Lexbase Social n°965 du 23 novembre 2023 : Licenciement

[Actes de colloques] Le droit pluriel des PSE

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N7409BZG

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par Alexandre Fabre, Professeur à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

le 18 Décembre 2023

Mots-clés : licenciement pour motif économique • PSE • contrôles • mesures • reclassement et accompagnement • modes de suppressions d'emploi

Cet article est issu d’un dossier spécial consacré à la publication des actes du colloque intitulé « Le plan de sauvegarde de l'emploi : 10 ans après la loi du 14 juin 2013 », qui s’est tenu le 14 juin 2023 à Toulouse, et organisé par Frédéric Géa, Professeur à l’Université de Lorraine, et Sébastien Ranc, Maître de conférences à l'Université de Toulouse Capitole.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N7441BZM


La typologie proposée par Rémi Bourguignon est sans nul doute stimulante pour les juristes parce qu’elle les invite à interroger l’unité de la catégorie, et du régime, que constitue le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).  

En droit, il existe des standards pour saisir la diversité du réel : « l’intérêt de l’entreprise », la « cause réelle et sérieuse », le « motif légitime », le « trouble objectif » et les « nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ». Si les économistes exècrent ces catégories tant leur imprécision rend difficiles les anticipations, les juristes apprécient au contraire la possibilité qu’elles offrent – c’est d’ailleurs leur fonction – d’appréhender sous un seul nom une multitude de situations.

Le PSE n’est pas un standard. C’est un acte juridique, soit unilatéral, soit négocié, qui renvoie à une obligation : celle qu’a l’employeur, lorsqu’il envisage plus de dix licenciements sur une période de trente jours dans une entreprise d’au moins cinquante salariés, d’établir et de mettre en œuvre tout un ensemble de mesures dans le but d’éviter ces licenciements ou d’en réduire le nombre, et, à défaut d’y parvenir, de faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité [1].

Pour autant, le PSE offre – comme les standards – un contraste saisissant entre l’unité que présente cette catégorie juridique, et la diversité des objets qu’elle permet en pratique. Derrière ce que le droit nomme « PSE », il y a en effet autant d’applications différentes que d’entreprises concernées. De sorte que tout juriste sait bien, qu’en dépit du singulier régulièrement employé – le PSE –, c’est bien un pluriel – des PSE – qui correspond à la réalité des faits.

C’est cependant à une remise en question plus fondamentale encore que nous invite l’étude présentée par Rémi Bourguignon. Que chaque PSE soit unique, et qu’il existe en réalité un infinie multitude de PSE, cela est acquis ; mais peut-on identifier cette pluralité dans la réglementation même du PSE ? En d’autres termes, la diversité des PSE constatée en pratique est-elle également observable en droit ?

À cette question, une réponse résolument positive mérite d’être apportée. Du strict point de vue de la législation et de la jurisprudence, il existe en effet une importante diversité d’approche des PSE, qu’il s’agisse de leur contrôle (I.), de leur contenu (II.) ou des réorganisations auxquelles ils sont adossés (III.).  

I. La diversité des contrôles du PSE

Comme chacun sait, la loi n° 2013-504, du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l’emploi N° Lexbase : L0394IXU a placé les PSE sous le contrôle de l’administration du travail. Or, les termes de ce contrôle varie selon plusieurs facteurs [2].   

Selon la source du PSE. La distinction la plus structurante dépend de la source du PSE. Si le PSE est élaboré par l’employeur en concertation avec le comité social et économique (CSE), il est consigné dans un document unilatéral que la Dreets doit homologuer dans les conditions fixées par l’article L. 1233-57-3 du Code du travail N° Lexbase : L9460LHT. Dans ce cadre, elle doit singulièrement contrôler la suffisance des mesures prévues dans le PSE au regard des moyens dont dispose l’entreprise, ou le cas échéant, l’unité économique et sociale (UES) ou le groupe [3]. En revanche, si le PSE a fait l’objet d’un accord collectif avec les organisations syndicales, la Dreets doit le valider dans les termes de l’article L. 1233-57-2 du Code du travail N° Lexbase : L8609LGX. Le contrôle opéré est alors d’une autre teneur, et pour une raison simple :  le fait que le PSE ait été négocié et signé par les syndicats majoritaires suffit à présumer de la suffisance de ses mesures. De sorte que si la Dreets est amenée à contrôler scrupuleusement le respect des conditions de validité de l’accord collectif, il lui revient seulement de s’assurer que des mesures répondant aux finalités d’un PSE y sont bien présentes, sans apprécier leur importance, ni leur pertinence [4]. Pour résumer cette différence de contrôle, il est coutume de dire que le contrôle du contenu du PSE est approfondi dans le cas d’un PSE unilatéral, et léger quand il a été négocié.

Selon la santé financière de l’entreprise. Dans le même ordre d’idée, la loi n° 2015-990, du 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC, dite loi « Macron », a prévu que l’homologation d’un PSE unilatéral doit répondre à des conditions particulières lorsque l’entreprise se trouve en redressement ou liquidation judiciaire. Dans cette hypothèse, l’administration du travail est dans une position schizophrénique puisque, si elle est tenue de vérifier que l’employeur, l’administrateur ou le mandataire a demandé une contribution au groupe, elle ne doit contrôler la proportionnalité du PSE qu’au regard des moyens dont dispose l’entreprise [5]. Si un contrôle de suffisance a toujours lieu, il est donc réduit à peu de choses vu l’état des finances de l’entreprise défaillante.

On le voit, le législateur module le contrôle opéré par l’administration du travail selon le contexte dans lequel intervient le PSE : a-t-il été élaboré par l’employeur seulement, ou négocié avec les syndicats majoritaires ? ; est-il le fait d’une entreprise in bonis, ou d’une entreprise en redressement ou liquidation judiciaire ? Selon la réponse à ces questions, le contrôle du PSE n'est pas le même. De quoi accréditer la thèse, qu’en droit aussi, les conditions d’élaboration d’un PSE peuvent avoir une certaine influence sur son contenu (plus exactement sur le contrôle de ce contenu).

II. La diversité des mesures d’un PSE

Si le droit des PSE fait place, on vient de le voir, à différentes nuances de contrôle, il autorise également une grande diversité de mesures à l’attention des salariés. Plutôt que d’en dresser la liste exhaustive, il est sans doute plus pertinent de les articuler autour des principaux objectifs poursuivis.

Maintien dans l’emploi ou reclassement des salariés. Tout en faisant de l’établissement d’un plan social une obligation patronale distincte de la consultation des représentants du personnel, la loi n° 89-549, du 2 août 1989, modifiant le Code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion N° Lexbase : L7352HUT, lui assigna deux finalités : d’une part, éviter les licenciements ou en réduire le nombre, et, d’autre part, faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité [6]. À l’époque, il était possible de voir une hiérarchie dans l’ordre d’apparition de ces deux finalités. Si le reclassement n’arrivait qu’en seconde position, c’est parce que la priorité était, avant tout, d’éviter les licenciements, en faisant en sorte que le plus grand nombre de salariés conservent leur emploi.

Cette hiérarchie fut toutefois rapidement remise en cause par une loi n° 93-121, du 27 janvier 1993, portant diverses mesures d’ordre social N° Lexbase : O8094BX3. Pour renforcer l’exigence de reclassement, un amendement célèbre (l’amendement « Aubry ») imposa à l’employeur de prévoir, à peine de nullité de la procédure de licenciement, « un plan visant au reclassement des salariés s’intégrant au plan social [7] ». Cette disposition contribua, malgré elle, à déplacer le curseur du maintien dans l’emploi vers le reclassement des salariés. Car même si, dans le détail de ce que « ce plan [8] » pouvait prévoir, était donné l’exemple de mesures de réduction ou d’aménagement du temps de travail, on pressentait bien que l’accent était dorénavant mis sur le reclassement des salariés au sein de l’entreprise ou en dehors de celle-ci [9]. La recodification intervenue en 2008 consacra d’ailleurs ce décrochage en plaçant ces deux finalités dans des alinéas distincts et en rattachant expressément le plan de reclassement à la seconde (faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité).

La loi n° 2013-504, du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l'emploi N° Lexbase : L0394IXU ne revint pas sur cette évolution lorsqu’elle confia le contrôle des PSE à l’autorité administrative sous le contrôle du juge administratif. Depuis lors, le Conseil d’État use de la même formule, forgée pour la première fois dans la décision « Calaire Chimie » du 22 juillet 2015 [10] : l’administration du travail doit, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’homologation, regarder si « chacune » des mesures prévues dans le plan contribue aux objectifs de maintien dans l’emploi et de reclassement des salariés et si les mesures, cette fois « prises dans leur ensemble », sont propres à satisfaire ces objectifs au regard des moyens dont disposent l'entreprise et, le cas échéant, l'unité économique et sociale et le groupe. Même si l’objectif de maintien dans l’emploi est opportunément rappelé par le Conseil d’État, dans les faits, sa prise en compte est largement minorée par la mise en œuvre d’un contrôle global des mesures : dès lors qu’elles sont « prises dans leur ensemble », des mesures de reclassement suffisamment nombreuses ou généreuses peuvent parfaitement compenser la faiblesse, voire l’inexistence de mesures de maintien dans l’emploi.  

Une réforme ultérieure a brouillé encore davantage la distinction entre ces deux finalités. L’on songe au dispositif introduit par la loi n° 2016-1088, du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels N° Lexbase : L8436K9C, dite loi « Travail », puis élargi par l’ordonnance n° 2017-1387, du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail N° Lexbase : L7629LGN, qui permet, lorsqu’une fermeture de site est envisagée, de prévoir dans le PSE la cession de l’activité et, par le jeu de l’article L. 1224-1 du Code du travail N° Lexbase : L0840H9Y, le transfert des salariés qui y sont affectés [11]. Difficile en effet de classer cette mesure puisque si elle permet d’éviter les licenciements (objectif qui la placerait dans le giron du maintien de l’emploi), elle se traduit par un changement d’employeur (caractéristique essentielle du reclassement externe). Sauf à considérer que l’esprit de cette mesure est à chercher en dehors des finalités du PSE. Car, ainsi que les premiers commentateurs l’ont relevé [12], ce dispositif revient à faire du PSE l’accessoire d’un transfert, et non l’inverse comme semble hypocritement le suggérer le législateur.

Reclassement (interne/externe) ou accompagnement des salariés. Il est coutume de distinguer deux types de reclassement selon le périmètre dans lequel il intervient. Il y a le reclassement dit « interne », qui oblige à rechercher des emplois disponibles à l’intérieur de l’entreprise qui licencie, et le reclassement dit « externe », qui impose à l’entreprise, si elle appartient à un groupe, d’étendre la recherche d’emplois disponibles à cette échelle. Depuis l’arrêt « Vidéocolor » [13] jusqu’aux ordonnances « Travail », les débats les plus vifs ont porté sur le périmètre du reclassement externe. Jusqu’où l’employeur – car c’est uniquement sur lui que pèse l’obligation de reclasser [14] – doit-il étendre ses recherches ? À cette question, les ordonnances n° 2017-1387, du 22 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail N° Lexbase : L7629LGN [15] et n° 2017-1718, du 20 décembre 2017, visant à compléter et mettre en cohérence les dispositions prises en application de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social N° Lexbase : L6578LH4 [16], ont apporté une réponse très en retrait par rapport à celle de la Chambre sociale. De façon schématique, on peut dire aujourd’hui que le périmètre du reclassement externe, tracé par l’article L. 1233-4 du Code du travail N° Lexbase : L7298LHR, est le résultat d’un triple tamis : il faut d’abord être en présence d’un groupe de sociétés au sens de plusieurs articles du Code du commerce ; il faut ensuite identifier, au sein de ce groupe, les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ; il faut enfin, dans ces entreprises, limiter les recherches aux seuls emplois disponibles situés sur le territoire national.

Si la question de l’articulation entre reclassement interne et reclassement externe fut en revanche moins centrale, notons que les juges ne sont jamais allés jusqu’à instaurer une primauté du premier sur le second. Dans la jurisprudence antérieure de la Chambre sociale comme dans celle du Conseil d’État aujourd’hui, le seul critère de différenciation réside dans l’effort attendu de l’employeur, qui ne peut évidemment pas être le même dans les deux situations. Comme la rapporteur public madame Gaëlle Dumortier le reconnaissait dans ses conclusions sur l’affaire « Calaire Chimie », l’obligation de reclassement « ne peut avoir la même portée dans l'entreprise, au sein de laquelle l'employeur peut, et donc doit, recenser tous les emplois de reclassement, et dans le groupe, au sein duquel l'employeur n'a pas connaissance des emplois de reclassement et doit donc seulement démontrer qu'il les a sérieusement recherchés et indiquer tous ceux qu'il a ainsi identifiés [17] ». Raison pour laquelle, depuis cette décision séminale, le Conseil d’État distingue ces deux cas de figure, en énonçant qu’« il revient à l’autorité administrative de s'assurer que l'employeur a identifié dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise et, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, que l'employeur, seul débiteur de l'obligation de reclassement, a procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles pour un reclassement sur le territoire national dans les autres entreprises du groupe, quelle que soit la durée des contrats susceptibles d'être proposés pour pourvoir à ces postes, en indiquant dans le plan, pour l'ensemble des postes de reclassement ainsi identifiés, leur nombre, leur nature et leur localisation [18] ».

Du reclassement externe vers l’accompagnement dans l’emploi. Le glissement le plus important, quoique le plus discret, concerne finalement la notion même de reclassement externe. Classiquement, on désigne ainsi la recherche d’emplois disponibles en dehors de l’entreprise qui licencie, ce qui, compte tenu du périmètre actuellement tracé par le législateur, ne peut se faire que dans les entreprises faisant partie du groupe de reclassement défini par l’article L. 1233-4 du Code du travail N° Lexbase : L7298LHR. En résumé, le reclassement externe consiste à essayer de repositionner le salarié sur un emploi externe à l’entreprise, mais interne au groupe à laquelle celle-ci appartient.  

Depuis que la pertinence du plan social est examinée à l’aune des moyens de l’entreprise, de l’UES ou du groupe, on a pu observer – selon les points de vue – un enrichissement ou un appauvrissement de la notion de reclassement externe. Dès lors que l’entreprise en a les moyens (par elle-même ou par l’intermédiaire de l’UES ou du groupe dont elle relève), on attend aussi d’elle qu’elle finance des mesures d’accompagnement des salariés vers l’emploi (plus largement entendu). Indépendamment des recherches sérieuses qui doivent être faites au sein des entreprises faisant partie du groupe, le plan peut ainsi prévoir diverses sortes de mesures visant à faciliter soit la recherche d’un emploi à l’extérieur du groupe, soit l’acquisition d’une formation plus ou moins longue, soit la création d’une activité indépendante. Et comme ces mesures participent au reclassement externe (au sens large) des salariés, elles entrent généralement en ligne de compte dans le cadre du contrôle global qu’opère l’autorité administrative lorsqu’elle homologue le plan. Au fond, ce qui compte, c’est que le plan ne se borne pas à indemniser les salariés, mais qu’il les aide à retrouver un emploi, directement ou indirectement.

C’est de cette façon que le reclassement externe a progressivement été aspiré par la notion plus large d’accompagnement. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que ce dernier terme ait été retenu, au côté de celui de reclassement externe, pour décrire les buts que doivent satisfaire les mesures d’une rupture conventionnelle collective (RCC) [19]. Même si la RCC n’est pas un PSE, l’on sait que son régime a été fortement inspiré par celui des plans de départs volontaires « exclusifs [20] », qui autorise l’employeur à ne prévoir que des mesures de reclassement externe. Du reclassement (sur un emploi disponible dans l’entreprise ou le groupe) vers l’accompagnement (dans l’emploi en général), le pas était donc aisé à franchir.  

III. La diversité des modes de suppression d’emploi impliquant un PSE

Comme on vient de l’entrapercevoir à travers la question des mesures, les PSE peuvent enfin varier selon le mode de suppression d’emploi utilisé.

Régime hybride des plans de départs volontaires. Devant l’imagination des entreprises, bien décidées à s’affranchir du carcan que représentait – selon elles – le régime des grands licenciements collectifs avec plan social, la Cour de cassation, lorsqu’elle était en charge de ce contentieux, avait progressivement élaboré une jurisprudence d’équilibre qui consistait, d’un côté, à soumettre à l’établissement d’un plan social l’ensemble des restructurations mettant en cause l’emploi, y compris celles qui se traduisaient par la conclusion de ruptures amiables et non seulement par le prononcé de licenciements « secs », mais de l’autre, à édulcorer le régime applicable en écartant les règles qui ne se justifiaient qu’en présence d’une rupture imposée par l’employeur. C’est ainsi qu’est né le droit hybride des plans de départs volontaires, un droit dont le support principal était celui des grands licenciements collectifs avec l’obligation pour l’employeur d’établir un plan social, auquel étaient cependant retranchées les règles rendues impertinentes par la conclusion d’une rupture amiable (notification du licenciement, motif économique, obligation de reclassement, application des critères de licenciement, priorité de réembauche).

L’acmé de cette construction fut atteint lorsque la Cour de cassation décida, dans l’arrêt « Renault » du 26 octobre 2010 [21], qu’« un plan de reclassement, qui ne s'adresse qu'aux salariés dont le licenciement ne peut être évité, n'est pas nécessaire dès lors que le plan de réduction des effectifs au moyen de départs volontaires exclut tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppressions d'emplois ». À l’inverse des plans de départs volontaires pensés comme le premier volet d’un plan de licenciements, qui, eux, obligeaient l’employeur à établir un plan de reclassement interne, les plans de départs volontaires exclusifs de tout licenciement pouvaient ne comporter que des mesures de reclassement externe.

Les arrêts « Completel » [22] et « Air France » [23] permirent à la Cour de cassation de mieux distinguer ces deux hypothèses, en mettant l’accent sur la nature du risque pesant sur le salarié. En clair, la question était de savoir si le salarié risquait de perdre son emploi. Et là, de deux choses l’une : si ce risque était certain, parce que la suppression d’emploi était décidée donc inéluctable, alors l’employeur n’avait pas d’autre alternative que de mettre en place un PSE qui, s’il pouvait éventuellement comprendre des mesures de départs volontaires, devait nécessairement prévoir un plan de reclassement proportionné au nombre total de suppressions d’emplois envisagées. Si, en revanche, l’employeur voulait réduire ses effectifs exclusivement sur la base du volontariat, sans mettre en péril les emplois des salariés qui ne souhaitaient pas partir, il devait mettre en place un PSE qui se réduisait alors à un plan de reclassement externe. Notons que depuis que le contentieux a basculé dans le giron du juge administratif, le Conseil d’État n’a pas eu l’occasion de reprendre à son compte cette jurisprudence, contrairement à certaines cours administratives d’appel [24].

PSE, PDV, RCC. En créant la rupture conventionnelle collective, l’ordonnance n° 2017-1387, du 22 septembre 2017, précitée N° Lexbase : L7629LGN, a encore élargi la gamme des modes de suppression d’emploi. À ce jour, les entreprises disposent d’au moins quatre outils : le licenciement collectif avec PSE « classique », le licenciement collectif avec PSE « mixte » (car comprenant un – premier – volet de départ volontaire), les départs volontaires « exclusifs » de tout licenciement (avec un PSE qui se résume à un PDV) et la RCC (sans PSE, mais avec des mesures qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à celles que l’on trouve dans un PDV « exclusif »).

Si ces outils sont parfois interchangeables, une entreprise pouvant préférer passer par un PDV exclusif plutôt que de conclure un accord de RCC sous réserve toutefois d’en respecter le régime [25], certaines conditions peuvent écarter tout choix. Confirmant la position prise par l’administration dans un « questions-réponses » sur la RCC [26], le Conseil d’État a proscrit l’utilisation de ce dispositif en cas de fermeture d’un site, dans sa décision « Paragon Transaction » du 21 mars 2023 [27]. Le raisonnement est directement fondé sur le droit commun de la rupture conventionnelle [28] : «  compte tenu de ce qu' [un tel accord] doit être exclusif de toute rupture du contrat de travail imposée au salarié, comme le prévoit l'article L. 1237-17, [il] ne peut être validé par l'autorité administrative lorsqu'il est conclu dans le contexte d'une cessation d'activité de l'établissement ou de l'entreprise en cause conduisant de manière certaine à ce que les salariés n'ayant pas opté pour le dispositif de rupture conventionnelle fassent l'objet, à la fin de la période d'application de cet accord, d'un licenciement pour motif économique, et le cas échéant, d'un plan de sauvegarde de l'emploi ». Cette justification tirée du droit commun de la rupture conventionnelle n’est cependant pas incompatible, selon nous, avec celle liée à la nature du risque de suppression d’emploi : dès lors qu’en cas de fermeture de site les salariés sont condamnés à perdre leur emploi à échéance, l’opération porte en elle des licenciements, ce qui interdit de recourir à une rupture conventionnelle collective par application, cette fois, de l’article L. 1237-19-1 du Code du travail N° Lexbase : L1460LKB.

Quel que soit le fondement exact de la solution, la conséquence est identique : faute de pouvoir utiliser une RCC dans l’hypothèse d’une cessation d’activité, l’entreprise n’a alors pas d’autre choix que d'élaborer un plan de sauvegarde de l'emploi, par voie d’accord ou par document unilatéral, et de le faire valider ou homologuer par l'administration. Et si le Conseil d’État suggère que ce plan peut, le cas échéant, définir les conditions et modalités de rupture des contrats de travail d'un commun accord entre l'employeur et les salariés concernés [29], on ose espérer qu’il ne pourra s’agir, pour la même raison que dans la jurisprudence « Renault », que d’un PSE « mixte » et non d’un PDV « exclusif [30] ».

Que le droit des PSE soit pluriel et permette, lui aussi, d’établir des typologies en fonction de plusieurs critères, nous espérons en avoir fait la démonstration. L’avènement de la RCC, qui est en principe déconnectée du licenciement économique donc du PSE, mais dont le régime tire largement son inspiration, invite néanmoins à pousser plus loin l’analyse. Fortement décrié par les entreprises lorsque la Cour de cassation en faisait le passage obligé pour tout type de mise en cause de l’emploi [31], le PSE s’est progressivement diversifié dans son contenu comme dans ses applications. Au point de constituer aujourd’hui un véritable « couteau suisse » en matière de restructurations. Mais il y a plus. Par une sorte d’ironie de l’histoire, le droit des PSE est devenu tellement pluriel qu’il a essaimé des simili PSE en dehors du licenciement pour motif économique, comme en atteste le régime de la RCC.


[1] C. trav., art. L. 1233-61 N° Lexbase : L7291LHI.

[2] V. G. Rudant, E. Castet et N. Gssime, L'administration, garante de la régularité et de la qualité du dialogue social et du PSE, Droit social, 2023, p. 857.

[3] Rappelons que le groupe « de moyens » n’est pas limité aux entreprises situées sur le territoire national mais comprend l’ensemble des sociétés (dominées et dominante), « quel que soit le lieu d'implantation du siège de ces entreprises » (en dernier lieu, v. CE, 1re-4e ch. réunies, 21 juillet 2023, n° 435896, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A08151C8).

[4] CE, 4e-5e s.-sect. réunies, 7 décembre 2015, n° 383856, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6208NYL. Sur cette décision, v. not. A. Fabre, Validation des PSE négociés : contrôler moins ou… autrement ?, SSL, n° 1704, 28 décembre 2015, p. 10.

[5] C. trav., art. L. 1233-58, II, al. 2 N° Lexbase : L8650LGH. Sur la non-transmission d'une QPC relative à l'appréciation du PSE dans les entreprises en redressement ou liquidation judiciaire, v. CE, 1re-4e ch. réunies, 4 septembre 2019, n° 431463 N° Lexbase : A6601ZMG : note, RDT, 2019, p.716).

[6] Loi n° 89-549, du 2 août 1989, modifiant le Code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et à la convention de conversion ; C. trav., anc. art. L. 321-4-1 N° Lexbase : L3214DCZ.

[7] C. trav., anc. art. L 321-4-1 N° Lexbase : L3215DC3, issu de la loi n° 93-121, du 27 janvier 1993, portant diverses mesures d’ordre social N° Lexbase : O8094BX3.

[8] « Ce plan », mais lequel ? Le plan social ou le plan de reclassement ?

[9] En dépit de quelques tentatives ultérieures dont le meilleur exemple est donné par l’amendement dit « Michelin » qui entendait obliger les entreprises à négocier une réduction du temps de travail avant de pouvoir établir un plan social…

[10] CE, 22 juillet 2015, n° 383481, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9293NM7. Sur cette décision, v. not. F. Géa, Grands licenciements économiques et plan de sauvegarde de l'emploi après la loi du 14 juin 2013 : les premières décisions du Conseil d'État, RDT, 2015, 528.

[11] C. trav., art. L. 1233-61, al. 3 N° Lexbase : L7291LHI.

[12] P. Bailly, Le PSE avant transfert d'entreprise dans l'avant-projet de loi. Une dérogation aux effets du transfert d'entreprise, SSL, 14 mars 2016, n° 1714, p. 10 ; F. Géa, Quand transférer rime avec liquider, RDT, 2016, 341.

[13] Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690 N° Lexbase : A4018AA3.

[14] Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 08-15.776, FS-P+B N° Lexbase : A2943EQ3.

[15] Qui a modifié l’article L. 1233-4 du Code du travail N° Lexbase : L7298LHR.

[16] Qui a ajouté la locution sur le « territoire national » dans l’article L. 1233-61 du Code du travail N° Lexbase : L7291LHI ainsi que dans l’article L. 1233-62 du même code N° Lexbase : L7290LHH.

[17] Concl. RDT, 2015, p. 514.

[18] Selon la formule actualisée tirée de CE, 1re-4e ch. réunies, 20 juin 2022, n° 437767, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A906777X.

[19] C. trav., art. L. 1233-19 N° Lexbase : L1141H97.

[20] V. infra.

[21] Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-15.187, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6142GCH : rapp. P. Bailly, SSL, n° 1465, p. 10 ; F. Favennec-Héry, PDV, PSE, PDR : un plan chasse l'autre, Droit social, 2010, p. 1164 ; F. Géa, La Chambre sociale et le volontariat. À propos de l'arrêt Renault, RDT, 2010, p. 704.

[22] Cass. soc., 25 janvier 2012, n° 10-23.516, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4422IBE ; RDT, 2012, p. 152, obs. F. Géa ; RJS, 2012, note G. Couturier, p. 243 ; F. Favennec-Héry, Plan de départs volontaires : le jeu des distinctions, Droit social, 2012, p. 351.

[23] Cass. soc., 9 octobre 2012, n° 11-23.142, FS-P+B N° Lexbase : A3532IUD ; F. Géa, L'art de la différenciation - à propos de l'arrêt « Air France KLM », SSL, n° 1571, suppl. 11 février 2013.

[24] CAA Paris, 12 mars 2015, n° 14PA05025 N° Lexbase : A2845NRS : « considérant que si un plan de sauvegarde de l'emploi est établi alors que l'employeur entend supprimer des emplois en ne faisant appel qu'au volontariat de salariés faisant le choix de quitter l'entreprise, ce plan peut ne pas comporter de plan de reclassement interne si ne doivent être envisagés que des départs purement volontaires et que la réorganisation de l'entreprise à laquelle il est procédé à l'occasion du plan de départ volontaire n'implique pas nécessairement que doit d'ores et déjà être faite l'hypothèse du licenciement de salariés qui refuseraient les modifications de leur contrat de travail impliquées par cette réorganisation ».

[25] L’employeur devra mettre en œuvre la procédure de licenciement collectif, ce qui implique la consultation du CSE sur les raisons économiques d’un tel projet et la possible désignation d’un expert-comptable, et faire valider ou homologuer le PSE par la Dreets selon la forme qu’il prendra (accord collectif ou document unilatéral).

[26] Questions-réponses. La rupture conventionnelle collective, novembre 2019 (question 8) [en ligne].

[27] CE, 1re-4e ch. réunies, 21 mars 2023, n° 459626, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A39169KA.

[28] V. en ce sens l’analyse de F. Géa, Les subtilités de l'arrêt « Paragon Transaction », RDT, 2023, p. 415.

[29] Sur cette ouverture, O. Dutheillet de Lamothe, La création de la rupture conventionnelle collective n'a pas mis fin aux PDV antérieurs. Retour sur l'arrêt du Conseil d'État, Société Paragon Transaction, SSL, 22 mai 2023, n° 2047, p. 10.

[30] De façon plus interrogative, v. F. Géa, préc.

[31] Dont le point culminant fut sans doute atteint avec les arrêts « Framatome » (Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-17.352 N° Lexbase : A2180AAY) et « Majorette » (Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 95-20.360, publié au bulletin N° Lexbase : A2182AA3).

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