Lexbase Droit privé n°602 du 19 février 2015 : Procédure civile

[Jurisprudence] La lettre demandant à la cour d'appel le rétablissement de l'affaire après que la cause du sursis à statuer eût disparu constitue une diligence suffisante à interrompre le délai de péremption

Réf. : Cass. civ. 2, 29 janvier 2015, n° 13-21.675, FS-P+B (N° Lexbase : A6983NAU)

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N6039BU9

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par Emmanuel Raskin, Avocat au barreau de Paris, cabinet SEFJ, Chargé d'enseignement à l'Université Paris V, Président de la Commission nationale "Procédure" de l'ACE

le 17 Mars 2015

Voici un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 29 janvier 2015, qui ne laisse pas indifférent s'agissant de ce qu'il convient de retenir comme diligence suffisante pour interrompre le délai de péremption d'instance. Les consorts X ont fait délivrer à M. Y, exploitant agricole, un congé pour reprise au profit de M. Z. Une procédure était engagée devant le tribunal administratif sur la validité de l'autorisation préfectorale d'exploiter, accordée au repreneur, M. Z, en parallèle de l'instance engagée devant la juridiction compétente de l'ordre judiciaire au titre de la validité du congé notifié à M. Y. Un sursis à statuer a été prononcé dans l'attente d'une décision irrévocable de la juridiction de l'ordre administratif car en dépendait, à l'évidence, la solution du litige pendant devant la juridiction de l'ordre judiciaire. Un jugement irrévocable du 18 février 2010 fut rendu par le tribunal administratif annulant cette autorisation d'exploiter, ce qui conduisit M. Y à demander la remise au rôle de l'affaire qui avait été radiée dans l'attente de cette décision. Les consorts X ont soulevé une exception de péremption d'instance.

L'arrêt attaqué par le pourvoi, rendu par la cour d'appel de Paris le 23 mai 2013 (CA Paris, 23 mai 2013, n° 12/23619 N° Lexbase : A8799KDA), avait écarté leur demande tendant à ce que l'instance soit déclarée éteinte par péremption et avait jugé nul le congé notifié pour reprise à M. Y. Le bail était ainsi renouvelé, aux clauses et conditions du bail précédent, au bénéfice de M. Y.

Le pourvoi reposait sur un seul moyen, tendant pour l'essentiel à contester que la demande de réinscription au rôle de l'affaire eût un effet interruptif du délai de péremption.

Le pourvoi fut rejeté, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, dans un attendu très clair, approuvant la solution de la cour d'appel : "mais attendu qu'ayant relevé que M. [Y] avait, par une lettre du 30 novembre 2011, informé la cour d'appel de ce que le tribunal administratif avait rendu sa décision le 18 février 2010, ce dont il ressortait que la cause du sursis avait disparu, et sollicité le rétablissement de l'affaire, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que ces diligences suffisaient à interrompre le délai de péremption".

Nous reviendrons sur le régime de la péremption d'instance, ce qui aide à comprendre l'évolution procédurale de l'affaire commentée (I), avant d'analyser l'épineuse question de la qualification des diligences interruptives du délai de péremption (II).

I - Le régime de la péremption d'instance

A - Le fondement et les conditions de la péremption d'instance

L'article 386 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2277H44) dispose que l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans. La péremption est liée à l'inactivité des parties, soit qu'elle traduit ou officialise une renonciation tacite des parties à poursuivre l'instance, soit qu'elle sanctionne, au-delà de la radiation, l'inactivité laxiste.

Le délai de péremption court contre toutes personnes physiques ou morales, même incapables, sauf leur recours contre les administrateurs ou tuteurs, vient préciser l'article 391 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6492H7L).

L'article 386 vise toute les parties, c'est-à-dire que la charge d'interrompre ne pèse pas que sur le demandeur : le défendeur, s'il souhaite une décision, doit donc répondre d'une activité procédurale suffisante.

L'article 388 (N° Lexbase : L2281H4A) exige que la péremption soit, à peine d'irrecevabilité, demandée ou opposée par voie d'exception avant tout autre moyen.

La péremption est traitée comme une exception de procédure mais elle n'en est pas une car d'une part, elle ne figure pas au rang des exceptions de procédure que consacre le chapitre II du titre cinquième du livre premier du Code de procédure civile, et d'autre part, à la différence de l'exigence posée à l'article 74 (N° Lexbase : L1293H4N) du même code, la péremption doit être soulevée avant tout autre moyen et non pas simultanément avec les autres exceptions de procédure.

Elle est de droit mais elle ne peut être relevée d'office par le juge. Cela signifie que l'expiration du délai de péremption n'entraîne pas de plein droit les effets de la péremption : il faut qu'elle soit demandée ou opposée par la partie intéressée.

En cela, le caractère de sanction attaché à la péremption est atténué. Ses effets sont cependant redoutables.

B - Les effets de la péremption d'instance

La péremption éteint l'instance en l'effaçant totalement. Les parties ne peuvent plus opposer aucun des actes de la procédure périmée ou s'en prévaloir.

Les dispositions de l'article 389 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L3797AZN) sont donc drastiques. Les demandes se trouvent anéanties et n'ont aucun effet interruptif de prescription. Les dommages-intérêts moratoires ne courent pas. Il existe néanmoins un bémol à l'anéantissement : la péremption n'éteint pas l'action que le demandeur peut à nouveau engager, sous réserve qu'il ne soit pas prescrit.

Il est donc aisé de comprendre que lorsqu'une partie veut éviter les effets de la péremption, elle a tout intérêt à accomplir des diligences interruptives quand bien même l'affaire radiée ou retirée du rôle n'aurait pas encore été rétablie.

En l'espèce, les consorts X, face à une autorisation d'exploiter de leur repreneur anéantie, la péremption leur permettait de ne pas faire juger nul le congé de reprise notifié à M. Z. Ce dernier était dès lors confronté au délai de prescription d'une nouvelle action en contestation de la validité du congé en cause.

II - Les diligences interruptives affectant le délai de péremption

A - Le point de départ du délai

La péremption ne peut être encourue qu'en cas de manquement des parties à leurs obligations, de sorte que le délai ne court pas chaque fois que l'initiative de faire avancer l'instance leur échappe. La Cour de cassation retient ainsi que si les parties ne sont plus tenues à aucune diligence, le délai de péremption ne peut courir (1). Tel est le cas évidemment lorsque l'affaire est en délibéré.

La fixation de l'audience par le juge, à une date postérieure à celle d'expiration du délai de péremption, dispense les parties d'accomplir des diligences (2). La jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation met ainsi un frein à la pratique qui tendait à voir les parties régulariser un acte uniquement pour la forme, notamment en signifiant des conclusions sans le moindre ajout ou sans la moindre portée autre que l'unique dessein d'interrompre le délai de péremption.

Le délai de deux ans peut être affecté par divers incidents. Il en est ainsi des incidents interruptifs d'instance. L'article 392 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6493H7M) dispose que l'interruption de l'instance emporte celle du délai de péremption. Il en est de même des cas légaux de suspension de l'instance ou de la survenance de l'évènement qui y met fin.

Ainsi, à ne pas confondre avec la radiation, sanction du défaut de diligences, et le retrait du rôle prononcé après accord des parties, le sursis à statuer interrompt l'instance. L'alinéa 2 de l'article 392 vise la suspension de l'instance qui n'a lieu que pour un temps ou jusqu'à la survenance d'un évènement déterminé, ce qui correspond exactement à la définition du sursis à statuer donnée par l'article 378 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2245H4W).

En l'espèce, le jugement irrévocable du tribunal administratif ayant annulé l'autorisation d'exploiter du repreneur a mis fin à la suspension de l'instance car ce jugement constituait l'évènement déterminé qui motivait le sursis à statuer. Aucun délai de péremption ne courrait donc entre la décision qui prononça le sursis à statuer et la survenance de cet évènement. Le délai de préemption courra à nouveau à compter de cet évènement.

C'est donc par une qualification inappropriée que l'arrêt évoque que M. Z a demandé la remise au rôle de l'affaire radiée car la radiation est une sanction d'un défaut de diligences alors que le sursis à statuer induit, lorsqu'il est prononcé, à ce que soit ordonnée la suspension de l'instance et non la radiation de l'affaire.

Vraisemblablement le tribunal, saisi de la demande de nullité du congé, avait radié l'affaire mais sans la volonté de sanctionner l'une ou l'autre des parties, puisque cette radiation suivait le prononcé du sursis à statuer dans l'attente du jugement irrévocable de la juridiction administrative, saisie de la validité de l'autorisation d'exploiter du repreneur visé au congé attaqué.

En toute logique, la partie bénéficiaire du jugement irrévocable rendu par le tribunal administratif demanda la remise au rôle de l'affaire, faisant état de la survenance de l'évènement ayant mis fin au sursis à statuer. Sa lettre de demande constituait-elle alors une diligence suffisante à interrompre le délai de péremption qui courrait depuis la survenance de cet évènement ?

B - Les diligences retenues

Les diligences consistent en des actes des parties se rapportant à l'instance, et selon la jurisprudence, manifestant leur volonté d'en faire avancer le cours et de nature à faire progresser l'affaire (3). C'est bien cette intention des parties qui compte, quand bien même l'acte en cause serait annulé (4).

Une lettre peut être interruptive tout comme un acte de procédure dès lors qu'elle se rattache à l'instance et qu'elle est de nature à faire progresser l'affaire. Sans cette volonté manifestant une réelle "impulsion processuelle" (5), la diligence n'est pas interruptive. Il en est ainsi d'un jeu de conclusions d'un appelant qui se contente de demander qu'il lui soit donné acte de ce qu'il entend suivre son appel et déclare que ces écritures sont interruptives de la péremption (6). La simple demande de renvoi n'est pas interruptive (7).

En l'espèce, pouvait se discuter, comme l'ont fait les demandeurs au pourvoi, le fait que la simple demande de remise au rôle de l'affaire constituât une diligence interruptive. Cette demande n'était pas accompagnée de conclusions tendant à émettre des prétentions sur la base de moyens précis incitant les adversaires à répliquer ou permettant au tribunal de statuer.

La deuxième chambre civile retint pourtant, dans l'arrêt commenté, ce caractère interruptif en prenant le soin de rattacher cette qualification par la conjonction de coordination "et" à l'évènement qui venait de mettre fin au sursis à statuer qui avait été prononcé : "mais attendu qu'ayant relevé que M. [Y] avait, par une lettre du 30 novembre 2011, informé la cour d'appel de ce que le tribunal administratif avait rendu sa décision le 18 février 2010, ce dont il ressortait que la cause du sursis avait disparu, et (8) sollicité le rétablissement de l'affaire, c'est à bon droit que la cour d'appel a décidé que ces diligences suffisaient à interrompre le délai de péremption".

L'auteur de la lettre de demande de remise au rôle informait également la cour d'appel de ce que l'évènement mettant fin au sursis à statuer était survenu. Il faisait non seulement progresser l'affaire en informant la cour de cette survenance mais demandait une reprise effective de l'instance via la remise au rôle de l'affaire, ce qui manifestait une volonté de faire avancer le cours de l'instance. La solution peut donc être approuvée dans ce cas précis.

Si la demande de remise au rôle avait été régularisée après que l'affaire fût radiée pour défaut de diligences ou sur retrait de rôle, la solution eût vraisemblablement été différente.

Gare donc à la tentation de voir dans cet arrêt un revirement de jurisprudence.


(1) Cass. civ. 2, 17 mars 1986, n° 84-14726 (N° Lexbase : A3113AAK), Bull. civ. II, n° 43.
(2) Cass. civ. 2, 12 février 2004, n° 01-17.565, FS-P+B (N° Lexbase : A2681DBW), Bull. civ. II, n° 61.
(3) Cass. civ. 3, 20 décembre 1994, n° 92-21.536 (N° Lexbase : A7425ABM), Bull. civ. III, n° 227.
(4) Cass. civ. 2, 3 juin 1999, n° 97-19.378 (N° Lexbase : A8933CEL), Bull. civ. II, n° 109 ; Cass. civ. 1, 14 février 2006, n° 05-14.757, F-P+B (N° Lexbase : A9927DMM).
(5) Cass. civ. 2, 8 novembre 2001, n° 99-20.159 (N° Lexbase : A0649AXC), Procédures 2002, n° 3, obs. R. Perrot.
(6) Cass. civ. 2, 13 novembre 1996, n° 94-18.061 (N° Lexbase : A9981ABB), Bull. civ. II, n° 250.
(7) Cass. civ. 2, 17 juin 1998, n° 96-14.800 (N° Lexbase : A5114ACE), Bull. civ. II, n° 198.
(8) Souligné par nous.

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