Lexbase Avocats n°353 du 5 décembre 2024 : Intelligence artificielle

[A la une] Décryptage de l'IA appliquée au Droit - Éditorial

Lecture: 7 min

N1119B3T

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[A la une] Décryptage de l'IA appliquée au Droit - Éditorial. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/113435744-a-la-une-b-decryptage-de-lia-appliquee-au-droit-b-editorial
Copier

par Fabrizio Papa Techera, Membre du Directoire Lexbase, Directeur Produit & Innovation

le 04 Décembre 2024

Nous avons l’honneur, dans ce dossier spécial IA de la revue Lexbase Avocats, d’avoir reçu la contribution de certains des plus grands spécialistes de l’IA appliquée au Droit, qu’ils soient professionnels du droit ou professionnels de l’algorithmie informatique.

C’est bien là la spécificité de ce numéro : l’idée n’était pas de faire un traitement juridique de la question de l’intelligence artificielle (avec la réglementation autour de l’IA Act ou du RGPD), mais au contraire, d’en faire un traitement pragmatique, fonctionnel, avec tous ceux qui mettent en place et utilisent les outils d’IA destinés aux professionnels du Droit et aux justiciables.

Il s’agit là d’un pluralisme inédit des points de vue de ceux qui font l’IA appliquée au Droit : Législateur, Magistrats, Avocats, Juristes, Direction des systèmes d’information, Data Scientists, etc.. Avec leurs espoirs, leurs interrogations, leurs tâtonnements et leurs succès au quotidien.

Notre parti pris est de considérer que ce sont autant les fonctionnalités pensées par les professionnels du Droit (i), les avancées technologiques proposées par les informaticiens (ii), que la réglementation qui encadre ces innovations (iii) qui feront le quotidien de la pratique juridique de demain.

Or, le Droit comporte de nombreuses spécificités qui lui sont propres et consubstantielles (et qui rendent cette tâche ardue), parmi lesquelles :

  • Le Droit doit respecter le syllogisme : il doit toujours revenir à la source, que ce soit un texte ou une décision de justice. Cette source est considérée à l’aune de la hiérarchie des normes. Cette source doit être intègre (elle doit exister et ne doit pas être modifiée), elle doit être culturellement adaptée à notre système juridique et, si possible, elle doit être en vigueur.
  • Le Droit est un langage structuré. À la fois souple pour que ses concepts englobent la complexité de la vie sociale humaine. Et précis, puisqu’en Droit, le diable est dans le détail.

De surcroît s’ajoutent les spécificités de l’intelligence artificielle :

  • Il s’agit d’une science probabilistique (et parfois péremptoire) qui s’applique à la donnée qu’on lui demande de traiter. Concrètement, en Droit, la donnée juridique est une donnée sémantique. Son traitement est bien plus complexe que celui de l’image, du son ou du chiffre. Aussi, l’IA va prévoir le mot suivant le plus probable, ce qui ne constitue en rien une vérité, mais simplement une probabilité en fonction des algorithmes et des données d’entrainement.
  • La donnée juridique s’appuie sur 3 grandes typologies de sources :
    • La donnée publique (textes de loi, décisions de justice, etc.) ;
    • La donnée privée de l’éditeur (ouvrages, revues, infographies, etc.) ; et
    • La donnée privée du professionnel du droit (contrat, consultations, etc.).

Ensuite, il convient de marier l’ensemble de ces spécificités, d’une manière à la fois holistique et rigoureuse. Facile à dire. Dur à faire.

J’aime à le rappeler : It takes two to Tango. La Technologie et le Droit. Sans qu’il y ait de réel guideur/leader ou de suiveur/follower. Il s’agit là d’un dialogue incessant entre l’un et l’autre qui s’enrichissent mutuellement.

Sur cette base, tous les contributeurs de ce numéro reviennent sur plusieurs constats communs :

Côté professionnels du Droit 

La clé résidera dans la formation : savoir utiliser l’outil.  Savoir poser de bonnes questions dans l’outil. Savoir poser les bonnes questions sur l’outil avant de l’utiliser. Et ainsi, en connaître les avantages et les limites.

Je rajouterais un point clé : ne pas externaliser son « cœur de métier », à savoir le raisonnement juridique. Il est souvent dit que l’utilisateur de l’IA doit savoir « prompter » (ou poser une bonne question à l’IA) et vérifier la réponse de l’IA. Mais, ce faisant, on oublie l’essentiel : construire soi-même le raisonnement juridique et se l’approprier. Ce point sera d’autant plus important pour les nouvelles générations qui seront native IA.

Dans tous les cas, pour l’utilisateur, s’il y a un risque à utiliser l’intelligence artificielle, il y a aussi un risque à ne pas l’utiliser. Et à se faire distancer par d’autres pratiques qui l’auraient adoptée.

Côté concepteur du produit d’intelligence artificielle 

L’objectif est de garder en tête les spécificités du Droit en ayant une forte expertise métier.

Les choix du concepteur seront nombreux, parmi lesquels :

  • Utiliser une IA généraliste ou utiliser une IA pensée et entrainée pour chaque typologie de contenu (différente pour les textes de loi, les décisions de justice, les ouvrages… comme les règles d’un moteur de recherche) ;
  • Utiliser une IA open source (où on maîtrise le code et le choix des serveurs) ou une IA privée (de type Open AI, prête à l’usage) ;
  • Utiliser les données publiques, les données éditoriales et/ou les données privées des utilisateurs, etc.. Ce dernier point montre d’ailleurs une convergence naissante des fonctionnalités entre les Legaltechs, les éditeurs juridiques et les éditeurs de logiciel métier (CRM, ERP).

En tout état de cause, il s’agit toujours de sécuriser les pratiques de l’utilisateur et de ne pas préempter ses choix.

Côté législateur 

Le législateur a la lourde tâche de réglementer au plus vite ces technologies qui évoluent de jour en jour. Sans pour autant être trop précis, car justement, ces évolutions sont rapides et l’innovation ne doit pas être contrainte dans un cadre trop strict.

En outre, la législation ne peut se cantonner au plan national. Les problématiques de l’Intelligence artificielle, à l’instar de celles de l’environnement ou de la prolifération des armes, exigent une coordination mondiale.

À ce stade, la priorité doit être déjà d’inciter les utilisateurs et éditeurs à conserver de bonnes pratiques, dans ce qui pourrait être un nouveau far west sans aucune ligne directrice : piratage de données, fin du monopole pour rédiger des consultations et des actes juridiques pour les avocats, justice prédictive, etc..

Au demeurant, si les innovations avancent vite, il faut raison garder :

  • En 2017, les avocats me demandaient s’ils allaient disparaitre avec l’IA ;
  • En 2022, les avocats me demandaient si les éditeurs allaient disparaitre avec l’IA ;
  • Aujourd’hui, ils me demandent si les logiciels métier qui gèrent leurs documents vont disparaître.

Rien de tout cela ne s’est avéré dans la réalité. Si on regarde l’évolution de la profession d’avocat, chaque année, le France compte plus d’avocats. Avec une proportion assez stable entre ceux qui tirent des revenus conséquents de leur profession et ceux qui n’y arrivent pas. Ces derniers auront d’ailleurs encore plus de difficulté à s’équiper d’outils d’intelligence artificielle dédiés au Droit.

C’est pourquoi, la principale question qui doit se poser est bien celle de l’égalité des armes et de la fracture numérique : au sein d’une profession juridique mais aussi, entre les professions juridiques.

Nul doute que Lexbase est pionnier sur ce sujet en permettant à 42 000 avocats en France d’accéder à une bibliothèque virtuelle incluant les fonctionnalités d’IA dans le cadre de contrats mutualisés avec plus de 100 barreaux en France. C’est aussi le cas pour les élèves avocats et les auditeurs de l’ENM.

C’est ainsi qu’une petite structure d’avocat en région pourra accéder exactement aux mêmes fonctionnalités d’intelligence artificielle que des structures importantes parisiennes.

Et c’est dans ce cadre que cette technologie, à l’instar du fax, du mail, du moteur de recherche, ou de toute autre innovation, permettra à tous d’échanger et de traiter plus de données. Ce qui n’est pas illogique puisque les données juridiques sont de plus en plus complexes et nombreuses. Et puisque les domaines du droit interagissent toujours plus entre eux.

Enfin, rappelons-nous que les prophètes de la technologie sont souvent très positifs sur l’avancée de leurs propres innovations. Ne serait-ce que pour lever des millions ou des milliards d’euros. C’est ainsi qu’en 2009, "Uber" prévoyait l’avènement de la conduite autonome et la fin des chauffeurs pour 2016. On en est encore loin. Car la technologie, dès qu’elle touche un secteur vital pour l’homme, n’a pas le droit à l’erreur ou à l’approximation. Et c’est aussi l’exigence qui doit s’appliquer aux technologies qui touchent au droit : il en va du bon fonctionnement de la justice et de la démocratie.

newsid:491119

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus