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N7445BZR
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par Frédéric Géa, Professeur à la Faculté de droit de Nancy, Université de Lorraine, Directeur du Master mention Droit social
le 21 Novembre 2023
Mots-clés : PSE • approche • contexte • négociation • typologie • pluralité • action • examen des accords • plans sociaux
Cet article est issu d’un dossier spécial consacré à la publication des actes du colloque intitulé « Le plan de sauvegarde de l'emploi : 10 ans après la loi du 14 juin 2013 », qui s’est tenu le 14 juin 2023 à Toulouse, et organisé par Frédéric Géa, Professeur à l’Université de Lorraine, et Sébastien Ranc, Maître de conférences à l'Université de Toulouse Capitole.
Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N7441BZM
Les reconfigurations dont le régime des plans de sauvegarde de l’emploi et, plus globalement, celui des grands licenciements collectifs a fait l’objet avec la loi du 14 juin 2013 puis dans son sillage (au travers des apports de la jurisprudence du Conseil d’État, principalement) n’ont pas forcément dissipé certains questionnements majeurs qui préexistaient à cette réforme. Ils ont pu d’ailleurs en générer de nouveaux. Voilà ce que l’on ne saurait ignorer ou, pire, occulter.
Deux questionnements majeurs se révèlent, à notre avis, incontournables.
Le premier procède d’une approche qui, délaissant le prisme des normes d’origine légale, tend à envisager juridiquement les plans de sauvegarde de l’emploi en contexte – d’une approche du droit en contexte, pour le dire autrement. Les juristes ont tendance à parler « du » plan de sauvegarde de l’emploi, au singulier, comme si un régime unique devait s’appliquer, mais chacun conviendra sans peine que, sous cette apparente unité, se cachent des régimes distincts, notamment lorsqu’il s’agit de distinguer selon que le PSE est mis en place dans une entreprise in bonis ou une entreprise en redressement ou liquidation judiciaire, mais aussi selon que le PSE accompagne un licenciement collectif ou un plan de départs volontaires – ce à quoi s’ajoutent les variantes tenant au type de plan de départs volontaires dont il s’agit. N’y aurait-il pas lieu cependant d’affiner cette typologie, en ourlant les contours d’une approche « des » plans de sauvegarde de l’emploi, au pluriel cette fois ? Les juslaboristes ont tout intérêt, nous semble-t-il, à s’intéresser de près aux recherches empiriques qui ont été menées sur le sujet, en particulier à l’étude dont rendent compte, dans le présent dossier, Rémi Bourguignon, Vincent Pasquier et Géraldine Schmidt – trois éminents chercheurs en sciences de gestion, en caractérisant des configurations de négociation de PSE et en esquissant ainsi une typologie des « PSE négociés ». C’est à partir de ces considérations qu’Alexandre Fabre, soucieux d’engager un tel dialogue pluridisciplinaire, propose une analyse, aussi fine que novatrice, consistant à donner corps à l’hypothèse d’un « droit pluriel des PSE », en prenant soin d’appréhender les rapports entre PSE, PDV (plans de départs volontaires) et RCC (rupture conventionnelle collective) – ce qui le conduit à aborder l’un des débats les plus sensibles du moment, suite à l’arrêt Paragon Transaction rendu par le Conseil d’État en date du 21 mars 2023 [1]. Dans le même esprit, mais aussi dans le prolongement des réflexions de Gilles Auzero (v. supra, Partie I), Sébastien Ranc s’attèle, de manière minutieuse, à saisir les particularités des PSE mis en œuvre au sein d’unités économiques et sociales et de groupes de sociétés. Ces trois contributions se conjuguent pour favoriser une approche juridique plus sensible au(x) contexte(s) – pluriels, donc – du PSE.
Au questionnement du (ou des) PSE en contexte s’en ajoute un second, aux enjeux également cruciaux : celui du (ou des) PSE en action. Envisagé cet objet sous cet angle conduit, pensons-nous, à mettre l’accent sur l’agir du plan de sauvegarde de l’emploi, sur ce qu’il fait, sur ce qu’il peut, dimensions enchevêtrées – bien plus que ne laisse supposer une certaine compréhension de la distinction entre le Sein et le Sollen – à ce qu’il doit. L’un des lieux les plus manifestes de cette intrication réside désormais dans l’exigence de prévention des risques psychosociaux lors de l’élaboration des PSE. En quoi cette exigence consiste-t-elle ? Qu’affecte-t-elle ? Le contenu du plan ou la procédure d’information-consultation du comité social et économique ? Qu’implique-t-elle, au juste, pour l’employeur ? Autant de questions qui appellent une analyse attentive aux précisions apportées par le Conseil d’État [2], certes, mais aussi prudente et soucieuse de jauger les implications concrètes de la jurisprudence afférente, à l’instar de celle que développe ici, avec beaucoup de tact, Luc de Montvalon. Saisir dans leur réalité les PSE constitue, à coup sûr, un impératif pour qui entend éviter les postures de principe. Comment y parvenir ? Déjà en recueillant des retours d’expérience de la part d’acteurs impliqués dans l’élaboration de différents plans. C’est ce regard – de l’intérieur, pourrait-on avancer – que nous propose Luc Bérard de Malavas, directeur associé au sein du cabinet Secafi. L’examen des accords relatifs au PSE constitue également une méthode féconde dès lors que l’on entend, une fois encore, de dépasser le stade des conjectures qu’autorise l’interprétation des textes légaux. Encore faut-il pouvoir réunir ces accords qui, parmi d’autres exceptions, ne donnent pas lieu à publicité [3]. La détermination de Marguerite Kocher à promouvoir et mettre en œuvre une approche empirique sur le (et en) droit du travail lui aura permis, aux côtés d’étudiants du Master 2 Dialogue social de la Faculté de droit de Nancy, d’engager un tel travail, en dévoilant de premiers résultats sur le contenu des PSE négociés. Ainsi le focus se trouvait-il mis sur ce qui constituait un véritable angle mort de l’analyse – juridique, mais pas seulement – des accords concernés. De telles investigations ont porté, comme on le verra, sur les mesures contenues dans le plan, mais aussi sur les stipulations des accords consacrées au suivi de l’exécution de ce plan. De ce suivi, que sait-on, au juste, aujourd’hui, si l’on prétend regarder au-delà des dispositions légales [4] et du faible contentieux [5] qui s’y rapporte ? Peu de choses. Au temps des « plans sociaux », le sujet avait, au détour notamment d’un appel à projets de la Dares, donné lieu à plusieurs recherches collectives pluridisciplinaires – notamment à Nancy [6] et à Toulouse. Brigitte Reynès revient, dans son propos, sur la seconde, tout en nous faisant part d’autres expériences. L’on se souvient que les résultats étaient décevants... C’était avant que la loi du 17 janvier 2002 n’institue l’obligation de prévoir dans le PSE les modalités de suivi de la mise en œuvre effective des mesures contenues dans le plan de reclassement, en même temps qu’une consultation régulière et approfondie des représentants du personnel sur le sujet [7]. Ce passé, interroge notre collègue, est-il révolu ? Manière de suggérer que la question pourrait bien rester en suspens [8].
[1] CE, 1e-4e ch. réunies, 21 mars 2023, n° 459626, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A39169KA. Cet arrêt a, quant à sa signification et à ses potentialités, donné lieu à des interprétations sensiblement différentes. Comp., not. : H. Cavat, Déconstruire le séquençage RCC-PSE. La nécessaire prise en compte de l’ensemble du projet de réorganisation, SSL, 3 avril 2023, n° 2040, p. 20 et s. ; O. Dutheillet de Lamothe, La création de la rupture conventionnelle collective n’a pas mis fin aux PDV antérieurs. Retour sur l’arrêt du Conseil d’État, société Paragon Transaction, SSL, 22 mai 2023, n° 2047, p. 10 et s. ; F. Géa, Les subtilités de l’arrêt Paragon Transaction, RDT, 2023, p. 415 et s.
[2] CE, 1e-4e ch. réunies, 21 mars 2023, n° 450012, publié au bulletin N° Lexbase : A49979KB et n° 460660 N° Lexbase : A39099KY.
[3] C. trav., art. L. 2231-5-1, in fine N° Lexbase : L4954LRW. Étant rappelé que le principe de la publicité des accords collectifs résulte de la loi Travail du 8 août 2016.
[4] C. trav., art. L. 1233-63 N° Lexbase : L8596LGH.
[5] À ce sujet, v. F. Géa, Le suivi du PSE en question, RDT, 2017, p. 200 et s.
[6] C. Cornolti, F. Géa, Y. Moulin, Le suivi des plans sociaux et le devenir des salariés concernés, sous la dir. de Ph. Enclos, C. Marraud, G. Schmidt, Grefige – Cerit, Rapport Dares, 2000.
[7] Là où il n’existait depuis la loi du 2 août 1989 qu’une obligation d’information à la charge de l’employeur sur l’exécution du plan, dont les bénéficiaires avaient été élargis en 1998 à l’autorité administrative. Ultérieurement, c’est la loi du 14 juin 2013 qui vint compléter les dispositions légales issues de la loi de 2002 en prévoyant la transmission à l’autorité administrative des avis du comité d’entreprise (ou, à défaut, des délégués du personnel) ainsi que d’un bilan, établi par l’employeur, de la mise en œuvre effective du PSE.
[8] Faute de pouvoir accéder aux bilans que reçoivent, à ce titre, les Dreets, mais aussi d’informations précises sur les suites éventuelles qui leur sont données ou les vérifications susceptibles d’être faites.
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