Réf. : Cass. civ. 3, 22 janvier 2014, n° 12-28.246, FS-P+B (N° Lexbase : A9977MCI)
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 7301, Nancy), Président de l'AFDR Section Lorraine
le 01 Septembre 2017
I - Cession et sous-location prohibées justifiant la demande de résiliation
Dans sa requête en résiliation du bail à long terme, le bailleur invoquait plusieurs motifs. Tout d'abord, il prétendait que le preneur n'avait pas exploité personnellement les terres louées ; que ce dernier avait commis des agissements de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds. Enfin, et principalement, que le preneur avait procédé à une transmission irrégulière du contrat de bail (3) et ainsi de la jouissance des biens loués, qu'en vertu du statut du fermage, ce dernier ne pouvait transmettre à un tiers. La procédure contentieuse a été plus spécialement centrée sur ce dernier aspect.
En effet, l'article L. 411-31, II, 1° du Code rural et de la pêche maritime dispose que le bailleur peut demander la résiliation du bail pour contravention aux dispositions de l'article L. 411-35 du même code. En l'espèce, le bailleur reprochait au preneur d'avoir concédé l'exploitation de sa sole de lin, soit environ un quart des biens loués, à un tiers et de ne pas avoir participé de façon effective et permanente aux travaux d'exploitation des parcelles, objet du bail litigieux. La cession du bail ne crée pas un nouveau contrat mais transfère ce dernier au nouveau cocontractant, qui doit payer directement les fermages au bailleur. En application de l'article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime, toute cession hors du cadre familial du preneur est prohibée. Le bailleur a choisi un locataire, et hors la transmission familiale, on ne peut lui en imposer un autre (4). Cette cession est prohibée même avec l'accord du bailleur (5), car la règle d'ordre public (6) résulte de l'évolution du régime juridique du bail rural dont la finalité est de protéger le preneur du caractère absolu du droit de propriété du bailleur tout en luttant contre tout risque de spéculation en interdisant aux preneurs de monnayer leur droit de créance. Ainsi, le bail rural est un contrat conclu avec un très fort intuitu personae légèrement teinté d'un intuitu familiae (7), pour n'être transmissible que dans le cadre familial (8). En l'espèce, il ne semble pas qu'il y ait une cession de bail. Les faits de l'espèce ne le précisent pas, mais il ne semble pas que le tiers ait réglé la moindre somme directement au bailleur. Par conséquent, il ne peut y avoir de cession, si cette condition n'est pas remplie.
Par ailleurs, le bailleur prétendait que le comportement du preneur et du tiers ayant réalisé les travaux agricoles consistait en une sous-location prohibée. Les parcelles de lin étaient exploitées par le tiers et la production livrée à la coopérative grâce aux parts sociales du preneur mis à sa disposition en contrepartie du travail fourni pour les autres cultures du preneur. La cession prohibée de l'article L. 411-35 précité correspond à un sous-contrat qui vient en quelque sorte se greffer sur le bail initial (9). Par dérogation à l'article 1717 du Code civil, la sous-location est prohibée par le statut du fermage à condition que celle-ci soit onéreuse. En l'espèce, le tiers cultivait effectivement la sole de lin litigieuse. Par ailleurs, il pouvait vendre la récolte en contrepartie des travaux effectués sur les autres parcelles louées du preneur. Conformément aux solutions jurisprudentielles, la contrepartie onéreuse n'est pas nécessairement une contrepartie en somme d'argent (10). Elle peut notamment prendre la forme de réalisation de travaux agricoles comme en l'espèce (11). Ainsi, il semble que la demande de résiliation du bail pour non-respect de la prohibition des sous-locations soit juridiquement justifiée (12), même si elle permet d'assurer la continuité d'une bonne exploitation des terres louées (13), pour cause de maladie du preneur, sous réserve que la force majeure ne vienne pas paralyser sa mise en oeuvre.
II - La maladie du preneur insuffisante et la force majeure
En l'espèce, le preneur invoquait sa maladie pour justifier son comportement, et par voie de conséquence, tenter de mettre à néant la demande de résiliation du bailleur. Ainsi, le preneur indiquait que trois ans à compter du début de l'exécution du contrat de bail il avait été contraint de revoir son activité en renonçant à la culture de la pomme de terre au profit de la polyculture. Il avait dû se mettre à l'écart des produits pesticides en raison du diagnostic de neutropénie chronique fébrile qui avait affaibli ses résistances immunitaires aux infections courantes. Dans ces conditions, cette maladie constituait, selon ce dernier, un cas de force majeure le contraignant à faire appel à des entreprises extérieures, interdisant toute qualification de cession ou de sous-location prohibée. Il s'agissait plus spécialement d'une entraide verbale fondée sur la solidarité entre professionnels étant en relation de travail depuis de nombreuses années (14). La cour d'appel, en fondant sa décision sur la solution formulée par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 14 avril 2006 (15), avait considéré que la maladie du preneur l'empêchant de fournir sa prestation était un cas de force majeure dès lors qu'elle présentait un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat de bail et irrésistible pendant son exécution. Pour les juges du fond, il n'était pas nécessaire que la maladie du preneur ait été qualifiée de maladie professionnelle, ni que ce dernier ait fait l'objet d'une mise en invalidité. La Cour de cassation censure cette analyse, la force majeure n'ayant pas été caractérisée par la cour d'appel.
En application de la décision précitée rendue par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, la maladie d'un débiteur d'une prestation constitue un cas de force majeure lorsque l'incapacité physique résultant d'une infection et la maladie grave, survenues après la conclusion du contrat, présentent un caractère imprévisible. De plus, la maladie doit être irrésistible pour que celle-ci puisse être qualifiée de force majeure. En l'espèce, la survenue de l'infection ainsi que la dégradation de l'état de santé du preneur étaient apparues trois ans après la conclusion du bail à long terme. Toutefois, la pathologie ne semblait pas constituer une incapacité physique de réaliser les travaux agricoles, entraînant seulement des contraintes techniques supplémentaires en raison de la grave fragilité du preneur aux infections courantes. En outre, le preneur avait lui-même reconnu dans ses conclusions d'appel que sa pathologie n'excluait pas toute possibilité d'être physiquement présent dans les champs, il devait seulement adapter son tracteur et porter une protection spéciale. Par conséquent, la pathologie du preneur ne rendait pas impossible l'exécution du contrat de bail, elle rendait seulement les travaux agricoles plus difficiles et éventuellement plus onéreux pour le preneur. Pour ces raisons, la maladie invoquée ne présentait pas les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité indispensable pour que celle-ci puisse être qualifiée de force majeure au sens de l'article 1148 du Code civil, afin de considérer qu'il n'y avait aucun dommage pour le bailleur. Ainsi, la maladie ne répondant pas cumulativement à ces deux caractéristiques, notamment en l'absence d'invalidité totale ou du décès du preneur, la demande en résiliation du bail a toutes les chances de prospérer devant la cour de renvoi.
Décision
Cass. civ. 3, 22 janvier 2014, n° 12-28.246, FS-P+B (N° Lexbase : A9977MCI). Cassation . |
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