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N7421BZU
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par Alexia Gardin, Professeure à l’Université de Lorraine, membre de l’Institut François Gény
le 21 Novembre 2023
Mots-clés : licenciement pour motif économique • PSE • Conseil d’État • contentieux • bilan
Cet article est issu d’un dossier spécial consacré à la publication des actes du colloque intitulé « Le plan de sauvegarde de l'emploi : 10 ans après la loi du 14 juin 2013 », qui s’est tenu le 14 juin 2023 à Toulouse, et organisé par Frédéric Géa, Professeur à l’Université de Lorraine, et Sébastien Ranc, Maître de conférences à l'Université de Toulouse Capitole.
Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N7441BZM
10 ans après la loi sur la sécurisation de l’emploi [1], l’heure est aux bilans. Le 1er juin 2023, le ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion a diffusé une étude [2] s’inscrivant clairement dans cette dynamique puisque l’objectif poursuivi était tout à la fois de mesurer l’impact de cette loi négociée sur le nombre et la nature des PSE, d’analyser la place prise par la négociation collective et d’apprécier le niveau de sécurisation juridique atteint à travers d’une étude du contentieux administratif lié à l’établissement d’un PSE. C’est ce dernier volet qui retiendra ici notre attention, non qu’il s’agisse pour nous de commenter les résultats présentés, mais plutôt de les confronter à ceux issus de notre propre étude du contentieux portant sur une décision de validation d’un PSE négocié ou d’homologation d’un PSE unilatéral.
Cette dernière se démarque de l’étude ministérielle en ce qu’elle a été menée à partir des seules décisions rendues par le Conseil d’État accessibles sur Légifrance. L’interrogation de la base de données à partir de l’expression exacte « plan de sauvegarde de l’emploi » a ainsi permis d’identifier 74 décisions ayant traité de la question considérée [3]. Mener une étude ciblée sur les décisions de la Haute juridiction administrative présente l’avantage de pouvoir affiner la photographie contentieuse offerte par le Ministère, mais aussi de la prolonger en multipliant les points d’observation impliquant une lecture fine du contenu de chaque décision rendue. À titre d’exemple, notre observation a pu porter sur les griefs précis en discussion pour chaque motif d’invalidation des décisions de l’administration, ce qui permet d’apporter de précieux compléments à la statistique des motifs d’annulation des décisions de l’administration. De même, a-t-il été possible de distinguer pour chaque statistique établie la situation des entreprises in bonis de celles placées en redressement ou en liquidation judiciaire (RLJ).
Pour rendre compte de notre étude contentieuse, les trois principales entrées de l’étude ministérielle seront privilégiées, à savoir l’initiative contentieuse (I.), le taux d’annulation (II.) et les motifs retenus (III.). Or, si pour chacune d’elles, les constats opérés suivant une approche globale ou ciblée se rejoignent, l’étude du seul contentieux porté devant le Conseil d’État permet de mieux caractériser l’influence exercée par la situation de l’entreprise et le type de contentieux.
I. L’initiative contentieuse
À suivre l’étude ministérielle, « les salariés sont, en volume, les premiers requérants des recours pour excès de pouvoir » [4]. Sur un échantillon de 413 recours, ils ont été à l’initiative de plus de 30 % des saisines loin devant le comité social et économique et les organisations syndicales.
Le même constat peut être opéré dans notre échantillon avec une initiative contentieuse des salariés concernés à hauteur de 40,5 % alors que celle des syndicats ou des institutions représentatives du personnel agissant seul(e)s n’est respectivement que de 16,2 % et 5,4 %.
Mais un focus sur le contentieux de validation donne à voir un contentieux qui demeure essentiellement d’initiative syndicale (81,9 %), même s’il peut être d’initiative partagée.
Syndicat(s) | IRP | Salarié(s) concerné(s) | Syndicat(s) et IRP | Syndicat(s) et salariés concernés | IRP et salariés concernés | Syndicats, IRP et salariés concernés |
4 | 0 | 2 | 0 | 4 | 0 | 1 |
36,4 % | 0 % | 18,1 % | 0 % | 36,4 % | 0 % | 9,1 % |
Pareil constat permet de soutenir l’hypothèse suivant laquelle la conclusion d’un accord n’est pas exempte d’une contestation et que cette dernière est principalement orchestrée par les acteurs de la négociation qui n’ont pas signé l’accord.
II. Le taux d’annulation des décisions administratives
Si l’étude ministérielle insiste sur un taux de recours qui serait bien plus bas que celui qui présidait le contentieux avant la loi de sécurisation de l’emploi [5], elle s’attache surtout à mettre en correspondance ces données et les taux d’annulation contentieuse qui seraient stabilisés à un niveau bas depuis 2020. Ce dernier constat apparait cependant fragile, dès lors que les données pour l’année 2022 ne sont pas encore connues. Du graphique présenté, il est difficile de tirer des conclusions, d’autant que le contentieux des PSE ne se limite pas au contentieux administratif lié à l’élaboration du PSE.
Plus intéressante est l’affirmation suivant laquelle « les taux de recours et d’annulation varient selon le type de décision contestée et la situation de l’entreprise » [6]. L’étude du contentieux global tend à démontrer que les taux de recours et d’annulation sont bien plus faibles sur les décisions de validation [7] et que les entreprises in bonis sont plus concernées par une annulation que les entreprises en RLJ.
Les constats opérés s’agissant des taux d’annulation rejoignent ceux que l’observation des décisions du Conseil d’État autorise.
► Concernant l’influence du type de décision, sur les 74 décisions étudiées, on relève un taux d’annulation de 36,4 % pour les décisions de validation contre 53,4 % pour les décisions d’homologation, ce qui conforte le constat d’un taux d’annulation plus faible dans le cadre du contentieux de validation.
► La situation de l’entreprise exerce quant à elle une double influence :
III. Les motifs d’annulation
À suivre là encore l’étude ministérielle, « bien que n’étant pas un moyen systématiquement soulevé, le respect des critères d’ordre et des catégories professionnelles constitue, sur l’intégralité de la période, le principal motif d’annulation des décisions administratives portant sur les PSE, suivi de la suffisance du PSE au regard des moyens du groupe » [8].
L’étude de nos données conduit cependant à nuancer ce constat en introduisant deux variables : le type de contentieux et la situation de l’entreprise qui influencent fortement le classement des motifs d’annulation les plus courants.
A. Les motifs d’annulation dans le cadre du contentieux de validation
4 décisions d’annulation ont été identifiées sur les 11 qui ont eu à connaitre d’un contentieux de validation. Elles reposent toutes sur le même motif : un contrôle défaillant des conditions de validité de l’accord PSE. On rappellera que toutes ces décisions concernent des entreprises in bonis puisque le contentieux attaché aux entreprises en RLJ porté devant le Conseil d’État se rapporte exclusivement à des décisions administratives d’homologation.
Les griefs retenus au soutien de l’annulation ont été les suivants :
B. Les motifs d’annulation dans le cadre du contentieux d’homologation
1. Entreprises in bonis
S’agissant des entreprises in bonis, les 21 décisions analysées mettent en exergue deux motifs principaux d’annulation : l’irrégularité de la procédure d’information et de consultation et la présence de dispositions illégales sur l’ordre des licenciements.
Irrégularité de la procédure d’information et de consultation | Plan insuffisant | Dispositions illégales sur l’ordre des licenciements | Mauvaise définition des catégories professionnelles | Carence en matière de prévention santé/sécurité | Insuffisance de motivation | Total |
5 | 3 | 5 | 4 | 2 | 2 | 21 |
23,8 % | 14,2 % | 23,8 % | 19 % | 9,5 % | 9,5 % | 100 % |
Pour chaque catégorie de motifs d’annulation, la discussion a porté plus précisément sur les éléments suivants :
► Contrôle défaillant de la régularité de la procédure d’information et de consultation (5 décisions)
Qualité des informations transmises 4 décisions | Qualité de l’instance consultée 1 décision |
Informations limitées au marché français alors que projet de restructuration des sociétés du groupe implantées sur le territoire européen (CE, 22 juillet 2015, n° 385816, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9295NM9 ; CE, 13 janvier 2016, n° 389319 N° Lexbase : A9569N3S) Insuffisance des informations transmises à l’expert désigné par le CHST et à l’instance - alerte de sa hiérarchie par l’inspecteur du travail entre les 2 réunions (CE, 29 juin 2016, n° 386581, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3189RWZ) Absence d’informations précises sur le nombre, la nature et la localisation des emplois offerts au reclassement au sein du groupe (CE, 15 mars 2017, n° 387728, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4171UCH) | Consultation de l’instance temporaire de coordination des CHSCT (CE, 21 octobre 2015, n° 386123, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0765NUU) |
► Appréciation erronée de la suffisance du PSE (3 décisions)
► Présence de dispositions illégales sur l’ordre des licenciements (5 décisions)
► Mauvaise définition des catégories professionnelles concernées par le projet de licenciement (4 décisions)
► Absence de contrôle du respect par l’employeur de ses obligations en matière de prévention des risques (2 décisions)
► Insuffisance de motivation (2 décisions portant sur des décisions prises après l’entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 N° Lexbase : L4876KEC)
2. Entreprises en redressement ou liquidation judiciaire
L’étude des 10 décisions rendues à propos d’entreprises placées en LRJ conduit à identifier comme motifs principaux d’annulation l’insuffisance du PSE et l’insuffisance de motivation, ce qui donne tout son sens aux effets « de sécurisation » recherchés par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 qui a limité au périmètre de l’entreprise l’appréciation de la suffisance du PSE pour les entreprises en LRJ et a autorisé l’administration à prendre une « nouvelle décision suffisamment motivée » après annulation en raison d’une insuffisance de motivation. Les 5 décisions ayant conclu à une insuffisance de motivation ont toutes été rendues à propos de faits antérieurs à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions. De même, dans les 3 décisions où il était question de l’appréciation erronée de la suffisance du PSE, le grief portait sur une mauvaise appréciation au regard des moyens de l’entreprise et du groupe, grief que la loi de 2015 a précisément cherché à écarter des prétoires.
Irrégularité de la procédure d’information et de consultation | Plan insuffisant | Dispositions illégales sur l’ordre des licenciements | Mauvaise définition des catégories professionnelles | Carence en matière de prévention santé/sécurité | Insuffisance de motivation | Total |
1 | 3 | 1 | 0 | 0 | 5 | 10 |
10 % | 30 % | 10 % | 0 % | 0 % | 50 % | 100 % |
Pour les 3 catégories de motif d’annulation concernées, la discussion a porté plus précisément sur les points suivants :
► Contrôle défaillant de la régularité de la procédure d’information et de consultation (1 décision)
► Appréciation erronée de la suffisance du PSE (3 décisions)
► Présence de dispositions illégales sur l’ordre des licenciements (1 décision)
► Insuffisance de motivation (5 décisions)
[1] Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l’emploi N° Lexbase : L0394IXU.
[2] Min. Travail, 10 ans après la loi sur la sécurisation de l’emploi. Quel bilan pour les plans de sauvegarde de l’emploi ?, actualités, 1er juin 2023 [en ligne].
[3] Ce chiffre diffère légèrement de celui avancé par le ministère qui fait état de 101 décisions, mais le différentiel s’explique aisément en raison de l’intégration au décompte ministériel des décisions de non-admission (38 décisions) et d’une période d’observation qui n’inclut pas les décisions ayant alimenté la base en 2023, soit 6 décisions selon notre décompte.
[4] V. Étude précitée, p. 16.
[5] Le chiffre de 20,44 % est indiqué comme taux de recours contentieux pour l’année 2011. La même année, le taux d’acceptation totale ou partielle de la demande portée devant le TGI est, selon l’étude, de 59,7 %.
[6] V. Étude précitée p. 19.
[7] Auxquelles ont été assimilées les décisions « mixtes » qui se composent d’une décision de validation de l’accord et d’une décision d’homologation d’un complément qui n’a pu être arrêté par la négociation.
[8] V. Étude précitée, p. 20.
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