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par Fabrizio Papa Techera, Membre du Directoire Lexbase, Directeur Produit & Innovation
le 04 Décembre 2024
Nous avons l’honneur, dans ce dossier spécial IA de la revue Lexbase Avocats, d’avoir reçu la contribution de certains des plus grands spécialistes de l’IA appliquée au Droit, qu’ils soient professionnels du droit ou professionnels de l’algorithmie informatique.
C’est bien là la spécificité de ce numéro : l’idée n’était pas de faire un traitement juridique de la question de l’intelligence artificielle (avec la réglementation autour de l’IA Act ou du RGPD), mais au contraire, d’en faire un traitement pragmatique, fonctionnel, avec tous ceux qui mettent en place et utilisent les outils d’IA destinés aux professionnels du Droit et aux justiciables.
Il s’agit là d’un pluralisme inédit des points de vue de ceux qui font l’IA appliquée au Droit : Législateur, Magistrats, Avocats, Juristes, Direction des systèmes d’information, Data Scientists, etc.. Avec leurs espoirs, leurs interrogations, leurs tâtonnements et leurs succès au quotidien.
Notre parti pris est de considérer que ce sont autant les fonctionnalités pensées par les professionnels du Droit (i), les avancées technologiques proposées par les informaticiens (ii), que la réglementation qui encadre ces innovations (iii) qui feront le quotidien de la pratique juridique de demain.
Or, le Droit comporte de nombreuses spécificités qui lui sont propres et consubstantielles (et qui rendent cette tâche ardue), parmi lesquelles :
De surcroît s’ajoutent les spécificités de l’intelligence artificielle :
Ensuite, il convient de marier l’ensemble de ces spécificités, d’une manière à la fois holistique et rigoureuse. Facile à dire. Dur à faire.
J’aime à le rappeler : It takes two to Tango. La Technologie et le Droit. Sans qu’il y ait de réel guideur/leader ou de suiveur/follower. Il s’agit là d’un dialogue incessant entre l’un et l’autre qui s’enrichissent mutuellement.
Sur cette base, tous les contributeurs de ce numéro reviennent sur plusieurs constats communs :
Côté professionnels du Droit
La clé résidera dans la formation : savoir utiliser l’outil. Savoir poser de bonnes questions dans l’outil. Savoir poser les bonnes questions sur l’outil avant de l’utiliser. Et ainsi, en connaître les avantages et les limites.
Je rajouterais un point clé : ne pas externaliser son « cœur de métier », à savoir le raisonnement juridique. Il est souvent dit que l’utilisateur de l’IA doit savoir « prompter » (ou poser une bonne question à l’IA) et vérifier la réponse de l’IA. Mais, ce faisant, on oublie l’essentiel : construire soi-même le raisonnement juridique et se l’approprier. Ce point sera d’autant plus important pour les nouvelles générations qui seront native IA.
Dans tous les cas, pour l’utilisateur, s’il y a un risque à utiliser l’intelligence artificielle, il y a aussi un risque à ne pas l’utiliser. Et à se faire distancer par d’autres pratiques qui l’auraient adoptée.
Côté concepteur du produit d’intelligence artificielle
L’objectif est de garder en tête les spécificités du Droit en ayant une forte expertise métier.
Les choix du concepteur seront nombreux, parmi lesquels :
En tout état de cause, il s’agit toujours de sécuriser les pratiques de l’utilisateur et de ne pas préempter ses choix.
Côté législateur
Le législateur a la lourde tâche de réglementer au plus vite ces technologies qui évoluent de jour en jour. Sans pour autant être trop précis, car justement, ces évolutions sont rapides et l’innovation ne doit pas être contrainte dans un cadre trop strict.
En outre, la législation ne peut se cantonner au plan national. Les problématiques de l’Intelligence artificielle, à l’instar de celles de l’environnement ou de la prolifération des armes, exigent une coordination mondiale.
À ce stade, la priorité doit être déjà d’inciter les utilisateurs et éditeurs à conserver de bonnes pratiques, dans ce qui pourrait être un nouveau far west sans aucune ligne directrice : piratage de données, fin du monopole pour rédiger des consultations et des actes juridiques pour les avocats, justice prédictive, etc..
Au demeurant, si les innovations avancent vite, il faut raison garder :
Rien de tout cela ne s’est avéré dans la réalité. Si on regarde l’évolution de la profession d’avocat, chaque année, le France compte plus d’avocats. Avec une proportion assez stable entre ceux qui tirent des revenus conséquents de leur profession et ceux qui n’y arrivent pas. Ces derniers auront d’ailleurs encore plus de difficulté à s’équiper d’outils d’intelligence artificielle dédiés au Droit.
C’est pourquoi, la principale question qui doit se poser est bien celle de l’égalité des armes et de la fracture numérique : au sein d’une profession juridique mais aussi, entre les professions juridiques.
Nul doute que Lexbase est pionnier sur ce sujet en permettant à 42 000 avocats en France d’accéder à une bibliothèque virtuelle incluant les fonctionnalités d’IA dans le cadre de contrats mutualisés avec plus de 100 barreaux en France. C’est aussi le cas pour les élèves avocats et les auditeurs de l’ENM.
C’est ainsi qu’une petite structure d’avocat en région pourra accéder exactement aux mêmes fonctionnalités d’intelligence artificielle que des structures importantes parisiennes.
Et c’est dans ce cadre que cette technologie, à l’instar du fax, du mail, du moteur de recherche, ou de toute autre innovation, permettra à tous d’échanger et de traiter plus de données. Ce qui n’est pas illogique puisque les données juridiques sont de plus en plus complexes et nombreuses. Et puisque les domaines du droit interagissent toujours plus entre eux.
Enfin, rappelons-nous que les prophètes de la technologie sont souvent très positifs sur l’avancée de leurs propres innovations. Ne serait-ce que pour lever des millions ou des milliards d’euros. C’est ainsi qu’en 2009, "Uber" prévoyait l’avènement de la conduite autonome et la fin des chauffeurs pour 2016. On en est encore loin. Car la technologie, dès qu’elle touche un secteur vital pour l’homme, n’a pas le droit à l’erreur ou à l’approximation. Et c’est aussi l’exigence qui doit s’appliquer aux technologies qui touchent au droit : il en va du bon fonctionnement de la justice et de la démocratie.
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