La lettre juridique n°632 du 11 novembre 2015 : Divorce

[Jurisprudence] Bail, solidarité et divorce : les trompe-l'oeil de la cotitularité

Réf. : Cass. civ. 3, 22 octobre 2015, n° 14-23.726, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7682NTP)

Lecture: 7 min

N9829BUL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Bail, solidarité et divorce : les trompe-l'oeil de la cotitularité. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/27150724-jurisprudencebailsolidariteetdivorcelestrompeloeildelacotitularite
Copier

par Jérôme Casey, Avocat associé au barreau de Paris, Maître de conférences à l'université de Bordeaux

le 11 Novembre 2015

Voici une décision à la fois classique et apparemment surprenante, rendue le 22 octobre 2015 à propos d'une question récurrente dans le contentieux du divorce : quel est le sort des dettes de loyer nées pendant l'instance en divorce ? (Cass. civ. 3, 22 octobre 2015, n° 14-23.726, FS-P+B+R+I). En l'espèce, une SCI a donné un logement à bail à deux époux, qui divorcent en 1997, le jugement précisant que le droit au bail était attribué à l'épouse. Cette décision fut transcrite en marge des actes d'état civil des époux le 7 janvier 1998. L'ex-épouse fut placée en liquidation judiciaire par la suite et devait décéder le 11 septembre 2010. Les clés n'ayant été restituées que le 20 mai 2011, le mandataire judiciaire a fini par assigner l'ex-mari en paiement des loyers pour la période allant du 11 septembre 2010 au 20 mai 2011. Son action fut rejetée par la cour d'appel, au motif que la cotitularité du bail avait cessé à compter de la transcription du jugement (CA Paris, Pôle 4, 3ème ch., 26 juin 2014, n° 12/10048 N° Lexbase : A9340MRD). Le pourvoi de la SCI n'a pas connu plus de succès, étant rejeté par la Cour de cassation, au terme d'un motif apparemment sans appel : "la transcription du jugement de divorce ayant attribué le droit au bail à l'un des époux met fin à la cotitularité du bail tant légale que conventionnelle". En dépit de la brièveté d'un tel motif, et de son caractère très ferme, l'annotateur reste pensif en le lisant puisqu'il contient une affirmation exacte, mais laisse perplexe, au moins dans un premier temps, sur deux autres aspects, et pas des moindres. Reste qu'une lecture complète et approfondie de la décision en fait comprendre l'apparente curiosité, et l'on conclura à une décision logique en réponse à un pourvoi illogique.

Le motif n'est pas discutable lorsqu'il affirme que la cotitularité du bail (celle de l'article 1751 du Code civil N° Lexbase : L8983IZQ) prend fin avec les effets du divorce, et donc, à l'égard des tiers, une fois le jugement transcrit à l'état civil des époux. La solution est acquise depuis longtemps déjà, tant en doctrine (v., not., F. Dekeuwer-Defossez, Séparation des époux et solidarité ménagère, Dr. et Patrimoine, déc. 1995, p. 49 ; G. Yamba, Le sort de la solidarité ménagère en cas de séparation des époux, JCP éd. N, 1996, I, p. 1505 ; nos obs., Solidarité ménagère et instance en divorce, note sous Cass. civ. 2, 24 novembre 1999, n° 97-19.079 N° Lexbase : A5268AWZ, JCP éd. G, 2000, II, 10284), qu'en jurisprudence (Cass. civ. 2, 3 octobre 1990, n° 88-18.453 N° Lexbase : A3920AHN ; Cass. civ. 2, 24 novembre 1999, préc. ; Cass. civ. 3, 2 février 2000, n° 97-18.924 N° Lexbase : A3480AUG, Bull. civ. III, n° 18). Bien entendu, il est possible que l'un des époux ait cessé volontairement d'être titulaire du bail (avant même la transcription de la décision de divorce) en raison du congé délivré au bailleur. Mais s'il ne l'a pas fait, les droits dérivés de l'article 1751 continueront de s'appliquer jusqu'à ce que les effets de la décision de divorce soient opposables au tiers, et donc une fois le jugement transcrit en marge des actes de l'état civil, conformément aux dispositions de l'article 262-1 du Code civil (N° Lexbase : L2828DZR). Par conséquent, nul ne peut disconvenir de la partie du motif de l'arrêt commenté qui énonce que "la transcription du jugement de divorce ayant attribué le droit au bail à l'un des époux met fin à la cotitularité du bail", et l'on ne comprend pas vraiment pourquoi le moyen de cassation soutenait que la transcription du jugement ne mettait pas fin à la colocation. Décider du contraire serait prolonger le bail par-delà le divorce, en une sorte de cotitularité infinie que seul un congé en bonne et due forme pourrait vaincre. C'est donc avec raison que la troisième chambre civile rejette le pourvoi sur ce point, et précise que toute cotitularité, légale ou conventionnelle, prend fin avec les effets du divorce à l'égard des tiers. Imaginerait-on Roméo rester locataire du bailleur, alors même que le divorce est opposable audit bailleur et que la décision attribue le bail à Juliette ? La réponse est de toute évidence négative.

En revanche, là où la décision heurte davantage, c'est sur la question factuelle devant être tranchée. En effet, tout le litige reposait sur le point de savoir si Roméo devait régler les presque 8 mois de loyers restés impayés entre octobre 2010 et mai 2011 et l'on apprend du moyen de cassation (et ce point est capital) qu'il existait une clause de solidarité contenue au bail. Il fallait donc savoir si Roméo, qui n'était plus titulaire du bail depuis le 7 janvier 1998 (date des effets du divorce opposables aux tiers) restait malgré tout tenu solidairement des loyers échus postérieurement à 1998. Or, la cour d'appel ne l'a pas pensé puisqu'elle a débouté la SCI bailleresse de sa demande en paiement, et la Cour de cassation ne le pense pas davantage, puisqu'elle rejette le pourvoi de ladite SCI. Là, un doute surgit, au moins temporairement, et ceci pour deux raisons.

La première est que le raisonnement de la Cour de cassation semble lier cotitularité du bail et solidarité, alors que ces deux questions sont pourtant distinctes. La question n'est pas nouvelle, et l'on sait que diverses cours d'appel ont, dans le passé, déduit le caractère solidaire de la dette de la cotitularité issue de l'article 1751 du Code civil (v., not. CA Fort-de-France, 22 novembre 1996, Bull. inf. Cass. 1997, n° 394 ; CA Metz, 8 septembre 1994, JCP éd. N, 1996, II, p. 795, n° 6, obs. G. Wiederkehr). Cette affirmation a été fermement combattue en doctrine (v., not. Ph. Bihr, Le logement de la famille en secteur locatif, Dr. et patrimoine, février 1998, p. 64 ; B. Beignier, Dr. Famille, 1998, comm. 72 et 1999, comm. 141 ; nos obs., note sous Cass. civ. 2, 24 novembre 1999, préc.). Il est d'ailleurs à noter que la troisième chambre elle-même décide que "la dette de loyer n'est pas par elle-même indivisible", ce qui empêche toute application d'un cas de solidarité à raison de la nature de la dette (Cass. civ. 3, 3 octobre 2013, n° 12-21.034, FS-P+B N° Lexbase : A8043KN9, la décision est rendue au visa des articles 1202 N° Lexbase : L1304ABW et 1222 N° Lexbase : L1336AB4 du Code civil). La solidarité sera donc soit légale (C. civ., art. 220 N° Lexbase : L7843IZI), soit conventionnelle parce que les époux auront signé une telle clause dans le bail. De sorte que la cotitularité du bail pouvait bien prendre fin, cela n'avait pas d'incidence directe sur le régime d'une éventuelle obligation solidaire. Et c'est donc en cela que le motif de la Cour de cassation dérange un peu, car il rejette le pourvoi d'un bailleur qui demandait... à être payé, et sous cet angle, on ne voit pas d'évidence ce que la cotitularité avait à voir avec la question.

La seconde raison qui nous conduit à être un rien surpris par le motif de la présente décision touche à l'existence, en l'espèce, d'un cas de solidarité conventionnelle. En effet, il n'est pas douteux que, dans cette affaire, la solidarité légale de l'article 220 ait pris fin à la date de transcription de la décision de divorce à l'état civil, soit le 7 janvier 1998. Il ne pouvait donc être question de fonder la condamnation de l'ex-mari sur ce texte, puisque les impayés dataient de 2010/2011. Cependant, le pourvoi nous apprend, ainsi que nous l'avons déjà souligné, qu'il y avait une clause de solidarité conventionnelle. Hélas, nul ne dit quels en étaient les termes, et pour quelle durée une telle clause avait été prévue. En particulier, nul ne sait si elle couvrait les renouvellements successifs du bail (ce qui est peu fréquent en pratique, mais se rencontre parfois). Si la clause ne s'étendait pas au renouvellement du bail, il est alors évident qu'il n'existait plus aucune solidarité, que ce soit conventionnelle ou légale (après le 7 janvier 1998). Au contraire, si la clause visait aussi les renouvellements, la solidarité devait forcément couvrir tous les loyers dus jusqu'au terme du bail, ainsi qu'une éventuelle indemnité d'occupation puisque la solidarité s'étend toujours aux dettes accessoires du bail. C'est là, dans ce second cas, s'il correspond au cas d'espèce, que l'on ne comprend pas la généralité des termes employés par la Cour de cassation. Pourquoi répondre sur le terrain de la cotitularité alors que la demande du bailleur portait sur l'application d'un cas de solidarité conventionnelle ? D'ailleurs, le pourvoi visait expressément l'article 1200 du Code civil (N° Lexbase : L1302ABT), ce qui est on ne peut plus clair.

En réalité, et ceci est de nature à sérieusement relativiser ce qui précède, nous avons la conviction que la Cour de cassation s'est bornée à répondre à un moyen particulièrement mal rédigé. En effet, et nous l'avons souligné au début de ce rapide commentaire, la critique menée par le pourvoi contre l'arrêt d'appel, affirmait, dans sa majeure, que la transcription du divorce à l'état civil ne mettait pas fin à la colocation. C'est là une affirmation inexacte, nous l'avons vu. Mais c'est aussi une affirmation illogique par rapport au but même que le pourvoi cherchait à obtenir. En effet, de deux choses l'une : soit Roméo était tenu au paiement parce qu'il était locataire (ce que le moyen soutenait, affirmant que la colocation demeurait malgré le divorce). Soit il était tenu au paiement parce qu'il était solidairement engagé, et ceci qu'il soit colocataire ou non (la solidarité pouvant exister indépendamment de la qualité de locataire ; c'est alors un cas classique de coobligé solidaire non intéressé à la dette). Dans le premier cas, les seuls textes à viser étaient les articles 1751 et 262-1. Dans le second cas, les articles 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) et 1200 suffisaient. En revanche, viser les quatre à la fois, ainsi que l'a fait le moyen de cassation, était profondément illogique dès lors que la thèse soutenue était celle du maintien de la qualité de locataire en dépit de l'opposabilité aux tiers de la décision de divorce, et non l'existence d'un cas de solidarité. Il nous semble donc que le pourvoi était infecté d'un illogisme interne très important.

Dans ces conditions, on peut lire la décision de la Cour de cassation comme une réponse simple et directe à la majeure du pourvoi : à l'égard du bailleur, la transcription du divorce met fin à la qualité de locataire de Roméo, que ce soit sa titularité issue de la loi (C. civ., art. 1751) ou celle issue du titre conventionnel (le bail). Le pourvoi voulait donc obtenir une condamnation en paiement, mais posait la question en terme de titularité du bail, ce qui n'était pas logique (et laisse penser que la clause de solidarité ne s'étendait pas aux renouvellements successifs du bail, sans quoi la question eût sûrement été mieux posée...). Il lui est donc répondu sur le terrain de la titularité, quand bien même l'enjeu réel était ailleurs. En somme, le pourvoi, au lieu de demander l'heure, a demandé comment la montre était fabriquée, et la Cour de cassation répond parfaitement à cette question, non à la première. Nul ne dira qu'elle n'est pas dans son rôle en statuant ainsi : le moyen, et rien que le moyen...

newsid:449829