Lexbase Social n°965 du 23 novembre 2023 : Licenciement

[Actes de colloques] Un rétablissement de l’autorisation administrative de licenciement ? - Témoignage

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N7603BZM

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par Gérard Couturier, Professeur émérite de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne

le 30 Novembre 2023

Mots-clés : PSE • plan de sauvegarde de l'emploi • plans sociaux • licenciement • autorité administrative • compétence juridictionnelle • historique

Cet article est issu d’un dossier spécial consacré à la publication des actes du colloque intitulé « Le plan de sauvegarde de l'emploi : 10 ans après la loi du 14 juin 2013 », qui s’est tenu le 14 juin 2023 à Toulouse, et organisé par Frédéric Géa, Professeur à l’Université de Lorraine, et Sébastien Ranc, Maître de conférences à l'Université de Toulouse Capitole.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N7441BZM


Quelques souvenirs évoqués ici afin de caractériser le rôle dévolu à l’autorité administrative selon les règles issues de la réforme de 2013, en comparaison avec ce qu’était ce rôle dans le régime de la loi du 3 janvier 1975.

Notre époque a tendance à multiplier les commémorations et il apparait que ce phénomène s’observe même dans le domaine des sources du droit : la célébration du centenaire (éventuellement du bicentenaire) des grands codes est de tradition [1], maintenant on est invité à célébrer aussi le dixième anniversaire des grandes lois. À cet égard, la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 N° Lexbase : L0394IXU est reconnue comme une grande loi ; en atteste sa célébration « dix ans après », selon la formule du programme de notre colloque et de celui réuni quelques jours auparavant par le ministère du Travail [2]. La démarche mémorielle ainsi affichée présente, à mes yeux, un avantage considérable, c’est qu’à la différence d’autres approches - l’approche prospective, par exemple, qui est évidemment plus ambitieuse - elle justifie que l’on évoque des souvenirs, ce qui, au-delà d’un certain âge, est une tendance naturelle.

Je me trouve ainsi justifié à consacrer cette contribution à l’évocation de quelques souvenirs se rapportant à quatre moments de l’évolution et de la mise en œuvre des règles régissant les plans de sauvegarde de l’emploi.

I. Les premiers de ces souvenirs nous font revenir à la dizaine d’années au cours desquelles existait le régime d’autorisation administrative des licenciements économiques, tel que prévu par la loi du 3 janvier 1975 mais aboli en 1986. Il s’est observé alors - ce sont des constatations qui m’avaient personnellement impressionné mais je crois qu’elles étaient largement partagées - que l’impératif du passage obligé devant l’autorité administrative avait sur le comportement des acteurs une incidence considérable.

Préalablement à la demande d’autorisation, l’ouverture et la constitution d’un dossier impliquaient désormais un cadrage juridique et donc une intervention plus précoce des juristes dans l’élaboration des projets. Dans le même temps, les données économiques pertinentes devaient aussi être collectées plus tôt et tout de suite être explicitées autant que possible. Pour qu’elles puissent figurer au dossier, les possibilités de reclassement et d’autres mesures alternatives devaient  aussi être plus précocément explorées.

Par la suite, la défense  du dossier à la Direction départementale du travail et de l'emploi impliquait des contacts, des conversations, voire des négociations (des marchandages ?).  Ces échanges pouvaient rapidement s’ouvrir aux représentants du personnel, se prolonger au rythme de modifications éventuellement apportées au projet de licenciement collectif,  être même, dans certains cas, portés au niveau de la délégation à l'emploi.

Lors du vote de la loi de 1975, l’institution de cette autorisatuion administrative - pour tous les licenciements économiques, même individuels - avait été présentée modestement comme une mesure de contrôle accessoire rendue nécessaire par un régime particulier d’indemnisation du chômage applicable aux licenciés pour motif économique (« l’allocation supplémentaire d’attente ») : l’objectif mis en avant était de s‘assurer que ce dispositif exceptionnellement favorable mais onéreux ne bénéficie qu’à des salariés réellement licenciés pour un motif économique. Or, ce qui est rapidement apparu à l’expérience, c’est que le rôle de l’administration lié à l’exigence d’autorisation contribuait très significativement à l’application effective de composantes essentielles du droit des licenciements économiques - ou, du moins, du régime des grands licenciements collectifs, ceux impliquant un plan de sauvegarde de l’emploi (dénommé à l’époque « plan social »). On pouvait y voir déjà un contrôle qui, visant textuellement « les conditions d’application de la procédure de concertation »,  portait réellement sur la régularité (voire la loyauté) de cette concertation avec les représentants de personnel ; un contrôle aussi qui, visant textuellement « la portée des mesures de reclassement et d’indemnisation envisagées », portait donc sur le niveau suffisant ou non (voire la pertinence) des mesures d’accompagnement. L’influence de cette exigence d’autorisation se faisait sentir dèjà dans le temps de la procédure de concertation, avec, souvent, un accompagnement des acteurs.

II. Cette autorisation préalable aux licenciements économiques, pourtant, a été abolie en 1986 et mon deuxième souvenir se rapporte à l’état d’esprit qui était alors celui de Philippe Seguin, au moment où il œuvrait à cette abolition.

C’était au lendemain d’élections législatives favorables à la droite. Le ministre du Travail dans le cadre du Gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac, Philippe Seguin, constituait son équipe ; on m’avait dit qu’elle ne comprenait pas encore de « véritable juriste ».  Lors d’une rencontre, le nouveau ministre m’avait surpris en déclarant d’emblée  qu’il n’était pas, personnellement, favorable à la suppression de l’autorisation, administrative,  parce qu’il savait - et exposait très clairement - ce que l’intervention de l’administration apportait aux garanties du régime des grands licenciements collectifs et que cette suppression allait faire perdre. C’est pourquoi la suppression opérée rapidement, conformément au programme électoral de la nouvelle majorité, par une première loi devait être compensée par un renforcement du dialogue interne et des mesures sociales d’accompagnement, renforcement  négocié dans un accord collectif et repris dans une seconde loi. C’est ce qui fut fait et la loi n° 86-797 du 3 juillet 1986, relative à la suppression de l'autorisation administrative de licenciement, a été suivie par la loi n° 86-1320 du 30 décembre 1986, relative aux procédures de licenciement, avec, entre ces deux lois, l’accord national interprofessionnel du 20 octobre 1986[3].

III. Au cours de la période qui a suivi, l’hypothèse du rétablissement d’un contrôle administratif - s’agissant, du moins, des grands licenciements économiques ou, plus précisément, des plans de sauvegarde de l’emploi - a été quelquefois évoquée. Je pense tout particulièrement à un article de Dominique Balmary, publié en février 1998 [4]. L’auteur était un haut-fonctionnaire, spécialiste s’il en est des problèmes d’emploi : il venait alors de passer dix ans à la tête de la délégation à l’emploi (à la création de laquelle il avait naguère participé) ; sur une plus longue période, il avait à des titre divers vécu les politiques de l’emploi dans l’action comme dans la réflexion et son expérience était exceptionnelle.

L’article, dans son ensemble, répondait à la question : « le droit du licenciement économique est-il vraiment un droit favorable à l’emploi ? » - on ne pouvait aller plus directement à l’essentiel. La réponse de l’auteur s’inscrivait dans une perspective générale selon laquelle ce droit, pour être « favorable à l’emploi », doit assurer la responsabilisation de tous les acteurs : au plan collectif,  par le recours à la négociation collective pour l’élaboration et l’évolution des règles ; au plan individuel, par la recherche d’une mobilité responsable plutôt que subie. Dans cette perspective, Dominique Balmary constatait une « situation bloquée », un droit « en panne » qui ne progressait plus et c’est ce constat qui le conduisait à poser la question du rétablissement de l’autorisation administrative. Or, à cette question, il donnait une réponse plutôt négative : s’il n’excluait catégoriquement que le contrôle administratif de la cause économique, il exprimait aussi de fortes réserves vis-à-vis d’un contrôle portant seulement sur la régularité de la procédure et la qualité du plan social. Le rapprochement de cette prise de position et des propos de Philippe Seguin, que j’ai évoqués plus haut, fait apparaître une symétrie surprenante, paradoxale du fait d’une inversion des rôles : alors que le ministre artisan de la suppression de l’autorisation administrative de licenciement exprimait des regrets et recherchait des compensations, c’est une personnalité particulièrement susceptible d’incarner l’administration du travail qui mettait en garde contre un éventuel rétablissement de cette autorisation administrative.

Cette mise en garde pourrait inquiéter : en prenant, il y a dix ans,  le parti du contrôle administratif, la loi de sécurisation de l’emploi n’a-t-elle pas choisi une voie dont Dominique Balmary avait voulu montrer qu’elle n’était pas la bonne ?

Je ne crois pas cette crainte réellement justifiée. Dans le prolongement de son hostilité à un contrôle par l’autorité administrative du motif économique, Dominique Balmary voulait essentiellement éviter tout ce qui pourrait apparaître comme une approbation par l’autorité administrative des licenciement eux-mêmes. Or, les décisions de validation ou d’homologation de la loi de 2013 n’expriment ni n’impliquent cette approbation : elles portent sur des plans de sauvegarde de l’emploi , qui sont des actes dont le contenu, la finalité et le régime sont spécifiques ; ce ne sont donc pas des autorisations de licencier. Dans la forme, c’est une évidence ; au fond c’est aussi une vérité profonde qu’on retrouvera sans doute dans la suite des travaux de ce colloque.

IV. Les souvenirs que j’évoquerai en dernier lieu se rapportent aux débats qui ont jalonné les étapes de la réforme de 2013. C’est l’ampleur de ces débats qui a fait dire de cette réforme qu’elle avait été « négociée à chaud ». Quant aux étapes, elles étaient celles résultant du processus de la négociation de la loi, tel qu’officialisé par la loi « Larcher » (loi n° 2007-130 du 31 janvier 2007 N° Lexbase : L2479HUD ; C. trav., art. L1 N° Lexbase : L5724IAA) [5].

Dans un premier temps - à partir du document d’orientation qui saisissait du projet les organisations syndicales de salariés et d’employeurs - il y a eu les mois au cours desquels l’essentiel de l’attention se portait sur l’issue de la négociation collective, tant cette issue semblait  incertaine.

La conclusion de l’ANI du 11 janvier 2013[6] a ouvert une deuxième période, caractérisée par le fait que, dans le même temps, coexistaient les discussions portant sur la teneur des dispositions de l’ANI et des incertitudes sur la reprise ou non de l’intégralité de ces dispositions dans la loi à intervenir [7]. Depuis qu’est apparue dans la pratique la négociation d’accords ayant pour objet des dispositions explicitement destinées à être reprises dans une loi (avant même le 31 janvier 2007 et la loi « Larcher »), on a mis en avant la crainte des parties à l’accord collectif de voir le législateur prendre des libertés à l’égard des dispositions convenues, en les modifiant ou en ne les reprenant qu’en partie [8]. Or, précisément, en 2013, la loi s’est écartée des dispositions de l’ANI du 11 janvier par une adjonction d’une importance majeure : les négociateurs de celui-ci n’avaient pas du tout prévu de « validation » pour les plan de sauvegarde de l’emploi ayant fait l’objet d’un accord majoritaire. Le législateur n’a pas suivi les parties à l’accord collectif dans la confiance qu’elles faisaient au produit de la négociation du plan de sauvegarde de l’emploi.

Des discussions soulevées par la réforme dans le temps où elle était en train de se faire, j’ai particulièrement gardé le souvenir des inquiétudes exprimées, relativement aux répercussions qu’elle aurait sur les contentieux : le passage d’un contentieux judiciaire à un contentieux administratif allait provoquer la disparition de possibilités procédurales  - initiatives collectives ou individuelles, devant le juge des référés ou le juge du principal - qui avaient fait la preuve de leur efficacité et étaient bien maîtrisées par ceux qui les pratiquaient habituellement.  Dès la conclusion de l’ANI du 11 janvier 2013, un « dépeçage du contentieux du travail » était dénoncé [9]. Après le vote de la loi, ces résistances ont perduré, leurs échos continuent de se faire entendre dans les discussions portant sur la répartition des compétences entre juge administratif et juge judiciaire [10].

À ces vigoureuses réactions négatives, on pourrait trouver des explications très diverses. Évoquer, d’abord, l’expérience douloureuse des conséquences contentieuses du contrôle administratif de la loi de 1975 :  parcours procéduraux complexes (on avait parlé de « labyrinthe infernal ») ; incertitudes graves sur l’articulation du contrôle administratif et du contentieux judiciaire qui résultaient des lacunes de la loi et qui n’avaient pu être levées que tardivement par la jurisprudence. Rappelons qu’on ne savait pas, au départ, si  le contrôle du motif économique par l'autorité administrative excluait un contrôle ultérieur de la juridiction prud'homale ; il avait fallu que l’arrêt « Bielle » donne la solution, déduite de la « plénitude du pouvoir de contrôle » conféré à l'autorité administrative [11]. Sur des incertitudes analogues relatives aux conséquences de l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement, la Cour de cassation n’avait trouvé sa réponse définitive que dans des arrêts postérieurs à la loi qui a supprimé l’autorisation administrative en 1986 [12]. Mais il est manifeste que, si le législateur de 1975 n’avait pas porté attention aux conséquences contentieuses de l’autorisation administrative de licenciement, le législateur de 2013, instruit par l’expérience, les a, au contraire, envisagées de façon très explicite et d’abord au moyen du bloc de compétence de l’article L. 1235-7-1 du Code du travail N° Lexbase : L0653IXH.

D’autres explications, un peu faciles, relèveraient de la « psychologie sans rigueur ».

Ainsi pourrait-on voir dans ces réactions l’expression d’une nostalgie de la part de ceux - juristes, militants, salariés directement concernés - qui ont eu l’expérience de ces contentieux qui sont les prolongements des luttes auxquelles donnent lieu les grands licenciements collectifs. Ces batailles judiciaires, qu’il s’agisse de guerres de longue haleine, telles que la saga « Goodyear » [13], ou d’opérations de commando destinées à obtenir du juge des référés, dans l’urgence, des décisions fortes de suspension ou d’injonction, font éprouver la fièvre de la bataille, éventuellement l’exaltation de la victoire. La réforme serait vécue par ces nostagiques comme les privant d’armes pour se battre.

Peut-être serait-il lucide d’observer, tout simplement, chez certains, une préférence inavouée pour les juridictions judiciaires. On a, parait-il, entendu préconiser un bloc de compétence judiciaire. Ce serait le produit d’un choc de cultures.  Le passage de l’ordre judiciaire, où l’on a ses habitudes, à l’ordre admistratif peut faire redouter des maladresses dans la terminologie ou le mode de raisonnement à employer. De cette préférence pour les juridictions judiciaires en général, je distinguerais la tendance à reconnaître à certains juges une aptitude particulière à connaître de certaines matières qui devraient donc leur être réservées. Je pense au personnage phantasmé du « juge du licenciement économique », qu’on voit évoqué dans certaines discussions, ou - et je cite ce second exemple à dessein - à la sensibilité particulière qui serait celle de certains juges à l’égard des risques psycho-sociaux.

Ces contestations dirigées, dès l’origine, contre les conséquences contentieuses de la réforme de 2013 incitent  à revenir sur l’objet et la portée du contrôle administratif lui-même. Le geste législatif de la réforme de 2013 ne procède pas du choix d’un juge de préférence à un autre. Il n’y a pas de remplacement du juge judiciaire par le juge administratf : celui-ci n’est toujours pas le juge du licenciement, pas même celui du plan de sauvegarde de l’emploi, il n’est juge que de sa validation ou de son homologation. Le vrai choix est celui du contrôle administratif, préféré parce qu’envisagé comme un contrôle d’application générale, antérieur à tout contentieux, se prolongeant en temps réel pendant le temps des négociations et celui de la consultation des représentants du personnel.

Par conséquent, ce qui se présente, en la matière, comme des conflits de compétences entre juridictions judiciaires et juridictions administratives correspond toujours à la nécessité de délimiter l’objet du contrôle dont l’administration est chargée. Pour le vérifier, on peut rapprocher deux décisions du Tribunal des conflits qui ont été l’une et l’autre amplement discutées en leur temps. Il serait facile de mettre en évidence une opposition d’orientation entre elles. La première - rendue en application de la loi de 1975 et  pour juger la juridiction de l’ordre judiciaire seule compétente - exclut du contrôle de l’autorité administrative le respect  des critères d’ordre des licenciements ; elle le fait par une application littérale, donc restrictive, des règles légales [14]. La seconde - faisant, elle, application des textes de 2013, juge que l’objet du contrôle de l’autorité administrative comprend celui des mesures de prévention des risques psycho-sociaux envisagées par l’employeur au titre de l’opération donnant lieu au plan de sauvegarde de l’emploi en cause ; elle le fait au motif que le contrôle de ces mesures particulières n’est pas séparable de celui de la procédure d’information-consultation et des mesures du plan de sauvegarde de l’emploi [15] ; c’est une interprétation des textes que je qualifierais volontiers de téléologique, et qui est, en tous cas, extensive. Toutefois, on peut retenir plutôt la continuité qui s’observe entre ces décisions  : une démarche commune tenant à la vérité première selon laquelle c’est la délimitation de l’objet du contrôle administratif qui est la clé de la répartition des compétences contentieuses.

Cette observation est l’occasion de revenir à la question posée dès le titre de cette contribution. Le contrôle de l’autorité administrative, placé au centre de la réforme de 2013, peut-il être regardé comme le rétablissement de l’autorisation qui avait été instituée par la loi de 1975 ? Cette question risque bien de sembler incongrue : il y a tant de distance entre l’autorisation de licenciement requise par la loi de 1975 pour tous les licenciements économiques et les décisions de validation et d’homologation occupant, depuis 2013, une place centrale dans le régime des plans de sauvegarde de l’emploi qu’il serait très difficile de présenter ces dernières comme un retour à la première. Mais on peut aussi raconter cette histoire sur le mode de la continuité.

C’est d’une histoire envisagée sous cet angle que j’ai voulu marquer ici quelques jalons. Au-delà du dispositif de la loi de 1975 et de la justification qu’on lui donnait, la réalité du contrôle administratif qui en est résulté, contrôle de l’application de la loi en temps réel qui préfigurait celui voulu par les réformateurs de 2013. Des idées laissant prévoir la focalisation du contrôle sur les plans de sauvegarde de l’emploi et spécialement sur la procédure de concertation et les mesures d’accompagnement : l’idée que c’est là que le contrôle administratif est le mieux adapté, laquelle était réellement sous-jacente à l’architecture de la réforme de 1986 en deux lois successives et complémentares ; refus d’un contrôle administratif portant sur le motif économique, qui était catégorique sous la plume de Dominique Balmary. La recherche d’une responsabilisation des acteurs, notamment au travers d’un élargissement du champ de la négociation collective, qui était caractéristique de la pensée du même auteur et qu’on retrouve dans la différenciation faite en 2013 entre les plans de sauvegarde de l’emploi selon qu’ils résultent d’un accord collectif majoritaire ou d’un acte unilatéral de l’employeur. Et, pour clore cette histoire,  il me plait de situer le bloc de compétence de l’article L. 1235-7-1 du Code du travail N° Lexbase : L0653IXH dans ligne de la belle formule dont usait la Cour de cassation dans son arrêt « Bielle » quand elle se fondait sur « la plénitude du pouvoir de contrôle » dévolue à l’autorité administrative.


[1]   S’agissant même du Code du travail : à Toulouse déjà, en mai 2010, un colloque relatif aux premières années d’application de ce qui était alors le « nouveau Code du travail », s’ouvrait par une introduction historique intitulée « le Code du travail a cent ans ». Cette affirmation était délibèrément paradoxale au lendemain d’une recodification faisant elle-même suite à celle intervenue déjà en 1973, mais elle incitait utilement à observer qu’en France, il y avait depuis 100 ans un Code du travail, même si, dans le cours de ce siècle, ce code avait été souvent critiqué et qu’on en avait même plusieurs fois changé. V. Nouveau Code du travail - Évaluation par les usagers et bilan des deux premières années d’application, Colloque s’étant tenu à Toulouse, le 27 et 28 mai 2010, sous la direction de Lise Casaux-Labrunée, in  SSL, suppl., n° 1472, 20 décembre 2010.

[2] Colloque du 1er juin 2023 intitulé « Les plans de sauvegarde de l’emploi, dix ans après la loi de sécurisation de l’emploi », voir le dossier dans Droit social, 2023, pp. 844 – 876/

[3] Pour moi, en revanche, cette rencontre n’a pas eu de suite : le lendemain, un « vrai juriste » était arrivé au cabinet du ministre, il était jeune, venait du Conseil d’Etat et voué à un très bel avenir puisqu’il s’agissait d’Olivier Dutheillet de Lamothe. Je suis heureux qu’une table ronde de ce colloque de Toulouse m’ait offert l’occasion d’évoquer cet épisode en sa présence et donc sous son contrôle.

[4] D. Balmary, Le droit du licenciement économique est-il vraiment un droit favorable à l’emploi ?, Droit social, 1998, pp. 131 à 139.

[5] Ce processus, qui est caractéristique des souces du droit du travail, retenait, à l’épôque, largement l’attention : l’éventualité d’une constitutionnalisation avait été évoquée (c’était même l’engagement 55 du candidat François Hollande pour l’élection présidentielle de 2012). Postérieurement à la loi de sécurisation de l’emploi, cette attention parait s’être relachée puisque les réformes qui ont été multipliées au cours de ces dix dernières années n’ont pas donné lieu à une application scupuleuse de la procédure décrite par l’article L1 du Code du travail. Peut-être les difficultés rencontrées lors de l’adoption de la récente réforme des retraites inciteront-elles les réformateurs de demain à revenir aux différentes étapes de cette procédure.

[6] Dont les ambitions vastes étaient  affichées dans un intitulé si développé qu’il pouvait tenir lieu de préambule : « un nouveau modèle économique et social pour la compétitivité des entreprises et la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés ».

[7] Les particularités de cette période sensible ont, notamment, fait l’objet, le 7 mars 2013, d’un important séminaire des « Rencontres sociales de la Sorbonne » dont les actes ont été publiés. V. G. Couturier et J.-F. Akandji-Kombé, Compétitivité des entreprises et sécurisation de l’emploi, le passage de l’accord à la loi, IRJS Editions, 2013.

[8] Une  clause remarquée de l’accord du 24 mars 1990, relatif au régime des contrats précaires sobordonnait la validité de cet accord « à l'adoption de l'ensemble des dispositions législatives et réglementaires nécessaires à son application, à l'exclusion de toutes autres modifications du régime du contrat de travail à durée déterminée et du travail temporaire actuellement en vigueur que les parties signataires considèrent comme faisant partie intégrante de leur accord ». Cette clause, dénommée « clause d’auto-destruction », est passée à la postérité comme illustrant ce risque d’une transcription infidèle.

[9] Voir M. Keller Lyon-Caen, Le dépeçage du contentieux du travail après l’ANI du 11 janvier 2013, in Compétitivité des entreprises et sécurisation de l’emploi, le passage de l’accord à la loi, op.cit. p. 153.

[10] C’était encore le cas dernièrement, lors du colloque réuni au ministère du Travail, le 1er juin 2023 (voir note 2 ci-dessus) : des participants déterminés, en particulier d’éloquentes porte-paroles du Syndicat des avocats de France, faisaient d’ailleurs la vie dure aux intervenants, en protestant de ce qu’était devenu le contentieux des grands licenciements économiques.

[11] V. Cass. soc., 9 mai1978, n° 77-40.169, publié N° Lexbase : A7676CGE, ainsi motivé : « la  plénitude du pouvoir de contrôle  conféré à l'autorité ­administrative impose d'en réserver le contentieux aux seules juridictions administratives compétentes tant pour vérifier la qualification juridique de la décision que son opportunité même, un contrôle judiciaire ultérieur ne pouvant  s'exercer sans qu'une atteinte soit portée au principe de la séparation des pouvoirs ».

[12] V. Cass. soc., 21 juillet 1986, n° 84-41.070, publié N° Lexbase : A4458AAD ; Cass. soc., 14 janvier 1988, n° 84-45075, publié N° Lexbase : A6283AAX ; Cass. soc., 7 février 1989, n° 86-40.775, publié N° Lexbase : A2425AHB.

[13] La condamnation « historique » prononcée par le conseil de prud’hommes, le 28 mai 2020, intervenait six ans après la fermeture de l’unine Goodyear d’Amiens-Nord ayant entrainé le licenciement de plus de mille salariés. A vrai dire, cette condamnation relève du contentieux du motif économique des licenciements, lequel n’est pas concerné par les règles de compétence de la réforme de 2013.

[14] V. T. confl., 19 avril 1982, n° 02222 N° Lexbase : A8351BDN, publié au recueil Lebon, qui est ainsi motivé : « […] le licenciement est subordonné à une autorisation de l'autorité administrative compétente, dont le contrôle est limité […] à la réalité des motifs invoqués ainsi que, le cas échéant, à l'application de la procédure de concertation instituée par ladite loi et à la portée des mesures de reclassement ou d'indemnisation envisagées par l'employeur ; que n'entre pas dans cette énumération la vérification de la conformité de l'ordre des licenciements aux critères fixés par un accord collectif ou, à défaut, par le règlement intérieur que l'employeur doit établir ».

[15] V. T. confl., 8 juin 2020, n° 4189 N° Lexbase : A55163NM, qui énonce, en substance : «  il appartient à l'autorité administrative de vérifier le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; à cette fin, elle doit contrôler, tant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'article L. 4121-1 du Code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée, ce contrôle n'étant pas séparable de ceux qui sont », prévus aux articles L. 1233-57-2 N° Lexbase : L8609LGX et L. 1233-57-3 N° Lexbase : L9460LHT du Code du travail.

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