Lexbase Pénal n°41 du 23 septembre 2021 : Terrorisme

[Brèves] Loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement : censures constitutionnelles relatives aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance

Réf. : Cons. const., décision n° 2021-822 DC, du 30 juillet 2021, Loi relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement (N° Lexbase : A50804Z8)

Lecture: 10 min

N8515BYZ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement : censures constitutionnelles relatives aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/72477379-brevesloirelativealapreventiondactesdeterrorismeetaurenseignementcensuresconstitutionne
Copier

par Adélaïde Léon

le 22 Septembre 2021

► Dans sa décision du 30 juillet 2021, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la constitutionnalité de la loi relative à la prévention d’actes et terrorisme et au renseignement ; à cette occasion, il a été amené à censurer certaines dispositions relatives aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance.

Rappel de la procédure. Saisi par les sénateurs, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la constitutionnalité des articles 4, 6 et 25 de la loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.

I. Interdiction de paraître dans certains lieux

A. Motifs de la saisine

L’article 4 modifie l'article L. 228-2 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L7539LPW) afin d’autoriser le ministre de l’Intérieur à interdire, aux fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, à une personne de paraître dans un ou plusieurs lieux déterminés et dans lesquels se tient un évènement exposé, par son ampleur ou ses circonstances particulières, à un risque de menace terroriste. Il était reproché à ces dispositions de méconnaitre le droit au respect de la vie privée, et en particulier l’inviolabilité du domicile dès lors que n’était pas exclu du dispositif le domicile de l’intéressé.

B. Décision

Le Conseil écarte le grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée. Dans la mesure où cette interdiction ne peut concerner qu’un lieu dans lequel se déroule l’évènement d’ampleur précité, elle ne peut, par nature concerner le domicile de l’intéressé.

II. Allongement de la durée maximale des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance

A. Motif de la saisine

L’article dénoncé modifie les articles L. 228-2, L. 228-4 (N° Lexbase : L7559LPN) et L. 228-5 (N° Lexbase : L9281LPG) du Code de la sécurité intérieure qui autorisent le ministre de l'Intérieur à ordonner à une personne de se conformer à une ou plusieurs des obligations et interdictions prévues au titre des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (interdiction de paraître dans certains lieux, obligation de déclaration de domicile et de signaler des déplacements, interdiction de se trouver en relation avec certaines personnes), lorsque son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics en lien avec le risque de commission d’un acte de terrorisme. L’article 4 dénoncé permet l'allongement à vingt-quatre mois de la durée maximale de ces différentes mesures individuelles lorsqu'elles sont prononcées à l'encontre de personnes ayant été condamnées à une peine privative de liberté non assortie du sursis pour des faits de terrorisme. Selon les auteurs de la saisine, ces mesures sont des mesures de sûreté dont le contrôle aurait dû revenir au juge judiciaire. En les durcissant, le législateur aurait dû prévoir des garanties suffisantes, faute de quoi il porte atteinte à la liberté d’aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale.

B. Décision

Dans ses décisions 2017-691 QPC, du 16 février (N° Lexbase : A4593XDH) et 2017-695 QPC, 29 mars 2018 (N° Lexbase : A0553XIC), le Conseil avait jugé que, compte tenu de leur rigueur, les mesures prévues aux articles L. 228-2 et L. 228-5 du Code de la sécurité intérieure ne sauraient excéder une durée totale cumulée de douze mois.

Ici encore, et malgré l’encadrement du prononcé de ces mesures, rappelé par le Conseil (raisons sérieuses de penser que le comportement d’une personne constitue une menace d’une particulière gravité en lien avec le risque de commission d’un acte de terrorisme, relation habituelle avec des personnes ou organisations incitant à la commission d’acte de terrorisme, adhésion à une idéologie ou à des thèses incitant à ces actes), les Sages estiment que, compte tenu de la rigueur des mesures prévues aux articles L. 228-2, L. 228-4 et L. 228-5 du Code de la sécurité intérieure, la durée fixée par le législateur dans la loi contrôlée n’assure pas une conciliation équilibrée entre l’objectif constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et la liberté d’aller et venir, le droit au respect de la vie privée et le droit de mener une vie familiale normale. Le Conseil déclare donc inconstitutionnels le c du 1°, le b du 2° et le b du 3° du paragraphe I de l’article 4 de la loi déférée.

III. Délai de jugement par le juge des référés du tribunal administratif

A. Motifs de la saisine

Conformément à l’alinéa 7 de l’article L. 228-4 du Code de la sécurité intérieure, en cas de décision de renouvellement d’une mesure prévue à cet article, le juge des référés du tribunal administratif peut être saisi par l’intéressé d’une demande sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3058ALT). Or le paragraphe I de l’article 4 insère un nouvel alinéa à l’article L. 228-4 du Code de la sécurité intérieure en vue d’aménager le délai de jugement imparti au tribunal administratif en cas de saisine d’un tribunal territorialement incompétent. En vertu des dispositions différées, un délai de jugement de soixante-douze heures serait accordé au tribunal administratif à compter de l’enregistrement de la requête par le tribunal auquel celle-ci a été renvoyée. Selon les auteurs de la saisine, ces dispositions contreviendraient à l’objectif constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

B. Décision

Le Conseil constitutionnel déclare contraires à la Constitution les mots « de soixante-douze heures » après avoir rappelé que le délai de jugement prévu par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative est de quarante-huit heures. Le délai prévu par le législateur dans la loi déférée rendait donc les dispositions contestées inintelligibles.

IV. Prévention de la récidive et réinsertion des auteurs d’infractions terroristes.

A. Motifs de la saisine

L’article 6 de la loi déférée crée, aux articles 706-25-16 et suivants du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3896L7G), une mesure judiciaire applicable aux auteurs d’infractions terroristes, décidée à l’issue de leur peine en considération de leur particulière dangerosité, afin de les soumettre à certaines obligations, en vue de prévenir la récidive et d’assurer leur réinsertion. Selon les auteurs de la saisine, les dispositions en cause porteraient, par leur manque de précision, une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale.

B. Décision

Le Conseil rappelle que si les obligations ou interdictions concernées portent atteinte à ces droits elles poursuivent un objectif de lutte contre le terrorisme. Les Sages rappellent par ailleurs que quatre conditions cumulatives doivent être réunies pour que la mesure critiquée puisse être applicable (caractère terroriste de l’infraction, durée de la peine, bénéfice de mesure de réinsertion au cours de l’exécution de la peine, particulière dangerosité), que cette mesure, qui doit être motivée, ne peut être ordonnée que si elle apparaît strictement nécessaire et qu’elle est décidée au vu d’un avis d’une commission pluridisciplinaire après examen de la dangerosité et des capacités de réinsertion de l’intéressé et débat contradictoire devant le tribunal. Enfin, cette mesure ne peut être prononcée pour une durée supérieure à un an (renouvelable dans la limite de cinq ans – ou trois pour les mineurs – après avis de la commission pluridisciplinaire et sous réserve de l’existence d’éléments justifiant ce renouvellement).

Les garanties présentées par cette procédure conduisent le Conseil à juger que les dispositions contestées ne méconnaissent pas la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale.

V. Communication des archives publiques

A. Motifs de la saisine

Conformément à l’article L. 213-2 du Code du patrimoine (N° Lexbase : L5751LLL), les archives publiques sont communicables de plein droit, à l’expiration d’un délai de cinquante ans à compter de la date du document, pour les documents dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l’État dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de l’État, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la protection de la vie privée. Or, l’article 25 de la loi déférée prolonge ce délai pour certaines catégories de documents. Selon les sénateurs auteurs du second recours, les dispositions seraient non seulement entachées d’incompétence négative, mais cette prolongation conduirait par ailleurs à des délais indéfinis d’incommunicabilité constitutifs d’une atteinte disproportionnée au droit constitutionnel d’accès aux documents d’archives publiques découlant de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1362A9C)

B. Décision

Le Conseil juge les dispositions contestées conformes à la Constitution en émettant toutefois des réserves.

Les Sages soulignent que ces dispositions poursuivent un objectif de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation et de l’ordre public. Par ailleurs, elles s’appliquent à des documents très spécifiques et techniques dans les domaines des renseignements, du nucléaire, de la diplomatie, des matériels et installations militaires. Le Conseil précise toutefois que ces dispositions ne sauraient s’appliquer à des documents dont la communication n’a pas pour effet la révélation d’une information jusqu’alors inaccessible au public.

Le Conseil relève que les dispositions contestées reportent le terme de la période de communication de ces documents jusqu’à la survenue d’un évènement déterminé tenant, notamment à la fin de l’affectation des installations civiles et militaires, laquelle est constatée par un acte publié. Selon les sages, les dispositions critiquées ne sauraient faire obstacle à la communication relative aux caractéristiques de ces installations lorsque la fin de leur affectation est révélée par d’autres actes de l’autorité administrative ou par une constatation matérielle.

Sous ces deux réserves, le Conseil déclare conforme à la Constitution les dispositions visées et rejette le grief tenant à l’incompétence négative.

La loi n° 2021-998, du 30 juillet 2021, relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (N° Lexbase : L3896L7G) a été publiée au Journal officiel du 31 juillet 2021.

Pour aller plus loin : v. M.-L. Hardouin-Ayrinhac, Projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement : publication des avis de la CNIL, Lexbase Pénal, mai 2021 (N° Lexbase : N7506BYN).

newsid:478515