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par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université
le 27 Février 2014
La loi de finances rectificative pour 2007 (loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 N° Lexbase : L5490H3Q) a introduit une procédure de flagrance fiscale codifiée sous l'article L. 16 O-BA du LPF (N° Lexbase : L0275IW4). Cette procédure n'est pas conçue comme une procédure autonome (nos obs., Une procédure superfétatoire : la flagrance fiscale, Gestion & Finances publiques, 2012, 2, pp. 105-108). Elle peut être mise en oeuvre uniquement dans le cadre du droit de visite et de saisie (LPF, art. L. 16 B N° Lexbase : L2641IX4), du droit d'enquête (LPF, art. L. 80.F N° Lexbase : L0377IWU), de la vérification de la TVA (LPF, art. L. 16 D N° Lexbase : L7613HEP) et de la vérification inopinée (LPF, art. L. 47-4 N° Lexbase : L3907ALB).
L'introduction de cette procédure a été justifiée par le fait que les circonstances créées par le contribuable sont, ou seraient, susceptibles de menacer le recouvrement de créances fiscales. L'administration doit en apporter la preuve. Les mesures conservatoires prises par le comptable sont, dans cette procédure, dérogatoires au droit commun. En effet, l'article L. 252 B du LPF (N° Lexbase : L0274IW3) prévoit que, dès la notification du procès-verbal obligatoire lors de la mise en oeuvre de cette procédure, le comptable peut prendre des mesures conservatoires sans autorisation du juge. Le même article fixe les règles permettant de déterminer le montant de ces saisies.
Dans cette affaire, sur le fondement de l'article L. 16 B du LPF, à l'occasion d'une procédure de visite domiciliaire et de saisie à l'encontre d'une société, les agents de l'administration ont dressé un procès-verbal de flagrance fiscale (LPF, art. L. 16 O-BA).
L'article L. 201 A du LPF (N° Lexbase : L5456H9X) prévoit la possibilité de saisir le juge du référé administratif (LPF, art. L. 279 N° Lexbase : L3890IRI) dans un délai de huit jours à compter de la réception du procès-verbal de flagrance, afin de mettre fin à cette procédure, dès lors que le contribuable présente un moyen sérieux propre à créer un doute sur la régularité de la procédure. Le juge du référé statue alors dans un délai de quinze jours. S'il ne le fait pas, il est dessaisi au profit du tribunal administratif, qui se prononce en urgence. La décision du juge qui ordonne que soit mis fin à la procédure de flagrance entraîne la mainlevée immédiate des saisies conservatoires visées à l'article L. 252 du LPF (N° Lexbase : L3929AL4).
Dans l'affaire qui nous occupe, le Conseil d'Etat rappelle que la mise en oeuvre de la procédure de flagrance est subordonnée à la constatation de faits susceptibles de menacer le recouvrement des créances fiscales. Il appartient au juge du référé, saisi d'une demande tendant à mettre fin à cette procédure, comme au tribunal administratif statuant en appel, de juger s'il y a un doute sérieux sur la régularité de la procédure. Le juge à cette occasion vérifie si, au vu des éléments qui lui sont soumis par les parties, la menace pesant sur le recouvrement de la créance fiscale est suffisamment établie par l'administration dans le procès-verbal de flagrance fiscale.
En l'espèce, à suivre le contribuable, l'activité de consultant à mobilité internationale du dirigeant d'une entreprise est exercée à titre personnel et non par la société qu'il dirige. Le juge a relevé que le procès-verbal de flagrance faisait état de l'existence, dans l'ordinateur du dirigeant, saisi à son domicile en France, de divers documents retraçant l'ensemble des éléments de la gestion commerciale et comptable de la société. Par une appréciation souveraine des faits, il a jugé que la société n'apportait aucun élément de nature à établir que cette activité de consultant n'aurait pas été exercée par elle.
Il est jugé que la faculté de recourir à l'assistance d'un Etat membre de l'Union européenne, afin d'obtenir une information, ne fait pas obstacle à l'utilisation de la procédure de flagrance, contrairement à ce que soutenait la société (LPF, art. L. 283 A N° Lexbase : L7834IRL). Autrement dit, le Conseil d'Etat affirme que le fait que l'administration puisse mettre en oeuvre une assistance administrative internationale efficace n'a aucune incidence sur l'intérêt de la procédure de flagrance fiscale. Rappelons à cette occasion que la réponse à une demande de renseignements présentée par l'administration à une autorité étrangère ne lie pas l'administration demanderesse (Cass. com., 21 juin 2011, n° 10-19.146, F-D N° Lexbase : A5201HU8, RJF, 2011, 12, comm. 1392).
En outre, le fait que la seule circonstance que l'administration connaissait depuis plusieurs années la situation de la société et de son dirigeant est sans influence sur la régularité de la procédure.
Le Conseil d'Etat enfin considère qu'il n'appartient pas au juge du référé, saisi en application de l'article L. 16 O-BA du LPF, de statuer sur le bien fondé de l'amende, dont le montant varie en fonction du chiffre d'affaires à la date du constat de la fraude, infligée en application de l'article 1740 B du CGI (N° Lexbase : L0272IWY).
La procédure de flagrance emporte un certain nombre de conséquences, notamment le fait que, pour une entreprise qui a fait l'objet de cette procédure, l'administration a l'opportunité de faire une nouvelle vérification de comptabilité d'un impôt et d'une période déjà vérifiés, dérogeant ainsi au principe qui l'interdit (LPF, art. L. 51 N° Lexbase : L3310IGP).
L'article 23 de la loi de finances rectificative pour 2009 (loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 N° Lexbase : L1817IGE) a institué une procédure judiciaire d'enquête fiscale qui complète le dispositif existant en matière de répression pénale de la fraude fiscale. La poursuite par l'autorité judiciaire des fraudes visées par cette procédure est subordonnée à une plainte préalable de l'administration à la suite d'un avis conforme de la commission des infractions fiscales. La mise en oeuvre de la procédure d'enquête judiciaire fiscale doit remplir trois conditions : des présomptions caractérisées de fraude, des procédés de fraude susceptibles de faire l'objet d'une procédure judiciaire d'enquête fiscale et un risque de dépérissement des preuves.
L'article 28-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9490IY7 ; en vigueur depuis le 8 décembre 2013) pose pour principe que, sur réquisition du Procureur de la République, ou sur commission rogatoire, les agents des services fiscaux habilités procèdent à des enquêtes judiciaires, et disposent des mêmes prérogatives et obligations que les officiers de police judiciaire. En conséquence, cette disposition autorise la présence d'agents de l'administration à participer aux enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale, mais l'administration fiscale est seule habilitée à déposer plainte et à provoquer une enquête judiciaire en cas de fraude fiscale. Cette disposition prévoit l'applicabilité aux procédures judiciaires d'enquêtes fiscales de nombreuses utilisations du Code de procédure pénale en matière de flagrant délit et d'enquête préliminaire. Il s'agit notamment du droit de perquisition et d'analyses techniques, mais aussi du droit de garde à vue et du droit d'interrogatoire.
Le décret n° 2013-960 du 25 octobre 2013 (N° Lexbase : L4792IY7) a créé un office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. Ce dernier comprend la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale et la brigade nationale de lutte contre la corruption et la criminalité financière. La compétence des officiers fiscaux judiciaires est étendue par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 (N° Lexbase : L6136IYW) au blanchiment de fraude fiscale, par la modification de l'article 28-2 précité. La police fiscale, car c'est ainsi qu'il faut la nommer, est le bras armé de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales créé par le décret n° 2013-960 du 25 octobre 2013, qui remplace la Division nationale d'investigations financières et fiscales (Hervé Robert, Une nouvelle étape normative dans le renforcement des moyens de lutte contre la criminalité d'argent. A propos de la loi du 6 décembre 2013, JCP éd. E, 10 février 2014, 6, pp. 276-283).
Un contribuable a considéré que ces dispositions violent le principe du droit à un procès équitable et qu'il en va de même de la capacité de l'administration à se constituer partie civile dans un procès pénal pour fraude fiscale. Le requérant a demandé au Conseil d'Etat de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative aux dispositions de l'article 28-2 précité. Le Conseil d'Etat juge que le droit au procès équitable n'est pas méconnu, considérant que la participation des agents de l'administration aux enquêtes judiciaires, dans les conditions précisées par l'article 28-2 du Code de procédure pénale, fait que ceux-ci sont placés sous le contrôle de l'autorité judiciaire, ce que nous pouvons considérer comme une garantie et non une atteinte à un droit fondamental.
Par ailleurs, et parallèlement à sa question prioritaire de constitutionnalité, le contribuable demande au Conseil d'Etat d'abroger les décrets n° 2010-914 du 3 août 2010, relatif à la participation des agents des services fiscaux à certaines missions de police judiciaire (N° Lexbase : L9442IMN) et n° 2010-1318 du 4 novembre 2010, portant création d'une brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (N° Lexbase : L2908INZ). Ce dernier précise que la brigade relève de la direction centrale de la police judiciaire et que celle-ci recherche, centralise et exploite tous renseignements relevant de son domaine de compétence, émanant de la police, de la gendarmerie ou des autres administrations et services publics de l'Etat. Enfin, il est entendu que cette brigade nationale comprend des officiers et agents de police judiciaire et des officiers fiscaux judiciaires, qui sont des agents des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires.
La solution retenue par le Conseil d'Etat ne manque pas d'intérêt, dans la mesure où il considère que le principe de la participation des agents des services fiscaux à des enquêtes judiciaires résulte directement des dispositions législatives de l'article 28-2 du Code de procédure pénale, et non des décrets contre lesquels le moyen est dirigé.
Le Conseil d'Etat refuse de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité au motif que les agents de l'administration sont habilités à effectuer des enquêtes judiciaires, que seule l'administration fiscale est en droit déposer plainte pour les infractions prévues par les articles 1741 (N° Lexbase : L9491IY8) et 1743 (N° Lexbase : L1014IZL) du CGI et qu'elle peut, enfin, être partie civile dans ces procédures.
L'intérêt de cet arrêt tient au fait qu'il opère un revirement de la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation concernant l'effet interruptif de la prescription de l'action publique par le dépôt d'une plainte déposée par l'administration fiscale. Les poursuites en vue de l'application des sanctions pénales en cas de fraude fiscale sont portées devant le tribunal correctionnel dans le ressort duquel l'un quelconque des impôts en cause aurait dû être établi ou acquitté (LPF, art. L. 231 N° Lexbase : L8323AEY).
Comme point de départ de la prescription, la Cour de cassation a été conduite à préciser qu'il convient de ne pas retenir, notamment, la date de falsification des pièces comptables, ni celle des manoeuvres ou des procédés frauduleux utilisés au motif que ceux-ci ne constituent que des actes préparatoires à la dissimulation (Cass. crim., 28 novembre 1994, n° 93-85.865, publié au Bulletin N° Lexbase : A3890CKB).
Aux termes de l'article L. 229 du LPF (N° Lexbase : L9528IYK), la mise en oeuvre des poursuites en matière de fraude fiscale est subordonnée au dépôt préalable d'une plainte, sans qu'il y ait lieu, au préalable, de mettre le contribuable en demeure de régulariser sa situation. La plainte doit préciser les faits qui justifient son dépôt, mais n'est pas soumise à des conditions de forme, à l'exception de sa date et de la signature de l'autorité compétente (Cass. crim., 4 février 1991, n° 90-81.058 N° Lexbase : A3349ACZ).
L'article L. 230 du LPF (N° Lexbase : L9536IYT) énonce que "les plaintes peuvent être déposées jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au cours de laquelle l'infraction a été commise [...]. La prescription de l'action publique est suspendue pendant une durée maximum de six mois entre la date de saisine de la commission des infractions fiscales et la date à laquelle cette commission émet un avis". La prescription vient à échéance le 31 décembre de la troisième année qui suit celle au cours de laquelle l'infraction a été commise (Cass. crim., 13 décembre 1982, n° 80-95.151 N° Lexbase : A9457ATG, Bull. crim. n° 284). Dès que la commission a formulé un avis, la prescription recommence à courir pour une durée égale à celle qui reste à échoir lors de la suspension (Cass. crim., 17 mars 1986, n° 84-92.906). Rappelons enfin que le juge doit rechercher pour chacune des infractions et chacun des exercices la date d'échéance de la prescription de l'action publique, ainsi que les actes de poursuites ayant éventuellement interrompu la prescription (Cass. crim., 7 avril 1992 N° Lexbase : A0609AB8, Droit fiscal, 1993, comm. 2496).
Dans une affaire assez ancienne, un contribuable requérant était poursuivi pour avoir souscrit une déclaration de revenu global minorée. Devant les juridictions compétentes, le contribuable soutenait que la procédure était irrégulière au motif que la plainte, préalable aux poursuites du chef de fraude fiscale, avait été déposée par l'administration fiscale après le délai de prescription de l'action publique.
La Cour de cassation avait fini par juger que la plainte de l'administration, préalable aux poursuites du chef de fraude fiscale, ne constituait pas un acte de poursuite ou d'instruction, au sens de l'article 7 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9879IQX), et n'avait pas d'effet interruptif de la prescription de l'action publique (Cass. crim., 19 mai 2005, n° 04-85.076, F-P+F N° Lexbase : A6587DIS). Cette jurisprudence s'inscrivait à la suite d'une jurisprudence ancienne et bien établie (Cass. crim., 17 mai 1989, n° 88-80.603 N° Lexbase : A3064AUZ, Droit fiscal, 1990, comm. 760).
En revanche, la réquisition aux fins d'enquête délivrée par un service de police judiciaire par la procureur de la République après réception de la plainte est interruptive de la prescription (Cass. crim., 22 janvier 1990, n° 88-85.361 N° Lexbase : A5054CIZ, RJF, 1990, 11, comm. 1403).
Enfin, lorsque la plainte de l'administration est datée du jour des réquisitions aux fins fiscales du procureur de la République, il importe peu que cette plainte n'ait été enregistrée que postérieurement à ces réquisitions (Cass. crim., 17 novembre 2004, n° 04-80.855, FS-P+F N° Lexbase : A3769DEC).
En l'espèce, la Cour de cassation opère un revirement de sa jurisprudence, considérant que la prescription de l'action pénale s'interrompt dès la transmission par l'administration de la demande au procureur de la République d'ouverture d'une enquête, peu importe sa date de réception par les services de police. Ce revirement est d'importance au regard des délais de prescription.
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