Réf. : CA Grenoble, 7 janvier 2014, n° 11/04033 (N° Lexbase : A0679KTC)
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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI), Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la responsabilité"
le 26 Septembre 2014
En l'espèce, la dirigeante et unique actionnaire d'une SARL spécialisée dans l'import-export de produits diététiques et cosmétiques a décidé, en 2004, de vendre les 2 500 actions composant le capital social, moyennant un prix de 4 000 000 euros, payable à raison d'une partie fixe de 3 200 000 euros et d'une partie variable d'un maximum de 800 000 euros dépendant du résultat réalisé par la société au cours des trois exercices suivant la cession. Or, précisément, les résultats des exercices visés n'ayant pas été atteints, la part complémentaire du prix n'a pas été payée par l'acquéreur. C'est dans ce contexte que la cédante a assigné son avocat en responsabilité civile professionnelle, pour ne pas avoir assuré l'efficacité juridique de l'acte de cession et pour avoir manqué à son devoir de conseil. En substance, la cédante faisait valoir : que son avocat, chargé de rédiger l'acte de cession, avait préalablement participé aux négociations avec le repreneur ; que les engagements souscrits par celui-ci lors de cette réunion conditionnaient son acceptation du principe d'un paiement différé du prix ; que ces engagements n'avaient pas été formellement repris dans le protocole rédigé par l'avocat, ni d'ailleurs dans l'acte de cession, en sorte que la rédaction de l'acte était imparfaite ; que son avocat ne l'a jamais mise en garde contre les conséquences de l'insuffisance rédactionnelle de l'acte de cession. De tout cela, la cédante en déduisait souffrir d'un préjudice constitué par la perte d'une chance liée à la rédaction imparfaite du contrat, perte de chance qui, si l'on comprend bien, aurait consisté dans le fait de s'être trouvée dans l'impossibilité de pouvoir rechercher la preuve préalable nécessaire à une action au fond contre l'acquéreur. En clair, elle soutenait que, faute pour l'avocat d'avoir formellement repris dans l'acte de cession les engagements qu'aurait entendu prendre l'acquéreur (commercialisation de nouveaux produits, développement des ventes aux officines de pharmacie, plan de communication et de publicité conséquent, etc.), elle était de fait dans l'incapacité d'en prouver la teneur exacte, condition pourtant nécessaire à une action au fond en responsabilité pour inexécution par l'acquéreur de ses obligations contractuelles.
Déboutée en première instance, elle l'est également en appel : l'appel de la cédante interjeté contre la décision des premiers juges est, en effet, à son tour rejeté par la cour d'appel de Grenoble. La cour relève, d'abord, que "la responsabilité contractuelle à laquelle est tenu tout avocat suppose la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice" -ce qui, soit dit en passant, est, dans la formulation, quelque peu maladroit si l'on veut bien considérer que l'avocat n'est pas tenu d'une responsabilité, mais d'obligations dont l'inexécution engage sa responsabilité-. Elle précise ensuite qu'il "doit notamment assureur l'efficacité des procédures qui lui sont confiées". Tout cela est évidemment parfaitement acquis : on sait bien, en effet, que l'avocat est tenu, en tant que rédacteur d'actes, de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité de l'acte (3), et qu'il lui incombe d'apporter la diligence à se renseigner sur les éléments de droit et de fait qui commandent les actes qu'il prépare ou les avis qu'il doit fournir, et d'informer ses clients sur la portée de l'acte et sur la conduite à tenir (4). Sous cet aspect, il n'est pas douteux que le devoir d'information et de conseil du rédacteur d'actes implique qu'il ait pris en considération les mobiles des parties, fussent-ils extérieurs à l'acte, au moins lorsqu'il en a eu connaissance (5). C'est encore ce que rappelait un arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 21 juin 2011, jugeant, en termes généraux, "qu'il appartient à l'avocat rédacteur d'acte de s'assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l'efficacité juridique de l'acte qu'il rédige et qu'il doit éclairer son client sur la portée exacte et les risques des engagements souscrits ; qu'il doit en outre rapporter la preuve qu'il s'est acquitté de son obligation d'information et de conseil" (6).
Au cas présent, la cour d'appel déboute la cédante pour insuffisance de preuve : relevant au passage que l'intéressée procède seulement par affirmation s'agissant de la teneur des engagements qu'aurait pris l'acquéreur, elle décide que "quand bien même des perspectives de développement de la société ont pu être évoquées dans le cadre des pourparlers, il n'est pas démontré que des engagements fermes de parvenir à un résultat ont été pris". Au contraire, ce qui est certain, et ressort de l'acte de cession, c'est que le paiement du prix complémentaire "était nécessairement aléatoire, puisqu'il dépendant de l'évolution des résultats de la société". Comme toujours, en présence d'une décision rendue par une juridiction du fond, largement empreinte de considérations de fait, on se gardera bien d'en tirer des conclusions définitives. On redira seulement que les pourparlers ne faisant en tant que tels naître aucune obligation juridique contraignante, sauf celle de ne pas les rompre abusivement, il serait prudent, lorsqu'y sont évoquées des conditions du contrat projeté qui seraient déterminantes du consentement de l'une des parties, soit d'encadrer contractuellement les pourparlers afin d'anticiper les difficultés de preuve en cas de contestation ultérieure de la réalité et du contenu des engagements, soit pour le rédacteur d'actes d'attirer l'attention de son client, au moment de la rédaction du contrat, sur les conséquences d'une éventuelle insuffisance rédactionnelle pour le cas où les dits engagements n'y auraient pas été repris. Mais encore faut-il que ces engagements n'aient pas seulement existé dans l'esprit de celui qui y avait, ou y aurait eu, un intérêt...
(1) Etant entendu que la détermination de sa responsabilité suppose d'apprécier l'étendue du mandat qui lui a été confié : Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B (N° Lexbase : A1017E33), énonçant que "la détermination de la responsabilité de l'avocat suppose d'apprécier l'étendue du mandat ad litem qui lui a été confié". Voir, encore, CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 20 octobre 2009, n° 07/15062 (N° Lexbase : A9417EMQ), jugeant que "la faute consistant en un manquement au devoir de conseil et d'information ne peut s'apprécier qu'au regard du mandat". En l'espèce, des propriétaires et usufruitiers de vignes, endettés dans une exploitation familiale, avaient chargé un avocat fiscaliste, de procéder à une restructuration financière de leur groupe. Ce dernier leur a conseillé, après avoir poursuivi des démarches auprès de l'administration fiscale, afin de s'assurer de la validité du projet, de procéder à une cession temporaire de l'usufruit leur permettant, à terme, de maintenir l'unité d'exploitation du patrimoine familial, de retrouver, ainsi, sans frais l'usufruit cédé, et de disposer d'un capital important. Mais, à la suite de cette opération de restructuration, les exploitants ont subi, en contrepartie d'un gain effectif, une très importante imposition. Ils ont, alors, recherché, devant le tribunal de grande instance, la responsabilité professionnelle du spécialiste, en raison de son manquement à son devoir de conseil et à son obligation de résultat du fait de son erreur d'appréciation dans la préparation de la restructuration ayant entraîné l'imposition litigieuse, alors que, selon eux, une solution plus intéressante financièrement existait. Les magistrats parisiens, pour écarter la responsabilité de l'avocat, ont considéré que sa mission, telle qu'elle ressortait du mandat qui lui avait été confié, ne consistait nullement dans la recherche d'un système évitant toute imposition du remboursement de la dette fiscale.
(2) Cass. civ. 1, 23 mars 2004, n° 01-03.903, F-D (N° Lexbase : A6177DBE).
(3) Cass. civ. 1, 5 février 1991, n° 89-13.528 (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46.
(4) Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-18.142, F-P+B sur la première branche (N° Lexbase : A4608EBB), Bull. civ. I, n° 267, jugeant que l'avocat, unique rédacteur d'un acte sous seing privé, est tenu de veiller à assurer l'équilibre de l'ensemble des intérêts en présence et de prendre l'initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d'autre, peu important le fait que l'acte a été signé en son absence après avoir été établi à la demande d'un seul des contractants.
(5) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-11.443, FS-P+B ([LXB=A0335DMD), Bull. civ. I, n° 496.
(6) CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 21 juin 2011, n° 10/06805 (N° Lexbase : A1356HW7).
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