Lexbase Contentieux et Recouvrement n°4 du 21 décembre 2023 : Voies d'exécution

[Le point sur...] La saisie des rémunérations : pour une nouvelle ère

Lecture: 28 min

N7627BZI

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Le point sur...] La saisie des rémunérations : pour une nouvelle ère. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/102265394-le-point-sur-la-saisie-des-remunerations-pour-une-nouvelle-ere
Copier

par Mylène Aressy, Juriste, Chambre nationale des commissaires de justice

le 26 Avril 2024

Mots-clés : exécution forcée renforcée • droits de la défense • droit à l’exécution forcée • efficacité • délais accélérés • modernité • nouvelle charge pour le commissaire de justice • dématérialisation • numérique • suppression du recours judiciaire préalable

Plus de trente ans plus tard, après la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution, la procédure de saisie des rémunérations rejoint enfin le droit commun des procédures civiles d’exécution avec la suppression de la phase de conciliation judiciaire préalable et de l’autorisation de la saisie par le juge. La réforme opère un jeu d’équilibriste contemporain en renforçant les droits du créancier par une meilleure attractivité de la procédure, et en préservant les droits et garanties du débiteur. La procédure est dynamisée et modernisée grâce à l’intervention du numérique dans sa mise en œuvre comme son déroulement. Le commissaire de justice est l’acteur de confiance de cette réforme il se voit confier le monopole de la charge de la répartition actuellement supportée par des tribunaux engorgés. L’autre objectif de cette réforme déjà amorcé dans la loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice, portant sur la simplification de la procédure civile est de recentrer le juge sur son cœur de métier et sur son office juridictionnel.


 

La loi n°2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 N° Lexbase : L2962MKW vient d’être publiée au Journal officiel ce 21 novembre 2023 : son article 47 touchant largement à la saisie des rémunérations est dès lors irrévocable.

C’est chose certaine, la nouvelle réforme de la saisie des rémunérations entrera en vigueur au plus tard le 1er juillet 2025 [1].

Une série de décrets interviendra prochainement pour préciser les modalités d’application de la mise en œuvre de cette nouvelle procédure.

Dans cette attente, retour sur cette réforme prometteuse.

I. Une réforme contemporaine de la saisie des rémunérations 

La réforme réaligne logiquement la saisie des rémunérations sur les autres procédures d’exécution (A) et fait place à une procédure efficace qui s’inscrit dans l’ère de la dématérialisation des procédures (B).

A. Une procédure réajustée au service du droit à l’exécution forcée

1) La sauvegarde des droits du créancier

Actuellement la procédure de saisie des rémunérations existante est jugée lente, complexe et peu efficace de sorte qu’elle n'intéresse peu les créanciers lesquels l’utilisent en dernier recours dans le processus de recouvrement.

Ce manque de résultat est regrettable, tant le droit à l’exécution forcée des décisions de justice est constitutionnellement et conventionnellement protégé.

Le Conseil constitutionnel estime que : « Toute société dans laquelle la garantie de droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ; qu’est garanti par cette disposition le droit des personnes à exercer un recours juridictionnel effectif qui comprend celui d’obtenir l’exécution des décisions juridictionnelles » [2].

Il affirme que : « le droit d’obtenir l’exécution d’une décision de justice fait partie intégrante du droit à un recours juridictionnel » [3] et sanctionne l’absence d’un droit effectif à l’exécution forcée sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen N° Lexbase : L1363A9D.

Au niveau conventionnel, si la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ainsi que ses protocoles additionnels ne font pas expressément du droit à l’exécution des décisions de justice un droit fondamental, la Cour européenne des droits de l’Homme l’a progressivement érigé comme tel.

L’arrêt de principe « Hornsby contre Grèce » en date du 19 mars 1997 [4] consacre implicitement le droit à l’exécution effective des décisions de justice dans un délai raisonnable sur le fondement de l’article 6, § 1, de la Convention N° Lexbase : L1370A9M. Il énonce que le droit à un procès équitable « serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie ».

La Cour a par la suite reconnu, de manière expresse l’existence d’un « droit à l’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit » [5].

Il en résulte qu’il pèse sur les États une obligation positive de mettre en place un système effectif, en pratique comme en droit, qui assure l’exécution des décisions judiciaires définitives entre personnes privées. La responsabilité des États peut se trouver engagée si les autorités publiques impliquées dans les procédures d’exécution manquent de diligences ou encore empêchent l’exécution [6].

Le droit à l’exécution du titre exécutoire dans un délai raisonnable bénéficie d’une protection européenne et nationale importante de sorte que l’État doit créer les conditions adéquates permettant à un créancier d’obtenir son dû. L’inefficacité des procédures nationales est sanctionnée.

La réforme de la saisie des rémunérations concourt à cet objectif. En supprimant le recours préalable au juge et en imposant des délais, elle devient plus rapide, allégée, et renforce le droit à l’exécution forcée des créanciers.

Elle instaure un nouveau moyen légal de contrainte opportun pour le créancier qui pourra prendre en compte cette nouvelle procédure dans sa stratégie de choix des poursuites et non plus la relayer à un second plan.

Dans sa récente décision du 16 novembre 2023 [7], le Conseil constitutionnel confirme la poursuite de cet objectif d’efficacité en énonçant qu’en « adoptant ces dispositions, le législateur a entendu accroître l’efficacité de la procédure de saisie des rémunérations et permettre à un créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible d’en obtenir plus rapidement le paiement. Il a ainsi entendu mettre en œuvre le droit d’obtenir l’exécution des décisions de justice, qui découle du droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l’article 16 de la Déclaration de 1789 ».

2) Le réalignement logique de la procédure de saisie des rémunérations sur le droit commun des mesures d’exécution

En avril 2022, le comité des états généraux de la justice faisait le constat que « la justice peine de plus en plus à répondre à la demande des justiciables dans des conditions de délai et de qualité acceptables », « souffre de problèmes structurels graves et, en contact direct avec les évolutions sociales », ne répondant « plus correctement aux exigences des citoyens. Pour ceux-ci, elle est lente, difficilement accessible et compréhensible, voire imprévisible ». [8]

La saisie des rémunérations telle qu’elle existe aujourd’hui, est l’exemple procédural type qui s’inscrit dans ce contexte de lenteur et de lourdeur juridique.

Actuellement, le recours au juge est indispensable pour qu’elle soit mise en œuvre, elle est de ce fait souvent jugée trop lente (délai d’audiencement pouvant parfois aller jusqu’à un an) et loin d’être pleinement efficace (long délai de répartition, deux par an dans certains tribunaux).

Elle est par ailleurs la « seule mesure d’exécution forcée mobilière qui fait l’objet d’une intervention préalable du juge de l’exécution et d’une mise en œuvre par les services du greffe des tribunaux judiciaires » [9].

Par ailleurs, les règles actuelles applicables à la saisie des rémunérations n’existent que de façon résiduelle dans le Code des procédures civiles d’exécution [10], lequel renvoie au Code du travail qui en contient la majeure partie [11].

Alors que toutes les procédures d’exécution forcée sont codifiées de manière autonome depuis 2012, ce renvoi est surprenant et confère un caractère particulier à cette mesure [12].

Un caractère particulier qui peut trouver à s’expliquer en raison la nature particulière du salaire, assiette de la saisie, mais il est difficilement compréhensible, procéduralement, de placer cette procédure en dehors des autres puisque d’autres notions protégées font elles-mêmes l’objet de saisies régies par le Code des procédures civiles d’exécution (tel est le cas des aliments qui sont saisis par le biais de la procédure de paiement direct prévue dans le Code des procédures civiles d’exécution [13])

Dès lors, elle revêt un caractère un peu désuet.

Un alignement de la saisie des rémunérations sur le droit commun des procédures civiles d’exécution était souhaitable et bienvenu par souci de cohérence.

C’est chose faite avec la nouvelle réforme qui replace les règles applicables à la saisie des rémunérations au sein du Code des procédures civiles d’exécution [14] et qui supprime le recours judiciaire préalable à l’acte de saisie.

Le premier acte délivré n’est plus une requête déposée devant un juge mais un commandement de payer adressé au débiteur, s’appuyant classiquement directement sur un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.

Modèle hybride, le nouveau modèle emprunte aux règles de procédures d’exécution déjà existantes qui s’inspire à la fois de la procédure de paiement direct (le commissaire de justice s’adressant directement à un employeur sans autorisation judiciaire) et de la procédure de saisie vente (en raison du commandement de payer préalable délivré au débiteur).

Le nombre d’actes délivrés par le commissaire de justice sera, par ailleurs, sensiblement équivalent aux autres procédures civiles d’exécution forcée.

La saisie des rémunérations est remise au même niveau que les autres mesures d’exécution forcée. Désormais c’est logiquement le Code du travail qui renverra au Code des procédures civiles d’exécution [15].

Ce nouveau modèle permettra de « recentrer le juge de l’exécution sur son office [16] » ; qui tranchera seulement les questions et difficultés juridiques nées de la mise en œuvre de la procédure et qui sera déchargé de la mission administrative et comptable de la répartition (voir infra).

B. Une procédure dynamisée empreinte de modernité

1) Une efficacité renforcée par des délais accélérés

La nouvelle procédure de saisie des rémunérations supprime le passage préalable obligatoire devant le juge.

Le premier acte de procédure qu’est la requête est remplacé par la signification d’un commandement de payer qui ouvre un délai d’un mois au débiteur pour s’exécuter, trouver un accord ou contester la mesure [17].

En substituant un commandement de payer à la requête, la réduction des délais de procédure sera une conséquence immédiate de la réforme.

Actuellement, le délai d’audiencement des requêtes est long, pouvant parfois dépasser une année dans certains tribunaux. En supprimant l’audience, ce délai d’audiencement ne posera plus de difficulté.

Par ailleurs, la réforme instaure un véritable rythme à la procédure de saisie des rémunérations en prévoyant de nouveaux délais uniformes là où aujourd’hui il n’en existe pas dans les textes et relèvent en pratique de chaque tribunal.

C’est ainsi que deux nouveaux délais font leur apparition : un délai d’un mois qui est ouvert par le commandement de payer les sommes dues afin que le débiteur puisse s’exécuter, trouver un accord ou contester la mesure [18] et un délai de trois mois qui est un délai maximal laissé au créancier pour signifier son procès-verbal de saisie à l’employeur sanctionné à peine de caducité [19].

Cette procédure doit alors être mise en œuvre rapidement, le créancier devant réagir entre un mois minimum et trois mois maximum après le commandement de payer.

Au stade de son déroulement, la procédure est de ce fait dynamisée.

Au stade de la gestion de la répartition, la procédure sera aussi accélérée.

D’une part, on peut légitimement penser qu’à l’instar de sa mission de gestion des dossiers, le commissaire de justice répartiteur sera certainement soumis à des délais de reversement soit sur le fondement du droit existant [20] soit par disposition spéciale intervenant dans un prochain décret.

D’autre part, un outil unique va faire son apparition : le registre numérique des saisies des rémunérations.

2) Une modernité souhaitée à l’aune du numérique

Depuis quelques années l’objectif de dématérialisation des procédures civiles est engagé.

Le développement numérique est au cœur des préoccupations de l’État avec néanmoins un constat que « le numérique est insuffisamment pris en compte dans la conception des réformes et peut freiner leur mise en œuvre et leur réussite, entraînant le découragement dans les juridictions » [21].

L’État a émis le souhait « de supprimer le papier en 2027 » pour toutes les juridictions. L’objectif étant de renforcer « la proximité avec les justiciables » [22].

Il a par exemple pour projet de développer des applications pour smartphone afin d’obtenir des informations sur le fonctionnement de la justice, de localiser un tribunal compétent ou encore simuler une pension alimentaire ou une aide juridictionnelle [23].

Le constat est clair : le recours au numérique est encouragé.

La réforme de la saisie des rémunérations s’inscrit dans cette dynamique avec la mise en place d’un registre dénommé « registre numérique des saisies des rémunérations ».

Actuellement, il n’existe pas de registre unique et national. Les registres sont tenus par les différents tribunaux de manière éparse, ce qui entraîne en pratique des difficultés (pour un exemple : si le débiteur déménage et qu’une requête en saisie des rémunérations est déposée devant le tribunal du ressort de son nouveau domicile, il n’est alors pas possible pour le tribunal saisi de connaître l’existence d’une précédente saisie des rémunérations entreprise devant une autre juridiction).

Le registre national tel qu’il est envisagé dans le nouveau texte permettra de recenser toutes les saisies des rémunérations diligentées sur le territoire national, le commissaire de justice ayant l’obligation d’y inscrire son commandement ainsi que son procès-verbal de saisie [24].

Il appartiendra à tout commissaire de justice de préalablement et obligatoirement consulter le registre avant d’engager une procédure de saisie des rémunérations afin de vérifier si une procédure n’est pas déjà en cours.

Il constituera, un moyen unique de centralisation de l’inscription des différentes saisies des rémunérations améliorant de fait leur traitement et leur gestion administrative.  

Le registre permettra, en outre, de désigner le commissaire de justice répartiteur de manière aléatoire et d’informer sur la fin de la procédure de saisie des rémunérations.

Parce qu’il recensera des données sensibles et confidentielles propres au débiteur, ce registre devra néanmoins être contrôlé et sécurisé.

Dans l’attente de l’intervention d’un décret en Conseil d’État et de l’avis de la Cnil, il est d’ores et déjà prévu qu’il soit placé sous la responsabilité de la Chambre nationale des commissaires de justice laquelle devra rendre des comptes annuellement au ministre de la Justice [25].

La future procédure fait preuve de modernité et d’uniformisation grâce à ce nouvel outil.

II. Une réforme traditionnelle de la saisie des rémunérations

Les droits des débiteurs sont sauvegardés, la procédure est humanisée (A) et confiée aux mains du commissaire de justice, tiers de confiance (B).

A. Une procédure fidèle au respect des droits de la défense

1) Les garde-fous de la procédure 

Bien que la réforme fasse preuve de modernité et d’efficacité en accélérant les délais de procédure, il n’en demeure pas moins qu’elle reste une procédure soucieuse des droits du débiteur.

À titre liminaire, elle ne peut et ne pourra être engagée qu’en présence d’un titre exécutoire au même titre que toutes les autres mesures d’exécution forcée. Par conséquent il est nécessaire de rappeler que même si le juge n’intervient plus pour autoriser la saisie, il est déjà intervenu durant la phase de jugement.

Par ailleurs, le Conseil d’État a très justement relevé que le principe de cette réforme est de « recentrer le juge de l’exécution sur son office, tout en maintenant un droit au recours effectif des débiteurs » [26].

À ce titre, on relève que le débiteur disposera de plusieurs recours possibles devant le juge de l’exécution durant tout le déroulement de la procédure de saisie des rémunérations.

En premier lieu, le commandement de payer ouvrira un délai d’un mois durant lequel il a la possibilité de saisir le juge de l’exécution de manière spécifique s’il estime la mesure d’exécution infondée [27].

Cette saisine sera suspensive d’exécution ; le juge devra statuer sur la difficulté soulevée et valider le commandement de payer avant que la poursuite de la procédure soit envisagée. Son contrôle reste sur ce point non négligeable.

En second lieu, la réforme prévoit la possibilité pour le débiteur de saisir le juge de l’exécution d’une contestation de la mesure à tout moment de la procédure [28].

Il s’agit là d’un article propre et spécial à la procédure de saisie des rémunérations qui cohabitera avec le droit commun existant. Cette saisine aura pour objet de contrôler la mise en œuvre et l’exercice de la saisie à tous les stades de la procédure. Elle ne sera pas suspensive d’exécution et ce logiquement pour éviter toute contestation dilatoire de la part du débiteur qui entraînerait une paralysie automatique de la mesure.

Enfin, une autre saisine du juge de l’exécution restera ouverte sur le fondement du droit commun des mesures d’exécution forcée lorsque la mesure est considérée inutile ou abusive [29].

Au total c’est donc trois types de recours différents qui sont ouverts au débiteur dont un a pour effet la suspension immédiate de la procédure s’il est exercé dans le délai d’un mois suivant la délivrance du commandement.

Dès lors est instauré un véritable contrôle effectif a posteriori de la légalité et de la validité de la procédure par le juge de l’exécution.

Ce contrôle sera réalisé à plusieurs niveaux et sur le fondement de trois textes différents qui permettra d’englober tout type de contestation et par conséquent d’encadrer strictement le déroulement de la nouvelle procédure de saisie des rémunérations.

Lors de ces contestations, le rôle de l’avocat est par ailleurs inchangé puisqu’il pourra représenter le débiteur à l’audience.

En parallèle de ces possibles contestations, il est à noter que la réforme octroie une autre possibilité au débiteur qui aura un effet suspensif sur le cours la procédure : celle de parvenir à un accord amiable sur le montant et modalités de paiement avec son créancier[30].

Le principe de la conciliation préalable est maintenu ; si elle aboutit, la procédure est suspendue.

En définitive, la réforme contient plusieurs dispositions protectrices du débiteur, et reste respectueuse des droits de la défense.

2) La protection du salarié saisi inchangée

Actuellement, l’article L 3252-2 du Code du travail N° Lexbase : L0920H9X prévoit que les sommes dues à titre de rémunération ne sont saisissables ou cessibles que dans certaines proportions et selon des seuils déterminés par décret.

Or, si la réforme prévoit le transfert de la majeure partie des règles dans le Code des procédures civiles d’exécution, toutes les règles relatives à la procédure de saisie des rémunérations contenues dans le Code du travail ne sont pas abrogées ; tel est le cas pour cet article.

La procédure de saisie des rémunérations agit sur le salaire et par conséquent sur des sommes revêtant un caractère alimentaire et vital dans la vie du saisi, il était donc légitime que le régime dérogatoire et protecteur perdure. L’objectif d’humanisation des procédures civiles d’exécution, tel qu’il a été entrepris dès 1991, est poursuivi par le législateur.

C’est ainsi que la nouvelle procédure ne modifie pas les dispositions protectrices relatives au salaire et les règles relatives à sa quotité saisissable, elle n’a aucun impact sur l’assiette de la saisie.

Seule la quotité saisissable telle que connue aujourd’hui reste constitutive de l’assiette de la saisie.

La protection du salaire par le maintien de sommes insaisissables permet de laisser un minimum à vivre au saisi.

De la même manière, lors du déroulement d’une procédure de saisie vente, le saisi a droit au respect de sa vie privée ou encore de rester en possession de ses biens indispensables à son quotidien [31].

Encore, lors du déroulement d’une procédure de saisie attribution sur ses comptes bancaires, il lui est laissé à sa disposition une fois par mois un solde bancaire insaisissable correspondant à une somme forfaitaire égale au montant du revenu de solidarité active pour un allocataire seul [32].

D’autre part, la réforme conserve le principe de la conciliation préalable. Seule sa charge est transférée aux commissaires de justice.

Actuellement, la procédure débute par une audience de conciliation devant le juge de l’exécution et préalable à la délivrance du procès-verbal de saisie [33].

La réforme prévoit que le commandement de payer, premier acte de la nouvelle procédure, « somme le débiteur de régler sa dette et l’invite, à défaut, à participer à l’établissement d’un accord sur le montant et les modalités de paiement de celle‑ci » [34].

C’est donc désormais avec le commissaire de justice qui faudra tenter de trouver un accord.

On peut espérer que ce changement d’interlocuteur entraîne un plus grand succès de la conciliation là où la phase de conciliation judiciaire actuelle est relativement peu efficace, le taux de présence des débiteurs à l’audience étant très restreint (environ 20 %).

On peut penser que la conclusion d’un accord sera facilitée avec le commissaire de justice : les débiteurs ont l’habitude de se présenter dans les offices et y sont reçus sans rendez-vous.

Ils connaissent déjà parfois les commissaires de justice et seront plus à même de se présenter à lui pour une tentative de règlement amiable plutôt que devant le juge au sein d’un tribunal, terrain moins intimiste et familier.

Dès lors la réforme offrira a minima une protection inchangée du salarié mais l’on peut espérer une protection améliorée au travers de cette conciliation facilitée.

B. La réaffirmation du rôle essentiel du commissaire de justice dans l’exécution forcée

1) La mission traditionnelle du commissaire de justice saisissant

La quasi-totalité des mesures d’exécution fonctionne sur le même système que celui proposé par la réforme.

Le juge étant déjà intervenu pour établir le titre exécutoire, seul le commissaire de justice a la responsabilité de la mise en œuvre de l’exécution forcée (sauf procédure de saisie immobilière). Il suit le déroulement de la mesure qu’il impulse et encaisse les sommes qu’il reverse au créancier.

La réforme réaligne la procédure de saisie des rémunérations sur le droit commun des autres procédures d’exécution forcée mobilière de sorte que le nouveau rôle que va exercer le commissaire de justice saisissant n’est autre qu’un rôle traditionnel qu’il exerce déjà lors de la mise en œuvre de la plupart des mesures d’exécution forcée.

En effet, il délivre déjà aujourd’hui des commandements de payer ouvrant un certain délai au débiteur pour s’exécuter dans d’autres procédures et la mission de conciliation et de médiation n’est pas une nouveauté.

La tentative de conciliation menée par le commissaire de justice existe dans la procédure de recouvrement des petites créances [35], l’activité de médiation est une activité accessoire du commissaire de justice [36].

La mission de conciliation relève, par ailleurs, par nature de son activité quotidienne. Elle fait partie intégrante de l’exercice de sa profession puisqu’il cherche en réalité naturellement la mise en place préalable à toute mesure d’exécution forcée d’un échéancier qui satisfasse l’ensemble des parties.

La nouvelle loi vient inscrire cette mission dans le statut du commissaire de justice.

Désormais, « les commissaires de justice sont les officiers publics et ministériels qui ont seuls qualité, dans les conditions fixées par les lois et règlements en vigueur, pour :

1° Ramener à exécution les décisions de justice ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire, après avoir tenté, le cas échéant, de susciter un accord entre les parties » [37].

Mandaté par le créancier, le législateur a pu craindre que le commissaire de justice fasse preuve de partialité et soit moins enclin à proposer une conciliation ou un échéancier pour le paiement de la dette.

Il est alors légitime de penser que c’est la raison de ce souhait du législateur d’intégrer au statut du commissaire de justice cette mission de conciliation au sens large ; son statut, sa déontologie et son indépendance faisant de lui un tiers de confiance.

La réforme réaffirme l’existence d’une mission naturelle et traditionnelle exercée par le commissaire de justice mais ne crée aucun bouleversement majeur pour le commissaire saisissant.

2) La nouvelle mission du commissaire de justice répartiteur

La réforme est plus innovante sur la création de la nouvelle fonction de commissaire répartiteur.

Il est en effet prévu que la charge de la répartition des fonds saisis assumée par les greffes des différents tribunaux soit transférée aux commissaires de justice.

L’article 60 de loi prévoit que la nouvelle procédure de saisie des rémunérations est applicable « aux procédures de saisie des rémunérations autorisées ».

En conséquence, ce sont toutes les procédures de saisie en cours au jour de l’entrée en vigueur du texte qui seront transmises aux commissaires de justice.

Les modalités pratiques et l’organisation matérielle de ce transfert seront précisées dans un décret d’application à venir.

Concrètement au début de la mise en œuvre de la saisie et avant la délivrance du procès-verbal de saisie, un commissaire dit « répartiteur » sera désigné, selon un processus aléatoire, à la demande du créancier et par la Chambre nationale. Il interviendra dans la procédure de manière indépendante du commissaire de justice mandaté par le créancier saisissant.

Cette mission ne sera pas supportée par tout commissaire de justice mais seulement sur celui exerçant l’activité de répartiteur à part entière, formé spécialement à cet effet et recensé sur une liste diffusée par la Chambre nationale [38].

Il aura pour mission de « recevoir les paiements du tiers saisi, de les reverser au créancier saisissant et de répartir les fonds en cas de pluralité de créanciers » [39].

En réalité il s’agit d’une mission de séquestre et de comptabilité que le commissaire de justice est habitué à exercer lorsqu’il diligente les autres procédures civiles d’exécution.

Néanmoins, la technicité du calcul des quotités saisissables, le caractère alimentaire du salaire justifient la mise en place d’une formation spéciale et d’un contrôle important.

La réforme ajoute en ce sens un 4 bis à l’article 16 de l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut des commissaires de justice : désormais, la Chambre nationale des commissaires de justice aura pour attribution « d’assurer l’organisation de la formation nécessaire à l’activité de commissaire de justice répartiteur lors d’une procédure de saisie des rémunérations et de diffuser annuellement la liste des commissaires de justice ayant satisfait à cette formation ».

Par ailleurs et au même titre que le commissaire de justice saisissant, le commissaire de justice répartiteur verra son activité contrôlée dans le cadre des habituels contrôles de comptabilité.

La distinction des missions de saisie et de réparation permettra aussi un contrôle mutuel de chaque commissaire de justice intervenant à la procédure.

Ce transfert de compétence du juge au commissaire de justice répartiteur permettra au juge de se concentrer sur sa mission de juger en se trouvant libéré d’une tâche administrative lourde qu’est la répartition.

 

[1] Article 60, X, de la loi n° 2023-1059, du 20 novembre 2023, d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 N° Lexbase : Z31953U8.

[2] Cons. const., décision n° 2014-455 QPC, du 6 mars 2015 N° Lexbase : Z227983L.

[3] Cons. const., décision n° 2017-672 QPC, du 10 novembre 2017 N° Lexbase : Z991867N.

[4] CEDH, 19 mars 1997, Req. n° 25701/94, Hornsby c. Grèce N° Lexbase : A8438AWG.

[5] Par exemple, CEDH, 11 janvier 2001, Req. n° 21463/93, Lunari c. Italie N° Lexbase : A7270AW8.

[6] CEDH, 7 juin 2005, Req. n° 71186/01, Fouklev c. Ukraine [en ligne].

[7] Cons. const., décision n° 2023-855 DC, du 16 novembre 2023 N° Lexbase : A61401ZG.

[8] Rapport du comité Sauvé des États généraux de la justice (octobre 2021 - avril 2022) [en ligne].

[9] CE, Avis consultatif, 3 mai 2023 [en ligne].

[10] CPCEx., art. L. 212-1 N° Lexbase : L5842IRS à L. 212-3 N° Lexbase : L5847IRY.

[11] C. trav., art. L. 3252-1 N° Lexbase : L0916H9S à L. 3252-13 N° Lexbase : L0950H93 et R. 3252-1 N° Lexbase : L8965H9W à R. 3252-44 N° Lexbase : L1711LS8.

[12] Loi n° 91-650, du 9 juillet 1991, portant réforme des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L9124AGZ.

[13] CPCEx., art. L. 213-1 N° Lexbase : L2853MAW et s.

[14] CPCEx., nouv. art. L. 212-1 N° Lexbase : L5842IRS à L. 212-16 N° Lexbase : L3503MKX.

[15] C. trav., nouv. art. L. 3252-4 N° Lexbase : L3925IRS.

[16] CE, Avis consultatif, 3 mai 2023 [en ligne].

[17] CPCEx., art. L. 212-2 N° Lexbase : L0731L79, L. 212-3 N° Lexbase : L3501MKU et nouv. art. L. 212-4 N° Lexbase : L3627MKK.

[18] CPCEx., nouv. art. L. 212-2 N° Lexbase : L0731L79.

[19] CPCEx., nouv. art. L. 212-6 N° Lexbase : L3629MKM.

[20] C. com., art. R. 444-56 N° Lexbase : L1905MDW.

[21] Rapport du comité Sauvé des États généraux de la justice (octobre 2021 - avril 2022) [en ligne].

[22] Déclaration du M. Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur la mise en œuvre des États généraux de la justice, à l’Assemblée nationale, le 10 janvier 2023 [en ligne].

[23] Déclaration du M. Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur la mise en œuvre des États généraux de la justice, à l’Assemblée nationale le 10 janvier 2023.

[24] CPCEx., art. L. 212-2 N° Lexbase : L0731L79 et L. 212-7 N° Lexbase : L3630MKN.

[25] Ordonnance n° 2016-728, du 2 juin 2016, relative au statut de commissaire de justice, nouv. art. 16, 12 bis N° Lexbase : L4070K8A.

[26] Avis consultatif du Conseil d’État sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, du 2 mai 2023 [en ligne].

[27] CPCEx., nouv. art. L. 212-4 N° Lexbase : L3627MKK.

[28] CPCEx., nouv. art. L. 212-4.

[29] CPCEx., nouv. art. L. 121-2 N° Lexbase : L5805IRG.

[30] CPCEx., nouv. art. L. 121-2.

[31] CPCEx., art. L. 112-2 N° Lexbase : L5801IRB et R. 112-2 N° Lexbase : L2141ITH.

[32] CPCEx., art. L. 162-2 N° Lexbase : L5836IRL.

[33] C. trav., art. R. 3252-17 N° Lexbase : L4491IAL.

[34] CPCEx., nouv. art. L. 212-3 N° Lexbase : L3501MKU.

[35] CPCEx., art. L. 125-1 N° Lexbase : L7315LPM et R. 125-1 à R. 125-6 N° Lexbase : L9214LTG.

[36] Décret n° 2021-1625, du 10 décembre 2021, relatif aux compétences des commissaires de justice, art. 29 N° Lexbase : Z76251TP.

[37] Ordonnance n° 2016-728, du 2 juin 2016, relative au statut des commissaires de justice N° Lexbase : L4070K8A, modifiée par l’article 47 de la nouvelle loi.

[38] CPCEx., nouv. art. L. 212-9 N° Lexbase : L3632MKQ ; ordonnance n° 2016-728, du 2 juin 2016, relative au statut des commissaires de justice, art. 16, 4 bis N° Lexbase : Z79272T4.

[39] CPCEx., nouv. art. L. 212-9 N° Lexbase : L3632MKQ.

newsid:487627