jacques Bertrand et Thierry Bardaud : Il y a 50 ans, le 18 mai 1963 exactement, une Convention a été signée entre la France et la Principauté de Monaco (N° Lexbase : L6726BHL). Cette Convention a mis fin à une crise qui durait depuis plus d'un an. Il y était entre autres convenu que les personnes physiques de nationalité française qui ont leur domicile ou leur résidence à Monaco seraient "assujetties en France à l'impôt sur le revenu des personnes physiques [...] dans les mêmes conditions que si elles avaient leur domicile ou leur résidence en France". Mais les résidents étrangers non français continuent, eux, de bénéficier d'un régime fiscal de faveur.
Ce régime relève de la seule autorité de l'Etat monégasque.
Mais, cette Convention a aussi institué un impôt sur les bénéfices réalisés par les entreprises (quelle que soit leur forme) "qui exercent sur le territoire monégasque une activité industrielle ou commerciale, lorsque leur chiffre d'affaires provient, à concurrence de 25 % au moins, d'opérations faites directement, ou pas personnes interposées, en dehors de Monaco".
Comme dans toute convention de cette nature, des mesures tendant à éviter les doubles impositions sont également prévues par la Convention.
Pour ce qui est d'autres pays, il est possible ici de faire référence à l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) qui doit rétablir une liste noire des paradis fiscaux fin 2014.
Selon un article du journal Le Monde du 21 novembre 2013, une liste semble déjà prête. On y retrouve le Luxembourg, Chypre, les Iles Vierges Britanniques, les Seychelles, l'Autriche, la Turquie, la Suisse, le Liban, les Emirats Arabes Unis, Panama, le Guatemala, Brunei, le Botswana, le Liberia, Trinité-et-Tobago, les Iles Marshall, le Vanuatu, Nauru et Niue. Reste à observer qu'aucun de ces pays ne peut rivaliser avec Monaco au niveau du football !
L'Espagne avait, jusqu'en 2009, un dispositif appelé "loi Beckham". Ce système permettait aux salariés (pas seulement les footballeurs) non-résidents, qui vivaient en Espagne depuis moins de 6 ans et qui gagnaient plus de 600 000 euros par an, de ne payer que 24 % d'impôt sur le revenu pendant 6 ans. Le taux normal était de 43 %. Face à la crise économique que traversait le pays, cette loi a été abrogée.
Il pourrait aussi être fait référence au régime favorable que réserve la fiscalité française aux impatriés (CGI, art. 155 B N° Lexbase : L1137IET).
Les personnes éligibles à ce nouveau régime sont, notamment, les salariés recrutés à l'étranger par une entreprise établie en France.
Ces personnes ne doivent alors pas avoir été fiscalement domiciliées en France au cours des 5 années civiles précédant celle de leur prise de fonctions. De plus, à compter de leur prise de fonctions, elles doivent être fiscalement domiciliées en France, c'est-à-dire :
- y avoir leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ;
- et y exercer une activité professionnelle à titre principal.
Les revenus des impatriés bénéficiant d'une exonération s'analysent en une prime qui correspond aux suppléments de rémunération, en nature ou en espèces, directement liée à l'exercice temporaire d'une activité professionnelle en France.
Cette exonération des revenus s'applique jusqu'au 31 décembre de la cinquième année suivant la prise de fonctions en France du bénéficiaire au titre de chacune des années au cours desquelles l'impatrié a son domicile fiscal en France.
Lexbase : Quelles sont les conséquences de cette fiscalité avantageuse en matière de concurrence ? Est-ce que faire entrer l'AS Monaco dans le champ de la loi française vous semble être une solution satisfaisante ?
Jean-Jacques Bertrand et Thierry Bardaud : Comme nous l'avons indiqué précédemment, les relations fiscales entre les Etats français et monégasque sont régies par la Convention de 1963.
Il faut ici ajouter que, bien avant cette Convention, l'AS Monaco a toujours participé aux compétitions organisées par les Fédérations françaises sportives.
Les modifications réglementaires votées par la Ligue de football professionnel, et qui tendent à imposer à l'AS Monaco de fixer son siège social en France pour soumettre le club à la réglementation fiscale française, sont actuellement à l'examen du Conseil d'Etat. C'est une question complexe dont la solution doit prendre en considération un champ d'application plus vaste que le seul football professionnel français.
Il faut noter que la solution préconisée par la Ligue de football professionnel ne permet pas au football professionnel de bénéficier de recettes supplémentaires, mais tend simplement à voir l'Etat français améliorer ses recettes par le versement, par l'AS Monaco, d'une taxe fiscale et des charges sociales plus importantes qu'en Principauté.
Lexbase : La loi de finances pour 2014 prévoit une taxe de 50 % sur les rémunérations de plus de un million d'euros. Valérie Fourneyron, ministre des Sports, a précisé qu'elle s'appliquerait aux clubs de football. Qu'en pensez-vous ?
Jean-Jacques Bertrand et Thierry Bardaud : Le sujet de la taxe dite à 75 % (mais en réalité de 50 %) a régulièrement défrayé la chronique, que ce soit pour sa connotation politique ou pour son application au football professionnel.
Menace de "grève" de la part des clubs, nomination d'un médiateur,... des sénateurs ont également proposé d'inclure l'AS Monaco, qui, faut-il le rappeler, a son siège social dans la Principauté de Monaco et ne dépend donc pas de la loi française, dans le champ d'application de cette taxe (voir l'article consacré à ce sujet sur le blog du cabinet Bertrand & Associé).
Cependant, lors de la séance du 27 novembre 2013, le projet de loi de finances 2014 a fait l'objet d'un vote de rejet, par le Sénat, mettant ainsi, à ce jour, un terme à cette nouvelle taxe (voir l'article consacré à ce sujet sur le blog du cabinet Bertrand & Associé).
La considération constitutionnelle de cette question est aussi à prendre en considération. S'il faut attendre l'issue du débat parlementaire, il ne semble pas que ce texte doive prospérer.
NDLR : après vote définitif de la loi de finances pour 2014 (loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, de finances pour 2014 N° Lexbase : L7405IYW), l'article 15 prévoit l'instauration de la taxe à 50 %.
Lexbase : Selon vous, le domaine du sport professionnel mérite-t-il une fiscalité à part ? L'Union européenne a-t-elle son rôle à jouer dans ce débat ?
Jean-Jacques Bertrand et Thierry Bardaud : La suppression du droit à l'image collective (DIC) en 2009 a mis fin à une fiscalité particulière du monde du sport.
Le DIC avait été créé par la loi du 15 décembre 2004 (loi n° 2004-1366 du 15 décembre 2004, portant diverses dispositions relatives au sport professionnel N° Lexbase : L4814GUT), qui le définissait comme "un régime spécifique pour la rémunération du droit à l'image collective des sportifs professionnels".
Ce dispositif était encadré par une double limite : la fraction de la rémunération qui bénéficiait de l'exonération des cotisations sociales devait être, d'une part, supérieure à deux fois le plafond de la Sécurité sociale, et, d'autre part, égale ou inférieure à 30 % de la rémunération brute.
Il n'existe pas de mesure spécifique et favorable ou à part pour le monde professionnel, géré sous forme de sociétés commerciales, même à statuts particuliers (SAOS, SASP, etc.), il n'échappe sur aucun point à l'application du droit commun.
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