La lettre juridique n°560 du 27 février 2014 : Éditorial

"Pacta sunt servanda" : mais le juge veille au grain...

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


On lie les boeufs par les cornes... et on lierait pleinement les hommes par les paroles... si le juge des droits et libertés n'y prenait garde... Telle pourrait être la morale de cet arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation, rendu le 12 février 2014 et sur lequel revient, cette semaine, notre éminent Directeur scientifique, Christophe Radé.

Rapidement, cette décision rappelle que la lettre de licenciement, qui fixe les termes et les limites du litige, ne peut justifier la mesure en visant la clause du travail aux termes de laquelle la perte du permis de conduire entraînera le licenciement du salarié. Autrement dit, aucune clause du contrat de travail ne peut valablement décider qu'une circonstance quelconque constituera, en elle-même, une cause de licenciement. D'abord, le formalisme du licenciement, qui impose que la lettre de rupture soit clairement motivée doit être respecté. Ensuite, il est heureux de constater que l'office du juge ne recule pas devant les "liens consentis" ; il lui appartient, encore et toujours, d'apprécier la situation, non en équité, mais au regard de l'ordre public, ici, de protection. Le juge demeure bien le garant, au regard de la loi, des liens sociaux librement acceptés.

Et, c'est bien ce dernier point dont nous ne pouvons que nous satisfaire : que le juge demeure le dernier rempart contre la "réféodalisation" du lien social craint, notamment, par le Professeur Alain Supiot, il y a plus d'une dizaine d'années.

"Au commencement était le Verbe", nous enseigne le prologue de Saint Jean. Autant dire que la Parole est affaire divine et que celle donnée par l'Homme est nécessairement sacrée, du moins dans les sociétés occidentales. D'autres contrées du Soleil levant préférant le "savoir vivre" au lien immuable de la parole donnée. Toujours est-il, que ce phénomène de contractualisation de la société, souhaitant que le lien prescrit recule devant celui consenti, appelé de leurs voeux par tous les libéraux de la planète depuis deux siècles, a du plomb dans l'aile !

D'abord, parce que la crise, symptôme cataclysmique de la perte de confiance, a relevé de ses cendres la loi, comme véhicule juridique de liens prescrits et de statuts imposés au nom de l'encadrement nécessaire du lien social ; quand, le juge des libertés, et notamment de la première d'entre elles, la sécurité, lui, demeurait le fervent défenseur d'une protection indispensable de la partie au contrat la plus fragile. On sait, sans ambiguïté, l'impérieuse nécessité de cette protection en matière de consommation, et l'action de groupe n'en sera que le ciment judiciaire. On sait que la force obligatoire du contrat ne prévaut pas devant la lésion manifeste. On sait, aussi, que l'on ne peut imposer tout et n'importe quoi au salarié, même s'il y consent. De la même manière qu'il ne peut renoncer, par avance, à toute action en justice à l'encontre de son employeur, il ne peut renoncer au formalisme protégeant ses droits lors du licenciement ; il ne peut renoncer à l'appréciation in concreto de sa faute pouvant justifier éventuellement une telle rupture. Le juge rappelle, à dessein, que l'on ne peut enfermer l'avenir dans les paroles, si ces paroles sont contra legem.

Le Professeur Supiot, craignant une nouvelle vassalité de l'homme, et notamment du salarié, avec le développement de la liberté contractuelle, nouvel enchaînement plus qu'expression d'un vrai consentement, peut être rassuré : le juge continue de veiller au grain.

Seules les conventions légalement formées ont une force obligatoire : et les clauses conclues au détriment exclusif du salarié ne peuvent être qu'écartée. Le juge, et à travers lui, l'Etat, sont les garants de la servitude contractuelle pour autant que l'homme ne soit pas, par l'introduction de ce type de clause litigieuse, considéré comme une chose, dont on se sépare sans considération, du seul fait d'un évènement déclencheur. La clause de licenciement n'est pas la clause pénale du contrat de travail.

La contractualisation comme l'hybridation de la loi et du contrat ? Au juge d'être vigilant à ce que l'Homme ne soit pas l'esclave de la liberté... contractuelle. "Le contrat est la base définitive du droit humain" écrivait Léon Bourgeois... Il peut aussi constituer sa perte.

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