La lettre juridique n°632 du 11 novembre 2015 : Arbitrage

[Pratique professionnelle] L'arbitrage à juge unique : fausse ou vraie bonne solution ?

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N9661BUD

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par Dominique Vidal, Professeur émérite, Arbitre agréé ICC, IEMA

le 11 Novembre 2015

La pratique reconnait volontiers les avantages de l'arbitrage, mais elle soulève souvent l'inconvénient de son coût. Or, l'intervention d'un arbitre unique coûte a priori trois fois moins que celle d'un collège arbitral (ou 40 %). Est-ce une bonne solution ? A l'inverse, la prudence naturelle à l'égard du juge unique en général conduit-elle à la faire considérer comme une fausse bonne solution ? Bien plus, passe encore que l'on plaide devant un juge unique imposé par la loi, mais pourquoi irait-on prendre l'initiative de mettre en place un arbitre unique ? Et si la sentence rendue s'avère défavorable, comment justifier, à l'égard du client, d'avoir fait ce choix ? Au pire, ne risque-t-on pas une responsabilité professionnelle pour avoir privé son client d'une collégialité de juges, fussent-ils arbitraux ? Telle est une première approche de la problématique. Pourtant, il existe certaines considérations juridiques et certains développements récents de la pratique qui peuvent permettre d'y voir parfois une bonne solution. Rappelons d'abord brièvement quelques principes de base de l'arbitrage. L'arbitrage est un mode alternatif de règlement des litiges ; il est "alternatif" dans le sens où il propose le traitement d'un litige en dehors du recours aux tribunaux étatiques. Il n'en est pas moins un mode de règlement juridictionnel du litige, dans le sens où la solution échappe à la volonté des parties alors que dans les autres modes alternatifs de règlement des litiges, des différends ou des confits, les parties conservent le droit de refuser ou d'accepter la solution qui leur est "proposée". D'où l'importance du choix entre un tribunal arbitral collégial et un arbitre unique.

L'arbitrage est un mode conventionnel de règlement juridictionnel d'un litige. La configuration peut surprendre, tant le phénomène juridictionnel est généralement associé au domaine judiciaire. Mais l'histoire et le droit comparé démontrent que le juge peut tenir sa fonction du Prince, de l'administration, de l'élection ou du contrat. L'arbitre est un juge qui tient sa fonction juridictionnelle de la convention d'arbitrage, clause compromissoire ou compromis.

L'arbitre est un juge. Il rend une décision qui a autorité de chose jugée et qui pourra à ce titre fonder par exemple une mesure conservatoire. La sentence pourra donner lieu à exécution forcée au terme d'une procédure d'exequatur au demeurant fort simple dans son déroulement et ses critères. L'arbitre n'a pas le pouvoir d'accorder la force exécutoire (imperium) ; mais il a le pouvoir (et le devoir) de dire le droit entre les parties (jurisdictio), ou à tout le moins de trancher le litige par une décision rationnelle (en droit ou bien en amiable composition) qui aura autorité.

Cela emporte pour conséquences, notamment, l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre, le respect du principe de la contradiction, la motivation de la sentence. Accessoirement, cela autorise l'intitulé : l'arbitrage à juge unique.

Les intérêts pratiques de l'arbitrage sont bien connus ; l'on peut les rappeler brièvement.

Célérité. L'arbitrage est plus rapide que la procédure judiciaire. Une certaine célérité de la justice arbitrale tient à sa nature propre, aux besoins des parties, aux habitudes de ceux qui l'administrent, à leur conscience de sa nécessité, à l'usage des moyens modernes de communication. Le délai dans lequel une solution définitive est trouvée à un litige de droit des affaires a souvent une valeur économique en soi. Le rythme de l'entreprise n'est pas celui du Palais. Le temps de l'arbitrage se rapproche de celui de l'entreprise.

Globalité. L'arbitrage peut inclure dans l'objet du litige plusieurs différends que les règles de prorogation de la compétence judiciaire ne permettraient pas toujours d'instruire et de juger ensemble, alors qu'une bonne administration de la justice le commande.

Confidentialité. Elle demeure un principe, le plus souvent respecté.

Savoir-faire arbitral. Il serait discourtois à l'égard du monde judiciaire et fort injuste de considérer, en général, que les arbitres sont meilleurs juges. Toujours est-il que, compte tenu de la nature du litige, les parties ont la possibilité de désigner des arbitres dont ils savent qu'ils auront a priori une connaissance et un savoir-faire appropriés.

Pertinence des devoirs de l'arbitre. Entre une certaine perfection de la règle de droit ou du système juridique, à la recherche de laquelle le monde judiciaire est réputé participer d'une part, et d'autre part la recherche du caractère raisonnable de la solution, l'arbitrage préfère la seconde approche. A cet effet, on a pu mettre en évidence quatre devoirs de l'arbitre : 1°/ rendre une sentence juste et fidèle au contexte ; 2°/ respecter l'équité procédurale ; 3°/ rechercher l'efficacité et administrer une justice optimale ; 4°/ se préoccuper de l'exécution à venir de la sentence.

Reste le coût de l'arbitrage, souvent présenté comme un inconvénient. Admettons en le principe. Les quelques dizaines ou quelques centaines d'heures d'arbitres qui sont souvent des professionnels confirmés représente assurément un budget significatif, ou souvent important. Certes, il existe des barèmes de frais et honoraires d'arbitrage que même les arbitres ad hoc se font un devoir moral de respecter ; mais ils affichent des sommes qui sont conséquentes, quoiqu'en corrélation avec l'ampleur des tâches à accomplir.

Pourtant, il ne faut pas se limiter à considérer seulement de telles sommes affichées. L'arbitrage fait faire des économies, parfois considérables. La célérité de la procédure en limite proportionnellement le coût global. La rapidité de la solution du litige peut souvent avoir une valeur économique en soi. La maîtrise des délais optimise les coûts difficilement mesurables mais bien réels et considérables que représentent les frais et diligences des services de l'entreprise qui suivent le procès et qui ont mieux à faire ; le tout sans sous-estimer les risques de déstabilisation interne de l'entreprise ; un procès important sur ce que les différents services ont fait, ou n'ont pas fait, ou ont mal fait, n'étant jamais neutre.

En tout état de cause, les bons arbitres appliquent le principe de délicatesse. Dernière considération et non des moindres, le tribunal arbitral pourra faire application dans sa sentence de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG) et les arbitres, à l'instar du juge judiciaire, le font de moins en moins rarement.

Reste un solde, et c'est ce solde qu'il faut considérer. Il reste pour les parties une charge que les difficultés économiques du moment peuvent rendre difficilement supportable. D'où la question : est-il judicieux de désigner un seul arbitre ?

Si l'on exprime la curiosité d'interroger la CCI de Paris (I.C.C.) sur la composition des tribunaux arbitraux qu'elle désigne, l'on peut voir que, sur la période sous revue, soit depuis 15 ans et sur plusieurs centaines de procédures, l'arbitre unique intervient de manière constante, bon an mal an, dans près de 40 % des cas. Voilà qui donne à réfléchir.

Procédons par étapes. Il est d'abord des circonstances où l'arbitre unique est désigné par un tiers, institution d'arbitrage ou juge d'appui. Le rôle des avocats est alors limité à la préparation et la mise en oeuvre d'une telle désignation (I). Fort de ces premières indications, on se demandera comment l'avocat peut affronter la problématique de la désignation par les parties (II).

I - L'arbitre unique désigné par un tiers

A - Désignation par le juge d'appui

Rappelons que, selon l'article 1451, alinéa 3 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2272IPT), si les parties ne s'accordent pas sur la désignation d'un arbitre complémentaire (le "troisième arbitre"), le tribunal arbitral est complété par le juge d'appui mentionné à l'article 1459 du même code (N° Lexbase : L2267IPN), c'est-à-dire le président du TGI. L'article 1452 (N° Lexbase : L2271IPS) prévoit la même solution en cas d'arbitrage par un arbitre unique, si les parties ne s'accordent pas sur le choix de l'arbitre. Tout cela est fort classique et bien connu.

En revanche, l'article 1453 (N° Lexbase : L2270IPR) ajoute en 2011 (décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, portant réforme de l'arbitrage N° Lexbase : L1700IPN) une solution nouvelle : "lorsque le litige oppose plus de deux parties et que celles-ci ne s'accordent pas sur les modalités de constitution du tribunal arbitral, la personne chargée d'organiser l'arbitrage ou, à défaut, le juge d'appui, désigne le ou les arbitres".

Si l'on envisage par exemple un litige de travaux publics ou de construction. En matière internationale, l'arbitrage y est d'usage courant, et c'est le contraire en matière interne. La réforme de 2001 (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ) rend pourtant éligible à la clause compromissoire le domaine des activités professionnelles non commerciales, parmi lesquelles figurent bien entendu les activités de construction immobilière.

Mais la difficulté demeure de constituer un tribunal arbitral dans le respect du principe d'égalité des parties : s'il y a sept ou huit parties ou davantage, ce qui est fréquent (un maître d'ouvrage, un maître d'oeuvre, un cabinet d'ingénieurs, un géologue, une entreprise principale, une société d'assurance, une société de vérifications techniques, et un nombre plus ou moins important de sous-traitants à différents niveaux), faut-il désigner autant d'arbitres ou bien faut-il considérer que certaines parties puissent désigner un arbitre commun ? Mais alors selon quels critères? Peut-on les adopter sans préjugé ? Que faire si le déroulement de la procédure fait émerger un conflit d'intérêts entre certaines des parties qui ont désigné un arbitre commun ? L'on voit bien que la solution n'est guère praticable.

L'on peut certes imaginer de considérer que certaines parties ont des intérêts de même nature permettant de ne désigner qu'un arbitre pour leur compte (par exemple les sous-traitants d'une même catégorie) ; mais cette considération est aléatoire, factuelle, et, pour finir, proche d'un préjugé qui peut être démenti par les circonstances.

Jusqu'au décret du 13 janvier 2011, le juge d'appui n'avait d'autre pouvoir que celui de suppléer la carence de la volonté des parties, c'est-à-dire prendre une décision que les parties elles-mêmes auraient eu le pouvoir de prendre. Décider de prendre un arbitre unique dans un litige entre dix personnes, qui n'en sont pas convenues, n'était pas au pouvoir du juge d'appui. Désormais, le juge d'appui peut désigner un arbitre unique dans un arbitrage multipartite.

Comment douter que ce puisse être une bonne solution lorsque l'on voit les délais de mise en état, d'audiencement ou de renvoi qui sont en vigueur devant certaines juridictions étatiques à un point tel que l'on peut tenir pour déraisonnable qu'il faille ainsi plusieurs années après expertise pour obtenir une décision au fond. L'arbitre unique permettrait à l'arbitrage de se développer utilement dans le domaine du droit de la construction.

B - Désignation par le centre d'arbitrage

Dans un arbitrage que l'on dit "administré" par un centre d'arbitrage, si la clause compromissoire prévoit un arbitre unique et si les parties ne s'accordent pas sur le choix de l'arbitre, l'article 1452 du Code de procédure civile prévoit que celui-ci est désigné par la personne chargée d'organiser l'arbitrage. L'hypothèse de base est bien celle où 1°/ la clause compromissoire prévoit un arbitrage institutionnel ; 2°/ avec la précision de la désignation d'un arbitre unique ; 3°/ et à défaut d'accord des parties sur le choix de l'arbitre.

La solution est reprise par les centres d'arbitrage, par exemple l article 12-3 du Règlement ICC ; autre exemple, l'article 9, alinéa 5, du Règlement IEMA (Nice) prévoit que "si les deux parties ont opté pour l'arbitrage unique, le Président de la chambre arbitrale désignera cet arbitre unique à défaut d'accord des parties sur le choix de l'arbitre".

Bien plus, dans le Règlement ICC, l'article 12-2 dispose que "si les parties ne sont pas convenues du nombre d'arbitres, la Cour nomme un arbitre unique, à moins que le différend ne lui paraisse justifier la nomination de trois arbitres". Dans les arbitrages ICC, une règle supplétive donne ainsi la préférence à l'arbitre unique.

Quant à l'appréciation de la question de savoir si le différend parait justifier la nomination de trois arbitres, elle est de la stricte compétence de la Cour internationale d'arbitrage (organe de gouvernance de la CCI) et elle échappe à tout contrôle.

II - L'arbitre unique désigné par les parties

L'article 1451 du Code de procédure civile dispose que "le tribunal arbitral est composé d'un ou de plusieurs arbitres en nombre impair". Les parties ont le choix. La question se pose dans le contexte de l'arbitrage ad hoc aussi bien que dans celui de l'arbitrage institutionnel.

Rappelons qu'en l'état d'une clause compromissoire qui prévoit un tribunal à trois membres, les parties peuvent encore décider d'un commun accord de nommer un arbitre unique. L'option pour l'unicité d'arbitre peut intervenir à la clause compromissoire, mais aussi au compromis ou encore à l'acte de mission. Autrement dit, le domaine d'un tel choix est très large ; les parties ont cette liberté.

La question qui se pose est celle de l'usage de cette liberté ; quels peuvent être les critères du choix qui sera exercé par les avocats et leurs clients entre l'option "tribunal arbitral collégial" et l'option "arbitre unique" ? Chaque cas sera évidemment particulier. Dans cette perspective, on peut identifier et regrouper d'une part des motifs d'inquiétude (A), d'autre part des motifs d'apaisement de telles inquiétudes (B).

A - Quelques motifs d'inquiétude

Les craintes suscitées par l'unicité d'arbitre. L'on sait bien l'hésitation, la perplexité, la crainte ou la frayeur que peut faire naître en pratique l'hypothèse d'un arbitre unique. Ne serait-ce pas altérer la qualité du délibéré ? Le "délibéré avec soi-même" sera-t-il aussi exhaustif que s'il était collégial ? L'impartialité du juge unique ne serait-elle pas davantage exposée à certaines tentations ?

Personne ne pourra jamais dissiper de telles craintes, il faut bien le reconnaître. Les avantages de l'arbitre unique ne doivent pas empêcher de demeurer lucide sur certains risques. L'on peut cependant les mesurer et les relativiser.

D'abord, de tels risques ne sont pas propres à l'arbitre unique. Dans le domaine de l'arbitrage, une certaine affaire à retentissement médiatique donne à penser qu'un certain dysfonctionnement peut s'envisager aussi bien avec un tribunal arbitral collégial.

D'ailleurs, même sans aucun dysfonctionnement, il faut bien admettre que dans toute formation collégiale juridictionnelle le rôle du président est de toute façon prépondérant, s'il n'est déterminant. Le tribunal à juge unique manifesterait donc une différence de degré davantage qu'une différence de nature.

L'arbitre unique est un juge unique. L'arbitrage à juge unique n'est qu'une application du procédé plus général de la juridiction statuant à juge unique. Qu'elle soit composée d'un juge unique comme le tribunal d'instance, ou bien qu'elle soit a priori collégiale et parfois habilitée à statuer à juge unique, comme le tribunal de grande instance, il est en définitive assez fréquent dans le domaine civil qu'une juridiction judiciaire décide à juge unique. L'observation vaut pour le domaine commercial ; qu'il suffise de songer au juge-commissaire.

Certes, l'institution du juge unique au TGI a soulevé à une certaine époque quelques protestations. Mais il s'est avéré que cette modalité, en définitive, n'avait pas pour effet d'altérer globalement la qualité des décisions de justice rendues et en toute hypothèse, la question ne soulève plus d'objection. La même crainte envers l'arbitre unique pourrait-elle connaître la même évolution ? L'avenir le dira.

Pour l'anecdote, rappelons qu'en 1996, l'Université de Toulon organisait un colloque sur les juges uniques. Dans son rapport de synthèse (1), le professeur Jacques Mestre rappelait (Actes du colloque, Dalloz 1996, p.136) que 21 ans auparavant, un autre colloque des IEJ, également consacré au juge unique, se demandait si l'on pouvait admettre cette unicité par rapport à une norme souhaitable de collégialité. Il exposait que le débat semblait alors "largement dépassé", observant que le colloque avait démontré que l'unicité n'était pas fondamentalement une mauvaise chose et avait même des avantages spécifiques.

B - Quelques motifs d'apaisement de telles inquiétudes

Les avantages de l'arbitre unique. L'arbitre unique présente des avantages spécifiques, parfaitement en phase avec la logique de l'arbitrage (sans les ordonner selon leur importance, qui peut d'ailleurs varier selon les procédures) : 1°/ le coût des honoraires d'arbitrage est allégé ; 2°/ l'organisation pratique du déroulement de la procédure d'arbitrage est plus facile, à commencer par le calendrier de la procédure (accessoirement mais surtout, la modification du calendrier également, ce qui peut à l'occasion donner à l'agenda une souplesse bienvenue) ; 3°/ le dialogue avec les avocats des parties ou avec les parties est plus direct ; 4°/ l'arbitre unique se ressent plus directement responsable ; 5°/ la procédure est aisément plus rapide dans le respect constant des conditions requises. En définitive, un arbitre, dont la compétence est notoire, a pu écrire (2) que "l'arbitre unique peut remplir la mission qui lui est confiée dans le parfait respect des règles qui régissent l'arbitrage".

Peut-on se référer à l'enjeu du différend ? Peut-on envisager que l'arbitre unique convient mieux à des "petites affaires", à raison du meilleur coût de l'arbitrage ? Il leur convient bien, pour cette raison.

Mais on rencontre aussi l'arbitrage à juge unique pour des litiges très importants. La pratique de la CCI de Paris en atteste. Ce sera notamment le cas si la procédure doit être particulièrement rapide. On peut évoquer un exemple exposé à une session de formation, celui d'un litige relatif au renouvellement d'un contrat dont le terme était proche, que les parties avaient intérêt à voir jugé avant l'expiration du contrat en cours. Le litige concernait deux très grosses entreprises dont l'effectif de salariés se comptait en milliers, et il n'était pas question que le problème ne fût pas résolue en temps utile. Elle l'a été.

Un autre argument en faveur de l'arbitre unique, assez péremptoire en matière internationale, est seulement indicatif en matière interne, du moins pour l'instant. L'article 1513, alinéa 3, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2206IPE), relatif à la sentence d'arbitrage international, dispose "à défaut de majorité, le président du tribunal arbitral statue seul. En cas de refus de signature des autres arbitres, le président en fait mention dans la sentence qu'il signe alors seul".

Dans un tel cas de figure, chacun s'accordera à considérer que le président du tribunal arbitral collégial se comporte en définitive comme un arbitre unique, du moins au stade du délibéré, de la rédaction de la sentence et de sa signature (ce qui est tout de même le plus important) alors même que les parties n'avaient pas fait le choix de désigner un tribunal arbitral à juge unique.

Puisque la volonté commune des parties de ne pas choisir un arbitre unique peut être licitement surprise, c'est que cette volonté ne mérite pas de protection, et si tel est le cas, c'est qu'elle n'exprime pas une qualité supérieure de règlement du litige. L'on peut certes mesurer le côté discutable de l'argument. Mais l'arbitrage n'est pas qu'un mode conventionnel de règlement ; il comporte aussi une dimension matérielle qui peut échapper à la volonté exprimée par les parties, tout en demeurant fidèle à leur volonté commune réelle et fondamentale : le règlement global et définitif du litige.

La solution adoptée par l'article 1513, alinéa 3, est excellente. En effet, les affaires soumises à arbitrage sont souvent des affaires complexes dans le sens où elles comportent de nombreuses questions, auxquelles le tribunal doit apporter autant de réponses sous peine de statuer infra petita. Il n'est pas rare que dans une seule affaire le tribunal arbitral doive répondre à dix, quinze questions ou davantage.

Or, le délibéré n'est pas toujours simple dans sa structure ; le débat est rarement entre deux solutions ; il porte sur plusieurs systèmes de solutions, et il est fréquent que les trois arbitres expriment trois positions différentes. Par exemple, le président peut être du même avis que l'arbitre "A" sur la question 3, mais de l'avis de l'arbitre "B" sur la question 15, et ainsi de suite. Puisque la finalité de l'arbitrage est de trouver une solution raisonnable, globale et définitive dans un délai déterminé, il faut que le président puisse sortir de l'impasse et définir la solution cohérente qui lui parait juste. Bien plus, le mécanisme évite que le président soit obligé de se ranger à l'opinion de l'un ou de l'autre arbitre désigné par une partie.

On peut ainsi convenir qu'avec la solution de l'article 1513, alinéa 3, l'arbitrage à juge unique devient, en substance, un mécanisme légal à vocation subsidiaire mais générale ; du moins en matière internationale. Et l'on sait avec quelle largeur d'esprit la Cour de cassation admet le caractère international d'un arbitrage.

En tout état de cause, cet article 1513, alinéa 3, est un précédent législatif important. Certains considèrent qu'il pourrait préfigurer ce qui pourrait devenir la solution en droit de l'arbitrage interne, où les mêmes difficultés pourraient conduire à la même solution.

En définitive, l'arbitrage à juge unique occupe déjà dans le paysage juridique une place plus que significative. Il peut être une solution dès lors, bien entendu, que l'arbitre unique est pénétré des exigences du droit de l'arbitrage et des devoirs de sa charge. Le législateur lui-même en a fait sinon une priorité, du moins une solution largement aussi légitime que l'arbitrage collégial. Cette place devrait s'affirmer et pourrait s'accroître.


(1) IEJ de Toulon, XXIème colloque des IEJ, Dalloz 1996, p.135.
(2) Michel Armand-Prévost, L'arbitre unique, mythe ou réalité ?, Les Cahiers de l'arbitrage, volume III, édition Gazette du Palais, 2006, p.61.

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