La lettre juridique n°632 du 11 novembre 2015 : Bancaire

[Panorama] Panorama de droit bancaire et financier - Première partie (institutions, institutions de régulation et monnaies ; comptes, paiements et instruments de paiement)

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N9819BU9

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par Hervé Causse, Professeur d'Université, Directeur du Master Droit des Affaires et de la Banque de l'Université d'Auvergne, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit bancaire"

le 11 Novembre 2015

Lexbase Hebdo édition affaires vous propose cette semaine un panorama en droit bancaire et financier rédigée par Hervé Causse, Professeur d'Université, Directeur du Master Droit des Affaires et de la Banque de l'Université d'Auvergne, Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit bancaire". L'auteur a sélectionné et commente plusieurs décisions rendues au cours de l'année 2015 en cette matière. Cette chronique se présente en deux parties. La première partie est consacrée aux institutions, institutions de régulation et monnaies (I) ; et aux comptes, paiements et instruments de paiement (II). La seconde partie (cf. N° Lexbase : N9820BUA) traite quant à elle des opérations de crédits et de financements (III) ; des opérations connexes, spéciales et exécution (IV) ; et des investissements, placements et marchés (V). I - Institutions, institutions de régulation et monnaies

1. Liberté d'octroyer des crédits, négociations, accord de principe et taux d'endettement. Motif pris d'un arrêt assez pointu, on rappelle que la banque est une commerçante qui bénéficie d'une grande liberté économique ; ainsi et notamment, elle n'est liée s'agissant d'un crédit que par sa signature ou sa promesse antérieure (H. Causse, Droit bancaire et financier, 2015, Mare et Martin, p. 599, n° 1219 ; sur la liberté de refuser un crédit, cf. Ass. plén., 9 octobre 2006, n° 06-11.056, publié N° Lexbase : A6865DRP, Bull. Ass. plén. n° 11, p. 27 ; JCP éd. G, 2006, II, 10175, note Th. Bonneau ; D., 2006, p. 2525, obs. X. Delpech ; D., 2006, p. 293, note D. Houtcieff ; JCP éd. E, 2007, 1679, n° 19, obs. N. Mathey). La confiance motive l'octroi d'un crédit et, si le banquier pense ne pas devoir être remboursé par un emprunteur, il a le droit (fondamental ?) de refuser le crédit. Si tel est le cas c'est que les remboursements sont la condition pour que les banques ne fassent pas faillite. Il doit donc être jugé, comme le fait la Cour de cassation (Cass. com., 2 juin 2015, n° 14-15.632, F-D N° Lexbase : A2145NKN ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E5146A3Y), qu'un accord de principe donné par une banque "sous les réserves d'usage" implique que les conditions définitives de l'octroi de son concours restent à définir et oblige seulement celle-ci à poursuivre, de bonne foi, les négociations en cours. L'augmentation du taux d'intérêt de 4 % visé dans l'accord de principe donné aux emprunteurs, puis, devant leur refus, la mise d'un terme aux négociations ne permettent pas d'engager la responsabilité de l'établissement alors que le taux d'endettement du candidat au financement s'élevait à 41,14 %, soit un taux supérieur à celui de 35,07 % figurant dans la demande de prêt. Sachant qu'un établissement doit se décider au vu d'un dossier à jour et de données actualisées (Cass. civ. 1, 9 juillet 2015, n° 14-18.559, F-D N° Lexbase : A7550NML, notamment pour savoir s'il délivre une mise en garde ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire N° Lexbase : E2201AHY).

2. Rappels sur l'exercice illégal de la profession de banquier. Deux arrêts de la Chambre criminelle rappellent à tous que les professions bancaires et financières requièrent un agrément (en principe de l'ACPR, parfois de l'AMF) ; sans ladite autorisation, ces professions ne peuvent pas être exercées (v. not. C. mon. fin., art. L. 511-5 N° Lexbase : L2550IXQ). Une incrimination renforce l'interdit civil, le Code monétaire et financier renferme de nombreuses infractions pénales (v. not. C. mon. fin., art. L. 571-3 N° Lexbase : L4250AP4, et les dispositions suivantes). Leur commission peut être le fait de particuliers ou d'entreprises opérant hors le secteur financier, mais aussi de professionnels agréés qui, étrangers ou nationaux, dépassent leur agrément. Cette hypothèse est de plus en plus grande alors que les métiers sont très sectorisés (services bancaires, services de paiement, services de garantie, services de change, services d'investissement, service de gestion de portefeuille...), les entreprises pouvant à l'occasion ne pas réaliser, tant les opérations sont techniques, qu'elles dépassent le domaine de leur agrément.

La première affaire évoque (Cass. crim., 11 mars 2015, n° 13-88.250, F-D N° Lexbase : A3274NDM ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E1223AHR) un exercice illégal de la profession de banquier, les juges d'appel ayant relevé que les prévenus ont collecté, auprès de nombreux immigrés installés en France, des fonds, lesquels devaient être, soit convertis en "machines outil " livrées en Algérie, soit changés en dinars remis à des résidents de ce pays. L'importance des sommes saisies et l'aménagement d'une cache dans la roue de secours d'un véhicule -cela ne s'invente pas- témoignent du caractère habituel des opérations. La réception, auprès d'un public identifié, de fonds que les prévenus, après en avoir eu la libre disposition, devaient rembourser, caractérise l'existence d'opérations de banque (dépôts à restituer) au sens de l'article L. 311-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2512IXC).

La seconde affaire voit des individus condamnés pour avoir encaissé des chèques et faits des retraits en liquide de ces sommes qui provenaient de délits. Le fondement légal de la condamnation est le délit de l'article L. 324-1 du Code pénal (N° Lexbase : L1789AM9) relatif au blanchiment ; il n'a pas été utile de se référer aux multiples dispositions du titre VI livre V du Code monétaire et financier (C. mon. fin., art. L. 561-1 N° Lexbase : L7095ICR et s.) qui imposent, par le menu détail, des pratiques professionnelles pour éviter la commission du délit (Cass. crim., 17 juin 2015, n° 14-80.977, FS-P N° Lexbase : A5127NLH ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire N° Lexbase : E1223AHR ; pour un autre cas de blanchiment au moyen de chèques et de la violation des articles L. 324-1, L. 324-2 N° Lexbase : L1958AMH du Code pénal, et C. mon. fin., art. L. 112-6 N° Lexbase : L7804IZ3, L. 131-6 N° Lexbase : L9362HD4, cf. Cass. crim., 17 mars 2015, n° 14-80.805, F-D N° Lexbase : A1750NEK).

3. "Rachats de dettes par la BCE" validés par la CJUE. Le Traité interdit à la BCE de financer les institutions publiques : "il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des Etats membres, ci-après dénommées banques centrales nationales', d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l'Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des Etats membres ; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la [BCE] ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite" (TFUE, art. 123 § 1 ; dispositif du Traité de Maastricht de 1992 (art. 101), dit "règle de l'article 123 du Traité de Lisbonne" ; rappr. loi n° 73-7 du 3 janvier 1973 sur la Banque de France : "le Trésor public ne peut être le présentateur de ses propres effets (titres) à l'escompte de la Banque de France" (art. 25) ; loi n° 93-980 du 4 août 1993, art. 3 N° Lexbase : L0639A33 ; C. mon. et fin., art. L. 141-3 N° Lexbase : L9818DYB). La première proposition de la phrase interdit tout financement, et la seconde interdit spécialement les acquisitions (directes) de titres (obligations étatiques ou autres espèces de titres étatiques), cette mention les montrant bien comme des financements (pour une analyse, v. notre ouvrage, op. cit., 2015, n° 389 et s. ; rapport Sénat, n° 533 : "Quoi qu'il en coûte" : la Banque centrale européenne face à la crise, 18 juin 2015, spéc. p. 23).

Malgré le principe interdisant le financement de toute collectivité publique, la BCE a voté, en septembre 2012, un programme d'achat des obligations d'Etats participant à l'euro. A défaut d'appliquer ce programme (dit OMT), dont la seule annonce a produit les effets voulus, la BCE a décidé et lancé effectivement, le 16 janvier 2015, un autre programme, dont la nature de quantitative easing (de politique monétaire assouplie), était cette fois avérée et assumée. Cette décision a été prise alors que la CJUE était saisie du litige par la question préjudicielle posée par la Cour constitutionnelle fédérale allemande de Karlsruhe (Bundesverfassungsgericht) qui donne l'arrêt discuté -le juge étant plutôt mis devant le fait accompli-. Il s'agit de parer à des attaques de l'euro à l'occasion des émissions d'obligations étatiques, spécialement grecques. L'ironie du sort aura voulu que ce soit au cours d'une énième crise grecque (bancaire, monétaire et européenne) que la CJUE donne raison à la BCE : les banques grecques ont dû fermer en juin et juillet 2015 ; fallait-il penser que ces mesures étaient indispensables ou qu'elles étaient vaines puisque les difficultés -certes essentiellement grecques- perduraient ? L'arrêt de la CJUE n'est pas intervenu dans un contexte serein : l'ensemble des autorités européennes cherchaient en urgence et encore une solution à la dette grecque.

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Dans un arrêt de principe du 16 juin 2015 (CJUE, 16 juin 2015, aff. C-62/14 N° Lexbase : A9353NKM, D., 2015, 2145, obs. H. Synvet ; Dalloz Actualité, 17 juillet 2015, obs. E. Autier ; JCP éd. G, 2015, 814, obs. Th. Bonneau ; Europe 2015, Repère 7, obs. D. Simon), la CJUE valide la décision de la BCE qu'elle vise à travers son communiqué de presse. De ce texte riche, on note le considérant 54 qui semble être, au fond, le plus décisif : "l'article 18, paragraphe 1, du protocole sur le SEBC et la BCE, figurant sous le chapitre IV de celui-ci, afin d'atteindre les objectifs du SEBC et d'accomplir ses missions, tels qu'ils résultent du droit primaire, la BCE et les banques centrales nationales peuvent, en principe, intervenir sur les marchés de capitaux en achetant et en vendant ferme des titres négociables libellés en euros. Il s'ensuit que les opérations envisagées par le conseil des gouverneurs dans le communiqué de presse utilisent l'un des instruments de la politique monétaire prévus par le droit primaire". L'état juridique de la BCE n'a jamais fait douter qu'elle puisse intervenir sur les marchés, sauf pour financer massivement et ouvertement les collectivités publiques. La CJUE fait toutefois une réserve sur les garanties d'un tel plan d'achat (dit ici OMT) que la BCE doit prendre (ce qui reste naturellement très virtuel...) ; elle contrôle ensuite la proportionnalité de la décision sans en tirer de grief, elle la valide donc (les pouvoirs de la BCE sont aussi discutés sur d'autres plans ; elle n'est pas compétente pour règlementer l'activité des chambres de compensation : TPIUE, 4 mars 2015, aff. T-496/11 N° Lexbase : A6792NCK). Quatre mois après cette décision, la BCE semble se sentir libérée du droit ; interprétant les propos de son président, la presse titre en première page "La BCE prête à tout pour raviver la croissance" (Le Monde, 24 octobre 2015, p. 1). La politique monétaire est probablement enrichie de plus d'un nouvel instrument monétaire que ce seul type d'opération de rachat ! Outre ceux de droit, les manuels d'économie qui ne disaient rien de cela vont pouvoir être complétés.

4. Le secret bancaire et la copropriété. Dans le régime de la copropriété des immeubles bâtis, la copropriété est une personne morale, le syndicat de copropriété, représentée par le syndic qui, assisté par le conseil syndical, applique les décisions de l'assemblée des copropriétaires qui délibère sur les questions de la copropriété. Dans ce contexte, le secret bancaire est évidemment inopposable au syndicat de copropriété s'agissant du compte bancaire renfermant les opérations de la copropriété. Le syndic, professionnel ou pas, a la mainmise sur le compte qu'il a du reste le pouvoir d'ouvrir (loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, art. 18 N° Lexbase : L5536AG7). Un syndic estima pourtant que la banque avait violé le secret bancaire en transmettant des informations relatives au fonctionnement de ce compte au président du conseil syndical : le syndic a assigné la banque en responsabilité, en vain jugea le juge du fond (CA Reims, 28 mai 2013, n° 11/01564 N° Lexbase : A0048KEI) dont le pourvoi contre son arrêt fut rejeté (Cass. com., 24 mars 2015, n° 13-22597, F-P+B N° Lexbase : A6610NEK). Le compte bancaire d'un syndicat est en principe séparé du ou des comptes propres au syndic (sauf délibération spéciale de l'AG qui peut accepter la forme d'un sous-compte, v. art. 18, préc.). Or, en l'espèce, le compte était réservé à la copropriété mais non séparé : il était ouvert au nom de la société du syndic professionnel, ce qui est une irrégularité. En communiquant des informations sur ce compte au président du conseil syndical, l'établissement semblait violer le secret bancaire puisqu'il communiquait des éléments relatifs à un compte qui n'était pas au nom du syndicat de copropriété. C'est ce qu'a soutenu ce syndic, sachant que le banquier a pu signaler, à l'occasion, la situation d'anomalie de ce compte (qui n'était pas exactement un compte séparé). Pour situer le contexte, rappelons que le conseil syndical a vocation à obtenir les éléments du compte de la copropriété : les alinéas 3 et 4 de l'article 21 de la loi de 1965 disposent que le conseil syndical (et donc son président) reçoit tout document relatif au syndicat de copropriété, mais l'article 18 dispose que c'est "le syndic [qui] met à disposition du conseil syndical une copie des relevés périodiques du compte, dès réception de ceux-ci". On comprend alors que la Cour de cassation approuve le juge d'appel sans un luxe de motifs : "le compte litigieux [...] n'était pas un compte séparé au sens de l'article 18 de la loi du 10 juillet 1965 et [...] il enregistrait exclusivement les opérations de gestion de la copropriété [...], la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deuxième à quatrième branches, en a exactement déduit que le secret bancaire ne s'opposait pas à la communication, au syndicat, d'informations sur le fonctionnement de ce compte" (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E7940AKB).

II - Comptes, paiements et instruments de paiements

5. Contrôle par l'établissement de l'opposition à un chèque. L'établissement de crédit sur lequel a été tiré un chèque qui, ensuite, a été frappé d'opposition n'a pas à vérifier la réalité du motif d'opposition invoqué mais seulement si ce motif est l'un de ceux autorisés par la loi (Cass. com., 16 juin 2015, n° 14-13.493, P+B N° Lexbase : A5288NLG ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E9190AE4). L'arrêt sera utile à la pratique car le banquier en viendrait parfois à enquêter sur la réalité (mot de l'arrêt), alors qu'il doit s'en tenir au motif donné, sans du reste avoir de moyens pour un contrôle in concreto (perspective qui est d'ailleurs mise en échec par le principe de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client). L'opposition était en l'espèce fondée sur l'absence d'une signature conforme, et la cour d'appel (CA Saint-Denis de la Réunion, 29 novembre 2013, n° 12/01891 N° Lexbase : A6934KQU) qui a ainsi "fait ressortir" qu'était alléguée une utilisation frauduleuse des chèques n'avait pas à effectuer d'autre vérification. Ce cas d'opposition de l'article L. 131-35 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L4089IAP) est, de par l'expression légale ("utilisation frauduleuse"), assez difficile à appliquer car, très large, il peut étonner les employés de banque. L'illustration par cet arrêt vaut d'autant plus. La même formation commerciale avait déjà énoncé la solution quelques semaines auparavant, tout en admettant la possibilité d'une faute contractuelle de la banque qui, pour sa part, ne peut donner aucune explication sur le type de motif fondant l'opposition puisque l'établissement doit le consigner à partir de la déclaration de l'opposant (Cass. com., 17 février 2015, n° 13-22.520, F-D N° Lexbase : A0012NCG).

6. L'extrait de compte d'une seule ligne et la déclaration de créance. Un établissement cherchait un relevé de compte pour perdre son procès ? En tout cas ce fut le cas, car il l'a produit, au double sens qu'il l'a créé et qu'il l'a joint à une déclaration de créance (production judiciaire). La créance a été rejetée sans doute car ce relevé de compte d'une seule ligne a paru bien suspect par rapports aux autres (sur le relevé, J. Stoufflet et alii, Travaux dirigés de droit bancaire, LexisNexis, 2011, p. 77). Le banquier attaque ce rejet de créance mais la Cour de cassation l'invite à revoir les textes sur les procédures collectives (Cass. com., 2 juin 2015, n° 14-10.391, F-P+B N° Lexbase : A2191NKD). Il n'appartient pas au juge saisi d'inviter la banque à produire les documents justificatifs faisant défaut, au motif d'une prétendue obligation tirée des articles L. 622-25, alinéa 1er (N° Lexbase : L3745HBC) et L. 643-1 (N° Lexbase : L3504ICR), dans leur rédaction issue de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L5150HGT) et R. 622-23 du Code de commerce (N° Lexbase : L0895HZ8). Lorsque le débiteur ou le liquidateur conteste la déclaration de créance en invoquant l'absence ou l'insuffisance des justifications produites à l'appui de celle-ci, comme dans le cas d'espèce, il appartient au créancier, ici le banquier, de verser aux débats, le cas échéant, des pièces complémentaires probantes. Ce relevé ressemblait trop à un instrumentum que le créancier s'était fait pour lui-même, alors que la créance ressortant d'un compte est une suite d'opérations régulièrement communiquées au client. Qu'on se le dise, chez les débiteurs opportunistes, qui pourraient contester les créances mal produites, et chez les banquiers inondés de procédures collectives. L'espèce n'est pas qu'anecdotique : elle illustre, certes par extrapolation, la difficulté pour les parties de savoir ce qui vaut titre de créance (cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté N° Lexbase : E0430EX9.

7. Avertissement du tireur d'un chèque problématique. L'avertissement que le banquier tiré doit à son client, le tireur, à défaut de provision, est destiné à lui rappeler les conséquences de ce tirage (C. mon. fin., art. L. 131-73, al. 1er N° Lexbase : L6672IM3). Indiscutablement, cet avertissement permet de réparer les difficultés liées à de pures maladresses du client qui a pu oublier d'approvisionner le compte en cause ou qui l'a débité en oubliant le chèque en cause et que le tiré est obligé de refuser de payer. Cette formalité, qui est une obligation légale, a son utilité ; à l'occasion, le défaut d'avertissement peut constituer une faute qui cause au client un préjudice réparable (Cass. com., 14 mars 2006, n° 04-16.946, FS-P+B N° Lexbase : A6069DN4, Bull. civ. IV, n° 64). Toutefois, tel n'est pas systématiquement le cas. Il n'y a pas de responsabilité civile de l'établissement à défaut de préjudice, notamment si le tireur, après avoir reçu l'avertissement, ne peut pas, de toute façon, constituer la provision (Cass. com., 17 février 2015, n° 13-28.495, F-D N° Lexbase : A0046NCP ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E9736AEC) ; la responsabilité suppose l'existence d'un préjudice, lequel n'existe pas si l'avertissement ne sert à rien au client. L'infortune appelle l'infortune.

8. Des chèques aux endossements de fortune. Il n'est pas besoin d'insister sur le caractère formel du chèque. Le formalisme répond à un objectif de rapidité et d'efficacité, non réellement à celui de la protection de tel ou tel signataire de ce titre, ou d'un autre effet de commerce. Sans paradoxe, toute irrégularité semble devoir entraver le jeu du titre, plus le formalisme est poussé, ne tenant qu'à quelques mots ou signes, plus il est indispensable (mais tout formalisme est indispensable). De ce fait, si malgré un défaut formel, le titre accomplit son oeuvre en étant exécuté, celui qui souffre de cette exécution peut alors penser pouvoir engager la responsabilité civile banquier qui a prêté son concours à une opération (formellement) irrégulière. Des décisions indiquent qu'il faut cependant y réfléchir à deux fois : certaines irrégularités formelles ne dérivent pas en cas de responsabilité. Ainsi en est-il du chèque à son ordre endossé par la concubine, endossement non pas fait au profit de sa banque mais de son compagnon, lequel encaisse ensuite le chèque sur son compte à lui. Deux ans plus tard, la concubine vient se plaindre de ce que la banque a encaissé un chèque formellement irrégulier : la concubine pouvait seulement l'endosser au profit d'un établissement de crédit et son compagnon ne pouvait pas, lui, l'endosser. Restituant les faits à l'origine de cet endossement (opération faite par les concubins ensemble au guichet pour un partage de gains de jeux), les juges du fond (CA Aix-en-Provence, 23 mai 2013, n° 12/17982 N° Lexbase : A7606KD3) et du droit (Cass. com., 17 février 2015, n° 13-23.156, F-D N° Lexbase : A0183NCR ; cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E6915AET) rejettent la demande de responsabilité civile de la banque. Dans un arrêt un peu plus ancien, la signature de l'endosseur était celle du tireur (par hypothèse sans que cela dusse être le cas, comme lorsque l'on tire un chèque à son ordre et à son propre profit) ; les juges n'y voient aucune anomalie apparente, approuvant une motivation au fond faisant référence au bordereau de remise du chèque qui, de surcroît, comportait une erreur (Cass. com., 23 septembre 2014, n° 13-21.338, F-D N° Lexbase : A3196MXN). Ainsi, a-t-on envie de dire, le droit du chèque est strict et formel, sauf quand il l'est moins. La réflexion fondamentale théorique sur les titres pourrait peut-être être revisitée à la lumière de tels cas et de l'idée que des actes juridiques se cachent derrière certains mots (tireur, endossement, aval) qui parfois ressurgissent (v. sur le negotium du chèque : nos obs., Les titres négociables, Essai sur le contrat négociable, 1993, Litec, p. 240, n° 415).

9. Retraits de compte et de coffre-fort sur fond d'abus de faiblesse. Une personne avait "aidé" un monsieur d'un certain âge à faire de multiples retraits et fut condamnée pour abus de faiblesse par le juge pénal. L'héritière, devenue tutrice, a alors agi au civil contre la banque en invoquant son devoir de vigilance ; l'argument, trop facile et trop nébuleux, ne prospère pas la plupart du temps contrairement à ce que croit la pratique (sur ce point, nos obs., L'évanescente obligation de vigilance, Lexbase Hebdo n° 385 du 12 juin 2014 - édition affaires N° Lexbase : N2591BUI ; v. aussi, nos obs., in Panorama de droit bancaire et financier - Première partie (institutions, institutions de régulation et monnaies ; comptes, paiements et instruments de paiement) (n° 13), Lexbase Hebdo n° 407 du 8 janvier 2015 - édition affaires N° Lexbase : N5318BUI). La Haute juridiction considère (Cass. com., 27 janvier 2015, n° 13-20.088, F-D N° Lexbase : A7121NAY), au vu de faits précis (retraits opérés au guichet par le client dont le consentement a été vérifié par l'employé de banque), que les retraits de compte n'engagent pas la responsabilité de l'établissement. En revanche, les retraits du coffre-fort sont jugés irréguliers dès lors que le client était hospitalisé, un défaut de surveillance (et non de vigilance) de la banque étant relevé ; ces retraits constituent un préjudice certain car, avec un contrôle, ils n'auraient pas été effectués (cf. l’Ouvrage "Droit bancaire" N° Lexbase : E8732AUX et N° Lexbase : E9489AKN).

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