Réf. : Cass. civ. 2, 5 octobre 2023, no 20-23.523, FS-B N° Lexbase : A17071KG
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par Marilyn Guez, Maître de conférences Université Paris Nanterre
le 26 Avril 2024
Mots-clés : acte juridictionnel • exécution forcée • délai • titre exécutoire • force exécutoire • prescription • signification
Le délai de dix ans pendant lequel l’exécution d’une décision de justice mentionnée à l’article L. 111-3, 1° du Code des procédures civiles d’exécution peut être poursuivie court à compter du jour où, ayant acquis force exécutoire, cette décision constitue un titre exécutoire au sens de ce texte. Pour constituer un tel titre, le jugement exécutoire doit avoir été notifié au débiteur, à moins que l’exécution n’en soit volontaire, et être revêtu de la formule exécutoire, à moins que la loi n’en dispose autrement.
La décision commentée, rendue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 5 octobre 2023, qui a les honneurs d’une publication au bulletin, se prononce, de façon inattendue, sur le point de départ du délai décennal, de l’article L.111-4 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5792IRX, fixé pour l’exécution forcée des titres exécutoires de nature juridictionnelle. De façon incidente, la décision revient également sur la notion de titre exécutoire au sens de l’article L. 111-3 du même code N° Lexbase : L3909LKY. Elle met en lumière les difficultés que suscite l’application de ces dispositions, dont les enjeux théoriques et pratiques sont considérables.
Dans cette affaire, un arrêt condamnant un débiteur au paiement d’une certaine somme est prononcé le 29 mai 2007, puis rectifié le 4 septembre suivant. La décision obtenue n’est, semble-t-il, signifiée que le 16 décembre 2016, puis, à nouveau, le 22 mai 2017. Sur le fondement de cette condamnation, une saisie-attribution est entreprise le 3 août 2018, soit plus de dix ans après le prononcé de la décision. Des contestations s’élèvent sur l’exécution. La saisie-attribution est validée, par le juge de l’exécution, avant que la cour d’appel en ordonne la mainlevée, déclarant prescrite l’action en recouvrement. La cour d’appel juge « que l’arrêt du 29 mai 2007, […] non susceptible d’un recours suspensif, avait, dès son prononcé, autorité et force de chose jugée et que le point de départ de la prescription court donc à compter du 29 mai 2007, l’arrêt rectifié n’ayant pas pour nature de reporter la date d’effet de l’arrêt qu’il rectifie ». Elle ajoute qu’un arrêt ne peut être exécuté, même ayant acquis autorité et force de chose jugée, qu’une fois la copie exécutoire délivrée et après notification ou signification ; cette signification, qui est une condition préalable, n’étant toutefois pas assimilée à un acte d’exécution. La cour juge, en conséquence, tardive la saisie-attribution du 3 août 2018. Le délai d’exécution était-il réellement expiré ? La signification intervenue près de dix ans après le prononcé de la décision pouvait-elle suffire à sauver la saisie-attribution ?
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, sur un moyen de pur droit relevé d’office, fixe le point de départ du délai d’exécution de l’article L.111-4 au jour de la signification du titre exécutoire. L’arrêt commenté, rendu au visa des articles L. 111-3, 1° et L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution et des articles 501 N° Lexbase : L6618H7A, 502 N° Lexbase : L6619H7B et 503 N° Lexbase : L6620H7C du Code de procédure civile relatifs aux conditions de l’exécution, se fonde sur une analyse détaillée des textes. La cassation est prononcée pour violation de la loi. La cour d’appel, qui avait relevé que l’arrêt du 29 mai 2007, passé en force de chose jugée dès son prononcé, n’avait été signifié que le 16 décembre 2016, aurait dû, selon la Haute juridiction, constater que la saisie-attribution avait été pratiquée dans le délai de l’article L. 111-4 précité. L’arrêt commenté témoigne d’une réelle pédagogie et détaille chacune des étapes du raisonnement ayant permis à la Cour de cassation de parvenir à cette décision. Difficile, pour autant, d’adhérer tant à la motivation de l’arrêt, qu’à la solution retenue. La fixation du point de départ du délai d’exécution au jour de la signification présente, en effet, de sérieux inconvénients (I), que rien ne semble justifier (II).
L’exclusion d’un décompte du délai d’exécution de l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution au jour du prononcé de la décision (A), conduit la deuxième chambre civile à fixer le point de départ de ce délai à la signification de la décision servant de fondement aux poursuites. La solution retenue présente de sérieux inconvénients (B).
A. L’exclusion d’un décompte au jour du prononcé de la décision
L’article L. 111-4 N° Lexbase : L5792IRX, qui figure, désormais, au sein d’un titre du Code des procédures civiles d’exécution dédié aux conditions de l’exécution forcée, énonce, en son alinéa 1er que « l’exécution des titres exécutoires mentionnés aux 1° à 3° de l’article L. 111-3 N° Lexbase : L3909LKY ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement des créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long ». Cette disposition, initialement introduite à l’article 3-1 de la loi no 91-650 du 9 juillet 1991 par la loi no 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, consacre, sur le plan législatif, l’application après le prononcé du jugement de condamnation d’un délai de prescription spécifique, qui, sauf exceptions, se substitue au délai plus court normalement applicable à l’action en justice. Le délai d’exécution de l’article L.111-4 reprend en le modernisant, un phénomène très ancien, de filiation romaine, conceptualisé dès les années mille-neuf-cent-soixante comme une hypothèse particulière d’interversion des prescriptions. Initialement, l’interversion substituait la prescription trentenaire, de droit commun, au délai plus court de l’action en justice primitive. Après la réforme, ce délai d’exécution, dont la durée est réduite à dix ans, continue de susciter de nombreuses interrogations, quant à la nature du délai extinctif [1], quant à son champ d’application [2], y compris territorial [3], ou encore quant aux modalités selon lesquelles le délai doit être décompté. Le délai décennal pose, entre autres, la question de son point de départ qui n’est pas unanimement résolue.
Des divergences jurisprudentielles. La jurisprudence du 5 octobre 2023 a le mérite de fixer la position de la deuxième chambre civile sur la question du point de départ du délai d’exécution, mais elle intervient dans un contexte de divergences jurisprudentielles entre les chambres de la Cour de cassation. Or, il n’est pas certain que l’arrêt commenté, compte tenu des inconvénients attachés à la solution retenue, suffise à y mettre un terme. Les solutions jurisprudentielles sont, en effet, hétérogènes. Quand certains arrêts prolongent l’effet interruptif de la prescription résultant de la demande en justice jusqu’aux dates les plus diverses – la signification [4] ou l’acquisition par le jugement civil d’un caractère « définitif » qui en résulterait [5] ; la connaissance par le demandeur de l’arrêt rendu devenu irrévocable [6] –, d’autres arrêts, le plus souvent dans le cadre de la procédure de référé, décident que l’interruption cesse au jour du prononcé de la décision [7]. La première chambre civile de la Cour de cassation a, par exemple, jugé dans une décision du 4 novembre 2015, que l'exécution d’un jugement rendu en Allemagne pouvait être poursuivie pendant le délai prévu à l'article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution courant à compter de la décision d’exequatur pour la dette globale représentant le montant des arrérages capitalisés à cette date [8]. Dans l'arrêt commenté, la cour d’appel, se fondant sur le fait que l’arrêt dont l’exécution était poursuivie, n’était pas susceptible de recours suspensif d’exécution et était doté de l’autorité et de la force de chose jugée dès son prononcé, retient, dans le même sens, pour point de départ du délai d’exécution le moment du prononcé de la décision. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation n'est pas de cet avis.
L’absence d’incidence de la signification sur le cours du délai extinctif. La cour d’appel apporte, toutefois, une importante précision, qui n’est pas démentie par la Cour de cassation. En refusant, à juste titre, d’assimiler la signification de l’arrêt à un acte d’exécution, la cour d’appel juge, implicitement, que la signification n’a pu avoir pour effet d’interrompre le délai d’exécution, qui, selon elle, aurait commencé de courir à compter du prononcé de la décision. En l’espèce, la solution inverse aurait permis de sauver sur ce seul motif la saisie-attribution. L’article 2244 du Code civil N° Lexbase : L4838IRM précise, sur ce point, que « le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par une mesure conservatoire prise en application du code des procédures civiles d'exécution ou un acte d'exécution forcée ». Si la deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt d’appel, l’alternative qu’elle propose, la fixation du point de départ du délai d’exécution au jour de la signification, prête le flanc à la critique.
B. Les inconvénients d’une reprise du délai de prescription au jour de la signification
La date incertaine de la signification. La fixation du point de départ du délai d’exécution au jour de la signification présente une difficulté majeure, liée à l’impossibilité de déterminer, avec certitude, à la seule lecture du jugement civil la date à laquelle l’exécution ne peut plus être poursuivie. Dans cette approche, la reprise du cours de la prescription intervient, en effet, à une date aléatoire, au gré des diligences des parties. Elle est un repère temporel subjectif, qui dépend étroitement de leur comportement après le prononcé de la décision de justice. Avec un tel repère, la date exacte est impossible à déterminer de façon théorique. Pour la connaître, il conviendra de vérifier, dans chaque situation concrète, les démarches accomplies par les parties postérieurement au prononcé du jugement civil. Or, une telle vérification est particulièrement difficile. La mention de la signification n’est pas portée en marge des jugements civils et il n’existe aucun fichier central qui répertorierait, au niveau national, les significations des décisions de justice. Dans ces conditions, sauf à tenir entre ses mains le procès-verbal de signification, il est impossible de savoir si une décision de justice a ou n’a pas été signifiée, partant, si les droits sont ou ne sont pas prescrits. La difficulté est d’autant plus grande que la créance de somme d’argent est un droit disponible, par nature transmissible, dont pourraient se prévaloir les ayants-droits des parties à distance du prononcé de la décision. La solution retenue pose, ainsi, de sérieuses difficultés probatoires, qu’accentue l’absence de délai butoir tant pour la signification, que pour l’exécution des décisions de justice.
Le risque d’imprescriptibilité. La signification du jugement civil n’est, en effet, enfermée dans aucune limite temporelle. Quant à l’exécution des titres exécutoires, l’article L. 111-4, alinéa 2, du Code des procédures civiles d’exécution précise expressément que le délai butoir de l’article 2232 du Code civil N° Lexbase : L7744K9P n’est pas applicable. Cette dernière disposition précise que les causes de report du point de départ, de suspension ou d’interruption ne peuvent, sauf exceptions, avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. En d’autres termes, en l’absence de délai butoir, tant pour la signification, que pour l’exécution, celle-ci pourrait être poursuivie sans limite de temps. La solution retenue a pour effet de rendre potentiellement imprescriptibles les créances qui résultent de décisions de justice qui n’ont pas été signifiées. En reportant le point de départ de la prescription à un événement aléatoire dans sa réalisation et qui pourrait bien ne jamais intervenir, la deuxième chambre civile prend le risque que resurgissent d’anciennes décisions de justice, à une date où le dépérissement des preuves – preuves de la signification ou du paiement – est un vrai sujet. La solution retenue est évidemment source d’insécurité juridique. La situation n’est pas maîtrisable pour le débiteur, sauf à ce qu’il procède lui-même à la signification. Or, plus le temps passe, plus il est difficile d’imaginer que la partie condamnée prenne le risque de signifier une décision de justice, dont le créancier semble se désintéresser, au seul motif de faire courir le délai d’exécution.
L’incidence d’une nullité de la signification. À l’incertitude juridique et au risque d’imprescriptibilité, s’ajoute un autre inconvénient qui tient aux conséquences d’une éventuelle nullité de la signification. Si la nullité devait être judiciairement déclarée, l’anéantissement rétroactif de l’exploit d’huissier aurait nécessairement pour conséquence faire échec au décompte du temps imparti pour l’exécution. Ainsi, un créancier peu diligent, qui aurait laissé plus de dix ans s’écouler depuis le prononcé du jugement civil, trouverait ici un argument décisif, lorsque le débiteur est à l’origine d’une signification irrégulière. Or, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a déjà jugé que la nullité des actes de signification des décisions de justice, qui tend à contester le caractère exécutoire des décisions sur le fondement desquelles la procédure de saisie immobilière est pratiquée constitue non une exception de procédure, mais une défense au fond qui peut être proposée en tout état de cause [9].
Les incidences pratiques de la décision commentée. Les incidences pratiques sur l’exécution forcée sont évidemment considérables. D’une part, la décision commentée ressuscite des créances que l’on croyait définitivement éteintes par l’effet de la prescription, au seul motif que le titre exécutoire qui les consacre n’aurait pas été signifié. La jurisprudence du 25 octobre 2023 permet de poursuivre le recouvrement sur le fondement d’anciennes décisions faute de signification, mais, y compris, faute de preuve de la signification. L’exécution est confortée par le régime juridique de la fin de non-recevoir tirée de la prescription extinctive, qui n’est pas d’ordre public, mais d’intérêt privé et ne peut être relevée d’office par le juge de l’exécution [10]. Du reste, comment le pourrait-il alors qu’aucune mention de la signification n’est portée en marge du jugement civil ? D’autre part, la décision commentée maintient artificiellement en vie les créances constatées par des décisions de justice tant que celles-ci n’ont pas été signifiés. Indirectement, elle offre au créancier la faculté d’allonger ab initio le délai d’exécution en différant la signification [11]. Ce qui est, côté débiteur, source d’insécurité juridique et constitue une perturbation majeure du cours de l’exécution, se transforme, côté créancier, en un atout, lui permettant de façon injustifiable, de reprendre la main sur l’exécution.
Alors comment la deuxième chambre civile de la Cour de cassation parvient-elle à cette décision ?
II. La qualification de titre exécutoire au sens de l’article L. 111-3, 1° du CPCE subordonnée à la signification
L’analyse du raisonnement suivi par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation laisse entrevoir que la décision commentée retient une définition trop restrictive du titre exécutoire, dont elle devrait, en réalité, s’émanciper pour mieux atteindre les finalités de l’article L. 111-4 du Code des procédures civiles d’exécution, qui visent à encadrer le délai d’exécution forcée et, surtout, à mettre un terme définitif à toute insécurité juridique à distance de dix ans du prononcé des décisions de justice (A). Or, l’absence de toute référence au droit commun de la prescription, dans l'arrêt commenté, n’interdit pas de s’y référer et de proposer un point du départ du délai extinctif plus en adéquation avec les finalités poursuivies (B).
A. L’adoption d’une définition trop restrictive du titre exécutoire
Le champ d’application de l’article L. 111-4 du CPCE. Le raisonnement de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est fondé sur une analyse ordonnée des textes rappelés au visa. Elle déduit, d’abord, de la combinaison des articles L. 111-3, 1° N° Lexbase : L3909LKY et L. 111-4 N° Lexbase : L5792IRX du Code des procédures civiles d’exécution que le délai de dix ans pendant lequel l’exécution d’une décision de justice mentionnée à l’article L. 111-3, 1° peut être poursuivie court « à compter du jour où, ayant acquis force exécutoire, cette décision constitue un titre exécutoire au sens de ce texte ». La décision commentée déduit, ensuite, des dispositions des articles 501 N° Lexbase : L6618H7A à 503 du Code de procédure civile que « pour constituer un tel titre, le jugement exécutoire […] doit […] avoir été notifié au débiteur, à moins que l’exécution n’en soit volontaire, et être revêtu […] de la formule exécutoire à moins que la loi n’en dispose autrement ». Ce faisant, la décision commentée s’attache dans un premier temps à mettre en lumière le champ d’application de l’article L. 111-4, qui est, en effet, strictement limité aux titres exécutoires de nature juridictionnelle. La première difficulté tient, toutefois, à la définition restrictive qu’elle en donne, qui, indirectement, a une incidence décisive sur la détermination du point de départ du délai d’exécution.
L’interprétation restrictive. Il faut admettre que le titre exécutoire, « notion essentielle des procédures civiles d’exécution » [12], n’est défini ni dans le Code des procédures civiles d’exécution, ni dans le Code de procédure civile [13]. La notion ne l’était pas davantage dans la loi no 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L9124AGZ. Le législateur a fait le choix de n’établir qu’une liste des titres exécutoires, codifiée à l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution. Cela explique que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation ait eu à s’interroger précisément sur ce qui, au sens de ce texte, constitue un titre exécutoire entrant dans le champ d’application de l’article L.111-4. D’après l’arrêt commenté, la qualification de titre exécutoire serait subordonnée, par application des articles 501 à 503 précités, à l’apposition de la formule exécutoire et à la signification de la décision. Seule la décision de justice « ayant acquis force exécutoire » serait, ainsi, susceptible d’une telle qualification. Les prémisses du raisonnement ont pour conséquence de retarder l’application du délai décennal au jour de la signification, date à laquelle la décision de justice constituerait, enfin, aux termes des articles 501 et suivants, un titre exécutoire. Cette définition restrictive, pourtant, ne s’impose pas à la lecture des textes invoqués.
Formalisme et utilité du titre exécutoire. « Considéré comme instrumentum » [14], le titre exécutoire se définit, tant par l’aspect extérieur de l’outil, son caractère formel (a), que par les finalités qu’il poursuit (b). (a) Quant à la forme, le titre exécutoire est un acte écrit, en principe revêtu de la formule exécutoire [15], qui puise son autorité dans la nature profonde de l’acte sous-jacent, qui peut être de nature juridictionnel, – l’acte de juridiction qui dit le droit, en restituant alors le negotium. Quant à ses finalités, qui sont plurielles, le titre exécutoire permet, pour l’essentiel, l’exécution forcée directe, immédiate (ou presque) des obligations consacrées par le negotium, laquelle vise à remédier à la résistance ou à l’inertie du débiteur. Les caractères direct et immédiat de l’exécution renvoient au fait que les mesures entreprises sur le fondement du titre exécutoire ne sont subordonnées à aucune autorisation judiciaire préalable [16].
Le respect des conditions générales de l’exécution. Or, lorsque le titre exécutoire assortit une décision de justice, le caractère exécutoire du titre ne résulte pas du seul prononcé de la décision. L’article 501 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6618H7A énonce, à cet égard, que « le jugement est exécutoire, sous les conditions qui suivent, à partir du moment où il passe en force de chose jugée à moins que le débiteur ne bénéficie d'un délai de grâce ou le créancier de l'exécution provisoire ». Le passage en force de chose jugée constitue ainsi l’instant clé, qui détermine, à la fois, la consolidation de la norme juridictionnelle à l’expiration des voies ordinaires de recours et, sauf exceptions, le moment d’acquisition du caractère exécutoire [17]. Or, la rédaction de l’article 501 paraît, à première lecture, subordonner le caractère exécutoire du titre aux « conditions qui suivent », qui sont les conditions générales de l’exécution des articles 502 N° Lexbase : L6619H7B à 508. Elle paraît, en conséquence, ériger notamment la signification de la décision de justice en un élément déterminant de la qualification. Faut-il nécessairement s’en convaincre ? Peut-être pas, notamment à la lecture de l’article 504 N° Lexbase : L6621H7D. Cette disposition énonce que « la preuve du caractère exécutoire ressort du ugement [ndlr. : indépendamment donc de sa signification] lorsque celui-ci n’est susceptible d’aucun recours suspensif ou qu’il bénéficie de l’exécution provisoire. Dans les autres cas, cette preuve résulte : - soit de l’acquiescement de la partie condamnée ; - soit de la notification de la décision et d’un certificat permettant d’établir, par rapprochement avec cette notification, l’absence, dans le délai, d’une opposition, d’un appel, ou d’un pourvoi en cassation lorsque le pourvoi est suspensif ». S’il est certainement difficile de tirer d’une règle probatoire un critère notionnel, reste qu’au cas présent, elle constitue, a minima, un indice de ce que la signification, dont nul ne conteste qu’elle est une condition préalable à l’exécution, n’est peut-être pas indispensable à la définition du titre exécutoire.
L’interprétation utile. Au-delà de l’interprétation littérale des textes et de la discussion, à laquelle invite l’arrêt commenté, quant aux éléments constitutifs du titre exécutoire, l’interprétation des dispositions des articles L. 111-3, 1° et L. 111-4 doit avoir pour objectif d’assurer que l’article L. 111-4 constitue une règle efficace, fonctionnelle, qui permette, à la fois, de garantir le droit à l’exécution et la sécurité juridique, en encadrant et limitant le temps de l’exécution. Retenir une définition moins restrictive du titre exécutoire, en décorrélant l’existence du titre de la signification du jugement civil, permet ainsi d’envisager d’autres points de départ au délai d’exécution, qui seraient plus en adéquation avec les objectifs poursuivis. Du reste, des solutions divergentes apparaissent régulièrement en jurisprudence. En doctrine, différents points de départ ont été proposés, soit l’irrévocabilité du jugement civil, soit le prononcé de la décision de justice. C’est cette dernière solution qui, à notre sens, devrait être retenue [18]. Or, l’un des points surprenants de la décision commentée tient à l’absence de toute référence au droit commun de la prescription.
B. L’absence de toute référence au droit commun de la prescription
La confrontation de l’article L. 111-4 du CPCE au droit commun de la prescription. Dans l’arrêt commenté, il est remarquable que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui relève d’office le moyen de pur droit, fonde son raisonnement exclusivement sur la confrontation des dispositions des articles L. 111-3, 1° N° Lexbase : L3909LKY et L. 111-4 N° Lexbase : L5792IRX du Code des procédures civiles d’exécution et des articles 501 N° Lexbase : L6618H7A à 503 du Code de procédure civile. À la lecture de la décision, la Haute juridicition ne semble pas, un seul instant, tourner le regard vers les articles 2219 N° Lexbase : L7189IAI à 2254 du Code civil. Autrement dit, elle n’a d’yeux que pour les conditions générales de l’exécution et passe sous silence, volontairement ou involontairement, les règles relatives à la prescription extinctive. Ces dernières ont pourtant vocation à s’appliquer. Le droit de l’exécution est à la croisée de la procédure et du droit substantiel ; l’un et l’autre éclairent les dispositions de l’article L. 111-4. Le délai décennal doit, ainsi, être replacé dans le droit commun de la prescription extinctive, autant que dans le droit de l’exécution.
L’application du droit commun de la prescription. Après le prononcé du jugement civil, les droits consacrés par la décision de justice conservent leur nature originelle, les droits prescriptibles le demeurent. Au stade de l’exécution, la durée du délai extinctif demeure profondément liée à la nature des droits subjectifs [19]. La durée décennale est, ainsi, écartée chaque fois que la nature des droits le commande [20]. Les causes de report, de suspension, d’interruption du délai d’exécution sont à rechercher en les confrontant aux solutions dégagées en droit commun, afin de vérifier, non pas tant leur application, que leur pertinence à un stade où le rapport de droit substantiel est clarifié par la décision de justice. Les finalités du délai extinctif ex judicio, c’est-à-dire après le prononcé du jugement civil, sont identiques à celles que poursuit le délai de prescription originel. Ce délai n’est, du reste, qu’interrompu par la demande en justice et il faut bien qu’il reparte. Si survient, au passage, une modification de son quantum, qui relève pour l’essentiel d’une question de politique juridique, celle-ci n’altère en rien la nature du délai de prescription. C’est au droit commun de la prescription extinctive qu’il convient de se référer.
L’apport du droit commun de la prescription. Or, le Code civil demeure peu disert quant à la portée temporelle de l’interruption de la prescription par l’effet de la citation. L’article 2242 du Code civil N° Lexbase : L7180IA8, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, précise, seulement, que l’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets « jusqu’à l’extinction de l’instance ». Cette disposition fixe le point d’ancrage du délai d’exécution. L’analyse de son point de départ ne saurait être menée sans une interprétation de l’article 2242. L’absence de toute référence dans l’arrêt commenté à la disposition précitée explique peut-être que le point de départ du délai décennal paraît déterminé sans aucune considération pour le moment de l’extinction de l’instance, qui techniquement n’est pas fixé au jour de la signification. En doctrine, comme en jurisprudence, l’interprétation de l’article 2242 du Code civil est débattue. Techniquement, l’instance s’éteint, en effet, à titre accessoire, par l’effet du jugement civil [21], qui, dès son prononcé, a autorité de la chose jugée et dessaisit le juge de la contestation qu’il tranche. Certains auteurs lui reconnaissent, toutefois, une signification plus souple qui inclurait « toute la période du procès » jusqu’à l’irrévocabilité du jugement civil [22].
Quid d’un point de départ du délai de l’article L.111-4 du CPCE, au jour du prononcé de la décision ? L’irrévocabilité, parfois choisie comme point de départ du délai d’exécution, ne résout qu’en partie les difficultés que suscitent la solution de l’arrêt commenté. L’irrévocabilité correspond à la clôture des voies extraordinaires de recours. Elle dépend indirectement de la signification de la décision de justice et présente, dès lors, des inconvénients similaires à ceux qui résultent d’une fixation du point de départ du délai d’exécution au jour de la signification. Le jeu des articles 528-1 N° Lexbase : L6677H7G et 478 N° Lexbase : L6592H7B du Code de procédure civile est envisagé comme correctif, mais il ne gomme qu’en partie les difficultés. Le premier de ces textes a pour effet de rendre irrévocable, à l’égard de la partie comparante, le jugement civil faute d’avoir été signifié dans les deux ans de son prononcé. Le second répute non avenu, à défaut de signification dans les six mois de sa date, le jugement par défaut ou réputé contradictoire au seul motif qu’il est susceptible d’appel. Ces correctifs, qui auront, le plus souvent, vocation à jouer, sont d’une portée limitée. Leur combinaison laisse de côté un certain nombre d’hypothèses dans lesquelles il est certain que la prescription ne repartira pas. En réalité, les jalons d’une détermination du point de départ de la prescription au jour du prononcé du jugement sont posés par les dispositions du Code civil. En droit commun, la prescription de l’action personnelle ou mobilière ne court qu’à compter du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ; tandis qu’elle ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. Dès lors, sous la double réserve de la connaissance effective des droits et, le cas échéant, de leur liquidité et exigibilité, rien ne semble s’opposer à la fixation du point de départ du délai d’exécution au jour du prononcé du jugement civil exécutoire. Le point de départ proposé, qui est souvent retenu en jurisprudence [23], présente, d’une part, l’avantage de constituer un repère temporel objectif, indépendant d’éventuelles diligences subséquentes que les parties accompliront ou n’accompliront pas. D’autre part, il est immédiatement décelable à la lecture de la décision. Certains objecteront, peut-être, qu’au jour du prononcé du jugement civil, le créancier ne dispose pas encore entre les mains du titre exécutoire. C’est dire que les droits consacrés par la décision de justice commencent de se prescrire avant même que le créancier ne dispose d’une réelle faculté de procéder à l’exécution [24]. L’empêchement n’est, toutefois, que temporaire et ne fait obstacle à l’exécution qu’au seuil d’un délai qui a vocation à durer dix ans, sous réserve des rares hypothèses de prescriptions plus courtes liées à la nature de la créance, mais qui se comptent toujours en années, et dont le court est interrompu et repart de zéro à chaque mesure d’exécution forcée.
[1] V. sur cette question, M. Guez, L’extinction du jugement civil, Contribution à l’étude des effets de l’acte juridictionnel, L. Cadiet (dir.), th. Paris 1, 2017, spéc. p. 149-242.
[2] V. notamment, Cass. avis, 4 juillet 2016, no 16006 N° Lexbase : A6160RW3, Gaz. Pal. 19 nov. 2016, 80, note Lauvergnat (délai inapplicable aux créances périodiques nées en application du titre exécutoire). Cass. civ. 2, 6 septembre 2018, no 17-18.953, Bull. civ. II, no 167 (délai inapplicable à l’action du créancier, sur le fondement de l’art. R. 211-5, al. 1er du CPCEx, contre le tiers saisi) ; Cass. civ. 2, 17 mai 2023, n° 21-17.853, F-B N° Lexbase : A39699UK (délai inapplicable au jugement d’orientation rendu par le juge de l’exécution statuant, à l’occasion de la procédure de saisie immobilière). – Cass. civ. 2, 21 mars 2019, n° 17-22.241, FS-P+B N° Lexbase : A8961Y4N (délai inapplication à l’action en liquidation de l’astreinte soumise au délai de l’article 2224 du Code civil N° Lexbase : L7184IAC). Mais, Cass. civ. 2, 8 juin 2023, no 21-18.615, F-D N° Lexbase : A37439ZN (délai applicable à la créance initialement soumise à la prescription biennale de l'article L. 218-2 du Code de la consommation N° Lexbase : L1585K7T).
[3] V. Cass. civ. 2, 19 mars 2020, n° 18-22.908, FS-P+B+B+I N° Lexbase : A49653K4 ; LEDB 2020, no 6, p. 6, obs. Mignot ; Gaz. Pal., 3 novembre 2020, p. 68, note Hoffschir ; Rev. prat. rec. 2020, no 5, p. 17, note Laher : « Le délai de 10 ans instauré par l’article 23 de la loi du 17 juin 2008 n’est pas applicable en Nouvelle-Calédonie et qu’en l’absence, sur ce territoire, de délai spécifique au-delà duquel un titre exécutoire ne peut plus être mis à exécution, il y avait lieu de considérer qu’il pouvait l’être dans le délai de prescription de droit commun, qui est celui des actions personnelles ou mobilières, ramené en Nouvelle-Calédonie de trente ans à cinq ans ».
[4] En ce sens, Cass. civ. 3, 15 février 2006, n° 04-19.864, FS-P+B N° Lexbase : A9837DMB.
[5] En ce sens, Cass. civ. 1, 16 février 1994, n° 92-11.955, publié au bulletin N° Lexbase : A6150AHA.
[6] En ce sens, Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, précit. : « L'effet interruptif de la prescription résultant d'une action en justice cesse à compter du jour où le litige trouve sa solution ; il s'ensuit qu'en cas d'appel l'effet interruptif de la prescription prend fin à la date à laquelle le demandeur a eu connaissance de l'arrêt rendu, devenu irrévocable, peu important que cette décision ait été interprétée par un arrêt ultérieur ».
[7] En ce sens, Cass. com., 10 octobre 1995, précit. : « L'effet interruptif de prescription produit par une assignation en référé devant le président du tribunal de commerce, en vue de la désignation d'un expert, ne se prolonge, si cette assignation est remise au greffe, que pendant la durée de l'instance, tant que le litige n'a pas trouvé sa solution définitive, c'est-à-dire seulement jusqu'à la désignation de l'expert par le juge ». – Cass. com., 30 juin 2004, n° 03-10.751, FS-P+B N° Lexbase : A9042DCU : « Une assignation en référé aux fins de rendre commune à un tiers les opérations d'expertise précédemment ordonnées interrompt la prescription à l'égard de ce tiers jusqu'à ce que le litige ait trouvé sa solution, c'est-à-dire jusqu'à la décision rendant communes les opérations d'expertise ». – Cass. civ. 2, 3 octobre 2013, n° 12-18.845, F-D N° Lexbase : A3315KMQ : « L'assignation en référé-expertise n'interrompait le délai de prescription que pendant la durée de l'instance, laquelle se terminait par l'ordonnance commettant un expert ».
[8] Cass. civ. 1, 4 novembre 2015, n° 14-11.881, FS-P+B+I N° Lexbase : A6503NUE ; JCP 2015. 1262, obs. Salati; D. 2016. 1059, obs. Jault-Seseke; Gaz. Pal. 9 février 2016, 78, note Lauvergnat.
[9] V. Cass. civ. 2, 5 septembre 2019, n° 17-28.471, F-P+B+I N° Lexbase : A3904ZMK.
[10] V. C. civ., art. 2247 N° Lexbase : L7175IAY. – Adde. Cass. civ. 1, 8 novembre 1978, n° 77-13.150, publié au bulletin N° Lexbase : A6700CGA. – Cass. soc., 29 juin 2005, n° 03-41.966, FS-P+B N° Lexbase : A8506DIU.
[11] Ce qui ne présente qu’une utilité relative dès lors que toute mesure d’exécution est interruptive du délai de prescription (C. civ., art. 2244).
[12] V. C. Brenner et P. Crocq † (dir.), Le Lamy Droit de l’exécution forcée, Wolters Kluwer France SAS, Mise à jour : 02/2023, nos 205-5 et s.
[13] V. sur cette question, V. C. Brenner et P. Crocq † (dir.), op. cit., ibid.
[14] L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, LexisNexis, 12e éd., 2023, n° 739.
[15] V. CPC, art. 502 N° Lexbase : L6619H7B.
[16] V. sur ces développements, l’analyse de C. Brenner et P. Crocq † (dir.), op. cit., ibid.
[17] Comp. CPC, art. 500 N° Lexbase : L6617H79 : « A force de chose jugée le jugement qui n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution.
Le jugement susceptible d'un tel recours acquiert la même force à l'expiration du délai du recours si ce dernier n'a pas été exercé dans le délai ».
[18] Sur cette question, V. M. Guez, L’extinction du jugement civil, Contribution à l’étude des effets de l’acte juridictionnel, th. Paris 1, L. Cadiet (dir.), 2017.
[19] Comp. Ass. plén., 10 juin 2005, n° 03-18.922 N° Lexbase : A6766DIG : « Si le créancier peut poursuivre pendant trente ans l'exécution d'un jugement condamnant au paiement d'une somme payable à termes périodiques, il ne peut, en vertu de l'article 2277 du Code civil, applicable en raison de la nature de la créance, obtenir le recouvrement des arriérés échus plus de cinq ans avant la date de sa demande ».
[20] Qu’il s’agisse d’appliquer un délai plus long (V. CPCE, art. L. 111-4 N° Lexbase : L5792IRX) ou plus courts (V. par ex. pour les créances à échéances périodiques qui demeurent soumises à un délai de prescription quinquennal).
[21] V. CPC, art. 384 N° Lexbase : L2272H4W.
[22] V. notamment, L. Mayer, Le point de départ prévu pour l’exécution du jugement, Gaz. Pal., 2012, p. 2256.
[23] Comp. Cass. civ. 1, 29 juin 2022, n° 19-17.125, F-D N° Lexbase : A068779C.
[24] Comp. CPC, art. 502 N° Lexbase : L6619H7B.
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