Lexbase Social n°631 du 5 novembre 2015 : Social général

[Questions à...] Complexité du droit du travail : comment aborder la réforme ? Question à Maître Frédéric Sicard, Bâtonnier élu de Paris

Lecture: 6 min

N9670BUP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Questions à...] Complexité du droit du travail : comment aborder la réforme ? Question à Maître Frédéric Sicard, Bâtonnier élu de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/27042410-questions-a-complexite-du-droit-du-travail-comment-aborder-la-reforme-question-a-b-maitre-frederic-s
Copier

par Blanche Chaumet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 06 Novembre 2015

Le Code du travail est aujourd'hui décrié, notamment par les spécialistes en droit du travail pour sa trop grande complexité qui le rend incompréhensible et inutilisable. Si le Gouvernement a pris conscience de la nécessité de réformer le droit du travail, le débat porte aujourd'hui sur la façon d'aborder cette réforme pour répondre le mieux possible aux réalités du marché. Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Maître Fréderic Sicard, Bâtonnier élu de Paris - spécialiste en droit social, pour connaître son point de vue sur la question. Lexbase : En quoi cette complexité est-elle un frein à l'embauche dans les entreprises selon vous ?

Frédéric Sicard : Il ne faut pas confondre complexité et illisibilité. Les relations de travail sont nécessairement complexes dans une société où le travail est rare. Il n'est pas possible de simplifier la loi pour tout appréhender. Les employeurs qui hésitent à embaucher parce qu'ils trouvent le droit du travail trop complexe ont tort. En revanche, les employeurs qui hésitent à embaucher parce qu'ils trouvent le droit du travail illisible ont raison. Lorsque vous cherchez à investir et que vous avez besoin de main d'oeuvre, vous étudiez intelligemment le cadre juridique dans lequel vous allez entreprendre. Il n'y a pas de pays européen où le droit du travail ne soit pas complexe et protecteur des salariés. C'est en tous cas vrai pour les Etats membres qui sont une véritable démocratie sociale. C'est une autre affaire d'avoir un Code du travail trop épais parce que la loi n'est pas précise, mal rédigée, complétée de règlements contradictoires et impossible à appliquer sans une étude approfondie de la jurisprudence.

C'est ce travail de logique qu'il faut mener pour encourager les embauches.

Lexbase : En quarante ans, les dispositions du Code du travail se sont multipliées par dix, passant de huit cent à huit mille articles de loi. Pensez-vous que, tout en réformant la matière, il soit possible de la simplifier sans en dénaturer le contenu et sans porter atteinte aux "droits acquis" ?

Frédéric Sicard : Autant il n'est pas possible d'en rester au XXème siècle, autant il est impossible de retourner au XIXème siècle. Le droit que nous devons construire est celui du XXIème siècle.

Il est impossible de prétendre que l'on ne va pas porter atteinte aux "droits acquis", mais il est important de déterminer ce que doit être le socle inexpugnable de protection des salariés. D'évidence en droit français, c'est la santé et la sécurité mais également l'objectivité. C'est un raisonnement a priori très cartésien qui est, en fait, universel.

Lexbase : Entre temps, les réalités économiques ont changé. Pourquoi une réforme globale s'impose-t-elle aujourd'hui selon vous ? Pourquoi privilégier une approche globale à une approche plus thématique qui ciblerait les domaines impactant l'embauche et le développement des entreprises?

Frédéric Sicard : Il est impossible d'avoir une approche prétendument thématique. Pendant longtemps, il a été considéré qu'il suffisait d'alléger les charges parce qu'en fait, c'est le poids des charges sociales qui était dissuasif. C'est une réalité économique incontestable mais insuffisante pour comprendre la réticence des employeurs à embaucher.

Le droit du travail est un tout et doit rester un tout. Il y a donc une logique d'ensemble. C'est précisément parce que l'on a voulu toucher tantôt à la durée du travail, tantôt aux salaires, tantôt à la précarité et tantôt au droit collectif, que l'on a perdu le fil de la logique générale du Code et des priorités. C'est cette logique qu'il nous faut retrouver.

Lexbase : En quoi est-il nécessaire, selon vous, de raisonner à l'échelle européenne et non pas nationale ? Pensez-vous qu'il faille harmoniser le droit du travail à l'échelle européenne dans son ensemble où il y-a-t-il certains domaines qui le nécessite plus que d'autres ?

Frédéric Sicard : Là encore, il faut avoir une approche pragmatique et de long terme. L'Union européenne est en train de construire ses accords de libre-échange. Le premier d'entre eux, conclu avec le Canada, entrera en vigueur l'année prochaine et au plus tard en 2017. L'accord de libre-échange avec les Etats-Unis est en cours de négociation.

En bonne logique, les investisseurs canadiens puis américains choisiront un état membre plutôt qu'un autre en fonction de ses avantages. Il faut donc gommer les particularismes pour mieux protéger toutes nos entreprises en leur assurant un socle juridique uniforme.

C'est l'idée d'une zone "OHADA" en Europe. Il ne suffit pas d'appréhender le droit des affaires, il faut aussi appréhender le droit fiscal et le droit social.

Il ne s'agit pas de raisonner systématiquement en coût d'exploitation mais de prendre la dimension transfrontière de notre situation en simplifiant l'appréhension de nos règles de protection et en remontant le niveau de protection des principaux partenaires économiques de l'Europe.

Lexbase : Si les Etats sont tenus de se conformer aux Directives européennes, ils sont, en revanche, libre de choisir la forme et les moyens pour appliquer la règle européenne ; ne pensez-vous pas que malgré la volonté d'harmoniser le droit du travail à l'échelle européenne, le particularisme des règles nationales ne transparaisse ?

Frédéric Sicard : Il faut aller plus loin encore. En terme économique, il ne sert à rien de raisonner en termes de nations ou de frontières. Ce sont les bassins économiques d'emploi qui commandent. Ils peuvent être régionaux et parfois assis sur une même frontière.

Il est évident que ce n'est pas la même chose de travailler dans le nord de l'Europe que de travailler dans le sud, ne serait-ce qu'en raison des conditions climatiques. Ce sont ces particularismes objectifs que le droit du travail doit être en mesure d'appréhender par bassin d'emploi.

Pour autant, il faut que les règles de fond, c'est-à-dire les objectifs de protection soient les mêmes pour tous. Le droit du travail, tel qu'on le connaît depuis 1919, mélange ce que l'on appelle désormais le soft law et le hard law. L'erreur est de privilégier l'une ou l'autre. Il faut combiner et s'assurer que la combinaison est objective.

Nous avons besoin de Directives européennes plus claires et plus précises, tout en ayant la garantie d'un particularisme objectif propre à être décliné non pas au niveau national, ce qui n'a de sens que politique, mais au niveau des bassins d'emploi, ce qui a un sens social réel.

Lexbase : Quelles seraient les réformes à mettre en place en droit du travail, selon vous, pour que la France reste compétitive sur le marché du travail face à ses voisins tout en s'adaptant aux nouvelles formes du travail ? La place que le législateur occupe aujourd'hui pour réformer le droit social est-elle adaptée à la réalité économique de l'entreprise ? Est-ce l'acteur le plus adapté pour comprendre et appréhender dans leur globalité les enjeux pratiques, et non pas seulement théoriques, de la vie d'entreprise ?

Frédéric Sicard : Le domaine qu'il y a lieu d'harmoniser le plus rapidement possible est d'évidence celui du télétravail. L'encadrement français est tellement strict qu'il est quasiment impossible de le respecter. Une loi que l'on ne peut pas appliquer n'est pas une bonne loi.

La question de savoir si le législateur est le mieux habilité à réfléchir en droit du travail n'a rien à voir avec ce premier constat. Faire de la politique et être parlementaire, c'est avoir la volonté d'élaborer les règles qui améliorent l'harmonie sociale, ou pour parler autrement "le vivre ensemble".

C'est le fondement même de la démocratie que de remettre cette tâche aux élus et il n'y a aucune raison de traiter le droit du travail différemment des autres matières. Ce que la majorité souhaite pour protéger les salariés doit être inscrit dans la loi.

Une autre question est celle de savoir comment tenir compte des particularismes en fonction des métiers et des bassins d'emploi. C'est là que les partenaires sociaux ont tout leur rôle pour essayer d'élaborer les règles d'adaptation. Les meilleures lois proviennent des textes qui ont été négociés avec les partenaires sociaux puis discutés au Parlement. C'est un moyen de parvenir au plus grand consensus, mais fondamentalement, le rôle de législateur doit être celui de définir le cadre de principe, tandis que le rôle des partenaires sociaux doit être de décliner les règles d'application de ces principes intangibles.

Lexbase : Que pensez-vous des préconisations du rapport "Combrexelle" remis au Gouvernement le 9 septembre 2015 ?

Frédéric Sicard : Nul ne peut contester l'expérience, la compétence et l'expertise de Monsieur Combrexelle. Il n'empêche que le droit du travail n'a pas besoin d'une nouvelle réforme de simplification. Il en a bien connu assez.

Il faut retrouver du souffle. L'ambition des pouvoirs publics ne devrait pas simplement être "technique", mais de dessiner un avenir compréhensible, ambitieux et avec une logique d'ensemble. Je préfère croire en l'Europe que dans le rapport "Combrexelle". Cela n'a rien à voir avec l'éminence du Haut fonctionnaire consulté par le ministère. C'est simplement une question d'ambition.

newsid:449670

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus