Lexbase Social n°623 du 3 septembre 2015 : Social général

[Doctrine] Simplifier le droit du travail - ou comment vider le tonneau des Danaïdes

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[Doctrine] Simplifier le droit du travail - ou comment vider le tonneau des Danaïdes. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/25968391-doctrine-simplifier-le-droit-du-travail-ou-comment-vider-le-tonneau-des-danaides
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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Septembre 2015

L'été 2015 aura livré aux juristes du travail deux textes très attendus, censés redonner de la vigueur aux entreprises étouffées par un droit du travail devenu illisible, inefficace et injuste : la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC), dite loi "Macron", et la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3), dite loi "Rebsamen". Un premier constat s'impose à la lecture de ces deux textes : leur volume ! 308 articles et 116 pages de Journal officiel, pour la loi "Macron", 62 articles et 45 pages pour la loi "Rebsamen". Une seconde observation saute aux yeux, comme un paradoxe, un défi à l'entendement : ces deux textes sont censés simplifier le droit du travail ! Les images se bousculent alors, celle d'un législateur schizophrène, complexifiant d'une main et simplifiant de l'autre, ou celle d'une malédiction frappant les Danaïdes jugées et précipitées dans le Tartare, et condamnées à remplir éternellement des jarres percées... La complexité serait-elle, dès lors, inhérente au droit du travail, et la simplicité impossible à réaliser ? Sans doute pas. Aujourd'hui, et c'est la condition première pour qu'une véritable entreprise de simplification du droit du travail puisse opérer, la nécessité de simplifier semble généralement admise (I). Même si la mise en oeuvre pêche, les voies de cette simplification semblent également se dessiner (II).
I - La simplification du droit du travail comme nécessité

Un objectif affiché. La lecture de l'exposé des motifs des deux textes adoptés pendant l'été (les lois "Macron" et "Rebsamen") montre à quel point le Gouvernement s'inscrit dans la recherche actuelle de simplification du droit, démarche dont il est aisé de mesurer la portée symbolique en observant l'intitulé des douze lois et sept ordonnances publiées ces dernières années visant explicitement cet objectif (1).

La simplification dans la loi "Macron". S'agissant de la loi "Macron", la complexité du droit est visée dès la première phrase de l'exposé des motifs comme l'ennemi à abattre : "pour renouer avec une croissance durable, l'économie française doit être modernisée et les freins à l'activité levés. Pour atteindre ces objectifs, la loi pour l'activité et la croissance vise à assurer la confiance, à simplifier les règles qui entravent l'activité économique et à renforcer les capacités de créer, d'innover et de produire des Français et en particulier de la jeunesse". Et c'est logiquement que la simplicité constitue la mère des vertus législatives : c'est la "levée des obstacles réglementaires qui limitent l'offre de logements neufs intermédiaires" qui pourra "favoriser la mobilité" et fluidifier le marché immobilier ; c'est l'adoption "des mesures de simplification réduisant les délais d'attribution des permis de construire et des projets d'aménagement" qui va relancer le secteur du bâtiment ; c'est en simplifiant encore et en accélérant "les procédures applicables aux projets industriels et [en rendant] [...] plus lisible et plus stable l'environnement législatif" que l'on va "stimuler l'innovation et l'investissement". La loi se propose également de "simplifier" les conditions d'ouverture de bureaux secondaires des avocats ; le recours au salariat dans les offices publics et ministériels ; le dispositif des ventes judiciaires de meubles ; les domaines d'intervention du professionnel de l'expertise comptable en matière administrative, économique, fiscale et sociale des entreprises ou des particuliers ; la création de structures associant des professionnels du droit et de l'expertise-comptable ; les règles relatives à la société d'exercice libéral et à la société de participations financières de professions libérales ; l'harmonisation des conditions de dispense de recours à l'architecte et le fait de donner cette possibilité à toutes les exploitations agricoles, quelle que soit leur forme de société ; la procédure d'autorisation pour l'implantation de la fibre optique dans les parties communes d'un immeuble ; la procédure d'établissement des servitudes radioélectriques prévues par le CPCE ; les modalités d'imposition du gain d'acquisition des actions gratuites, égal à la valeur des actions gratuites au jour de leur acquisition, afin d'augmenter l'attractivité de ce dispositif ; le cadre juridique de l'intervention de l'Etat actionnaire ; les relations entre locataires et bailleurs ; l'architecture de la commande publique ; les procédures devant l'Autorité de la concurrence et l'amélioration de leur efficacité.

Le droit du travail ne pouvait, bien entendu, pas demeurer étranger à ce mouvement, et la loi "Macron" vise également à simplifier les dispositifs existants de l'épargne salariale ; les dispositions relatives au handicap, notamment la manière dont l'employeur peut s'acquitter partiellement de l'obligation d'emploi en accueillant des personnes handicapées pour des périodes de mise en situation en milieu professionnel ; des processus, notamment pour le reclassement à l'international ou le périmètre d'application de l'ordre des licenciements.

La simplification dans la loi "Rebsamen". Quoi que principalement destinée à améliorer la qualité du dialogue social, singulièrement dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux, la loi "Rebsamen" n'échappe pas non plus à l'exigence de simplification, celle-ci étant un gage d'une meilleure efficacité du dialogue social qui doit ainsi "gagner en densité et en richesse". Succombe également à la mode de la simplification le revenu de solidarité active, le fonctionnement des institutions représentatives du personnel, les obligations d'information de l'employeur, ou encore la prime d'activité.

Un désir de simplification très largement partagé. L'un des phénomènes marquant de ces derniers mois est certainement la conversion d'une partie de la doctrine travailliste aux vertus de la simplification (2).

Certes, il subsiste toujours une partie non négligeable de la population des juristes du travail, historiquement d'ailleurs pionnière dans la quête de simplification (3), qui voit dans la simplification du droit du travail le meilleur moyen de se débarrasser des contraintes normatives pesant sur les entreprises, confondant ainsi, à dessein, simplification et libéralisation (4), c'est-à-dire qui souhaitent un recul de l'ordre public au profit d'une plus grande liberté normative des partenaires sociaux et des contractants (5), voire qui rêvent de jeter le Code du travail au bûcher (6), ou aux orties (7).

Mais un constat semble aujourd'hui s'imposer, y compris à ceux qui considèrent que le droit du travail doit accorder aux salariés un haut niveau de protection : c'est celui d'un Code du travail devenu illisible, opaque (8), qui finit par se retourner contre ceux-là même qu'il est censé protéger (9). La simplification devient alors le gage d'une meilleure efficacité d'un droit du travail véritablement protecteur de ses destinataires naturels, une qualité recherchée de la norme quelle qu'elle soit.

Certes, il est impossible, et pour tout dire, illusoire, de prétendre que le droit du travail pourrait se résumer en quelques grands principes dont l'application pourrait être laissée à la sagesse du juge (10), renouant ainsi avec l'utopie codificatrice des années postrévolutionnaires lorsque Cambacérès travaillait à un Code civil minimaliste (11). Même les auteurs qui militent aujourd'hui pour un Code simplifié renvoient au pouvoir réglementaire, ou aux partenaires sociaux, pour le détail de règles (12). La complexité de l'activité économique, les spécificités des branches, des entreprises, des traditions locales, imposent, en effet, de nombreuses distinctions et exceptions aux principes, qui ne peuvent être négligées, sauf à se contenter de normes tellement générales qu'elles en deviendraient impuissantes à saisir le réel, laissant au juge le soin d'en préciser le contenu concret, ce qui conduirait à la pire des situations en termes de prévisibilité, d'absence de contrôle démocratique et d'égalité devant la norme (13).

Des efforts jusque-là vains. La recherche de simplification implique des efforts à tous les niveaux, de la conception de la norme à son application. Or, le moins que l'on puisse observer est que les lois actuelles, qui ont pourtant fait de la simplification leur étendard, sont bien loin de satisfaire à leurs propres exigences. Pour ne prendre l'exemple que des deux derniers textes mis en circulation, qu'observe-t-on ?

Sur un plan simplement quantitatif tout d'abord, ces textes, censés dénoncer la complexité du droit positif pour y trouver remède, semblent totalement incapables de remplacer l'existant, a minima : 116 pages au Journal officiel pour la loi "Macron", 45 pages pour la loi "Rebsamen".

En entrant un peu plus dans le détail des textes, et pour ne s'intéresser qu'aux aspects relatifs au droit du travail, les dispositions ajoutent la plupart du temps à l'existant, sans substituer de nouveaux régimes plus simples ; il suffira, pour s'en convaincre, d'observer les modifications apportées aux nombreuses dispositions concernant l'épargne salariale ou au travail de nuit ou dominical, le texte ajoutant de nouvelles couches au mille-feuilles législatif en créant un travail en soirée, aux côtés du travail de nuit, ou en créant de nouvelles zones de dérogations au principe du repos dominical, qu'il s'agisse des zones de tourisme international, ou des gares.

L'examen de la loi "Rebsamen" ne nous enseigne pas autre chose. Après l'échec notable des élections organisées dans les branches, dont la moitié, au moins, des entreprises comprennent un effectif inférieur à onze salariés (14), le Gouvernement persiste et signe avec la mise en place de "commissions paritaires régionales interprofessionnelles pour les salariés et les employeurs des entreprises de moins de onze salariés", dans le cadre d'un titre XI, ajouté au livre III de la deuxième partie du Code du travail, créant, ainsi, une numérotation des articles à 5 chiffres, sans compter les sous-sections et autres paragraphes... L'examen des attributions de ces nouvelles instances laisse perplexe : il s'agit, selon les propres termes de l'article L. 23-113-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5386KGL) d'informer et de conseiller, de débattre, de rendre des avis, de faciliter la résolution des conflits individuels ou collectifs, ou de faire des propositions... Et voici qu'apparaissent de nouveaux salariés protégés, dont le licenciement devra être autorisé par l'autorité administrative, une nouvelle infraction pénale, la rupture sans autorisation, des nouveaux droits à remboursement... Et que dire des dispositions sur la carrière des élus et des représentants syndicaux ...

Sur un plan qualitatif, maintenant, on pouvait croire que la simplification allait passer par la mise en oeuvre de dispositifs simples, commandés par des notions explicites et compréhensibles pour des justiciables et non sujettes aux interprétations les plus variables et inattendues. Or, le législateur semble prendre un malin plaisir à créer de nouvelles "notions juridiques" aux contours toujours aussi flous et qui prétendent rendre compte d'une pseudo réalité économique ou sociale, comme les anciennes PUCE ou les nouvelles "zones touristiques internationales", définies légalement par le "rayonnement international de ces zones, [...] l'affluence exceptionnelle de touristes résidant hors de France et l'importance de leurs achats" (15).

La simplification serait-elle alors un voeu pieu, une ligne d'horizon que le juriste du travail serait condamné à ne jamais pouvoir atteindre ? Espérons tout le contraire et envisageons quelques pistes.

II - La simplification du droit du travail comme réalité

Légiférer moins souvent. La première, et non la moindre, des solutions consiste à légiférer moins, et moins souvent. Les acteurs ont besoin de temps pour s'approprier les réformes, pour les comprendre, les mettre en oeuvre, ajuster les pratiques, et des changements incessants dans l'état du droit créent un sentiment d'insécurité peu compatible avec le besoin de stabilité. Si l'on prend l'exemple du dialogue social dans l'entreprise, et singulièrement celui de la négociation dans les entreprises dépourvues de délégué syndical, la succession des réformes est édifiante et les changements opérés par le législateur à la marge. La loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) permettait de négocier avec des représentants élus du personnel sous condition d'un effectif de moins de 200 salariés. Cette condition étant supprimée par la loi "Rebsamen" du 17 août 2015 ; il n'y a donc eu aucun changement pour 99 % des entreprises françaises déjà visées par le dispositif. La loi du 20 août 2008 permettait la négociation avec des représentants élus, portant sur des droits dont la mise en oeuvre était légalement subordonnée à la conclusion d'un accord collectif : c'est toujours le cas. Elle imposait la validation par une commission paritaire de branche : c'est toujours le cas ; seul change le sens du silence conservé par la commission, qui vaut désormais rejet. Elle permettait la négociation par des salariés mandatés par des organisations syndicales représentatives dans la branche. C'est toujours le cas, même si cette possibilité passe en tête des modalités dérogatoires, en remplacement de l'ancienne hypothèse du mandatement. La loi impose simplement que ce mandatement soit accordé à des salariés élus, émane des syndicats représentatifs dans la branche, ce qui était en pratique le cas dans la plupart des hypothèses auparavant, et ouvre la négociation à toutes les questions (16). Ces changements sont, on en conviendra, purement techniques, la loi permettant aux salariés élus de négocier, sous contrôle syndical, selon des modalités qui ne sont que faiblement différentes. Fallait-il, dans ces conditions, réformer la négociation d'entreprise sans délégué syndical ? Ne fallait-il pas plutôt simplifier le dispositif en ouvrant sans condition la négociation aux délégués du personnel, sous le contrôle de la branche ?

Prenons un autre exemple, tiré du travail de nuit et du repos dominical. La loi du 20 août 2008, dans son autre volet, avait fixé une période de travail de nuit, à laquelle la loi "Macron" du 6 août 2015 apporte de simples correctifs, sans véritable réforme de fond, sans véritable projet de société différent, c'est-à-dire sans avoir véritablement tranché la question politique. La loi prévoyait quatre types de dérogations au principe du repos dominical (permanentes de droit, conventionnelles, préfectorales et municipales), ce qui était déjà assez complexe à comprendre pour le citoyen moyen ; le Code du travail en prévoit désormais cinq, et ajoute les dérogations sur un fondement géographique, dont le régime est d'une complexité accrue (17), sans compter la multiplication des dimanches objet de dérogations municipales. Le régime est désormais totalement opaque pour le public qui ne comprend plus si, en France, aujourd'hui, le dimanche est un jour où l'on peut ou non, travailler... Mais le législateur le sait-il encore lui-même ?

Limiter le rôle de la loi aux principes fondamentaux. L'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) a choisi, s'agissant du droit du travail, de confier au législateur le soin d'en déterminer les principes fondamentaux, et au Gouvernement de fixer le détail des règles. Malheureusement, ce principe de répartition des compétences n'est pas sanctionné par le Conseil constitutionnel qui permet au Parlement de se répandre en réformes pléthoriques, bien au-delà de sa compétence constitutionnelle, sous prétexte que le Premier ministre peut toujours utiliser la procédure du déclassement s'il veut reprendre la main sur des terres indûment occupées par le législateur. Un retour aux sources constitutionnelles du droit du travail s'impose donc, ce qui se traduirait, par la force des choses, par une simplification des lois, de retour dans leur berceau (18).

Autolimiter le travail parlementaire. L'examen des conditions dans lesquelles la loi "Macron" a été adoptée montre à quel point le travail parlementaire peut être perverti par des querelles partisanes et l'intervention des lobbies. Comment ne pas songer à cet amendement ajouté à la va-vite au projet de loi le 9 juillet dernier, alors que le Gouvernement s'apprêtait à faire voter le texte sans vote, dans le cadre du "49-3" utilisé à trois reprises, d'ailleurs, durant la procédure, à l'initiative du sénateur de Moselle, Gérard Longuet, autorisant le projet d'enfouissement des déchets radioactifs CIGEO (Centre industriel de stockage géologique) situé à Bure (Meuse). Fort heureusement, et comme on pouvait s'y attendre, ce cavalier parlementaire a été censuré, avec 16 autres articles de la loi, par le Conseil constitutionnel, en raison de la violation de l'article 45 de la Constitution (N° Lexbase : L1306A9A) qui subordonne la recevabilité des amendements à l'existence d'un "lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis" (19). Il serait donc souhaitable que les parlementaires eux-mêmes acceptent de se concentrer sur la discussion des principes fondamentaux des réformes, loin des milliers d'amendements déposés pour faire barrage aux réformes et qui encombrent la procédure législative et qui, lorsqu'ils sont adoptés, défigurent les textes et contribuent à les rendre illisibles.

Améliorer la qualité juridique des textes. En ramenant les textes à l'énoncé des principes fondamentaux qui structurent les réformes, le législateur devrait, logiquement, s'en tenir à des notions bien connues du droit, et devrait, en toute hypothèse s'appuyer sur des définitions déjà bien éprouvées. Le retour à des standards permettrait également aux destinataires des normes, salariés et employeurs, mais également à tous ceux qui sont chargés de son application, administration du travail comme tribunaux, de mieux comprendre les objectifs poursuivis par le législateur, et sans doute d'interpréter les textes en fonction de ces objectifs. La loi devrait également faire l'économie des précisions inutiles, des régimes inutilement alambiqués.

Reprenons le cas des modifications apportées par la loi "Macron" au régime du travail de nuit et du dimanche qui nous semble typique. Le Code du travail prévoit, en effet, une faculté de dérogation préfectorale "lorsqu'il est établi que le repos simultané, le dimanche, de tous les salariés d'un établissement serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de cet établissement". La condition de fond pour la dérogation est exprimée clairement, l'objectif poursuivi (intérêt de l'entreprise ou du public) clairement établi. Jusqu'à présent, l'article L. 3132-21, ancien, du Code du travail (N° Lexbase : L0474H9G) disposait simplement que les dérogations devaient être accordées pour une durée limitée, sans autre précision. La loi "Macron" modifie le texte et ajoute une procédure bien plus complexe, qui devra être renouvelée au moins tous les trois ans, et qui suppose, désormais, l'avis de six acteurs locaux (20). Le texte prévoit également une dérogation à la procédure en cas d'urgence et lorsque les dérogations ne concernent pas plus de trois dimanches par année...

La loi crée une cinquième catégorie de dérogations, "sur un fondement géographique", et vise ainsi une nouvelle ère, la "zone touristique internationale"... Pourquoi internationale ? A partir de quel taux d''étrangers la zone sera-t-elle internationale ? Le texte de l'article L. 3132-24 vise "l'importance des achats" de ces touristes résidant "hors de France"... Importance absolue (2 000, 3 000 euros par jour ?), relative (plus que les touristes français ?) ? Et pourquoi les touristes français ne devraient pas avoir, en tant que touristes, les mêmes possibilités commerciales le dimanche ? La lecture de ce texte est d'ailleurs trompeuse car l'article suivant, l'article L. 3132-25 (N° Lexbase : L2091KGK), permet la même dérogation, selon les mêmes modalités, pour les mêmes établissements "situés dans les zones touristiques caractérisées par une affluence particulièrement importante de touristes"... Il n'est alors plus question de tourisme international pour déroger au repos dominical... Alors pourquoi distinguer deux types de zones si c'est pour les soumettre au même régime ? La réponse se trouve ailleurs, dans les dispositions relatives au travail de nuit et en soirée, qui ne bénéficieront aux zones de tourisme que si celui-ci est international (21). Tout ceci est-il bien raisonnable ... ?

Donner des consignes d'interprétation aux acteurs. La sobriété qui doit être de mise dans l'exposé des normes, devrait s'accompagner d'indications données aux acteurs sur la meilleure manière d'appliquer ou d'interpréter les normes, ce qui permettrait de rendre la détermination de la portée pratique de ces normes plus prévisible. Ainsi, et pour reprendre l'exemple du régime du repos dominical, les exceptions prévues par la loi devraient d'abord être définies de manière générale, selon les objectifs poursuivis par le législateur, en renvoyant au pouvoir réglementaire et/ou aux partenaires sociaux le soin d'en fixer le détail.


(1) Une recherche dans Légifrance montre que vingt-cinq lois ont fait référence, dans leur intitulé, à l'objectif de simplification, depuis la loi du 11 octobre 1940, relative à la simplification des procédures d'expropriation pour l'exécution d'urgence des travaux destinés à lutter contre le chômage jusqu'à la plus récente, la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures (N° Lexbase : L9386I7R).
(2) La plus spectaculaire est certainement celle d'Antoine Lyon-Caen, qui publie avec Robert Badinter un ouvrage commun, intitulé Le travail et la loi, Fayard, 2015, 77 pages, qui s'inscrit résolument dans cette mouvance.
(3) Lire notamment B. Teyssié, Propos autour d'un projet d'autodafé, in faut-il brûler le Code du travail ? ; Montpellier 25 avril 1986, Dr. soc., 1986, p. 559, v., in fine, n° 19, p. 561.
(4) C'est d'ailleurs pour cette raison que l'entreprise de recodification du Code du travail, initiée à partir de la fin de l'année 2004 dans le cadre d'une loi de simplification du droit (loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit N° Lexbase : L4734GUU), a été si mal reçue par toute une frange des juristes qui ont cru voir dans cette initiative la volonté de porter atteinte aux intérêts des travailleurs : lire parmi tant d'attaques, celle d'E. Dockès, La décodification du droit du travail, Dr. soc., 2007, p. 388, et notre réponse, Le nouveau Code du travail et la doctrine : l'art et la manière, Dr. soc., 2007, p. 513.
(5) Dernièrement, B. Teyssié, Droit du travail, droit des affaires, vie des affaires, Dr. soc., 2015, p. 193.
(6) Colloque préc..
(7) J.-Ch. Le Feuvre, Faut-il jeter le Code du travail aux orties ?, Eyrolles, 2012, p. 155.
(8) Lire déjà G. Borenfreund, Le droit du travail en mal de transparence ?, Dr. soc., 1996, p. 461.
(9) En ce sens, les propos de R. Badinter et A. Lyon dans leur ouvrage commun, Le travail et la loi, Fayard, 2015, 77 pages, sp. p. 11 : "Et le droit du travail ainsi mythifié joue contre les travailleurs qu'il est censé protéger".
(10) En ce sens, P. Lokiec, Il faut sauver le droit du travail, O. Jacob, février 2015, 163 p., singulièrement dans son introduction, p. 16-17.
(11) Le premier projet de Cambacérès était constitué de 695 articles, le deuxième de 287, le troisième de 1104.
(12) Ainsi R. Badinter et A. Lyon-Caen, préc..
(13) Il faut écarter la tentation d'un "Code du travail pour les nuls", selon l'expression de Pascal Lokiec.
(14) Elections qui se sont déroulées du 28 novembre au 12 décembre 2012, avec un taux de participation d'environ 10 %.
(15) C. trav., art. L. 3132-24, nouveau (N° Lexbase : L2084KGB).
(16) C. trav., art. L. 2232-21, nouveau (N° Lexbase : L5837IEW).
(17) C. trav., art. L. 3132-24 à L. 3132-25-6, nouveaux.
(18) C'est le sens d'ailleurs de la démarche de Robert Badinter et d'Antoine Lyon-Caen dans leur ouvrage, préc..
(19) On pourrait même se demander dans quelle mesure le Gouvernement n'accepte pas ce genre de pratiques, dans le cadre de petites manoeuvres politiciennes, en sachant pertinemment que ces textes ne passeront pas le cap du contrôle de constitutionnalité, mais uniquement pour s'accorder les bonnes grâces de tel ou tel parlementaire, représentant tel ou tel groupe d'intérêts... ?
(20) Le conseil municipal, l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont la commune est membre, la chambre de commerce et d'industrie, la chambre de métiers et de l'artisanat, les organisations professionnelles d'employeurs et les organisations syndicales de salariés intéressées de la commune !
(21) C. trav., art. L. 3122-29-1 (N° Lexbase : L1647KG4).

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