Lexbase Pénal n°41 du 23 septembre 2021 : Droit financier

[Brèves] Diffusion de fausses informations : la cour d’appel de Paris confirme la condamnation de Bloomberg mais allège la sanction

Réf. : CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 16 septembre 2021, n° 20/03031 (N° Lexbase : A952644L)

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N8841BY4

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[Brèves] Diffusion de fausses informations : la cour d’appel de Paris confirme la condamnation de Bloomberg mais allège la sanction. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/72477371-breves-diffusion-de-fausses-informations-la-cour-dappel-de-paris-confirme-la-condamnation-de-bloombe
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par Vincent Téchené

le 22 Septembre 2021

► Est confirmée par la cour d’appel de Paris, la condamnation d’une agence de presse pour avoir diffusé de fausses informations sur une société cotée, sans les avoir préalablement vérifiées, les communiqués de presse litigieux ayant eu pour conséquence une baisse substantielle et rapide de son cours de bourse ;

En revanche, la sanction pécuniaire doit être allégée, dès lors qu’il doit être tenu compte de l’importante réactivité de l’agence de presse pour interrompre puis supprimer la diffusion des dépêches en cause et publier ensuite une série de rectificatifs et démentis.

Faits et procédure. Le 22 novembre 2016, entre 16h06m04s et 16h07, deux journalistes du Speed Desk du bureau parisien de l’agence de presse de la société Bloomberg LP ont publié diverses dépêches sur les terminaux Bloomberg reprenant, en substance, le contenu d’un communiqué de presse frauduleux intitulé « Vinci lance une révision de ses comptes consolidés pour l'année 2015 et le 1er semestre 2016 », reçu à 16h05.

L’activité du Speed Desk consiste en la publication d’informations financières en temps réel, extraites de communiqués de presse ou d’autres sources et relayées sous forme de flash ou alertes.

Ce communiqué mentionnait notamment la découverte d’irrégularités comptables très graves nécessitant une révision des comptes consolidés de Vinci au titre de l’exercice 2015 et du premier semestre de l’exercice 2016, avec pour conséquence la constatation d’une perte nette en lieu et place de profits pour la période considérée, ainsi que le licenciement de son directeur financier.

Consécutivement à la diffusion de ces dépêches, dont le contenu a également été relayé par d’autres médias, le cours du titre Vinci a enregistré une baisse de 18,28 %.

Dans une décision du 11 décembre 2019, la Commission des sanctions de l’AMF a infligé à la société Bloomberg LP une sanction de 5 millions d’euros pour avoir diffusé des informations qu’elle aurait dû savoir fausses et susceptibles de fixer le cours du titre Vinci à un niveau anormal ou artificiel (AMF, décision du 11 décembre 2019, sanction N° Lexbase : L0925LUS ; V. Téchené, Lexbase Affaires, décembre 2019, n° 618 N° Lexbase : N1655BYX). Bloomberg a formé un recours contre cette décision.

Décision. La cour d’appel de Paris a donc confirmé sur le fond la décision de la Commission des sanctions ; elle l’infirme néanmoins en ce qui concerne la sanction.

Des 26 pages de l’arrêt, on relèvera plusieurs éléments importants.

  • Application des règles sur les abus de marchés aux journalistes

Ainsi les juges d’appel retiennent qu’il résulte du libellé clair et précis de l’article 21 du Règlement « MAR » (Règlement (UE) n° 596/2014 du 16 avril 2014 N° Lexbase : L4814I3P), lequel institue un régime spécifique destiné à concilier la lutte contre les abus de marché avec les exigences découlant de la liberté de la presse, combiné à celui des articles 12 et 15 du Règlement, que ce texte ne limite, ni ne subordonne le prononcé d’une sanction contre un journaliste ou un organe de presse, du chef de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, au cas où il serait démontré que celui-ci aurait tiré un avantage de cette diffusion ou aurait agi dans l’intention d’induire le marché en erreur.

  • Principe de légalité des délits et des peines

La cour d’appel retient sur ce point qu’il ressort du libellé de ce même article 21 que le caractère licite ou illicite de la diffusion d’une information est apprécié en tenant compte des règles régissant la liberté de la presse et la liberté d’expression dans les autres médias et des règles ou codes régissant la profession de journaliste. Il en va particulièrement ainsi pour déterminer si un journaliste ou un organe de presse ayant diffusé des informations fausses ou trompeuses aurait dû savoir, au sens de l’article 12 du Règlement « MAR », que lesdites informations présentaient ces caractéristiques.

En outre, la circonstance selon laquelle il n’existerait pas en France, à la différence d’autres pays européens, de régulation contraignante de la profession de journaliste, n’est pas de nature à remettre en cause, au nom du principe de légalité des délits et des peines, l’application en l’espèce de l’article 21 du Règlement « MAR ».

Par ailleurs, les juges parisiens précisent qu’en tant que professionnel averti du monde de la presse, l’agence de presse avait nécessairement connaissance de l’abondante et constante jurisprudence de la CEDH sur les devoirs et responsabilités des journalistes, notamment en ce qui concerne l’étendue de l’obligation de vérification de déclarations factuelles à caractère diffamatoire, ainsi que des chartes (Charte de Munich sur les devoirs et les droits des journalistes de 1971 et Charte française d’éthique professionnelle des journalistes, dite Déclaration de Bordeaux de 2019).

Ainsi, Bloomberg était pleinement en mesure, à partir du libellé de l’article 21 du Règlement « MAR », renvoyant aux règles pertinentes en la matière, à la fois accessibles et prévisibles, d’évaluer à un degré raisonnable les risques encourus en cas de diffusion de fausses informations, quitte à s’entourer des conseils de juristes spécialisés.

  • Matérialité du manquement  

La cour d’appel relève, ensuite, que les dépêches litigieuses revêtent un caractère diffamatoire particulièrement grave. En effet, elles font état d’une série de faits précis et convergents mettant directement en cause la gestion et la solidité financière d’une société déterminée. Dès lors, en alléguant ainsi que Vinci connaît une importante dégradation de sa situation financière, les dépêches en cause affectent gravement sa réputation de société cotée. La diffusion de ces dépêches en cours de bourse, dont certaines à deux reprises, a amplifié la gravité de ces allégations. Il s’en est d’ailleurs suivi une chute brutale du cours du titre.

Ainsi, les juges parisiens retiennent-ils que les dépêches litigieuses présentent toutes les caractéristiques de la diffamation, et ce à un niveau de gravité élevé, ce qui exclut la possibilité de délier les journalistes ayant rédigé ces dépêches de leur obligation habituelle de vérification des faits allégués.

Or, ici, ne procédant à aucune de ces vérifications avant la diffusion des dépêches, alors que la simple lecture du communiqué, dans son intégralité, aurait dû les conduire, eu égard à la gravité des allégations, au moment de leur diffusion et à l’emploi de formules manifestement inhabituelles, à s’interroger sur l’authenticité de celui-ci et à procéder immédiatement à des vérifications qui leur auraient permis de détecter rapidement qu’il était faux, les journalistes concernés ont méconnu l’étendue de leurs devoirs et responsabilités.

La cour d’appel ajoute que la circonstance que les informations financières nécessitent une diffusion rapide, notamment, afin d’assurer la transparence des marchés et l’égale information des investisseurs en temps utile, ne remet pas en cause cette analyse.

Les journalistes auraient donc dû savoir que les informations diffusées dans les dépêches en cause étaient fausses.

Enfin, la diffusion des dépêches en cause ayant été réalisée sur les terminaux de Bloomberg, cette dernière a directement participé audit manquement en tant qu’auteur de la diffusion, de sorte que sa responsabilité est engagée.

  • Sanction

En revanche, pour les juges d’appel, c’est à tort que la Commission des sanctions n’a pas tenu compte de l’importante réactivité de Bloomberg pour interrompre puis supprimer la diffusion des dépêches en cause et publier ensuite une série de rectificatifs et démentis.

La cour estime qu’il y a lieu de réformer la décision attaquée sur le montant de la sanction et de fixer celui-ci à 3 millions d’euros (au lieu des 5 millions prononcés par la Commission des sanctions).

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