Réf. : CEDH, 2 septembre 2021, Req. 45581/15, Sanchez c/ France (N° Lexbase : A151243E)
Lecture: 5 min
N8637BYK
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Adélaïde Léon
le 21 Septembre 2021
► Faute pour un homme politique d’avoir agit promptement pour retirer les propos clairement illicites du mur Facebook public qu’il utilisait personnellement dans le cadre de sa campagne électorale, l’ingérence litigieuse caractérisée par sa condamnation par les juridictions internes, peut être regardée comme « nécessaire dans une société démocratique ».
Rappel des faits. Le 24 octobre 2011, un élu, également candidat aux élections législatives poste un billet concernant l’un de ses adversaires politiques sur le mur de son compte Facebook, qu’il gère personnellement et dont l’accès est ouvert au public. Un tiers publie un premier commentaire. S’en suivent, deux autres commentaires visant les personnes de confession musulmane émanant d’une quatrième personne. Le 25 octobre 2011, le premier commentaire est supprimé par son auteur de sa publication après un échange avec la femme de l’homme politique mentionné dans le post initial, elle aussi visée dans le mail. Jugeant les propos racistes, cette dernière dépose plainte le 26 octobre 2011 contre l’élu propriétaire du compte et les deux individus à l’origine des commentaires litigieux.
Le 27 octobre 2011, le propriétaire du compte post sur son mur un message invitant les intervenants à « surveiller le contenu de [leurs] commentaires » mais n’intervient pas sur les commentaires publiés.
Cité à comparaître devant le tribunal correctionnel, les prévenus sont déclarés coupables de provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, nation, race ou religion déterminée. Ils sont condamnés, chacun au paiement d’une amende de 4 000 euros et solidairement à verser 1 000 euros à la partie civile en réparation de son préjudice moral.
Le propriétaire du compte Facebook et l’auteur du premier commentaire interjettent appel avant que le second ne se désiste. La cour d’appel confirme la déclaration de culpabilité réduisant l’amende à 3 000 euros. Selon la cour d’appel, le tribunal correctionnel avait à juste titre jugé que les propos définissaient clairement les personnes de confession musulmane et que leur teneur – assimilation de la communauté musulmane à la délinquance et l’insécurité – tendait incontestablement à susciter un fort sentiment de rejet ou d’hostilité envers ce groupe. La juridiction d’appel souligne par ailleurs que le propriétaire du compte n’a pas agi promptement pour retirer les propos litigieux. Il a à ce titre légitimé sa position en affirmant que de tels commentaires lui paraissaient compatibles avec la liberté d’expression. Qu’en rendant son profit public, l’élu était devenu responsable du contenu des propos publiés. Par ailleurs, selon la juridiction d’appel, sa qualité de personnage politique lui imposait une particulière vigilance.
Le prévenu forme un pourvoi en cassation lequel est rejeté la Chambre criminelle estimant que le délit de provocation est en l’espèce caractérisé et que les propos litigieux entraient dans les restrictions à la liberté d’expression prévues au paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CESDH) (Cass. crim., 17 mars 2015, n° 13-87.922, F-D N° Lexbase : A1896NEX). Le prévenu introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Moyen de la requête. Selon le requérant, sa condamnation à raison de propos publiés par des tiers sur le mur de son compte Facebook est contraire à l’article 10 de la CESDH (N° Lexbase : L4743AQQ).
Décision.
Sur la nature des commentaires. La Cour note que les commentaires publiés étaient de nature clairement illicite puisqu’il tendait à susciter envers les personnes de confession musulmane, groupe de personnes ici clairement désigné, ainsi qu’envers une personne nommément visée – la femme de l’élu – un fort sentiment de rejet et d’hostilité.
Sur le contexte. La CEDH rappelle que dans un contexte électoral, les partis politiques bénéficient d’une large liberté d’expression. Il n’en demeure pas moins que les discours racistes ou xénophobes contribuent à attiser la haine et l’intolérance. Or, les hommes politiques revêtent une responsabilité particulière en matière de lutte contre les discours de haine.
La CEDH estime qu’au regard des propos litigieux, lesquels incitaient incontestablement à la haine et à la violence, les juridictions nationales ont valablement privilégié la lutte contre de tels discours « face à une liberté d’expression irresponsable et portant atteinte à la dignité, voir à la sécurité de ces parties ou groupes de population ».
Sur la responsabilité du requérant. La Cour rappelle que le requérant, titulaire du compte, ne s’est pas vu reprocher son usage de la liberté d’expression, mais son manque de vigilance et de réaction concernant les commentaires publiés sur son mur. Les propos étaient en l’espèce clairement illicites et auraient dû le conduire à agir promptement. Raison pour laquelle la CEDH juge que les juridictions internes ont fondé leur raisonnement s’agissant de la responsabilité du requérant. Ne pouvant ignorer que son compte était de nature à attirer les propos polémiques, il appartenait au requérant, qui avait sciemment rendu son compte public, d’assurer une surveillance particulière s’agissant des commentaires publiés. Plus encore, son statut de personnalité politique aurait dû l’amener à faire preuve d’une vigilance d’autant plus importante. Or, plus de six semaines après leur publication, des commentaires litigieux étaient encore visibles.
La CEDH rappelle que le requérant n’a pas été condamné en lieu et place des auteurs des commentaires, mais à raison de sa passivité face à des propos clairement illicites et contraires aux conditions d’utilisation de Facebook.
Dès lors, la CEDH juge que faute pour le requérant d’avoir agit promptement pour retirer les propos clairement illicites du mur Facebook public, utilisé dans le cadre de sa campagne électorale, l’ingérence litigieuse caractérisée par la décision interne de condamnation peut être regardée comme « nécessaire dans une société démocratique ».
Pour aller plus loin :
|
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:478637