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par le Dr Nicolas Catelan, Directeur scientifique de la revue Lexbase Pénal
le 24 Septembre 2021
Cet éditorial est issu du dossier spécial « Droit pénal et patrimoine : saisir et punir » publié le 23 septembre 2021 dans la revue Lexbase Pénal. Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : (N° Lexbase : N8809BYW)
Patrimoine, capital, propriété. « La principale leçon de l’histoire », disait Michel Villey, « est d’inviter à la modestie contre l’extravagante vanité collective du présent car ce que l’on croit découvrir l’a été déjà, et mieux, et autrement » [1]. Doit-on comprendre que ce dossier pénal n’ambitionne pas de rebattre les cartes d’une institution si bien systématisée par Aubry et Rau il y a plus d’un siècle [2], ni celles du droit pénal en ce presque début de XXIème siècle ? Est-ce à dire que le poids de l’Histoire serait tel que tout aurait été écrit, pensé et dit ? Cela serait pour le moins paradoxal au moment d’introduire cinq contributions qui gravitent autour du patrimoine pour sonder son appréhension par le droit pénal. L’époque moderne témoigne de ce que la notion de patrimoine a su gagner des champs assez éloignés de la perspective classique des deux auteurs strasbourgeois. La patrimonialisation de nos existences est à l’œuvre (des biens aux données personnelles, du gène à l’humanité en passant par la nation). Notre quotidien est gorgé d’économie de sorte que la valeur patrimoniale et capitalistique (de chaque élément) de nos vies est fixée, calculable et, en un sens, indemnisable. Les atteintes à notre patrimoine font l’objet de plusieurs incriminations : des dégradations aux spoliations, des détournements aux destructions, de la prévarication au péculat, des malversations aux abus de biens sociaux, de l’escroquerie à l’abus de confiance… Le Code pénal tend un tissu répressif particulièrement dense autour de comportements qui semblent porter atteinte à la propriété d’autrui. À telle enseigne que le juge répressif s’est progressivement, mais paradoxalement, mû en un juge de la propriété.
Cette tendance connaît toutefois des résistances : la famille en constitue incontestablement le champ élémentaire. La difficulté à imaginer ici une règle de droit pèse encore plusieurs siècles après le célèbre avertissement aristotélicien, Benoît Auroy s’en fait l’écho, plus de 2 300 ans après le Stagirite. Le droit pénal des sociétés commerciales participe d’une logique différente avec des effets toutefois similaires comme le montre le Professeur Stasiak : le juge bloquant ici par la théorie de l’action, ce que la loi accomplit ailleurs par le jeu des immunités.
L’environnement aurait pu constituer une planche de salut. Mais Julien Lagoutte démontre parfaitement que la notion de patrimoine, fût-il de l’humanité ou de la nation, n’est malheureusement pas de nature à initier le grand soir du droit pénal de l’environnement.
Ces quelques constats, aussi rapides qu’éphémères sont de nature à nourrir un scepticisme contrit. Ce serait oublier la profonde réforme opérée par la loi du 9 juillet 2010, portant sur les saisies et confiscations [3]. Comme le rappelle Maître Hy, la confiscation n’a pas attendu cette loi pour exister. Compulser un ouvrage portant sur l’histoire du droit pénal romain en atteste [4]. Et pourtant, la loi du 9 juillet 2010 a véritablement opéré une révolution en droit pénal français. Les dernières décisions rendues par la Chambre criminelle l’illustrent encore et encore, comme le démontre Monsieur le procureur Éric Camous. La décision QPC n° 2021-932 rendue ce jour, achève de s'en convaincre (v. A. Léon N° Lexbase : N8878BYH).
Lignes. Le patrimoine est de ces notions qui, loin de se laisser enserrer dans des grilles monochromatiques, permet à une pensée réflexive d’en suivre les lignes de crête et les lignes de fuite. Que tous les auteurs ayant accepté de participer à ce dossier soient remerciés pour leur précieuse contribution. Le patrimoine continuera d’échapper à nombre de nos entreprises de définition, par sa mise en abime perpétuelle puisque tout, désormais, est une valeur. Il ne pourra en revanche, au terme de ce dossier, échapper à sa mise en intelligibilité. En ce qu’une revue scientifique ne relève pas de la science-fiction, elle ne peut sans doute pas imaginer l’avenir. Elle peut au moins expliquer le présent par le poids de son passé, et la force de la pensée. C’est ainsi que l’avenir devient possible.
Bonne lecture à toutes et à tous.
[1] M. Villey, Réflexions sur la philosophie et de droit, Les carnets, PUF, livre XIII, p. 296.
[2] C. Aubry et C.-F. Rau, Cours de droit civil français : d'après la méthode de Zachariae, Tome 9 : « Le patrimoine est l’ensemble des biens d’une personne, envisagé comme formant une universalité de droit » (§ 573, p. 333 et s.) [en ligne]).
[3] Loi n° 2010-768, du 9 juillet 2010, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale (N° Lexbase : L7041IMQ).
[4] Y. Rivière, Histoire du droit pénal romain (de Romulus à Justinien), Les Belles Lettres, 2021, spé. p. 94 et s.
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