Lexbase Pénal n°41 du 23 septembre 2021 : Patrimoine

[Focus] Le juge pénal, juge de la propriété (histoire d’une ambiguïté)

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par le Dr Nicolas Catelan, Maître de conférences à l'Université Aix-Marseille

le 22 Septembre 2021

Mots-clés : propriété • saisies • confiscations • appropriation • restitution

La propriété semble au cœur du droit pénal des biens en général, et des appropriations frauduleuses en particulier. Ce postulat peut à tout le moins être discuté. Il est en revanche certain qu’à travers le contentieux des restitutions, fortement alimenté par les saisies pénales, le juge répressif est régulièrement amené à se pencher sur des contestations civiles relatives à la propriété.

Cet article est issu du dossier spécial « Droit pénal et patrimoine : saisir et punir » publié le 23 septembre 2021 dans la revue Lexbase Pénal. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : (N° Lexbase : N8809BYW)


« Un droit terrible et qui n’est peut-être pas nécessaire »…

Ainsi s’exprimait Beccaria dans son célèbre ouvrage « Des délits et des peines » à l’endroit de la propriété [1]. Chantre du libéralisme politique, futur professeur d’économie à Milan, Beccaria n’en demeure pas moins sceptique quant au droit de propriété. Comme il l’explique plus loin, si « la sûreté personnelle est un droit naturel, la sûreté des biens est » quant à elle, un simple « droit social » [2] pouvant donc être régulé au gré des exigences de la vie en groupe. Nonobstant cet avertissement, on sait que les droits répressifs modernes ont embrassé le tournant de la révolution industrielle telle qu’entamée au XVIIIème siècle. Le capital, à travers sa figure juridique, la propriété, allait faire l’objet d’un vaste encadrement répressif. Alors que l’Ancien régime était encore marqué par un subtil jeu des illégalismes de biens [3], par lequel la rapine faisait l’objet d’une certaine tolérance, le capitalisme naissant nécessitait un appareil de production protégé des prédations. Loin de se limiter au patrimoine industriel, l’évolution des mœurs amenait pareillement les citoyens à demander à la justice pénale la sanction de ceux ayant porté atteinte à leurs biens [4]. Le juge pénal est ainsi logiquement devenu l’arbitre des appropriations illicites. Lui est en effet revenu le soin de se prononcer sur l’acquisition de bien (par soustraction, détournement ou fraude) et les éventuelles restitutions que le larcin exige une fois la culpabilité acquise. Ce faisant, le juge pénal ne pouvait être sourd aux sirènes de la propriété.

De nos jours encore, lorsqu’un tribunal se prononce sur l’existence d’un vol, la qualification d’un abus de confiance ou la consommation d’une escroquerie ou un recel, son jugement contiendrait, à tout le moins en germes, une décision sur la propriété. Dire que le prévenu est coupable de vol, c’est affirmer qu’il n’est pas le propriétaire de la chose [5]. Accueillir la constitution de partie civile d’un plaignant et lui octroyer des dommages-et-intérêts, reviendraient à lui reconnaître le statut de propriétaire : il est bien le sujet du droit de propriété portant sur la chose soustraite. Lui accorder la restitution de la chose confisquée ne ferait d’ailleurs que solidifier cette reconnaissance judiciaire. Pareillement, affirmer qu’une information est appropriable signifierait que le droit de propriété peut porter sur cet objet.

Cette présentation semble logique : le Code pénal lui-même accompagne le raisonnement, le triptyque infractionnel « vol - abus de confiance - escroquerie » se situant dans un chapitre relatif aux appropriations frauduleuses. Reste que le lien entre propriété et droit pénal n’est pas nécessairement univoque. Aucune infraction présente dans le Code pénal ne fait expressément référence à la propriété. Le vol peut être consommé aux dépens d’un simple locataire, l’abus de confiance semble davantage incriminer un manquement à la confiance, et l’escroquerie a partie liée avec le consentement. Pareillement, en affirmant qu’une donnée pouvait être soustraite ou encore que le temps de travail pouvait être remis à un salarié, les juges répressifs ont étendu le champ des appropriations frauduleuses au-delà de ce que le droit de propriété semble permettre [6]. Sous la plume des magistrats répressifs, la notion de propriété semble ainsi atteindre ses limites, de sorte qu’on peut légitimement se demander si ce droit joue un rôle effectif lors de la qualification de ces infractions.

Il est en revanche un contentieux qui amène le juge pénal à trancher des conflits relatifs à la propriété. En effet, le droit des saisies pénales et des restitutions impose au juge de prendre parti. Qu’il s’agisse de se prononcer sur l’existence d’une contestation relative au droit de propriété, sur la bonne foi d’un propriétaire, ou encore de restituer concrètement le bien, les magistrats sont invités à trancher des actions portant sur le droit de propriété.

Ainsi, alors que l’action publique peut être interrogée quant à sa capacité à formuler les litiges en termes de propriété (I), apparaît en parallèle un juge pénal devant se prononcer directement, dans le cadre d’une action accessoire, sur le droit de propriété (II). Si prima facie, la perspective peut sembler contre-intuitive à l’heure où sont mises en lumière les valeurs protégées par le droit pénal [7], elle n’est peut-être pas surprenante dans un ordonnancement juridique gouverné par le principe de légalité et l’efficacité de l’action judiciaire…

I. Le juge pénal et l’appropriation : les limites de la propriété

Les appropriations frauduleuses constituent le socle du droit pénal des biens [8]. En incriminant le vol, l’abus de confiance ou encore l’escroquerie le législateur aurait ainsi fait de la propriété privée une valeur cardinale protégée par le Code pénal. La perspective peut être relativisée en termes de consommation de l’infraction. Les actes d’appropriation (A) ne sont peut-être pas aussi dépendants de la notion de propriété que ne le suggère le terme appropriation. La jurisprudence relative aux objets susceptibles d’appropriation (B) révèle d’ailleurs les limites du droit de propriété dans son acception civiliste, les juges répressifs ayant étendu les textes à des situations juridiques que le seul droit de propriété ne paraissait appréhender.

La propriété apparaît ainsi doublement en recul en droit pénal : si elle n’est pas parfaitement au cœur des comportements prohibés, elle n’est pas davantage mobilisée pour éclairer les objets frauduleusement appropriés.

A. Quant à l’acte d’appropriation

Doutes : incriminations et propriété. À grands traits, le droit pénal moderne semble protéger, comme naguère [9], la propriété. L’incrimination des appropriations frauduleuses tendrait à assurer la protection des différents biens visés par les textes, et in fine, à garantir le droit de leurs détenteurs légitimes. On sait pourtant qu’une telle perspective n’emporte pas une conviction unanime. L’existence même d’un droit pénal de la propriété prête déjà à confusion tant la notion de propriété est intensément discutée en doctrine [10]. L’autonomie du droit pénal pourrait ici se justifier à l’aune de l’intensité des controverses en droit civil des biens [11]. Conséquemment, il serait étrange, voire suspect, que le droit pénal assure la protection d’une notion que même les spécialistes peinent à définir. Il a par ailleurs été pertinemment soutenu [12] que la recherche des valeurs sociales protégées par une infraction emporte inexorablement le juge et le chercheur sur une pente morale éloignée en première intention du principe de légalité, pente qui tend inexorablement à étendre le champ des infractions à des cas non explicitement prévus mais qui semblent concorder avec les objectifs plus ou moins avoués du législateur. On peut ainsi douter que la trinité « vol – escroquerie – abus de confiance » ait comme objectif de protéger la propriété. Outre le fait qu’il est tentant de s’interroger sur la capacité du droit pénal à protéger une valeur voire des êtres, il est tout sauf évident que ces trois infractions protègent la propriété. Un simple locataire peut se constituer partie civile du fait d’un vol [13], l’escroquerie est éloignée de la propriété en cas de décharge, et l’abus de confiance semble entretenir un lien plus étroit avec… la confiance que la propriété.

Enfin et surtout, il est tout sauf acquis que la propriété soit la clé de voute des nombreuses infractions portant sur des biens. Bien que le vol constitue inexorablement l’exemple topique de l’atteinte à la propriété, cette vision peut à tout le moins être nuancée. Le voleur a en effet soustrait un bien, privant son légitime propriétaire des différentes prérogatives dont l’article 544 du Code civil (N° Lexbase : L3118AB4) dresse l’inventaire. L’appropriation est frauduleuse car l’auteur du délit n’avait aucun droit de s’approprier la chose appartenant à autrui. Si tant est que cette illustration épuise l’infinité des combinaisons, il n’en demeure pas moins que la propriété est ici définie de manière négative. Le bien est appréhendé sans droit : « les droits de la victime importent moins que l’absence des droits de l’agent » [14]. Cela ne signifie pas que la question de la propriété ne se pose pas. Elle est formulée en des termes négatifs là où le droit civil la pose de manière positive : en droit pénal il ne s’agit pas de déterminer ce qu’un propriétaire légitime peut faire, ou comment il peut revendiquer son bien. La question posée par le droit répressif est toute autre : en adoptant tel comportement, en appréhendant tel bien, en viciant le consentement de tel individu, ou en ne respectant pas les termes de la convention, le prévenu a-t-il commis les faits incriminés par la loi et commis un délit. En jurisprudence d’ailleurs, le fait de la possession semble davantage importer que le droit de propriété. Comme le formulait très tôt la Cour de cassation : il y a vol « lorsque la chose objet du délit passe de la possession du légitime détenteur dans celle de l’auteur du délit, à l’insu et contre le gré du premier ; que pour soustraire, il faut prendre, enlever, ravir » [15]. Ce qui faisait dire à Garçon que le vol est avant tout une dépossession : « l’usurpation de la possession dans ses deux éléments simultanés et concomitants du corpus et de l’animus » [16].

L’escroquerie commande une lecture tout aussi relativiste. La transaction litigieuse a été obtenue au moyen d’une tromperie. Le consentement de la victime a été vicié de sorte que la remise ou la décharge lui cause un préjudice. Peu importe ici que les sommes eussent dû être réellement versées. Il en résulte, selon la Chambre criminelle, que même si une somme est réellement due, dès lors qu’elle a été versée sans que la victime n’y consente librement, le délit est consommé [17]. C’est dire à quel point il est difficile ici de soutenir que l’incrimination et la répression de l’escroquerie protègeraient la propriété. En ce qu’elle est une fraude, elle a trait essentiellement aux conditions dans lesquelles la victime se défausse ou décharge le suspect. Pour le dire autrement, c'est le consentement au transfert de propriété qui apparaît litigieux. Proche du dol civil dont elle peine éternellement à se différencier [18], l’escroquerie n’entretient donc pas un rapport direct et certain avec la propriété, mais plutôt avec le consentement. Puisque le préjudice matériel patrimonial n’est pas exigé pour consommer l’infraction, il est difficile d’affirmer que la propriété est ici en première ligne. L’abus de confiance interroge en revanche quant à la manière dont le suspect a respecté la destination « contractuelle » [19] du bien appartenant à autrui et qui lui a été remis. Sa détention précaire [20] fait de lui un non-propriétaire devant respecter la destination conventionnelle de la chose remise. Lui est davantage reproché le fait de se comporter comme un propriétaire et non pas tant le fait d’avoir porté atteinte à la propriété d’autrui.

Nuances. Au demeurant, il faut ici convenir que la manière dont les juges appliquent les textes peut, elle, être rapprochée d’une certaine conception de la propriété, sa constitution et sa licéité. Dès lors, même si l’on doit se garder de sur-interpréter les textes à l’aune de la propriété, il est malaisé de ne pas analyser leur application à la lumière de ce que la justice pénale entend faire de la notion de propriété. Pour le dire autrement, si le droit pénal spécial doit se limiter à ce que les textes prévoient, il peut être pertinent de savoir ce que les juges disent et font de la propriété en rendant leurs décisions. Ainsi, sans que la propriété ne constitue un élément inexorable d’appréciation au stade de la consommation de tous les délits contre les biens, elle n’en demeure pas moins un puissant outil d’analyse afin de déchiffrer les logiques inhérentes aux différentes atteintes. Comment pourrait-il en aller autrement ? Sauf à couper les juges de la société, comment ne pas lire entre les lignes l’image que la justice se fait du droit de propriété lorsqu’elle sanctionne le vol ou encore les dégradations matérielles ?

Le contentieux pénal relatif aux choses appropriables est à cet égard intéressant. Loin de se limiter à la conception civile de la propriété, le juge répressif a souvent su faire preuve d’audace afin de sanctionner certains comportements jugés contraires à la loi pénale.

B. Quant à l’objet de l’appropriation

L’article 111-4 du Code pénal (N° Lexbase : L2255AMH) commande une interprétation stricte des textes répressifs. Cet impératif aurait dû amener les juges à ne pas développer d’acceptions autonomes de notions civiles définies par ailleurs. Au royaume de la légalité criminelle, il pourrait être inquiétant que « biens » et « choses » deviennent des notions extensibles. La soustraction, la remise et le détournement imposent pareillement des lectures étroites au nom de la prévisibilité de la répression. Les questions portant sur l’objet des appropriations frauduleuses devraient donc constituer un contentieux dépassé depuis que le principe de légalité a été érigé en principe fondamental du droit moderne [21]. On sait pourtant que certaines jurisprudences ont pris une distance certaine avec l’article 111-4 du Code pénal. Ce qui poussa parfois le législateur à reprendre la plume pour compléter les dispositifs.

Dépasser les textes. Les interrogations relatives au périmètre du droit pénal des biens et de la répression des appropriations frauduleuses ne sont pas nouvelles. Sur le plan historique, on sait que le droit français a longtemps hérité des hésitations romaines. Le vieux furtum [22] a laissé place, avant la Révolution, à des infractions pour le moins larges à partir du vol et permettant la répression de ce que nous nommerions parfois faux, abus de confiance ou fraude. Le principe de légalité porté par les réformateurs imposait plus tard une définition plus précise du périmètre et des éléments constitutifs de chaque délit. Le décret du 18-22 juillet 1791 [23] incriminait ainsi pour la première fois l’escroquerie [24] en son article 33, plus tard repris par le Code des délits et des peines de 1795. Quant au Code pénal de septembre - octobre 1791, il détaillait en son titre II, section 2 et ses articles 1 et suivants [25] tant le vol [26] que l’abus de confiance (en son article 29) [27]. Le Code pénal de 1810 [28] construisit quant à lui le triptyque moderne vol / abus de confiance / escroquerie.

Au demeurant – et l’exemple est classique – on sait que le triumvirat des appropriations frauduleuses montra rapidement ses limites. La filouterie [29] en constitua une illustration frappante, poussant le législateur à punir plus précisément [30] ce comportement au moyen d’une loi en date du 26 juillet 1873 [31]. Sans même parler de dématérialisation [32], le domaine du vol fut questionné dès 1912 quant à la pratique consistant à se brancher sur le compteur électrique d’un voisin afin de bénéficier de son accès à cette énergie si moderne à l’époque. La Cour de cassation estima que le vol était ici applicable [33], l’électricité étant ainsi assimilée à une chose appartenant à autrui. Le raisonnement était si audacieux que le législateur de 1992 estima plus opportun d’assimiler l’énergie à une chose dans une disposition expresse du Code pénal [34]. Et ce afin, évidemment, de couper court à toute nouvelle discussion. Or, en 1912, c’est bien par l’effet de la transmission de la possession du producteur à l’usager que la qualification de vol a pu être retenue. Selon le Code pénal de 1810 « (q)uiconque a soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas, est coupable de vol ». Cette définition avait d’ailleurs amené les tribunaux à retenir un vol en cas de soustraction d’un bien indivis par un indivisaire motif pris que tant que l’indivision subsiste on ne saurait s’approprier au détriment des autres les fruits de l’héritage commun [35]. On sait qu’avec la modification de l’incrimination [36] en 1992, une réponse similaire a été donnée par la Cour de cassation [37]. Certes le bien indivis appartient au suspect, mais, surtout, appartient-il également à autrui. La propriété collective du bien interdit au coindivisaire de se comporter comme le propriétaire exclusif de la chose. Une fois de plus la propriété est ici appréhendée de manière négative.

Le vol d’information a évidemment fait couler encore plus d’encre doctrinale. L’interprétation académique des quelques décisions rendues par la Chambre criminelle n’est pas parvenue à restituer l’intention exacte des hauts magistrats [38]. Pourtant, en affirmant récemment [39] que « le libre accès à des informations personnelles sur un réseau informatique d'une entreprise n'est pas exclusif de leur appropriation frauduleuse par tout moyen de reproduction », la Cour semble avoir définitivement consacré le vol d’information par « soustraction juridique » [40], notion chère à Émile Garçon [41].

Classique est également la question afférente à la possibilité de réprimer l’escroquerie portant sur un immeuble. Depuis le 26 septembre 2016 [42], la Chambre criminelle fait jouer à plein les termes de l’article 313-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2012AMH). Tout « bien quelconque » doit s’entendre des choses immobilières. La solution paraît évidente, pourtant les hésitations furent longtemps permises en raison de variations jurisprudentielles [43] empêchant le délit de bénéficier d’une interprétation stable et prévisible [44].

Respecter les textures. Toutes ces interrogations auraient pu être légitimes si formulées à une époque où le principe de légalité n’avait pas encore été gravé dans le marbre de la loi républicaine. Et on comprend d’ailleurs aisément les hésitations du prêteur romain face au très vague furtum [45], puis des parlements d’Ancien régime devant se débattre au sein des législations de l’époque. Mais une fois la légalité consacrée, son corollaire – i.e l’interprétation stricte de la loi pénale – interdit de dépasser la lettre de la loi [46]. Si le législateur a pris le soin de modifier l’article 323-3 du Code pénal (N° Lexbase : L0872KCB) [47] afin d’incriminer spécifiquement l’extraction de données contenues dans un S.T.A.D, c’est bien car il avait conscience que mobiliser le vol était un excès. L’incrimination expresse du vol d’énergie en 1992 participe de la même logique.

Au-delà des textes, ne figure pas un espace d’interprétation téléologique aux limites inconnues. On peut cependant y déceler une texture entendue comme la disposition et le mode d'entrecroisement des textes et du tissu juridiques. Une disposition pénale demeure en effet prévisible en son application si son interprétation repose sur une lecture conforme à la combinaison de ses éléments constitutifs [48] et aux notions définies par ailleurs. Le droit (civil) des biens est évidemment de nature à répondre aux questions que le juge pénal se pose. Choses et biens appropriables sont loin de constituer des notions inconnues du droit positif. Dès lors, sauf à ce que le législateur décide d’en donner une définition autonome, il ne semble ni légitime ni opportun que des notions connues et définies par ailleurs fassent l’objet d’une interprétation autonome en droit pénal. Le danger est ici bien connu [49] : l’extension de textes à des cas non envisagés par le législateur, soit la négation même du principe de légalité. Ainsi, que l’abus de confiance puisse porter sur le temps de travail [50] dépasse l’entendement [51]. Que le temps puisse faire l’objet d’une quelconque appropriation peut déjà surprendre. Cela conduit en outre à estimer ici que le temps de travail est remis à titre précaire par un employeur à un salarié. Sous la plume de la Cour de cassation, le temps n’est donc pas une ligne de fuite mais un bien quelconque appropriable…

Paradoxes. Les questions relatives à la consommation des appropriations frauduleuses révèlent ainsi un droit pénal équivoque à l’endroit de la propriété. Ce droit n’épuise pas la compréhension des différents comportements réprimés ; et les objets appropriables dépassent assez régulièrement ce que le simple droit de propriété semble permettre. La possibilité de voler une chose hors du commerce, car acquise illégalement, achève de s’en convaincre [52].

En parallèle, se sont toutefois greffés au contentieux de la consommation des délits, des litiges relatifs à la saisie pénale de biens litigieux. Or, à cette occasion, des plaideurs peuvent soulever devant le juge pénal des prétentions portant directement sur la propriété.

II. Le juge pénal et la restitution : les litiges sur la propriété

Départage. L’image de la propriété apparaît souvent en creux dès lors que le juge pénal se prononce sur la consommation d’une appropriation frauduleuse ou d’une dégradation. Distinguer le propriétaire du simple possesseur, la propriété de l’appropriation, ressort régulièrement à l’analyse du juge répressif. Cet enjeu n’est pas que symbolique puisqu’il est souvent demandé au juge d’en tirer les conclusions qui s’imposent en termes de restitution d’un bien placé sous main de justice. Cette faculté offerte à toute personne intéressée a pris un tour nouveau avec la loi du 9 juillet 2010 [53] ayant créé la saisie pénale, sanction provisoire préalable à la peine de confiscation. Le contentieux des saisies amène ainsi parfois la chambre de l’instruction à statuer sur la bonne foi d’un propriétaire demandant la nullité de la mesure. La question de la propriété peut pareillement se retrouver à l’audience lorsque toute personne prétendant avoir un droit sur le bien placé sous main de justice désire en obtenir la restitution : le juge pénal peut ainsi devenir un arbitre entre des sujets cherchant à faire reconnaître leur droit de propriété.

C’est dire qu’avant jugement (A) comme au cours de l’audience (B), statuer sur une demande relative à la propriété est devenu un office presque normal du juge pénal dès lors qu’un bien a été appréhendé par la justice.

A. Saisies et restitutions hors jugement 

Les interrogations relatives à la propriété d’un bien ont été renouvelées par l’apparition d’une sanction provisoire originale anticipant la peine à venir à un stade où un suspect est encore présumé innocent : la saisie pénale. Outil d’une puissance de feu proche de la détention provisoire ou du contrôle judiciaire mais qui emprunte à une vraie peine (la confiscation) ses conditions de fond ! Le contentieux nourri [54] qui accompagne cette mesure provisoire illustre les nombreuses difficultés soulevées par des textes certes novateurs mais également, voire surtout, déficients. L’appel sur les saisies spéciales conduit ainsi le juge à se prononcer sur la propriété à travers la question de la bonne foi et de la proportionnalité de la mesure.

La prolifération des saisies a également alimenté le contentieux relatif aux restitutions hors jugement. Or ces litiges attestent que le juge pénal peut statuer sur la propriété, celui-ci devant se prononcer sur l’existence d’une contestation ! Cette procédure interroge à l’heure où on enseigne encore souvent que le procès pénal se limite à une action publique et à son accessoire, l’action civile ; ce postulat n’est pourtant pas à même d’expliquer tous les contentieux et demandes formulées par un individu dépossédé de son bien [55].

Actions : appel d’une saisie spéciale. À proprement parler, la loi du 9 juillet 2010 a inauguré un contentieux préexistant à celui portant sur l’action publique. Conscient que la confiscation n’a que peu de chances d’aboutir si, au début des investigations, des biens ne sont pas gelés, le législateur a créé une procédure permettant à des magistrats de placer sous main de justice des biens susceptibles de confiscation. La perspective est évidemment étonnante puisque cela amène les magistrats à anticiper deux éléments non encore tranchés : la responsabilité pénale et sa sanction, ici la confiscation. Pour le dire autrement, afin de déterminer quel bien est saisissable, le juge doit se demander quel bien, in fine, serait confiscable au titre de l’article 131-21 du Code pénal (N° Lexbase : L9506IYQ) [56]. Évidemment, un tel raisonnement présuppose les faits commis, l’infraction consommée, car ainsi peut être entamée une réflexion relative au produit, à l’instrument ou à l’objet de l’infraction. Il en va de même pour une confiscation générale de patrimoine. Fort logiquement, toutes ces réflexions ne sont que provisoires et s’appuient sur la vraisemblance de l’infraction [57]. Il n’en demeure pas moins que ce faisant, la loi invite les juges à adhérer à une conception non linéaire du temps judiciaire. Anticiper demain, c’est prévoir aujourd’hui.

Cette saisie est évidemment de nature à alimenter des ressentiments, notamment chez les propriétaires des biens appréhendés. Le législateur a ici prévu qu’en dehors du contentieux des restitutions (v. infra), certaines saisies dites spéciales puissent faire l’objet d’un appel devant la chambre de l’instruction. Ces saisies sont dites spéciales en ce qu’elles portent sur un « objet » précis : le patrimoine [58], un immeuble [59], des biens incorporels [60]. Le recours peut être initié par le suspect directement, celui-ci contestant la proportionnalité de la saisie ou le lien avec l’infraction, ou encore sa vraisemblable responsabilité. Il est également ouvert aux tiers. Leur propriété peut en effet être affaiblie par la saisie. Quand bien même la décision ne serait pas définitive (seule une confiscation sans appel ou rendue en dernier ressort le serait), l’appréhension judiciaire et provisoire d’un bien porte atteinte, même temporairement à leur patrimoine. Qui plus est, on pourrait craindre qu’un tribunal soit plus enclin à confisquer un bien déjà placé sous main de justice [61].

Ce contentieux est pour le moins original car il peut amener une personne tierce à l’action publique à solliciter du juge pénal qu’une saisie pénale soit annulée, la propriété [62] ayant été acquise de bonne foi [63]. Le juge pénal peut d’ailleurs, en cas de saisie de patrimoine, apprécier la proportionnalité de l’atteinte au droit de propriété [64]. L’appel des saisies spéciales est donc susceptible de poser au juge pénal une question en termes de propriété que celui-ci devra trancher.

Actions : restitutions hors audience. Cette perspective rappelle inévitablement les différentes actions en restitution que contient le Code de procédure pénale. En effet, que l’appel soit ou non ouvert à l’encontre d’une mesure de saisie, demeure le droit pour tout un chacun de demander la restitution dudit bien. Cette demande peut être formulée au stade des investigations (enquête [65] comme instruction [66]), au stade du jugement [67], et possiblement après jugement définitif [68]. Ces actions sont certes liées à l’éventuelle responsabilité pénale des différentes personnes poursuivies ou suspectées. Pourtant le contentieux ne saurait être formulé en des termes purement répressifs. Comme l’affirmaient Merle et Vitu, « la restitution est la remise au propriétaire légitime de l’objet sur lequel a porté l’infraction (ainsi les bijoux volés, l’argent détourné) ou qui a été saisi comme pièce à conviction : en ce sens, la restitution sanctionne un droit de propriété préexistant » [69].

L’article 41-4 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7474LPI) précise ainsi que le procureur ne peut se prononcer sur la restitution que si « la propriété n'en est pas sérieusement contestée » [70]. Il s’agit pour ce magistrat comme pour la chambre de l’instruction saisie d’un recours contre une décision de non-restitution de se prononcer, purement et simplement, sur l’existence d’une querelle relative à la propriété. La jurisprudence ne dit pas le contraire, qui affirme en effet : « (I)l appartient en principe au président de la chambre de l’instruction ou à la chambre de l’instruction à qui est déférée la décision de non-restitution rendue par le procureur de la République ou le procureur général sur la requête présentée par la personne entre les mains de laquelle le bien a été saisi, non pas de rechercher si le demandeur justifie d’un droit lui permettant de détenir légitimement celui-ci, mais seulement de rechercher si la propriété est contestée ou susceptible de l’être » [71]. Cette solution peut surprendre :  au stade de l’enquête, et confronté à une saisie, le juge pénal est, en matière de propriété, un juge de l’évidence. La personne saisie peut obtenir la restitution du bien si aucune contestation portant sur la propriété du bien ne lui a été signifiée [72]. Il doit donc présumer la bonne foi du saisi à partir de l’absence de contestation. Il faut comprendre qu’à l’inverse, en cas de contestation sérieuse sur la propriété, le seul [73] tribunal pourra statuer au fond sur la restitution du bien [74].

B. Restitutions à l’audience

Restitution. Les tribunaux prennent parti sur une possession et sa licéité quand ils sont saisis d’une demande de restitution à l’audience. Comme le précise l’article 479 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9923IQL), toute « personne autre que le prévenu, la partie civile ou la personne civilement responsable qui prétend avoir droit sur des objets placés sous la main de la justice, peut également en réclamer la restitution au tribunal saisi de la poursuite ». Cet article est riche d’enseignements. Il rappelle tout d’abord que l’action en restitution n’est pas une action attachée à une partie au procès pénal. Elle peut donc être intentée par la partie civile, mais pas seulement. Par ailleurs, cette disposition impose que le réclamant ait un droit sur l’objet placé sous main de justice. L’article 481 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L5014K89) dispose cependant que le « tribunal peut refuser la restitution […] lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction » [75].

Si avant jugement, le contentieux des restitutions amène simplement le juge à se positionner sur l’existence d’une contestation, son office est plus vaste lors du procès. Selon la Cour de cassation, en cas de contestation, il lui appartient en effet de rechercher les éléments lui permettant de statuer sur les demandes qui lui sont présentées aux fins de restitution sans pouvoir s’abriter derrière le fait qu'aucun élément de l'espèce ne lui permet en l'état de déterminer quel est le véritable propriétaire ou possesseur des objets placés sous main de justice [76]. Lui revient donc le soin de se prononcer sur la propriété et, au besoin, de diligenter les actes à cette fin.

Encore faut-il toutefois qu’une contestation émerge entre plusieurs personnes. En effet, si une seule personne réclame la restitution du bien saisi, il ne s’agit alors pas d’un litige entre plusieurs revendicants : il appartient seulement au juge de rétablir du point de vue de la détention et de la possession la situation antérieure à la saisie [77]. L’existence d’un droit sur la chose (d’une possession légitime) suffira à autoriser la restitution, le juge ne pouvant ici soulever d'office une contestation sur les droits exercés par le demandeur [78]. Il peut en revanche refuser la restitution s’il estime que la propriété est viciée par la mauvaise foi du propriétaire [79]. C’est dire que la propriété est au centre de ce contentieux : le juge pénal peut être amené à se prononcer sur l’existence de ce droit et sur une éventuelle contestation y afférente.

Sur la nature de l’action en restitution. En ce que le procès pénal est avant tout un contentieux portant sur l’action publique, et accessoirement sur l’action civile, il est surprenant de constater que le contentieux pénal peut également abriter la résolution d’un litige portant sur la propriété [80]. Dès lors que le bien a fait l’objet d’une saisie préalable, il est acquis que, même lorsque le demandeur est un plaignant, ce n’est pas au titre de la responsabilité civile que le bien doit être remis mais bien au nom du droit à restitution. Le fait que cette procédure ne soit pas nécessairement reliée à la qualité de partie achève de se convaincre que cette action en justice se démarque et de l’action publique et de l’action civile. D’ailleurs, selon la Chambre criminelle, le préjudice subi par la partie civile doit « être réparé sous forme de dommages-intérêts et non sous forme de restitutions, lesquelles ne peuvent être ordonnées qu'autant qu'elles concernent des objets placés sous main de justice » [81]. La Cour de cassation l’a confirmé avec éclat en 1986 : « l'action en restitution d'objets placés sous la main de la justice, telle que prévue par les articles 478 et suivants du Code de procédure pénale dont les dispositions sont d'ordre public, est distincte de l'action civile avec laquelle elle ne peut interférer » [82]. Il s’agit donc bien d’une action à part, portée devant le juge pénal et portant sur le droit de propriété.

Conclusion : la propriété comme prisme punitif. Le rapport ambigu qu’entretient le juge pénal avec la propriété apparaît lorsqu’est interrogée la consommation des infractions contre les biens. Les sujets du droit de propriété apparaissent ainsi souvent en creux quand est en jeu la consommation d’une appropriation frauduleuse. Pareillement, les questions relatives aux biens susceptibles d’être appropriés confrontent régulièrement le juge pénal aux limites des incriminations à sa disposition.

Toutefois, la simple consommation des infractions n’a pas constitué, tant s’en faut, la seule pierre de touche de l’étude. Les restitutions et le contentieux des saisies pénales sont en effet de nature à reformuler les interrogations. L’appréhension pénale des biens au titre de la sanction n’est évidemment pas nouvelle, la confiscation n’étant pas née avec la loi du 9 juillet 2010. On ne saurait pour autant nier que cette loi a réinvesti la question patrimoniale afin de priver les délinquants de leurs illégitimes propriétés. La saisie pénale préparant et anticipant la peine a rebattu les cartes d’un système répressif désormais en mesure de placer sous main de justice des biens acquis ou utilisés de manière suspecte. Et la multiplication des saisies amène le juge pénal à trancher des litiges portant directement sur la propriété dans le cadre des actions en restitution ou lors de l’appel à l’encontre d’une saisie pénale spéciale. Le juge pénal est ici un juge accessoire de la propriété.

Les lignes de fuite de la propriété révèlent inexorablement les lignes de crête du droit pénal. Nombreuses sont les interrogations et peu rassurantes sont les réponses. Business as usual

 

[1] C. Beccaria, Des Délits et des peines, Flammarion, Paris 1991, p. 113.

[2] Ibid p. 141.

[3] V. M. Foucault, Surveiller et punir, Flammarion, 1975, Tel, p. 87 et s.

[4] V. A.-D. Houte, Propriété défendue – La société française à l’épreuve du vol (XIXe-XXe siècle), Gallimard, NRF, Bibl. des histoires, 2021, p. 358. Sur l’évolution de l’incrimination, v. M.-H. Renaut, La répression du vol de l'époque romaine au XXIe siècle, Revue Historique, T. 295, Fasc. 1, 597, janv.-mars 1996, pp. 3-47 [en ligne].

[5] « La qualification de vol assure la protection par excellence de la propriété » : La propriété dans la jurisprudence de la Cour de cassation, Étude annuelle de la Cour de cassation, La Documentation française, 2019, p. 38 [en ligne].

[6] Sur cette question v. La propriété de l'information, Mél. P. Raynaud, Dalloz-Sirey, 1985, p. 9, M. Vivant, An 2000 : l’information appropriée ?, in Mélanges offerts à Jean-Jacques Burst, Litec, 1997, p. 651 ; La privatisation de l'information par la propriété intellectuelle, in Revue internationale de droit économique, 2006/4, (t. XX, 4), pages 361 à 388.

[7] L’empreinte des valeurs sociales protégées en droit pénal, dir. P. Mistretta, S. Papillon, et C. Kurek, Dalloz, 2020, coll. Thèmes et commentaires.

[8] V. ainsi E. Le Moulec, Pour un renouvellement du système répressif dit des atteintes juridiques aux biens, Thèse, dir. E. Verny, Rennes 1, 2019.

[9] La trinité « vol / abus de confiance / escroquerie » se retrouvait au sein du Code pénal de 1810 dans un chapitre intitulé « Crimes et délits contre les propriétés » (v. art. 379, 405 et 408) [en ligne].

[10] V. ainsi A. Ferracci, Réflexions autour de l’évolution récente des controverses quant à la nature du droit de propriété, Les Cahiers Portalis, 2018/1 (n° 5), pages 63 à 71 [en ligne]. Quant à l’appareil doctrinal ayant initié et nourri cette controverse : v. G. Lardeux, Qu’est-ce que la propriété ?, RTD civ., 2013, p. 741 et s. ; J.-P. Chazal, La propriété : dogme ou instrument politique ? Ou comment la doctrine s’interdit de penser le réel, RTD civ., 2014, p. 763 et s. ; W. Dross, Que l’article 544 du Code civil nous dit-il de la propriété ?, RTD civ., 2015, p. 27 et s.

[11] V. A. Touzain, L'autonomie du droit pénal et le droit des biens, Cahiers de droit de l'entreprise, n° 4, juillet 2021, dossier 25.

[12] E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, 6ème édition, 2021, n° 172, p. 161. V. B. Auroy, La consommation de l’infraction, thèse Paris-Saclay 2021, n° 191, spéc. n° 195.

[13] Pour le détenteur précaire v. entre autres Cass. crim., 5 mars 1990, n° 89-80.536 (N° Lexbase : A1651CGA). D’où le fait que certains auteurs préfèrent parler d’atteintes au patrimoine : v. ainsi R. Ollard, La protection pénale du patrimoine, préf. V. Malabat, LGDJ, 2008, Coll. Nouvelle Bibliothèque de Thèses, vol. n° 98.

Pour la détention à la suite d’un premier vol v. Cass. crim., 9 mars 2016, n° 15-80.107, F-P+B (N° Lexbase : A1733Q7C). Sur cette question, v. D. Auger, Droit de propriété et droit pénal, PUAM, préf. S. Cimamonti, 2005 p. 93, n° 135.

[14] E. Dreyer, Droit pénal spécial, LGDJ, 2020, n° 269, p. 171. Au surplus, pour « le droit pénal, la propriété se décline concrètement et négativement : elle est la chose appréhendée privativement par une personne dépourvue de droit exclusif ; la propriété est appréhendée par le droit à partir et sous le seul angle du comportement de celui qui agit comme propriétaire alors qu’il ne l’est pas » : Th. Revet, « Regards d’un civiliste sur le droit pénal des biens », in Droit pénal et autres branches du droit : regards croisés, dir. J.-Ch. Saint-Pau, Cujas, Coll. Actes & études, 2012, p. 30.

[15] Cass. crim., 18 novembre 1837, Bull. crim. 1837, n° 405 [en ligne].

[16] E. Garçon, Code pénal annoté, art. 379, n° 44 et suivants. Dès lors, « la détention purement matérielle, non accompagnée de la remise de la possession n’est pas exclusive de l’appréhension qui constitue un élément du délit de vol » (Cass. crim., 11 juin 1990, n° 89-80.467 N° Lexbase : A2854ABC). Cette solution permet de retenir dans les liens de la prévention les soustractions à la suite d’une remise sous condition de paiement (Cass. crim., 10 février 1977, n° 76-91.369 N° Lexbase : A8753CGB) mais encore les remises faites aux salariés pour les besoins de leur travail (Cass. crim., 8 janvier 1979, n° 77-93.038 N° Lexbase : A5560CGZ). Pourtant, comme l’observe le Professeur Beaussonie, si « le détenteur a dépassé ses droits sur un bien qu’il savait appartenir à quelqu’un d’autre, est en cause un abus de confiance plutôt qu’un vol » (D., 2017, p. 1885).

[17] V. ainsi Cass. crim., 11 juillet 2017, n° 16-84.828, FS-P+B (N° Lexbase : A9941WM7).

[18] V. A. Chauveau et F. Hélie, Théorie du Code pénal, Tome 5, 1852, 3ème éd., p. 298 [en ligne].

V. également L. Saenko : « [...] on a tendance à l’oublier, mais l’escroquerie est d’abord et avant tout une atteinte au consentement, dont l’expression patrimoniale n’est finalement qu’une conséquence accessoire » (obs. ss. Cass. crim., 28 janvier 2015, n° 13-86.772, F-P+B (N° Lexbase : A7166NAN) : D., 2015, 845).

[19] Avec cette précision que le contrat n’est pas le seul champ de commission des faits depuis la réforme opérée par le Code pénal de 1992. En matière de tutelle, v. ainsi Cass. crim., 3 décembre 2003, n° 02-80.041, F-P+F (N° Lexbase : A4418DAU).

[20] Sur les évolutions prétoriennes v. F. Safi, Les abus de la Cour de cassation dans la qualification de l’abus de confiance, note sous Cass. crim., 5 avril 2018, n° 17-81.085, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1101XKY), Lexbase Pénal, mai 2018 (N° Lexbase : N4023BXB).

[21] Nul n’ignore à cet égard que ce principe fut conceptualisé pour encadrer le pouvoir des Parlements d’Ancien régime, suspectés d’un certain arbitraire au moment d’interpréter les incriminations et prononcer les peines y afférentes.

[22] V. à cet égard, Y. Rivière, Histoire du droit pénal romain, in Le vol (Collatio Legum, Tit. 7), Les Belles Lettres, 2021, p. 566 et s.

[23] Voir décret, présenté par M. Démeunier au nom du comité de Constitution, concernant le code de police municipale et de police correctionnelle, lors de la séance du 19 juillet 1791 [en ligne].

[24] Décret du 18-21 juillet 1791, titre II, art.  35 : « Ceux qui, par dol, ou à l'aide de faux noms ou de fausses entreprises, ou d’un crédit imaginaire, ou d'espérance ou de craintes chimériques, auraient abusé de la crédulité de quelque personne, et escroqué la totalité ou partie de leur fortune, seront poursuivis devant les tribunaux de district, et, si l'escroquerie est prouvée, le tribunal du district, après avoir prononcé la restitution et dommages-intérêts, est autorisé à condamner, par voie de police correctionnelle, à une amende qui ne pourra excéder 5000 livres et à un emprisonnement qui ne pourra excéder deux ans. En cas de récidive, la peine sera double. Tous les jugements rendus à la suite des délits mentionnés au présent article seront imprimés et affichés ». Pour une application et une référence v. Cour de cassation, 13 Ventôse an II, arrêt n° 299 [en ligne].

[25] Voir section du Code de 1791 relative aux crimes & délits contre les propriétés sur Galica ou sur ledroitcriminel.fr/.

[26] Avec force détails : de l’article 1 à 28 !

[27] La banqueroute est incriminée à l’article suivant.

[28]  V. présentation du code napoléonien par R. Badinter, v. [en ligne].

[29] Sur cette question v. Les filouteries en matière contractuelle, extrait du Cours de droit pénal spécial, de Georges Levasseur, in Les Cours de droit, Paris 1967-1968, p. 358 [en ligne].

[30] Le vol avec adresse ne permettait pas de punir toutes les filouteries : v. ainsi Cass. crim., 5 novembre 1847, Bull. n° 265 [en ligne].

[31] Trois lois du 31 mars 1926, 28 janvier 1937 et 16 juin 1966 ont étendu le champ du délit respectivement à la filouterie de taxi, à celle de logement puis à celle de carburant et de lubrifiant. V. ainsi le Rapport de Mme Labrousse pour l’avis n° 0100001P, du 4 mai 2010 [en ligne].

[32] En ce sens v. R. Ollard, La dématérialisation des infractions contre le patrimoine, in Droit pénal et autres branches du droit : regards croisés (dir. J.-Ch. Saint-Pau), Cujas, Coll. Actes & études, 2012, p. 44.

[33] Cass. crim., 3 août 1912, Bull. n° 450 [en ligne]. : « Attendu, en effet, d’une part que l’électricité est livrée par celui qui la produit à l’abonné qui la reçoit pour l’utiliser; qu’elle passe, par l’effet d’une transmission qui peut être matériellement constatée, de la possession du premier dans la possession du second ; qu’elle doit, dès lors, être considérée comme une chose, au sens de l’article 379 C. pén., pouvant faire l’objet d’une appréhension ».

[34] C. pén., art. 311-2 (N° Lexbase : L1904AMH)

[35] Cass. crim., 27 février 1836, Bull. crim. n° 62 [en ligne]. La Cour a pu plus tard affirmer que « la saisine héréditaire ne confère pas un droit de propriété à l'héritier saisi ; […], dès lors, celui-ci ne peut, sans commettre un vol au préjudice de ses co-héritiers saisis en particulier, et de l'indivision en général, s'approprier à leur insu les biens dépendant de la succession indivise » (Cass. crim., 21 mars 1984, n° 82-90.535 N° Lexbase : A7974AAL ; v. également Cass. crim., 27 février 1996, n° 95-82.370 N° Lexbase : A9162ABX).

[36] Le vol étant désormais la soustraction de la chose d’autrui en vertu de l’article 311-1 du Code pénal (N° Lexbase : L7586ALK).

[37] V. Cass. crim., 12 mai 2015, n° 95-82.370 (N° Lexbase : A8843NHY) : G. Beaussonie, note, AJ pénal, 2015, p. 369.

[38] Sur l’état de la controverse v. La propriété dans la jurisprudence de la Cour de cassation - Étude annuelle de la Cour de cassation, La Documentation française, 2019, p. 33 et s. [en ligne]. Pour une appréciation sceptique (donc réaliste) des évolutions v. S. Detraz, Vol du contenu informationnel de fichiers informatiques, D., 2008, p. 2213 (note sous Cass. crim., 4 mars 2008, n° 07-84.002 N° Lexbase : A2241KBM).

[39] Cass. crim., 28 juin 2017, n° 16-81.113, FS-P+B (N° Lexbase : A7053WLS).

[40] Pour un précédent comportant cependant une étrange référence à l’usage de l’information, v. Cass. crim., 20 mai 2015, n° 14-81.336, F-P+B (N° Lexbase : A5424NIQ).

[41] Pour une légitime critique, v. G. Beaussonie, op. cit.

[42] Cass. crim., 28 septembre 2016, n° 15-84.485, FS-P+B (N° Lexbase : A7125R4N).

[43] V. N. Catelan, Escroquerie immobilière, complicité et recel : la confusion des genres ?, Lexbase Droit privé, octobre 2016, n° 673 (N° Lexbase : N4778BWU).

[44] L’application de l’escroquerie à un immeuble emporte la conviction puisque la lettre de la loi mentionne tout bien quelconque. Quant à la notion de remise, qu’il soit permis d’estimer qu’un bien immobilier peut parfaitement être remis : symboliquement, mais, surtout, juridiquement. Nul besoin de contourner le texte pour appliquer ici un texte ostensiblement adapté.

[45] Sur la plasticité du « contrectatio fraudulosa rei alienae » (maniement délictuel de la chose d’autrui), v. Y. Rivière, Histoire du droit pénal romain, op. cit., p. 574.

[46] Céder aux sirènes de l’esprit du texte, par ce que l’on nomme l’interprétation téléologique, ne saurait d’une manière ou d’une autre satisfaire une stricte légalité assurant la sureté de tous face à la répression.

[47] Loi n° 2014-1353, du 13 novembre 2014, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, art.  (N° Lexbase : L8220I49).

[48] Dans le champ du vol, la notion de chose doit être rapprochée de celle de soustraction. Quant à l’escroquerie, le « bien quelconque » doit être interprété à l’aune de la « remise ».

[49] V. M. Brénaut, Sur la justification du principe d'autonomie du droit pénal, Cahiers de droit de l'entreprise, n° 4, Juillet 2021, dossier 22 spé., § 29 et s.

[50] Cass. crim., 19 juin 2013, n° 12-83.031, FS-P+B+R, (N° Lexbase : A1808KHG) ; Cass. crim., 30 juin 2021, n° 20-81.570 F-B (N° Lexbase : A19904YD). Pour le « détournement du temps de travail » d’une salariée par un dirigeant v. Cass. crim., 16 janvier 2019, n° 17-81.136, F-D (N° Lexbase : A6660YTT).

[51] À l’inverse, il est étonnant que l’abus de confiance ne puisse porter sur un immeuble. V. pourtant Cass. crim., 14 janvier 2009, n° 08-83.707, F-D (N° Lexbase : A8135R7G).

[52] V. Cass. crim., 9 mars 2016, n° 15-80.107, F-P+B (N° Lexbase : A1733Q7C).

[53] Loi n° 2010-768, du 9 juillet 2010, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale (N° Lexbase : L7041IMQ).

[54] V. dans ce numéro : M. Hy, Droit des saisies pénales et confiscations : repères jurisprudentiels (N° Lexbase : N8785BYZ) et E. Camous, Panorama saisies et confiscations (janvier 2020 – août 2021) (N° Lexbase : N8791BYA), in Droit pénal et patrimoine : saisir et punir, Dossier spécial, Lexbase Pénal, septembre 2021.

[55] Les insuffisances de la loi ont surtout transformé le juge de cassation en législateur informel et assumé, ajoutant çà et là différents principes destinés à assurer des équilibres que le législateur n’avait fait qu’effleurer tout occupé qu’il fut à assurer la parfaite efficacité des textes, i.e la punition anticipée.

[56] Toutes les dispositions du code de procédure pénale relatives à la saisie pénale énoncent sans exception que seuls les biens susceptibles de confiscation peuvent faire être placés sous main de justice : C. proc. pén., art. 56, al. 1 (N° Lexbase : L5530LZT), 76, al. 1 (N° Lexbase : L0490LTC), 94 (N° Lexbase : L7224IMI), 706-148, al. 1 (N° Lexbase : L5021K8H), 706-150, al. 1 (N° Lexbase : L7454LPR) et 706-153, al. 1 (N° Lexbase : L7453LPQ).

[57] V. entre autres Cass. crim., 4 mars 2020, n° 19-81.371, F-P+B+I (N° Lexbase : A95133GG). V. N. Catelan, La saisie pénale : sanction provisoire ?, Gaz. Pal., 2 juin 2020.

[58] C. proc. pén., art. 706-148, al. 2 (N° Lexbase : L5021K8H).

[59] C. proc. pén., art. 706-150, al. 2 (N° Lexbase : L7454LPR).

[60] C. proc. pén., art. 706-153, al .2 (N° Lexbase : L7453LPQ), et pour une somme d’argent détenue sur un compte de dépôt v. article C. proc. pén., art. 706-154, al. 2 (N° Lexbase : L9507IYR).

[61] La détention provisoire pose une problématique similaire : il va de soi que comparaitre non détenu est un avantage. En matière de saisie, il n’y a pas lieu de penser autrement.

[62] Un trouble de jouissance peut également justifier l’action : v. Cass. crim. 15 janvier 2020, n° 19-80.89, F-D (N° Lexbase : A17503BG).

[63] Cette originalité interroge notamment en termes de droits de la défense, la jurisprudence ayant ici tant bien que mal cherché un équilibre entre le secret des investigations et la possibilité pour un tiers à l’action publique ou à l’enquête de se défendre de manière efficiente lors de l’audience d’appel devant la chambre de l’instruction. V. notamment Cass. crim., 9 octobre 2019, n° 19-82.172, F- (N° Lexbase : A0052ZRD), et quant aux pièces à fournir au tiers : Cass. crim., 30 janvier 2019, n° 18-82.644, F-P+B (N° Lexbase : A9811YUW) ; Cass. crim., 23 octobre 2019, n° 18-87.097, F-P+B+I  (N° Lexbase : A0886ZSM).

[64] V. ainsi Cass. crim., 4 mai 2017, n° 16-87.330, F-D (N° Lexbase : A9516WB3).

[65] C. proc. pén., art. 41-4 (N° Lexbase : L7474LPI

[66] C. proc. pén., art. 99 C. proc. pén. (N° Lexbase : L7471LPE)

[67] C. proc. pén., art. 478 (N° Lexbase : L9924IQM) à 484 (N° Lexbase : L9918IQE).

[68] C. proc. pén., art. 710 (N° Lexbase : L7690LPI)

[69] R. Merle et A. Vitu, Traité de droit ciminel, Procédure pénale, n° 113.

[70] Au stade de l’instruction l’article 99 dispose quant à lui que le juge d’instruction statue, entre autres « sur requête de la personne mise en examen, de la partie civile ou de toute autre personne qui prétend avoir droit sur l'objet ». Le texte ajoute qu’il peut « avec l'accord du procureur de la République, décider d'office de restituer ou de faire restituer à la victime de l'infraction les objets placés sous main de justice dont la propriété n'est pas contestée. »

[71] Cass. crim., 6 janvier 2021, n° 20-80.128, F-P+B+I (N° Lexbase : A56134BI).

[72] Et si évidemment aucun empêchement répressif prévu à l’alinéa 2 n’est caractérisé : le bien est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens, est l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction, ou encore sa destruction est prévue par la loi. Cette liste a été « complétée » par la chambre criminelle : « la chambre de l'instruction statuant, au cours de l'enquête, sur une demande de restitution présentée sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article 41-4 du code de procédure pénale et de l'alinéa 5 de l'article 41-5 du même code peut refuser de restituer les biens saisis lorsque la confiscation desdits biens est prévue par la loi ou lorsque la restitution est de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité » Cass. crim., 6 novembre 2019, n° 18-86.921, F-P+B+I (N° Lexbase : A8756ZTH).

[73] Si celui-ci vient à ne pas être saisi, v. note précédente et Cass. crim., 26 mars 2019, n° 17-87.493, F-D (N° Lexbase : A7205Y7Y).

[74] L’arrêt du 6 janvier 2021 précise d’ailleurs que « lorsqu’aucune juridiction n’a été saisie au terme de l’enquête ou lorsque la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des objets placés sous main de justice, le président de la chambre de l’instruction ou la chambre de l’instruction est tenu de trancher la contestation relative à la propriété des objets réclamés si la décision sur la restitution en dépend » (§ 8).

[75] Mais il faut alors rappeler qu’au visa de de l’article 6, § 2, de la Directive n° 2014/42, du Parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l'Union européenne (N° Lexbase : L1123I3Y), la Cour de cassation a dû assurer une protection du tiers de bonne foi : Cass. crim., 7 novembre 2018, n° 17-87.424, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1753YK7).

[76] Cass. crim., 28 octobre 1987, n° 86-94.229 (N° Lexbase : A3743CKT).

[77] Cass. crim., 23 octobre 1979, n° 78-93.974 (N° Lexbase : A7403CIZ).

[78] Cass. crim., 10 mars 2004, n° 02-85.285, FS-P+F (N° Lexbase : A7575DB8).

[79] Cass. crim., 5 février 1997, n° 96-80.257 (N° Lexbase : A8478CMX)

[80] Au sens civil, il ne s’agit pas à proprement parler et stricto sensu d’une action en revendication « par une personne invoquant un droit contre le possesseur » (Cass. crim., 9 mai 1985, n° 84-91.548 (N° Lexbase : A3384AAL). V. également Cass. crim., 15 mai 1995, n° 94-82.509 (N° Lexbase : A6232CTY).

[81] Cass. crim., 14 mars 1973, n° 72-91.258 (N° Lexbase : A4076CHG)).

[82] Cass. crim., 3 février 1986, n° 84-94.813 (N° Lexbase : A3456AAA).

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