Lexbase Social n°965 du 23 novembre 2023 : Licenciement

[Actes de colloques] Partie I - Les reconfigurations : introduction

Lecture: 6 min

N7442BZN

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Actes de colloques] Partie I - Les reconfigurations : introduction. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/101487545-actes-de-colloques-partie-i-les-reconfigurations-introduction
Copier

par Sébastien Ranc, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Toulouse Capitole

le 21 Novembre 2023

Mots-clés : PSE • reconfigurations • élaboration • administration du travail • compétences des juges judiciaire et administratif

Cet article est issu d’un dossier spécial consacré à la publication des actes du colloque intitulé « Le plan de sauvegarde de l'emploi : 10 ans après la loi du 14 juin 2013 », qui s’est tenu le 14 juin 2023 à Toulouse, et organisé par Frédéric Géa, Professeur à l’Université de Lorraine, et Sébastien Ranc, Maître de conférences à l'Université de Toulouse Capitole.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N7441BZM.


Les reconfigurations. La loi n° 2013-504, du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l’emploi (ci-après « LSE ») N° Lexbase : L0394IXU a profondément reconfiguré le droit des PSE. Parmi ces reconfigurations, trois peuvent au moins être identifiées :

  • le processus d’élaboration du PSE ;
  • le rôle désormais attribué à l’autorité administrative ;
  • la répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire.

Processus d’élaboration du PSE. En 2013, le législateur avait fixé le cap : les PSE devaient passer par la voie de la négociation collective. À en croire les chiffres rapportés par l’administration du travail, le législateur est bien parvenu à ses fins dans la mesure où 67 % des PSE, dans les entreprises in bonis, ont fait l’objet d’un accord validé. Si le cap était connu dès l’adoption de loi et a été maintenu jusqu’à présent, les différentes étapes pour parvenir à l’adoption d’un PSE se sont révélées – et se révèleront – au fur et à mesure de l’application de la loi.

C’est d’abord la nature de l’accord PSE (accord majoritaire sui generis ?) qui s’est révélée être tout à fait singulière par rapport à la représentation que l’on pouvait en avoir lors de l’entrée en vigueur de la loi. La négociation de cet accord reste encore parsemée de « zones d’ombre » ou d’« angles morts », comme le démontre Frédéric Géa, et notamment s’agissant du contrôle de son obligation de loyauté. Il reste à savoir également ce que contiennent effectivement les PSE négociés depuis 2013. Nul ne le sait vraiment dans la mesure où ces accords ne sont ni publiés ni transmis par l’administration du travail pour étude.

C’est ensuite le niveau de la négociation du PSE. Au regard des dispositions législatives, l’entreprise semble être le périmètre naturel pour élaborer un tel plan. La transposition de l’élaboration d’un PSE de l’entreprise à une unité économique et sociale (UES) ne pose pas de difficulté, du moins d’ordre théorique, dans la mesure où l’on assimile en droit du travail l’UES à l’entreprise. La transposition à un établissement ou à un groupe de sociétés reste quant à elle plus délicate, mais comme le soutient Giles Auzero, rien ne l’empêche en soi.

C’est enfin la procédure d’information et de consultation du CSE. Comme nous nous sommes attachés à le démontrer, le Conseil d’État a révélé en la matière un contrôle pragmatique – pour ne pas dire souple – de l’autorité administrative, signifiant qu’une irrégularité de la procédure n’entraîne pas nécessairement une absence de validation ou d’homologation du plan, ce qui est totalement différent de ce que pouvait décider autrefois le juge judiciaire. Il y a eu ici une véritable reconfiguration dans les modalités de contrôle que personne ne pouvait prédire au moment de l’entrée en vigueur de la LSE.

Rôle de l’administration du travail. On l’oublie trop souvent, mais l’administration du travail n’a pas attendu la LSE pour disposer d’un rôle dans l’élaboration des PSE. Elle avait autrefois la possibilité de formuler des observations au cours de la procédure d’information et de consultation et de dresser un procès-verbal de carence. En 2013, le législateur lui a accordé une place de premier rang. Acteur de second rôle, elle est devenue acteur principal. La difficulté est d’établir la nature de son rôle. Selon son propre point de vue, ou plutôt de certains de ses membres, l’autorité administrative aurait plutôt un rôle de « conseil et de tiers de confiance » [1] ? Pour les uns, elle serait un tiers impartial. Pour les autres, un tiers partisan. Tout dépend évidemment du point de vue où l’on se situe sur la scène du droit des PSE.

Répartition des compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire. La troisième reconfiguration, qui découle de la deuxième, est relative à la frontière entre les deux ordres juridictionnels. La volonté du législateur a été de sécuriser et de tarir les contentieux des PSE, en mettant notamment fin aux procédures de référés devant le juge judiciaire. Le législateur y est parvenu dans la mesure où moins de 8 % de l’ensemble des décisions administratives rendues en matière de PSE a fait l’objet d’un recours, alors qu’avant 2013, ce taux de recours s’élevait à environ 20 %. Alexia Gardin nous révèle, grâce à une analyse minutieuse de 74 arrêts du Conseil d’État, les coulisses de ces contentieux, si rares soient-ils.

La sécurisation du contentieux du PSE résulte notamment de l’article L. 1235-7-1 du Code du travail N° Lexbase : L0653IXH, créé par un groupe de travail présidé par l’ancien Président de la section sociale du Conseil d’État [2]. Cette disposition législative institue un bloc de compétence au juge administratif en prévoyant que la régularité de la procédure d’adoption et le contrôle du contenu du plan ne peuvent faire l’objet d’un litige distinct de celui visant à contester la décision de validation ou d’homologation. Mais si la loi du 14 juin 2013 a confié à l’administration du travail et, par conséquent, au juge administratif, le contrôle des PSE, elle a maintenu une compétence résiduelle au juge judiciaire, ne serait-ce que pour tout ce qui n’a pas été confié à l’administration et son juge. Présenté comme cela, tout paraît si simple… Il reste en réalité de nombreuses questions en suspens mises en lumière par Pierre Bailly pour déterminer le juge compétent. Il ne s’agit pas là uniquement de problèmes techniques de répartition des compétences. Il s’y cache derrière des enjeux fondamentaux, car, comme nous le rappellent Gérard Couturier et Stéphane Vernac, le contrôle ne sera pas le même suivant le juge qui est saisi.


[1] G. Rudant, E. Castet et N. Gssime, L’administration, garante de la régularité et de la qualité du dialogue social et du PSE, Droit social, 2023, p. 857. Ces auteurs sont respectivement Directeur régional de l’économie, de l’emploi du travail et des solidarités d’Île-de-France ; Responsable du service des restructurations à la DRIEETS ; Juriste expert en restructuration au sein de la DGEFP.

[2] O. Dutheillet de Lamothe, Genèse et mise en œuvre de la loi du 14 juin 2013, Droit social, 2023, p. 844 : « cette composition [du groupe de travail] alliait, de façon originale, les administrations en charge du dossier qui tenaient la plume – la délégation à l’emploi –, des membres du Conseil d’État et des membres de la Cour de cassation, dont l’apport fut extrêmement positif, notamment en ce qui concerne la rédaction de l’article L. 1235-7-1 du Code du travail N° Lexbase : L0653IXH relatif au bloc de compétence administrative qui a bien résisté aux différents assauts dont il a fait l’objet ».

newsid:487442