Lexbase Social n°965 du 23 novembre 2023 : Licenciement

[Actes de colloques] La procédure d’information et de consultation lors de l’élaboration du PSE

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N7352BZC

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par Sébastien Ranc, Maître de conférences en droit privé à l'Université de Toulouse Capitole

le 22 Novembre 2023

Mots-clés : PSE • CSE • procédure d’information et de consultation • conséquences environnementales • autorité administrative • contrôle pragmatique • Danthony • effet utile • principe du préalable • loyauté

Cet article est issu d’un dossier spécial consacré à la publication des actes du colloque intitulé « Le plan de sauvegarde de l'emploi : 10 ans après la loi du 14 juin 2013 », qui s’est tenu le 14 juin 2023 à Toulouse, et organisé par Frédéric Géa, Professeur à l’Université de Lorraine, et Sébastien Ranc, Maître de conférences à l'Université de Toulouse Capitole.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici N° Lexbase : N7441BZM


Qui aurait pu imaginer qu’en contrôlant les décisions administratives de validation ou d’homologation des PSE, le Conseil d’État allait révéler, au fil de dix années de jurisprudence, un certain pragmatisme pour ne pas dire une certaine souplesse en matière de contrôle de la procédure d’information et de consultation lors de l’élaboration d’un PSE. Il y a ici une véritable reconfiguration dans les modalités de contrôle que personne ne pouvait prédire au moment de l’entrée en vigueur de la loi de sécurisation de l’emploi.


Même si quelques éléments préexistants à l’application de la loi de sécurisation de l’emploi (LSE) N° Lexbase : L0394IXU ont été conservés, cette dernière a modifié en profondeur la procédure d’information et de consultation du CSE lors de l’élaboration du PSE. Parmi les éléments intangibles, on retrouve notamment le double objet de la consultation sur l’opération économique projetée (volet économique) et sur le projet de licenciement collectif (volet social) [1]. Parmi les éléments modifiés, la LSE a adossé à la procédure de concertation une procédure de négociation. Ces deux procédures sont loin d’être étanches dans la mesure où d’une part, « le CSE peut […] mandater un expert afin qu’il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour mener la négociation [de l’accord PSE] » [2] ; d’autre part, « les éléments [du « volet social »] qui font l’objet de l’accord [PSE] ne sont pas soumis à la consultation du CSE » [3]. Cette formule laisse entendre que dans l’hypothèse où un accord collectif serait conclu, une partie de la procédure de consultation du CSE s’évapore. Dans cette hypothèse, l’autorité administrative ne contrôle plus la régularité de la procédure d’information et de consultation dans son « volet social », mais uniquement celle de la procédure relative au « volet économique » [4]. On retrouve ici une des pierres angulaires de la LSE, celle d’avoir privilégié la voie de la négociation collective en réduisant le contrôle de l’autorité administrative pour ceux qui parviennent à un accord.

Autre changement, la LSE a accéléré la procédure de concertation, ce afin que celle-ci ne s’éternise plus. Deux exemples permettent d’illustrer cette accélération. En premier lieu, le CSE est désormais contraint de rendre ses deux avis dans des délais dits « préfixes », au-delà desquels le législateur considère qu’« en l’absence d’avis du CSE dans ces délais, celui-ci est réputé avoir été consulté » [5]. En second lieu, la LSE a instauré un séquençage chronologique précis dans les échanges entre l’expert du CSE et l’employeur[6].

Un autre pilier issu de la LSE est le rôle central attribué à l’autorité administrative, et plus précisément pour ce qui nous intéresse, son rôle en matière de contrôle de la procédure d’information et de consultation. La Direccte au moment de l’entrée en vigueur de la réforme – désormais la Dreets – contrôle le respect de cette procédure de concertation tout au long de l’élaboration du PSE. En cours d’élaboration du plan d’abord, elle y veille grâce à ses pouvoirs d’injonction [7] et d’observation [8]. C’est ensuite et surtout au terme de l’élaboration du PSE que l’autorité administrative procède au contrôle de la procédure d’information et de consultation, lorsqu’elle valide l’accord [9], ou homologue le document élaboré par l’employeur[10]. Dans ces deux hypothèses, elle doit alors s’assurer selon les dispositions législatives de la « régularité de la procédure d’information et de consultation du CSE ».

Voici donc le « terreau » déposé par le législateur le 14 juin 2013 sur les terres des grands licenciements pour motif économique. 10 ans après, qu’en est-il ressorti ? Assurément, des éléments tout à fait imprévisibles au moment de l’entrée en vigueur de LSE.

Parmi les éléments inattendus, il y a ceux d’abord externes à la réforme sur les grands licenciements pour motif économique. Personne ne pouvait imaginer que le législateur allait, une dizaine d’années après l’entrée en vigueur de la LSE [11], intégrer la prise en compte des conséquences environnementales au titre des attributions générales du CSE [12] et au titre de ses consultations récurrentes [13], sans toutefois les mentionner expressément au titre des consultations ponctuelles, et notamment celles prévues en cas de restructurations et de compressions des effectifs ou en cas de licenciement collectif pour motif économique [14]. La question se pose dorénavant de savoir si le CSE doit être informé et consulté sur les conséquences environnementales au titre de la procédure d’élaboration du PSE. La doctrine est partagée selon qu’elle mobilise une interprétation a rubrica plus ou moins large [15]. Les mêmes incertitudes se retrouvent devant les juridictions du fond [16].

Il y a ensuite des éléments imprévisibles qui proviennent de la LSE elle-même. Pour mémoire, avant l’entrée en vigueur de la LSE, la moindre irrégularité dans la procédure entrainait la suspension de l’élaboration du PSE devant le juge judiciaire des référés. Depuis la réforme, les questions relatives à la régularité de la procédure d’information et de consultation n’entrainent plus de suspension de la procédure, dans la mesure où le contentieux du PSE a été concentré au terme de son élaboration, à un moment unique, plus précisément, après la décision de l’autorité administrative [17]. C’est en contrôlant la décision administrative de validation ou d’homologation au cours de ces 10 dernières années que le Conseil d’État a révélé, en interprétant la LSE de manière assez extensive, un certain pragmatisme s’agissant du contrôle par l’autorité administrative de la procédure d’information et de consultation du CSE lors de l’élaboration d’un PSE. En allant plus loin, le contrôle pragmatique de l’autorité administrative découvert par le juge administratif rejaillit sur l’objet contrôlé, en l’occurrence la procédure de concertation en elle-même. Ce pragmatisme signifie concrètement qu’une irrégularité de la procédure d’information et de consultation n’entraine pas nécessairement une absence de validation ou d’homologation du plan. Seule une irrégularité « substantielle » [18] est susceptible de vicier la procédure. Il y a ici une véritable reconfiguration dans les modalités de contrôle de la procédure de concertation lors de la l’élaboration du PSE que personne ne pouvait prédire au moment de l’entrée en vigueur de la LSE. Il s’agira de présenter dans les grandes lignes ce contrôle pragmatique (I.), avant d’en donner quelques applications concrètes (II.) et de tenter d’en identifier les limites (III.).

I. Un contrôle pragmatique

Le pragmatisme a très tôt été consacré par le Conseil d’État, plus précisément dès l’arrêt d’assemblée Heinz du 22 juillet 2015, selon lequel « il appartient à l’administration de s’assurer, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, que la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l’homologation demandée que si le comité a été mis à même d’émettre régulièrement un avis, d’une part sur l’opération projetée et ses modalités d’application, et, d’autre part, sur le projet de licenciement collectif et le PSE. Il appartient à ce titre à l’administration de s’assurer que l’employeur a adressé au comité d’entreprise, avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à ses demandes exprimées par le comité, tous les éléments utiles pour qu’il formule ses deux avis en toute connaissance de cause ». Ce pragmatisme est largement assumé par la Haute juridiction administrative qui indique dans le communiqué de presse associé à deux autres arrêts plus récents que « le Conseil d’État confirme par ces décisions son approche pragmatique des obligations de l’employeur et de l’administration en matière de PSE. Une irrégularité n’entraîne l’invalidation du PSE que si elle a pu influencer l’appréciation des représentants du personnel ou le contrôle exercé par l’administration » [19].

Ce pragmatisme provient de la jurisprudence Danthony, selon laquelle « un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable […], n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie » [20]. Alors que cela n’allait pas nécessairement de soi [21], le Conseil d’État a transposé l’esprit de sa jurisprudence Danthony au contentieux des PSE. D’aucuns parlent même de « danthonysation » du contentieux PSE ou de « faire du Danthony » [22].

Ce pragmatisme découlant de la jurisprudence du Conseil d’État combine trois types d’approche : l’une finaliste, l’autre globale et enfin une dernière concrète.

S’agissant de l’approche finaliste, cela signifie que l’autorité administrative doit seulement s’assurer qu’in fine la procédure a permis d’atteindre l’objectif d’information et de consultation, et ce même si des irrégularités procédurales ont été constatées. Concrètement, l’autorité administrative peut tenir compte de circonstances de nature à relativiser, compenser, voire neutraliser certaines irrégularités, sans que cela ne la dispense de s’assurer que le CSE a effectivement rempli son office. En caricaturant, on peut dire que la fin justifie les moyens. Peu importe que des irrégularités aient été relevées, ce qui compte est que le comité a été mis en mesure d’émettre régulièrement son avis.

À cette approche finaliste se combine une approche globale [23]. Il ne s’agit plus d’arrêter le temps à chaque étape de la procédure d’information et de consultation, comme pouvait le faire à l’époque le juge judiciaire des référés. Il s’agit désormais d’appréhender globalement la procédure de concertation. C’est ici distinguer la « photographie » qui était prise à un instant précis par le juge judiciaire, et le « court-métrage » dont dispose désormais l’autorité administrative et son juge.

Enfin, du pragmatisme découle une approche réaliste en vertu de laquelle l’autorité administrative doit examiner in concreto ce qui a pu porter ou non atteinte à la finalité de la concertation, en contrôlant par exemple le calendrier des réunions du CSE, les documents transmis aux représentants du personnel, ou encore dans l’expertise dont ils ont disposé pour étudier ces documents [24].

La jurisprudence offre de nombreuses illustrations de ce pragmatisme.

II. Les applications pragmatiques

En vertu d’une approche finaliste, le Conseil d’État a décidé que la circonstance que l’expert-comptable n’ait pas eu accès à l’intégralité des documents, dont il a demandé la communication, ne vicie pas la procédure d’information et de consultation, si les conditions dans lesquelles l’expert a accompli sa mission ont néanmoins permis au comité d’entreprise de disposer de tous les éléments utiles pour formuler son avis en toute connaissance de cause [25]. Dans le même ordre d’idée et en matière de composition des membres du CSE, le fait que l’employeur soit assisté, lors des réunions du comité d’entreprise, d’un collaborateur de plus que les deux collaborateurs avec voix consultative prévus par la loi n’entache pas d’illégalité la décision administrative validant l’accord dès lors que cette présence n’a pas pu exercer une influence sur les membres du comité d’entreprise [26]. Peu importe l’irrégularité en elle-même. Seul compte le fait que cette irrégularité n’ait pas influencé l’avis des représentants du personnel.

En vertu d’une approche globale, le Conseil d’État a précisé que, s’agissant des réponses adressées aux observations de l’autorité administrative en cours de procédure [27], « l’absence de [leur] transmission par l’employeur au comité d’entreprise n’est pas de nature à entraîner nécessairement l’irrégularité de la procédure d’information et de consultation, mais doit être prise en compte dans l’appréciation globale de la régularité de cette procédure » [28]. Encore une fois, l’enjeu n’est pas de constater un manquement de l’employeur à une de ses obligations. Il s’agit plutôt de savoir si malgré ce manquement rapporté à l’échelle globale de la procédure, les représentants du personnel ont été mis ou non en mesure d’émettre régulièrement un avis [29].

Cette approche globale permet parfois de rattraper certaines irrégularités. Par exemple, dans un autre arrêt dit Association Éclaireuses, Éclaireurs de France [30], l’autorité administrative cette fois-ci n’avait pas envoyé aux représentants du personnel une copie de son courrier d’observation [31]. Mais l’employeur l’avait néanmoins communiqué aux organisations syndicales en même temps que la réponse qu’il y apportait. En outre, les délégués syndicaux destinataires de ce document avaient pris part aux réunions du comité d’entreprise, permettant ainsi à celui-ci de tenir compte des éléments transmis. La procédure d’information et de consultation n’avait donc pas été entachée d’irrégularité, car l’obligation d’information pesant sur l’autorité administrative avait été corrigée par l’employeur.

Cette approche globale combinée à une approche concrète permet de comparer les documents transmis par l’employeur au début de la procédure avec ceux adressés à la fin. Si les documents sont sensiblement identiques, la procédure ne sera pas viciée. Le Conseil d’État a ainsi décidé que les représentants du personnel avaient été suffisamment informés et consultés, même s’ils n’avaient été destinataires que d’un projet d’accord sur les critères de l’ordre des licenciements, dès lors que l’accord signé n’était pas différent [32]. Il n’y a pas non plus d’irrégularité de la procédure du fait que la version finale du PSE différait de celle envoyée avec la convocation adressée aux membres du CHSCT, dès lors que ces modifications étaient « très clairement mentionnées » dans la nouvelle version et d’une importance relative [33].

À travers ces quelques exemples, le pragmatisme de l’autorité administrative et de son juge tranche avec l’état du droit préexistant à la LSE où la moindre irrégularité entrainait la suspension de l’élaboration du PSE. Pour autant, le contrôle pragmatique peut parfois bénéficier à l’effectivité de la procédure de concertation, comme en témoignent deux autres arrêts.

D’abord, le Conseil d’État a jugé que la circonstance que le comité ait rendu ses avis au-delà des délais préfixes est sans incidence sur la régularité de la procédure d’information et de consultation [34]. L’employeur peut ainsi laisser au CSE un délai plus long que les délais préfixes pour rendre son avis, et ce, afin de favoriser l’information et la consultation.

Ensuite, la Haute juridiction administrative a décidé que « même si, en cas de redressement ou de liquidation judiciaires, une seule réunion du comité d’entreprise est en principe prévue, le recours à l’expert, destiné à éclairer les représentants du personnel chargés de donner leur avis sur le PSE, justifie que le comité d’entreprise soit réuni une seconde fois afin de ne pas priver d’effet le recours à l’expertise » [35]. La règle spéciale de l’unicité de réunion du CSE dans les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire a été écartée, dans l’hypothèse où un expert est sollicité, et ce afin de garantir l’effectivité du recours à l’expertise [36].

Une question reste en suspens : jusqu’où peut aller le pragmatisme ?

III. Les limites au pragmatisme

Au-delà du fait que l’on défende les intérêts de l’employeur ou des salariés et de leurs représentants, le pragmatisme est limité en lui-même par le manque de prévisibilité juridique et, par conséquent, par l’insécurité juridique qu’il représente. En effet, il reste difficile de déterminer à l’avance ce qui relève, au nom du pragmatisme, d’une procédure licite ou illicite de consultation du CSE [37].

Trois propositions éviteraient que le pragmatisme aille trop loin.

Il y a d’abord l’effet utile de l’information et de la consultation issu du droit de l’Union [38], dont l’objet est de garantir l’effectivité du principe de participation. La difficulté tient au sens que l’on attribue à cet effet utile. À travers l’édification du contrôle pragmatique de la procédure de concertation, le Conseil d’État en a peut-être modifié le sens. Ce n’est ainsi plus tant l’effectivité du principe de participation qui compte que la régularité du processus décisionnel pris dans son ensemble. Pour reprendre les propos de deux auteurs, « l’effet utile ne vise plus tant à garantir l’effectivité des droits de participation qu’à assurer l’efficacité du dialogue social. Autrement dit, il n’est plus apprécié au regard des procédures de participation reconnues aux seuls travailleurs, mais au regard du processus décisionnel d’élaboration du PSE. Dans le premier cas, la finalité de la participation des salariés est la défense des intérêts face à l’employeur. Dans le second cas, elle s’inscrit dans une perspective institutionnelle, où l’employeur et les salariés concourent ensemble à prévenir les conséquences sociales des choix de gestion, dit-on, dans l’intérêt de l’entreprise » [39]. En outre, cette conception pragmatique de l’effet utile rejoint celle de la Cour de justice qui, certes, cherche à garantir une effectivité au principe de participation, mais, en même temps, accorde une certaine souplesse à l’employeur en lui permettant d’informer au fil de la procédure les représentants du personnel [40]. Il semblerait que l’effet utile, du moins l’interprétation qui en est faite par le Conseil d’État et la CJUE, soit en réalité en adéquation avec le contrôle pragmatique et, par conséquent, insuffisant pour délimiter ce dernier.

Il existe ensuite une autre limite au pragmatisme, en l’occurrence le principe du préalable à la décision de l’employeur. Le Conseil d’État a récemment rappelé que l’autorité administrative doit s’assurer que la « procédure [d’information et de consultation] a été menée à son terme avant toute mise en œuvre de la réorganisation projetée. […]. Il appartient à ce titre à l’administration de s’assurer […], qu’aucune décision de cessation d’activité ou de réorganisation de la société, expresse ou révélée par un acte quelconque, n’a été prise par l’employeur avant l’achèvement de la procédure d’information et de consultation » [41].

Si cette précision fait œuvre de bon sens, il est parfois difficile de situer le moment de la prise de décision de l’employeur par rapport à la procédure d’information et de consultation. En l’espèce, la société Auchan e-commerce France avait engagé une réorganisation comportant un projet de licenciement économique lié à la fermeture d’un de ses établissements à Marseille, qui avait abouti à l’homologation du document unilatéral portant PSE en septembre 2019. Les représentants du personnel soutenaient que l’employeur avait mis en œuvre de manière anticipée la fermeture de l’établissement, sans attendre la fin de la procédure d’information et de consultation du CSE et l’homologation du PSE. Ils ont invoqué deux circonstances. D’une part, un courrier envoyé plus de deux mois avant l’engagement de la procédure d’élaboration du PSE, courrier par lequel la société dénonçait le bail de location de ses locaux marseillais. D’autre part, la première réunion du CSE avait eu lieu le 20 mars 2019, soit environ une semaine avant le placement de plusieurs salariés en dispense d’activité [42].

Selon les juges du fond dont l’analyse est approuvée par le Conseil d’État, ni le courrier de renégociation du bail adressé au bailleur, ni le placement de salariés en dispense d’activité ne traduisaient une mise en œuvre anticipée de la fermeture de l’établissement, alors que les éléments de fait pouvaient laisser à penser que le projet de réorganisation était, sinon abouti, du moins bien avancé avant la fin de la procédure de consultation. Selon certains auteurs, le Conseil d’État n’aurait pas respecté le principe du préalable [43]. Ce n’est évidemment pas l’interprétation de l’administration qui considère qu’elle n’est pas compétente pour contrôler la renégociation anticipée par l’employeur du bail commercial de l’établissement concerné par le PSE [44].

Une dernière limite pourrait se situer dans l’obligation de loyauté. Cette obligation transparait en filigrane dans deux arrêts. Dans l’arrêt Heinz, le rapporteur public précisait déjà que « la loyauté de la consultation du comité d’entreprise, qu’on peut rattacher au principe constitutionnel de participation, implique que l’employeur dialogue avec le comité d’entreprise, réponde à ses demandes légitimes d’information et soit ouvert à ses propositions » [45]. Dans un autre arrêt dit « British Airways », même si l’obligation de loyauté n’est pas explicitement mentionnée [46], un auteur a relevé qu’à travers cette décision, « ce dont l’autorité administrative doit s’assurer dès lors, c’est que la direction de l’entreprise n’a pas eu de comportement déloyal ni usé de quelconques stratagèmes, liés ou non au calendrier de consultation, conduisant à altérer l’échange rationnel d’arguments » [47]. À l’instar de ce que l’on connaît actuellement en droit de la négociation collective, l’obligation de loyauté renforcerait l’effectivité de la procédure d’information et de consultation en matière de PSE et permettrait peut-être de freiner les excès du contrôle pragmatique de l’Administration du travail [48].


[1] C. trav., art L. 1233-30, I, 1° et 2° N° Lexbase : L8096LGX.

[2] C. trav., art. L. 1233-34, alinéa 4 N° Lexbase : L1444LKP.

[3] C. trav., art. L. 1233-30, I, dernier alinéa.

[4] CE, 4e-5e SSR, 7 décembre 2015, n° 383856, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6208NYL, SSL, 2015, n° 1704, p. 6, concl. G. Dumortier ; ibid., p. 10, note A. Fabre.

[5] C. trav., art. L. 1233-30, II, dernier alinéa.

[6] C. trav., L. 1233-35 N° Lexbase : L7292LHK.

[7] C. trav., art. L. 1233-57-5 N° Lexbase : L0642IX3.

[8] C. trav., art. L. 1233-57-6, alinéa 1er N° Lexbase : L8597LGI.

[9] C. trav., art. L. 1233-57-2, 1° N° Lexbase : L8609LGX.

[10] C. trav., art. L. 1233-57-3 N° Lexbase : L9460LHT.

[11] Loi n° 2021-1104, 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R.

[12] C. trav., art. L. 2312-8 N° Lexbase : L6660L7S.

[13] C. trav., art. L. 2312-17, alinéa 2 N° Lexbase : L6659L7R.

[14] C. trav., art. L. 2312-37 N° Lexbase : L1434LKC, L. 2312-39 N° Lexbase : L8272LGH et L. 2312-40 N° Lexbase : L8273LGI.

[15] En faveur d’une prise en compte des conséquences environnementales lors de la procédure d’information et de consultation en matière de PSE, v. not. F. Géa, La négociation des plans de sauvegarde de l’emploi, Lexbase Social, 23 novembre 2023, n° 965 N° Lexbase : N7437BZH ; Adde du même auteur, Procédure de licenciement collectif : quid des conséquences environnementales ?, RDT 2023, p. 553. Contra., v. not. A. Casado, Focus sur la consultation du CSE en matière de licenciement pour motif économique après la loi Climat et résilience, Bull. Joly Travail, février 2022, p. 39. Adde F. Géa, Droit du travail et écologie – Un défi pour le droit du travail, 2023 [5 podcasts disponible en suivant le lien] ; A. Casado, Le droit social à vocation environnementale (DSAVE), vecteur de durabilité de l’entreprise, LexisNexis, 1er janvier 2024.

[16] V. not. TA Cergy-Pontoise, 10 mars 2022, n° 2115613, JCP S, 2022, 1100, note A. Casado ; TA Montreuil, 2 mai 2022, n° 2202445 N° Lexbase : A330479A, JCP S, 2022, 1171, note A. Casado.

[17] C. trav., art. L. 1235-7-1 N° Lexbase : L0653IXH.

[18] H. Nason-Tissandier, L’appréciation des PSE par le juge administratif ou la quête d’efficacité, RJS, 2018, spéc. n° 16.

[19] Communiqué du Conseil d’État relativement aux arrêts Darty et Mory-Ducros du 7 décembre 2015 [en ligne].

[20] CE, 23 décembre 2011, n° 335033, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9048H8M.

[21] « Il ne va pas de soi d’étendre cette jurisprudence [Danthony] à une procédure interne à l’entreprise, dont seul l’employeur a véritablement la maîtrise et à l’égard de laquelle l’Administration n’a qu’un rôle de garant » : J. Dirringer et M. Sweeney, Les juges administratifs face au PSE : une logique de repli, Droit ouvrier, 2015, p. 378, spéc. p. 387.

[22] « Vous n’en faites pas moins preuve de votre pragmatisme habituel en matière de consultations. Les vices qui peuvent se produire dans son déroulement ne l’entachent d’irrégularité que s’ils ont empêché la procédure d’information et de consultation de remplir son objet, c’est-à-dire s’ils ont pu affecter le sens ou la portée de l’avis recueilli. C’est en quelque sorte à l’Administration que votre jurisprudence demande de “faire du D” (assemblée, 23 décembre 2011, n° 335033, p. 649) » : G. Dumortier, Conclusions sous CE., ass., 22 juillet 2015, Heinz, spéc. p. 9. Adde O. Dutheillet de Lamothe, Le contentieux des licenciements économiques devant le Conseil d’État (2013-2020), Bull. Joly Travail, novembre 2020, p. 38, spéc. p. 51.

[23] S.-J. LIEBER, Une appréciation globale de la procédure d’information-consultation du CE, SSL, 2016, n° 1720, p. 4.

[24] S.-L. GERBER, Bilan de la jurisprudence du Conseil d’État sur les PSE, JCP S, 2019, 1078, spéc. n° 4.

[25] CE, 4e-5e SSR, 21 octobre 2015, n° 385683, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0764NUT.

[26] CE, 4e-5e SSR, 7 décembre 2015, n° 383856, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6208NYL.

[27] C. trav., art. L. 1233-57-6, alinéa 2 N° Lexbase : L8597LGI.

[28] CE, 4e-5e SSR, 7 décembre 2015, n° 381307, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2052NZZ.

[29] « Cette appréciation de la régularité des échanges entre les acteurs sociaux est une illustration du pragmatisme dont font preuve l’administration et le juge administratif. S’ils n’imposent pas de formalisme rigide pour la réponse de l’employeur aux lettres d’observations, ils veillent à la communication des informations nécessaires au CSE » : G. Rudant, E. Castet, N. Gssime, L’administration, garante de la régularité et de la qualité du dialogue social et du PSE, Droit social, 2023, p. 857.

[30] CE, 4e-5e SSR, 23 mars 2016, n° 389158, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3885RA7, SSL 2016, n° 1720, p. 4, concl. S.-J. Lieber.

[31] C. trav., art. L. 1233-57-6, alinéa 1er N° Lexbase : L8597LGI. Adde CJUE, 13 juillet 2023, aff. C-134/22, N° Lexbase : A79011AU, RJS, 2023, note H. Nasom-Tissandier. La Cour de justice considère que l’obligation d’informer l’autorité publique en cas de licenciement collectif ne confère aucune protection individuelle aux travailleurs concernés.

[32] CE, 4e-5e ch. réunies, 10 juillet 2017, n° 398256, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2982WME.

[33] CE, 7 décembre 2015, n° 383856, op. cit.

[34] CE, 1e-4e ch. réunies, 17 avril 2019, n° 420780, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0388ZCD, RDT, 2019, p. 574, note F. Géa.

[35] CE, 1e-4e ch. réunies, 16 avril 2021, n° 426287, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A81474PG, SSL, 2021, n° 1957, p. 9, concl. F. Dieu ; Rev. proc. coll., n° 5, septembre-octobre 2021, comm. 140, D. Jacotot.

[36] « L’expertise serait privée de toute portée ou utilité si, […], l’on exigeait du comité qu’au cours d’une seule et même réunion, il désigne un expert et se prononce sur l’opération projetée et les mesures du PSE » : F. Dieu, Le recours à un expert diligenté par le CSE dans les entreprises en procédure collective, SSL, 2021, n° 1957, p. 9, spéc. p. 11.

[37] « Même si dix ans après la LSE, on dispose d’une jurisprudence étoffée […], déterminer, au cas par cas, si l’irrégularité est telle qu’elle empêche le comité de se prononcer en toute connaissance de cause n’est pas chose facile, loin de là » : P. Lockiec, Les PSE dix ans après la loi de sécurisation de l’emploi, Droit social, 2023, p. 862.

[38] « Les travailleurs ou leurs représentants doivent se voir garantir, aux niveaux appropriés, une information et une consultation en temps utile » : Charte des droits fondamentaux de l’UE, art. 27 ; Directive n° 2002/14/CE du Parlement et du Conseil, du 11 mars 2002, art. 2 N° Lexbase : L7543A8U.

[39] J. Dirringer et M. Sweeney, op. cit., spéc. p. 389. Adde H. Nason-Tissandier, op. cit., spéc. n° 16 : « par son appréciation globale, le juge administratif semble s’attacher davantage au “processus décisionnel” dans lequel se place l’information puis la consultation ».

[40] « La logique de [l’effet utile] est que l’employeur fournisse aux représentants des travailleurs les informations pertinentes tout au long des consultations. Une souplesse est indispensable, étant donné, d’une part, que ces renseignements peuvent ne devenir disponibles qu’à des moments différents du processus de consultation, ce qui implique que l’employeur a la possibilité et l’obligation de les compléter en cours de ce processus. D’autre part, l’objectif de cette obligation de l’employeur est de permettre aux représentants des travailleurs de participer au processus de consultation aussi complètement et effectivement que possible » : CJCE, 10 octobre 2009, aff. C-44/08, N° Lexbase : A8894EKM, spéc. § 53, RDT, 2010, p. 285, note S. Vernac.

[41] CE, 1e-4e ch. réunies, 15 novembre 2022, n° 444480, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A28128TC, RJS, 2023, concl. R. Chambon ; D. actualité, 30 novembre 2022, note L. Malfettes.

[42] Sa dernière réunion s’était tenue le 30 juillet 2019, un mois après l’échéance théorique du bail d’établissement, date finalement repoussée à la demande de l’administration.

[43] « Alors que le CSE expliquait qu’un faisceau d’indices permettait de considérer que la décision de cesser l’activité avait été prise avant la fin de la consultation (dénonciation du bail sans rechercher d’autres locaux, dispense d’activité des salariés, ventes en ligne complètement résiduelle…), s’appuyant sur le fait que la cessation effective était intervenue seulement après la date prévue pour la consultation de l’instance, il a jugé que le CSE avait été mis en mesure de formuler ses avis “dans des conditions qui n’étaient pas susceptibles d’avoir faussé sa consultation”…faisant fi du principe d’antériorité, lequel impose que la consultation précède la décision (et non seulement sa mise en œuvre) » : J. Krivine et S. Bernard, Les compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en matière de PSE, Lexbase Social, décembre 2022, n° 927 N° Lexbase : N3539BZ4.

[44] [en ligne]. L’administration ajoute toutefois qu’« a contrario, si l’administration est saisie par le CSE par injonction avant l’achèvement de la procédure d’information-consultation, d’une information tendant à la mise en œuvre anticipée du PSE par l’employeur, elle doit opérer son contrôle et s’assurer que cette action n’entache pas le PSE d’une irrégularité ».

[45] Concl. G. Dumortier, sous CE, ass. plén., 22 juillet 2015, spéc. p. 9.

[46] CE, 22 mai 2019, n° 420780, op. cit.

[47] F. Géa, Le sens de la procédure (en matière de PSE). À propos de l’arrêt British Airways, RDT, 2019, p. 574.

[48] « [La DREETS] insiste sur l’intérêts des négociations avec les syndicats, la loyauté et la qualité des échanges d’informations avec le CSE » : G. Rudant, E. Castet, N. Gssime, op. cit.

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