Lexbase Social n°965 du 23 novembre 2023 : Licenciement

[Actes de colloques] Retour d'expériences sur les plans sociaux : un passé révolu ?

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par Brigitte Reynès, Maître de conférences à l’Université de Toulouse Capitole

le 21 Novembre 2023

Mots-clés : PSE • plans sociaux • expériences de terrain • recherche pluridisciplinaire • licenciement collectif • exclusion sociale

Cet article est issu d’un dossier spécial consacré à la publication des actes du colloque intitulé « Le plan de sauvegarde de l'emploi : 10 ans après la loi du 14 juin 2013 », qui s’est tenu le 14 juin 2023 à Toulouse, et organisé par Frédéric Géa, Professeur à l’Université de Lorraine, et Sébastien Ranc, Maître de conférences à l'Université de Toulouse Capitole.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N7441BZM


Dans les années 1990, des recherches ont été menées sur les plans sociaux, notamment une étude à Toulouse à laquelle Brigitte Reynès a contribué. Elle nous délivre ses expériences en matière de plans sociaux.

I. Première expérience

Sur la question des plans sociaux nous avons d’abord mené une recherche pluridisciplinaire associant des juristes et des gestionnaires des ressources humaines. A travers cette recherche il s’agissait de mieux comprendre, en s’appuyant sur une étude de terrain, les interactions complexes qui s’établissent entre les choix de gestion dans le traitement du sureffectif et les règles juridiques tout au long du processus de licenciement collectif : de l’amont du plan social en passant par sa mise en place et jusqu’à son exécution.

L’enquête avait été commanditée par le Commissariat général du plan qui avait intercédé auprès de l’administration du travail pour nous permettre d’accéder, après moult engagements pris, aux plans déposés. Elle s’était prolongée par des monographies d’entreprise et des entretiens pour appréhender in vivo les plans.

A l’époque un premier constat a émergé celui de l’extrême diversité des plans sociaux qui n’étaient pas monochromes ni dans leur contexte ni dans leur contenu. Richesse de mesures pour les uns, mesures minimalistes pour les autres. Aussi bien, pour traduire cette diversité, l’approche terrain nous a convaincu de parler des « plans sociaux » sous une forme plurielle plutôt que du « plan social » dans son acception générique. Du point de vue empirique il nous semble que cette observation vaut encore de nos jours pour le(s) PSE.

Nous étions également dans un contexte extrêmement conflictuel sur le terrain judiciaire puisque beaucoup de plans étudiés avaient donné lieu à des actions devant le tribunal de grande instance en cours de procédure ainsi qu’à des conflits collectifs. L’étude longitudinale des plans sociaux a mis en évidence l’existence de conflits durs et longs sur les plans sociaux.  En particulier dans notre périmètre de recherche, figurait l’affaire ABG SEMCA (Cass. soc. 12 novembre 1996, n° 94-21.994 [LXB= A4057AAI]) qui témoignait de la conflictualité des restructurations dans un contexte complexe de plans sociaux successifs.

Nous nous étions également intéressés à la question du suivi des plans. Or, dans les années 92-94, il n’y avait absolument aucun suivi des plans sociaux. Les plans sociaux n’étaient suivis ni par l’État, ni par les entreprises… ce qui était préoccupant tant au plan de la politique de l’emploi qu’au niveau managérial.  En particulier il n’y avait quasiment pas de retour sur les questions suivantes : est-ce que les objectifs en termes de rétablissement économique de l’entreprise ont été atteints par le biais des plans ou non ? Quel a été le devenir des salariés touchés par ces plans ?  

Sur ces aspects on mesure les progrès réalisés ces 20 dernières années sous l’impulsion du législateur. En particulier les commissions de suivi impliquant les parties prenantes se sont généralisées et contribuent à renforcer concrètement l’évaluation du plan et l’effectivité des mesures.

II. Deuxième expérience

Une autre recherche pluridisciplinaire (droit, sociologie, GRH) pour la Commission européenne a permis d’étudier les liens qui peuvent se nouer entre licenciement collectif et exclusion sociale. Partant de la décision économique, comprise comme un facteur de fragilisation des salariés, l’étude précise comment les dispositifs juridiques, les pratiques d’entreprises et les interventions des pouvoirs publics sont susceptibles d’éviter l’engrenage qui conduit à l’exclusion sociale.

Les 4 équipes impliquées (Allemagne, Italie, Espagne et France) ont mené une recherche comparative sur le licenciement collectif et les plans qui démontre, qu’au-delà des différences des dispositifs en fonction des pays, il existe un socle commun reposant sur la responsabilisation de l’employeur, la concertation avec la représentation du personnel ainsi que sur le rôle donné à l’autorité publique compétente.

En termes de résultats, une convergence est apparue. Malgré des dispositifs juridiques nationaux relativement étoffés en matière de protection, des risques d'exclusion durable de l'emploi se vérifient. Quel que soit le système juridique, les éléments de fragilité sont les mêmes. La protection collective conférée par les mesures d’accompagnement ne résorbe pas totalement les difficultés qui impactent « les salariés fragiles » (en schématisant les salariés âgés, peu qualifiés, anciens). Dans tous les pays, ces facteurs de fragilité se révèlent au moment critique du passage de mesures collectives du plan à l’individualisation du licenciement. 

III. Troisième expérience

Cette expérience rejoint en partie les enseignements de la précédente. Dans le cadre d’un conflit collectif, avec blocage des locaux, j’ai été désignée pour une médiation dans un contexte de fermeture avec établissement d’un plan social.

Cette pratique m’a confrontée à la perception qu’avaient les salariés concernés et leurs représentants de la fermeture du site. Le plus remarquable est d’avoir vécu l’expérience de salariés qui d’emblée ne font pas « le pari du reclassement » en considérant qu’ils ne sont pas « reclassables ».

Pour exprimer leur scepticisme, ils mettaient en avant certains éléments : leur sexe (femmes), leur absence de mobilité y compris entre 2 périphéries de Toulouse, leur âge, leurs formation et ancienneté dans le même poste d’ouvrière. Durant la médiation, Il s’est agi du côté de la direction et du prestataire externe de présenter et expliquer la prise en charge en charge et l’accompagnement au reclassement. Toutefois, le fatalisme était bien présent : leur emploi était perdu et tout s’arrêtait là !

De là la demande faite à la direction de ne pas consacrer autant de moyens et d’argent au reclassement et de plutôt verser aux salariés licenciés des indemnités supra légales et conventionnelles. Aussi bien on réalise l’importance que revêt la représentation que les salariés ont de leur devenir et de leur capacité à occuper un autre emploi.

En conclusion il nous faut croire que la nouvelle version des PSE puisse redonner espoir à ces salariés qui sont impactés par les PSE.  Il serait illusoire de penser que le dispositif juridique en vigueur, aussi sophistiqué soit-il, comme l’est celui issu de loi du 14 juin 2023, puisse à lui seul résoudre tous les problèmes évoqués mais gageons qu’il y contribue…

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