Lexbase Droit privé n°602 du 19 février 2015 : Procédure pénale

[Jurisprudence] Requalification par le juge répressif : les parties doivent avoir été mises en mesure de s'expliquer sur la qualification nouvelle envisagée

Réf. : Cass. crim., 27 janvier 2015, n° 14-81.723, F-P+B (N° Lexbase : A7109NAK)

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N6014BUB

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par Gaëlle Deharo, Professeur, Laureate International Universtities (ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès, Université Paris 1

le 17 Mars 2015

La solution est classique : il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification. L'arrêt rapporté, rendu le 27 janvier 2015 par la Cour de cassation, vient cependant donner une nouvelle touche à la définition du régime de la requalification. Statuant sous le visa des articles 388 (N° Lexbase : L3795AZL) et préliminaire (N° Lexbase : L6580IXY) du Code de procédure pénale, la Cour de cassation précise que la requalification n'est possible qu'à la condition que les parties aient été mises en mesure de s'expliquer sur la nouvelle qualification envisagée. L'arrêt rapporté vient une nouvelle fois préciser la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de requalification. Le prévenu était poursuivi pour avoir exercé des sévices graves ou commis un acte de cruauté envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu captivité. L'infraction, prévue et réprimée par l'article 521-1 du Code pénal (N° Lexbase : L3431HTA), exposait son auteur à une peine de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. Le tribunal correctionnel le déclara coupable des faits poursuivis.

La cour d'appel infirma cependant ce jugement. Considérant que la contravention prévue à l'article R. 653-1 du Code pénal (N° Lexbase : L0882ABB) était caractérisée à l'encontre du prévenu, les juges d'appel constataient la prescription de l'action publique.

Cette décision fit l'objet d'un pourvoi fondé sur la violation des articles 388 du Code de procédure pénale et des droits de la défense ainsi que sur la violation de l'article R. 653-1 du Code pénal.

Statuant sous le visa des articles 388 et préliminaire du Code de procédure pénale, la Cour de cassation rappelle que "s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que les parties aient été mises en mesure de s'expliquer sur la nouvelle qualification envisagée".

Plusieurs constats s'évincent de cette solution :

- il appartient au juge répressif de restituer aux faits leur exacte qualification. La règle rappelée fait écho à l'article 12 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1127H4I) imposant au juge civil de "donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée". Si la comparaison est possible, elle doit cependant être limitée (1). La Cour de cassation vient, par l'arrêt rapporté, une nouvelle fois tracer les contours de la requalification par le juge répressif (I) ;

- l'arrêt rapporté ne se borne pas à rappeler la règle désormais classique. Il vient également repréciser le régime de la requalification : les parties doivent avoir été mises en mesure de s'expliquer sur la nouvelle qualification (II) ;

- cette solution n'est pas prononcée sous le visa des droits de la défense, invoqué par le pourvoi, mais sous le visa de l'article préliminaire du Code de procédure pénale.

I - La requalification par les juges du fond

Opération naturelle aux juristes, la qualification est un terme générique désignant tout à la fois l'opération par laquelle le juge nomme les faits, mais également le résultat de cette opération qui va être appliqué tout au long de la procédure (2). Selon la définition proposée par le Professeur Guinchard, la qualification est une opération intellectuelle consistant à rattacher une situation de fait ou de droit à une catégorie juridique déjà existante. Elle consiste à définir ou identifier des faits infractionnels par le législateur ou par le juge. La qualification judiciaire est l'acte par lequel le juge vérifie la concordance des faits matériels commis au texte d'incrimination susceptible de s'appliquer (3). En d'autres termes, la qualification, qui est au centre de l'oeuvre du juriste, consiste à nommer les choses. Par extension, la requalification consiste à les nommer mieux (4).

La requalification a donc pour effet de modifier le texte d'incrimination applicable aux faits soumis au juge. Les règles procédurales peuvent s'en trouver modifiées. En l'espèce, la requalification procédait de la détermination de l'élément intentionnel caractérisé en l'espèce. Selon l'article 121-3 du Code pénal (N° Lexbase : L2053AMY), il n'y a pas de crime ni de délit sans intention de le commettre. L'article 521-1 du même code (N° Lexbase : L3431HTA) réprime donc le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité. Ces faits sont punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. L'infraction prévue par le texte définit un délit intentionnel et c'est sur ce fondement que le prévenu avait été renvoyé devant le tribunal correctionnel.

Pourtant, en l'espèce, la Cour de cassation relève que "pour constater la prescription de l'action publique, la cour d'appel retient que M. Y a involontairement causé la mort de l'animal, que la contravention prévue à l'article R. 653-1 du Code pénal est caractérisée à son encontre mais est prescrite". Les juges du fond ne caractérisaient donc pas le caractère volontaire de l'infraction et, par conséquent, requalifiaient les faits en infraction involontaire. En conséquence, c'est sur le fondement de l'article R. 653-1 du Code pénal qu'ils ont déclaré la prévention établie. Selon cette disposition, "le fait par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements d'occasionner la mort ou la blessure d'un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 3ème classe". C'est donc sur le fondement d'une faute non intentionnelle que les juges du fond retenaient la culpabilité du prévenu. La requalification de l'élément intentionnel, de faute volontaire en faute involontaire, s'accompagnait d'une contraventionnalisation de l'infraction établie. Cette détermination avait eu pour conséquence, en l'espèce, de modifier le délai de prescription qui se trouvait acquis par la prescription annale.

La solution pouvait trouver ancrage dans une décision antérieure de la Cour de cassation. La Chambre criminelle de la Cour de cassation avait, en effet, cassé une décision des juges du fond qui n'avaient pas caractérisé si pouvait être retenue la qualification contraventionnelle de mauvais traitement envers un animal domestique (5). Elle trouve encore ancrage dans les dispositions textuelles. L'article 466 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9937IQ4) prévoit que "si le tribunal régulièrement saisi d'un fait qualifié délit par la loi, estime, au résultat des débats, que ce fait ne constitue qu'une contravention, il prononce la peine et statue, s'il y a lieu, sur l'action civile". Cette disposition est rendue applicable, devant la cour d'appel, par l'article 512 du même code (N° Lexbase : L4412AZG). En d'autres termes, le juge dispose du devoir de restituer aux faits leur exacte qualification.

Du reste, la solution est régulièrement réaffirmée par la Cour de cassation. Selon la jurisprudence de la Chambre criminelle, les juges répressifs ne sont pas liés par la qualification retenue par la prévention. Ils ont le pouvoir et même l'obligation (6) de restituer à la poursuite sa qualification véritable dès lors qu'il n'a rien été ajouté aux faits visés par la prévention (7). La Cour a précisé que ce devoir incombant aux juges répressifs de restituer aux faits leur véritable qualification (8), dès lors qu'il n'est rien ajouté à la prévention, n'est pas contraire à l'article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) (9). Saisie de la question, la Cour européenne des droits de l'Homme, dans une affaire "Pélissier et Sassi contre France", a précisé que la requalification des faits implique le respect des droits de la défense (10). C'est sur ce fondement qu'intervient la cassation en l'espèce.

II - Les conditions de la requalification par les juges du fond

Lorsque la qualification retenue au terme des débats est différente de celle qui figure dans l'acte de saisine de la juridiction, le juge répressif doit donc requalifier les faits. Cette requalification n'est possible que dans les limites de l'acte de saisine, conformément aux dispositions de l'article 388 du Code de procédure pénale, et sous réserve du respect des droits de la défense.

De façon générale, la requalification impose à la juridiction de recueillir les observations de la défense (11). Si, de surcroit, le juge envisage d'ajouter aux faits de la prévention voire de substituer des faits nouveaux à ceux de la prévention, il doit préalablement obtenir l'accord exprès du prévenu (12) d'être jugé sur des faits non compris dans la poursuite (13). La jurisprudence classique de la Cour de cassation considère que "s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée" (14). Aussi, il ne saurait se faire un grief de la requalification contestée dès lors que celle-ci, qui ne portait pas sur des faits nouveaux, a été soumise au débat contradictoire, qu'elle a fait l'objet de réquisitions du ministère public et que le prévenu a été mis en mesure de s'en expliquer (15). La Cour de cassation veille scrupuleusement à la réalité et à l'efficacité du débat contradictoire sur la requalification (16) et le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que les juges ont donné aux faits leur exacte qualification, dès lors que celle-ci, invoquée dans les conclusions des parties civiles tant en première instance que devant les juges du second degré, a été soumise au débat contradictoire (17). Il ne saurait pas davantage invoquer une violation des droits de la défense lorsque les éléments constitutifs de l'infraction retenue ont été discutés sur le fondement de la qualification initiale (18).

La solution est fermement réaffirmée par l'arrêt rapporté : "la requalification des faits n'est possible qu'à la condition que les parties aient pu s'expliquer sur la nouvelle qualification retenue". Cette décision, qui s'inscrit dans la ligne de la jurisprudence antérieure, fait l'objet d'une publication au bulletin. La solution n'est pas prononcée sous le visa des "droits de la défense", mais de l'article préliminaire du Code de procédure pénale qui dispose que "la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties". La combinaison de la solution et du visa restaure une égalité entre la partie civile et le prévenu qui doivent, chacun, être mis en mesure de discuter la nouvelle qualification retenue.


(1) H. Croze, Retour sur la requalification, Procédure, 2008, étude 7.
(2) E. Gallardo, La qualification pénale des faits, RSC, 2013, 986.
(3) S. Guinchard, T. Debard, Lexique de termes juridiques, Dalloz, 2014, V. "qualification".
(4) A. Guéry et C. Guéry, De la difficulté pour le juge pénal d'appeler un chat, un chat (requalification "stricte" ou "élargie" : devoirs et pouvoirs du tribunal correctionnel)", Droit pénal, 2005, étude 6.
(5) Cass. crim., 7 octobre 2008 , n° 07-88.349, FS-D (N° Lexbase : A4230NBB).
(6) Cass. crim., 23 juin 2009, n° 07-85.109, F-P+F (N° Lexbase : A9380EIA) ; Cass. crim., 29 février 2000, n° 99-81.744 (N° Lexbase : A8989C4P).
(7) Cass. crim., 8 août 1994, n° 93-85.749 (N° Lexbase : A8277CPA).
(8) Cass. crim., 12 juin 1996, n° 95-83.312 (N° Lexbase : A0068CSC) ; Cass. crim., 12 juin 1996, n° 95-83.312 (N° Lexbase : A0068CSC) et la jurisprudence citée infra.
(9) Cass. crim., 29 octobre 1996, n° 96-80.701 (N° Lexbase : A4936CKZ).
(10) CEDH, 25 mars 1999, Req. 25444/94 (N° Lexbase : A7531AWT).
(11) Cass. crim., 19 janvier 2005, n° 04-81.232 (N° Lexbase : A0068CSC) ; Cass. crim., 21 juin 2000, n° 99-86.539 (N° Lexbase : A1897CYW).
(12) J. Buisson, La requalification des faits par le juge répressif implique le respect des droits de la défense du prévenu, Procédures 2003, comm. 49.
(13) Cass. crim., 22 mars 2000, n° 98-87.496 (N° Lexbase : A5369CIP).
(14) Cass. crim., 3 juin 2014, n° 13-81.843, F-D (N° Lexbase : A2974MQ9).
(15) Cass. crim., 14 janvier 2015, n° 13-85.868, F-D (N° Lexbase : A4631M9E) ; Cass. crim., 23 octobre 2013, n° 12-80.793, F-P+B (N° Lexbase : A4715KNX) ; Cass. crim., 14 octobre 2009 , n° 09-81.364, F-D (N° Lexbase : A7637EN8) ; Cass. crim., 26 mars 2013, n° 12-82.145, F-D (N° Lexbase : A2823KB8).
(16) Cass. crim., 28 mai 2014, n° 13-81.204, F-D (N° Lexbase : A6283MPE) ; Cass. crim., 7 juin 2011, n° 09-80.036, F-D (N° Lexbase : A0351HWW) ; Cass. crim., 25 janvier 2011, n° 10-84.466, F-D (N° Lexbase : A7428GZ7) ; Cass. crim., 14 octobre 2009, n ° 09-81.364, F-D (N° Lexbase : A7637EN8) ; Cass. crim., 6 septembre 2000, n° 99-84.406 (N° Lexbase : A6918CNK).
(17) Cass. crim., 22 janvier 2014, n° 12-86.487, F-D (N° Lexbase : A0070MDX) ; Cass. crim., 23 juin 2009, n° 07-85.109, F-P+F (N° Lexbase : A9380EIA).
(18) Cass. crim., 31 octobre 2007, n° 06-89.510, FS-D (N° Lexbase : A4792NB4).

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