Réf. : CA Douai 28 septembre 2023, n °22/02664 N° Lexbase : A43641ML
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N7700BZ9
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par Sébastien Racine, Commissaire de justice associé, Membre du comité scientifique de la revue Lexbase Contentieux et Recouvrement, Intervenant à l’ENM, EFB et Emmanuel Laurentin, Expert Judiciaire près la cour d’appel de Paris, Manager, Forensic Services (France)
le 13 Décembre 2023
Mots-clés : constat • ordonnance • expert informatique • huissier de justice • commissaire de justice • impartialité • indépendance • relation d’intérêt privé
Le commissaire de justice et l'expert informatique, une exigence renforcée d'indépendance et d'impartialité. Dans une affaire classique de concurrence déloyale, la partie ayant subi les attaques de son ancien employeur a cherché à faire reconnaître son préjudice découlant de la dépendance apparente et de la partialité présumée du commissaire de justice et de l'expert informatique, tous deux intervenus à diverses étapes du dossier.
Contredisant la décision des juges de première instance, la cour d'appel de Douai s'est prononcée sur la base de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Elle a ainsi conclu à l'existence d'une relation d'intérêts privés entre la partie requérante et les deux intervenants, auxiliaires de justice, induisant une apparence de partialité, et prononcé la nullité de certains de leurs actes.
L'arrêt que nous examinons aujourd'hui porte sur des faits plutôt classiques, mais il se distingue par l'analyse peu conventionnelle de l'indépendance et de l'objectivité du duo commissaire de justice [1] / expert informatique en matière de constat sur ordonnance.
Dans cette affaire, une société a employé deux collaborateurs, l'un en tant que responsable informatique et l'autre en tant qu'attaché commercial, pendant près de cinq ans. Ces employés ont quitté l'entreprise à quelques mois d'intervalle. La société a constaté une baisse d'activité dans le secteur spécifique dont l'un des employés était responsable. Simultanément, elle a découvert que ce dernier était le président et associé unique d'une société concurrente dans le même secteur.
Conformément aux pratiques habituelles, la société a engagé un expert informatique pour effectuer des analyses. Ces analyses ont révélé l'existence d'une règle de redirection des courriels professionnels de l'un des employés vers une adresse non professionnelle. De plus, une copie du disque dur de l'ordinateur professionnel de l'un des employés a été effectuée et scellée par un commissaire de justice.
Ensuite, la société a sollicité une ordonnance auprès de la juridiction compétente pour des mesures d'instruction à venir le 18 janvier 2018. En raison de la pluralité des personnes visées par les mesures, la société a eu recours aux services de trois huissiers de justice, y compris celui qui avait dressé le procès-verbal du constat sur la copie du disque dur. Après la collecte d'informations, des rapports techniques ont été établis par l'expert informatique de la société.
Armée de nouveaux éléments de preuve, la société a intenté une action en justice pour réparer le préjudice qu'elle estimait avoir subi. Une décision favorable en première instance a été rendue, validant les opérations de constat ayant permis l'acquisition des preuves nécessaires. Cependant, estimant avoir été lésée par la mise hors de cause de l'un de ses opposants et ne pas avoir été indemnisée à hauteur du préjudice qu’elle estimait avoir subi, la société a décidé de faire appel de la décision.
C'est dans ce contexte que la cour d'appel de Douai a été saisie pour réexaminer ce litige. Sans entrer dans les détails de l'affaire, il est intéressant de se pencher sur le traitement réservé au procès-verbal du constat d'huissier de justice dressé sur ordonnance par le même officier public déjà intervenu en phase précontentieuse, ainsi qu’au rapport technique de l'expert informatique dont les deux interventions semblent se situer avant et après les opérations sur ordonnance.
En effet, bien que validés en première instance, ces deux éléments de preuve essentiels ont fait l'objet d'un nouvel examen par les magistrats du second degré. Ils ont décidé d'écarter ces éléments des débats en raison d'un « doute raisonnable et objectivement justifié sur leur impartialité et leur indépendance ». Pour se faire, ils se fondent sur l’existence d’une apparente relation d'intérêt privé entre ces deux intervenants et la société requérante, résultant de leur intervention précontentieuse.
Si la solution adoptée est identique pour les deux intervenants, l’appréciation de l’opportunité de cette décision doit, semble-t-il faire l’objet d’un traitement distinct entre, d’une part, le commissaire de justice (I) et, d’autre part, l’expert (II).
I. Le commissaire de justice, tiers de confiance, à l’épreuve de la relation d’intérêt privé
En tant qu'officier public et ministériel, le commissaire de justice est assujetti à des règles statutaires qui encadrent ses interventions [2]. En tant qu'agent assermenté, il s'engage à respecter un code de conduite moral qui complète ces règles [3].
La réalisation de constatations, même sur autorisation judiciaire, doit répondre à trois critères fondamentaux : des constatations purement matérielles, l'impartialité et l'indépendance (A). Dans l'arrêt en question, la cour d'appel établit un cadre d'appréciation qu'elle souhaite objectif en ce qui concerne ces deux derniers critères, mettant en avant l’existence d’une apparence de partialité et de dépendance (B).
A. La règle des constatations purement factuelles, garantie d’indépendance et d’impartialité
1) Un cadre général visant à rendre le commissaire de justice, par nature, indépendant et impartial
L'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 N° Lexbase : L8061AIE, à son article 1er[4], énonce que les huissiers de justice peuvent effectuer des constatations purement matérielles, excluant tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en découler. L'acte en résultant doit également être dépourvu de toute opinion personnelle ou interprétation. On en déduit donc une obligation de résultat, pour l'huissier de justice, de garantir l'objectivité du contenu de son acte et, par extension, son impartialité.
Afin de respecter cette exigence, il doit maintenir son indépendance vis-à-vis de son client et, de manière générale, des parties concernées. Sa déontologie professionnelle lui impose cette obligation, comme l’énonce l'article 1er du Règlement déontologique national, sous peine de sanctions disciplinaires.
Pour ces raisons, il est expressément interdit au commissaire de justice d'instrumenter pour le compte de sa famille, et dans de tels cas, il doit systématiquement refuser son concours. L'article 35, alinéa 3, de ladite ordonnance prévoit également que « l'huissier de justice ne peut agir pour le compte de clients dont les intérêts sont opposés ni dans un contexte tel que son indépendance professionnelle pourrait être mise en cause ». Si la première partie de cet alinéa ne nécessite pas de commentaires particuliers, la seconde semble recouvrir la notion de relation d’intérêt privé, sans toutefois en préciser clairement les contours.
Naturellement, il est possible d'écarter d'emblée l'idée selon laquelle l’existence d’une relation d’intérêt privé serait liée à un critère économique, étant donné que le commissaire de justice est inévitablement rémunéré pour ses services.
2) Le constat sur ordonnance, une cadre stricte et contrôlé pour l’intervention du commissaire de justice
Lorsqu'il est commis par la justice, son action se trouve soumise à des directives spécifiques émises par le magistrat dans l'ordonnance, venant s’ajouter aux règles précédemment évoquées. C’est ainsi qu’il voit sa mission délimitée dans l’espace et le temps. Par ailleurs, l’ordonnance encadre rigoureusement les opérations matérielles, précisant de manière restrictive les personnes autorisées à l'assister.
Afin d'éviter une amplitude excessive et une imprécision dans la réalisation des opérations nécessaires à l'établissement de la preuve, l'ordonnance fixe souvent des paramètres détaillés, définissant les supports et le cadre des recherches en imposant l’utilisation de mots-clés ainsi qu'une période temporelle spécifique. Des mesures préventives sont également mises en place pour sauvegarder la vie privée, le secret des affaires et la confidentialité des échanges de la partie faisant l'objet de la saisie, en particulier avec son avocat.
L’indépendance et l’impartialité du commissaire de justice sont ainsi garanties dans la mise en œuvre de sa mission, grâce à une marge de manœuvre strictement définie. De plus, afin d’assurer le respect du contradictoire, il est tenu de consigner de manière exhaustive et précise toutes les opérations dans un procès-verbal communiqué aux parties.
Ainsi le risque d’instrumentalisation est circonscrit du fait de la fixation précise de la mission, et la possibilité de demander la rétractation de l'ordonnance. De plus, l'article 153-1 du Code de commerce N° Lexbase : L7371LPP introduit une mesure supplémentaire de protection temporaire en instaurant un séquestre de droit pour préserver le secret des affaires et permettre à la partie qui subit la mesure d’agir tout en étant assurée que les éléments récupérés ne seront accessibles que sous certaines conditions.
En réalité, il est possible d’ajouter aux garanties ci-dessus, l'obligation statutaire du commissaire de justice de se limiter à des constatations purement matérielles. Toutefois, il peut être amené à trier les documents en fonction de critères objectifs définis par l'ordonnance, notamment pour évaluer leur caractère personnel, couvert par le secret professionnel, ou leur pertinence par rapport au litige en cours. Ce tri, souvent dépourvu de critères clairs, impose à l’agent instrumentaire une forme d’interprétation des pièces. Sa connaissance approfondie du dossier, acquise notamment par la lecture de la requête, de l'ordonnance et des pièces, lui permet de mener à bien sa mission conformément à l'ordonnance, mais l'oblige en quelque sorte à dépasser le rôle de simple constatant.
À ce titre, il convient de souligner que la nature des éléments recueillis au cours de ces opérations est régulièrement contestée, nécessitant l'appréciation souveraine des juges du fond pour résoudre les différends entre les parties.
B. L’apparence de relation d’intérêt privé, élément de nature à remettre en cause l’impartialité du commissaire de justice
La cour d'appel apporte une nouvelle perspective à la question de l'appréciation de l'indépendance du commissaire de justice (1), mettant en retrait les qualités intrinsèques de cette profession (2).
1) Appréciation objective de l’indépendance : la notion de relation d’intérêts privés
Les magistrats saisis d'une demande d'invalidation des constats dressés par un commissaire de justice intervenu en phase précontentieuse et au cours des opérations in futurum, ont fondé leur décision sur l'exigence d'un procès équitable, conformément à l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR.
L'arrêt rappelle divers textes relatifs aux cas d'empêchement pour le commissaire de justice d'intervenir [5], à la nullité de fond [6], ainsi qu'à l'exigence d'objectivité et d'impartialité du technicien commis en justice pour procéder à des constatations [7]. Deux arrêts de la Cour de cassation sont cités, soulignant l'obligation statutaire d'impartialité et d'indépendance de l'huissier de justice.
De ces éléments, la cour vient alors mettre en avant principe selon lequel tout huissier de justice intervenant pour le compte d'une société dans le cadre d'un constat précontentieux ne peut participer à une opération in futurum visant à obtenir des éléments de preuves dans le même dossier. Cette intervention successive étant considérée comme susceptible de compromettre immédiatement et irrémédiablement sa neutralité dans l'affaire, créant ainsi une apparence de partialité et de dépendance.
La notion de relation d'intérêt privé, évoquée dans ce contexte, semble se rapprocher de la notion de communauté d'intérêts, soulignant les obligations déontologiques et professionnelles de l'officier instrumentaire. Toutefois, dans le cadre de la relation d'intérêt privé, elle apparaît comme une conséquence à la première intervention amiable du commissaire de justice. En conséquence, cette qualification de relation d'intérêt privé conduit naturellement à la reconnaissance d'un vice de fond affectant la validité des constatations, en vertu de l'article 117 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1403H4Q, en considérant que l'atteinte au principe du contradictoire est suffisamment grave [8].
2) Les limites de l’appréciation objective : la qualité et la mission du commissaire de justice
Cette appréciation objective des juges est de nature à priver d’effet les qualités intrinsèques reconnues à la fonction de commissaire de justice et nier le caractère normatif de la mission qui lui incombe lorsqu’il est commis sur décision de justice.
Comme exposé précédemment, lorsqu’il agit en tant que constatant, il doit demeurer indépendant et impartial, en se limitant à des constatations purement matérielles. Cependant, l'arrêt en question ne semble pas s’appesantir sur contenu des procès-verbaux. L'indépendance et l'impartialité, pouvant découler de constatations purement matérielles, semblent s’effacer face à la simple apparence de partialité et de dépendance tirée d'une relation courante entre le commissaire de justice et un justiciable qui le mandate, pourtant, dans le respect de ses obligations statutaires. À ce titre, il est étonnant que malgré la citation de l'article interdisant au commissaire de justice d'instrumenter pour ses proches, aucun lien spécifique n'est évoqué pour établir une violation de cette interdiction.
Par ailleurs, l’intervention d’un commissaire de justice au stade de la réalisation d’une copie du disque dur, et de manière moins certaine au moment de la mise en avant d’éléments susceptibles d’éclairer le magistrat saisit sur requête, peut sembler indifférente pour apprécier son degré de connaissance du dossier par rapport à un de ses confrères saisit seulement au stade de l’ordonnance. En effet, dans les deux cas, le commissaire de justice instrumentaire aura connaissance des éléments du dossier que lui sont transmis au moment de saisine, à savoir : la requête, l’ordonnance et les pièces. Ainsi la seule apparence d’une perte de neutralité est sanctionnée. De plus, il n’est pas rare qu’un commissaire de justice pour un même litige intervienne de manière amiable à plusieurs reprises. Il serait étonnant de prévoir à peine de nullité la saisine d’un nouvel commissaire de justice pour chaque nouvel acte alors que sa mission le cantonne à des constatations matérielles qui sont par essence purement objective et donc indépendante de la personne du constatant.
Concernant les échanges verbaux que le commissaire de justice primo-intervenant pourrait avoir avec la société requérante, de nature à l’éclairer sur le dossier, là encore la pratique veut qu’une réunion préparatoire soit organisée entre l’officier instrumentaire de l’ordonnance et la société requérante afin de recueillir toute précision sur le dossier, notamment lorsqu’il s’agit pour celui-ci de procéder à un tri au cours des opérations.
Ensuite, au cours des opérations, la maîtrise intellectuelle et matérielle des constatations est dévolue au seul commissaire de justice qui ne peut dépasser les termes de l’ordonnance sous peine de sanction. Il semble donc difficile pour le commissaire de justice qui respecte scrupuleusement l’ordonnance d’être partial puisque sa mission n’est pas dictée par son libre arbitre. Dans notre cas d’espèce, il n’est pas invoqué de manière sérieuse le dépassement de mission du commissaire de justice dont le constat est annulé. En revanche, les circonstances selon lesquelles l’huissier de justice aurait commis une faute, ou encore violé le séquestre pour permettre à l’expert de rédiger un rapport sont de nature à remettre en cause l’impartialité et l’indépendance du commissaire de justice. Malheureusement la lecture de l’arrêt ne nous éclaire pas sur l’existence d’une faute, bien qu’elle soit évoquée dans les prétentions de la partie adverse.
S’il n’y a pas de faute, doit-on voir dans cet arrêt l’émergence d’une présomption de collusion frauduleuse ? La sanction de cette entente déloyale normalement rattachée à la violation de règles déontologiques et statutaires semble être ici appliquée sur le seul fondement de l’apparence. Cependant, l’espèce semble en partie dicter cette position des magistrats, ainsi que le rôle de l’expert, ce qui limiterait la portée de cette décision.
II. L’expert informatique, un auxiliaire de justice devant par essence objectivement impartial
L’expert informatique assistant le commissaire de justice instrumentaire dans le cadre de l’exécution d’une ordonnance sur requête est également tenu d’accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité, du moins c’est ce que semblent indiquer les magistrats de la cour d’appel.
La mission d’assistance effectuée par l’expert informatique obéit à un absolu impératif d’impartialité, dont la cour rappelle en l’espèce les conditions d’appréciation (A) et en étend le périmètre d’acception (B).
A. L’impartialité, mantra qui doit gouverner l’acceptation de sa mission par l’expert informatique
1) Rappel des circonstances de son intervention
Les experts informatiques, tout comme les commissaires de justice, sont fréquemment consultés par des entreprises (ou leurs conseils) qui estiment avoir été victimes de vol ou de destruction d’informations pouvant mener à des actes de concurrence déloyale de la part d’anciens collaborateurs.
Dans de telles situations, l’approche préconisée[9] consiste en la réalisation d’une mise sous-main d’un commissaire de justice, le plus en amont possible, des données susceptibles d’être analysées (idéalement lors de la restitution par ledit collaborateur des matériels professionnels tels que l’ordinateur, le téléphone…).
Des opérations de copies conservatoires sous le constat d’un commissaire de justice pourront ensuite être réalisées, permettant enfin la mise en place d'investigations qui pourront être menées par l’expert sur l’une des copies réalisées. Au terme de ces opérations, le commissaire de justice dressera un procès-verbal des constatations qu’il a pu réaliser, et l’expert rédigera une note technique détaillant ses résultats.
À la lumière de ces résultats, et face à la nécessité de récupérer d’autres éléments le cas échéant, il est alors possible de compléter la collecte de preuves par des mesures d’instruction basées sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1497H49. Cette collecte de preuves complémentaire, et coercitive, apparaît nécessaire lorsque les éléments récupérés préalablement sont insuffisants pour déterminer l’ampleur du préjudice, voire sa matérialité.
Pour emporter la conviction du magistrat à qui la requête est présentée, l’entreprise qui prétend être victime de concurrence déloyale (le requérant) présentera à ce dernier l’ensemble des éléments en sa possession (attestations de clients, des éléments comptables mettant en exergue une perte de chiffre d’affaires, le ou les constats du commissaire de justice dressés en amont, les notes techniques rédigées par le ou les experts). C’est ce schéma classique que la société requérante a suivi.
Sur la base des éléments ainsi présentés au sein de la requête, le magistrat pourra rédiger une ordonnance autorisant l’exécution de mesures d’instruction in futurum, précisant et définissant de manière stricte l’action du commissaire de justice instrumentaire et des intervenants qui l’assistent. Il est rare que le commissaire de justice instrumentaire soit désigné dans l’ordonnance, et encore plus rare que l’expert devant potentiellement prêter son concours y soit. Dès lors, la sélection du commissaire de justice instrumentaire est le plus souvent laissée à la discrétion du requérant. Quant à la sélection des intervenants devant l’accompagner, elle est bien souvent laissée à celle du commissaire de justice.
Il peut alors sembler logique pour le requérant de vouloir confier l’exécution de la mission à un commissaire de justice saisi initialement pour son litige. Il en va de même pour l’intervenant technique qui l’accompagne (expert informatique très souvent), qui, s’il a procédé à des analyses en amont se traduisant dans une note technique, sait précisément ce qui peut être recherché sur le matériel du requis (dès lors qu’il a pu, par exemple, mettre en évidence la copie desdits éléments depuis le matériel qu’il utilisait chez le requérant).
Toutefois, cet argument ne supporte que difficilement la critique dans la mesure où le duo Huissier/Technicien demande la communication de l’ordonnance, de la requête et des pièces pour les raisons évoquées ci-dessus. Par ailleurs, le technicien, s’il est expert judiciaire, devra naturellement refuser son concours, conformément à ses règles déontologiques.
2) Rappel du cadre d’intervention du technicien
a) Le cadre d’intervention de l’expert
Il n'est pas spécifiquement prévu de texte encadrant l’action des experts en informatique prêtant assistance aux commissaires de justice dans le cadre de l'exécution d'une ordonnance 145. En l’espèce, la cour applique l’article 237 du Code de procédure civile et l’assimile à un technicien commis par le juge. [10]
Toutefois, la situation de l’expert qui porte assistance au commissaire de justice instrumentaire est quelque peu différente, dans la mesure où il n’est pas nommé ou commis par le juge. Il est le plus souvent choisi par le commissaire de justice instrumentaire. Par ailleurs, il n’a pas pour mission d’apporter ses lumières sur une question de fait ; il doit porter assistance au commissaire de justice instrumentaire en se gardant bien de porter une quelconque forme d’appréciation. Rappelons-le, si l’action du commissaire de justice instrumentaire est strictement encadrée par les termes mêmes de l'ordonnance, ne lui laissant qu'une capacité d'interprétation marginale comme évoquée antérieurement, celle de l'expert l'est encore davantage, car ce dernier n'intervient qu'en assistance au commissaire de justice. Il ne peut prendre aucune initiative et ne peut que proposer des actions du commissaire de justice qui seul en déterminera la pertinence dans la seule optique de l'exécution pleine et entière de l'ordonnance.
b) Les spécificités liées à la nature de l’expert assistant commissaire de justice
Il convient ici de rappeler que le technicien appelé à assister le commissaire de justice instrumentaire n’est pas nécessairement un expert judiciaire sur liste, l’ordonnance prévoyant très rarement explicitement l’assistance d’un expert judiciaire. Toutefois, la circonstance que cet expert se trouve être judiciaire modifie le cadre d’intervention de ce dernier qui est en toutes circonstances soumis à une série de règles déontologiques définies au niveau des Compagnies d’experts.
Ces règles déontologiques encadrent bien évidemment la notion de conflit d’intérêts, ainsi celles édictées par le Conseil National des Compagnies d’Expert de Justice (CNCEJ) définissent en leur point IV le cadre des « Consultations privées de l’expert inscrit sur une liste ». Le point - 9) étant particulièrement éclairant pour la situation d’espèce :
« Dans le cas où l’expert est appelé à intervenir avant le début d’un procès ou avant la désignation d’un expert de justice, il lui est recommandé de bien préciser que son avis se rapportera à l’état des éléments et des pièces qu’il aura été amené à connaître à la date où il le donnera et d’inclure dans sa consultation un bordereau des pièces communiquées à cette occasion. En aucun cas, il ne peut ensuite accepter une mission d’expertise de caractère juridictionnel concernant la même affaire. ».
Les règles déontologiques de la Compagnie Nationale des experts de justice en informatique et techniques associées [11] vont dans le même sens.
Il apparaît à la lecture de ces règles que l’expert judiciaire sur liste sollicité pour prêter son concours à un commissaire de justice instrumentaire dans le cadre de l’exécution d’une ordonnance 145 ne doit pas accepter cette mission.
La cour précise dans cet arrêt que le respect de l’obligation d’impartialité des experts informatiques doit être apprécié de manière objective, ce qui la conduit en l’espèce à déclarer :
« Entretenaient avec elle (la société requérante) une relation d'intérêts privés, de nature à faire naître un doute raisonnable et objectivement justifié sur leur impartialité et leur indépendance. ».
C’est donc, comme pour le commissaire de justice, la seule suspicion de partialité et de dépendance que la Cour semble vouloir sanctionner en l’espèce. Cette interprétation n’aurait probablement pas été novatrice si l’expert était intervenu lors de l’exécution de l’ordonnance 145, toutefois, les circonstances de l’espèce diffèrent ce qui tend à élargir la portée de l’obligation mise à la charge de l’expert informatique.
B. L’interprétation large de l’obligation d’impartialité
Même si ses capacités d’initiative et d’interprétation sont nulles dans le cadre de sa mission d’assistance, l’expert informatique sur liste devra refuser son concours dès lors qu’il est déjà intervenu pour l’un des protagonistes dans un même litige, en raison de ses règles déontologiques.
Toutefois, notre cas d’espèce n’entre pas dans ce schéma. Ce que constate la Cour et qui constitue la manifestation objective d’un défaut d’indépendance et d’impartialité se résume pour l’expert sur une mission d’expert-conseil en août 2017 et une autre le 10 avril 2019. Il nous apparaît donc, à la seule lecture de la décision, que l’expert informatique n’est pas intervenu dans le cadre de l’exécution de l’ordonnance 145.
La cour d’appel fait donc interdiction à l’expert de partie, intervenu avant toute procédure au fond ou en référé, d’intervenir a posteriori pour quelque raison que ce soit.
Toutefois, il paraît peut-être prématuré de vouloir donner une valeur d’arrêt de principe à cette décision dans la mesure où un fait particulier sur lequel la cour d’appel n’a pas apporté beaucoup de précision a retenu notre attention et laisse à penser qu’il s’agit d’une décision d’espèce. Il est en effet avancé par la partie adverse une violation du séquestre des données ayant permis la rédaction de la note de l’expert informatique du 10 avril 2019. Ces comportements semblent clairement s’éloigner des bonnes pratiques et pourraient être considérés comme matérialisant un véritable conflit d’intérêts, ajoutant un élément concret à la simple suspicion telle qu’identifiée de manière objective par la cour d’appel.
[1] Depuis la fusion des professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur judiciaire, les anciens membres de ces deux professions ayant accomplis leur formation passerelle sont appelés depuis le 1er juillet 2022 commissaire de justice.
[2] Règlement nationale de Déontologie des huissiers de justice ; arrêté du 18 décembre 2018 portant approbation du règlement déontologique national des huissiers de justice N° Lexbase : L5385LNR.
[3] Article 35 décret n°75-770 du 14 août 1975 relatif aux conditions d'accès à la profession d'huissier de justice ainsi qu'aux modalités des créations, transferts et suppressions d'offices d'huissier de justice et concernant certains officiers ministériels et auxiliaires de justice N° Lexbase : Z45477RS : « Je jure de loyalement remplir mes fonctions avec exactitude et probité et d'observer en tout les devoirs qu'elles m'imposent ».
[4] Devenu l'article 8 de l'ordonnance n°2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice.
[5] Article 1 bis A de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 N° Lexbase : C64868TE.
[6] CPC, art. 117 N° Lexbase : L1403H4Q.
[7] CPC, art. 237 N° Lexbase : L1730H4T.
[8] Cass. Civ. 2, 24 novembre 1999, n° 97-10.572 N° Lexbase : A8914CIY.
[9] INFO790, Récupération du matériel informatique en fin de contrat de travail par l'intervention d'un commissaire de justice, Voies d'exécution N° Lexbase : X3953CQH.
[10] Articles 232 N° Lexbase : L1719H4G à 248 N° Lexbase : L1760H4X du Code de procédure civile.
[11] C.N.E.J.I.T.A : compagnie regroupant des experts judiciaires spécialisés dans le domaine de l’informatique.
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