Réf. : Cass. civ. 1, 4 décembre 2013, n° 12-26.066, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5510KQ7)
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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux
le 09 Janvier 2014
L'évocation de l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'Homme. La Cour de cassation aurait pu s'inspirer de l'arrêt "B.L. c/ Royaume-Uni" du 13 septembre 2005 (2) dans lequel la Cour européenne des droits de l'Homme avait qualifié d'atteinte excessive au droit au mariage, fondé sur l'article 12 de la Convention, l'empêchement à mariage existant entre un beau-père et sa belle-fille, tous deux divorcés et qui avaient conduit les autorités à refuser de célébrer leur union. Devant la cour d'appel, l'affirmation de la Cour européenne selon laquelle les limitations apportées au droit au mariage par les lois nationales des Etats signataires ne doivent pas restreindre ou réduire ce droit d'une manière telle que l'on porte atteinte à l'essence même du droit au mariage avait été invoquée et l'arrêt "B. L. c/ Royaume-Uni" expressément visé. Le juge d'appel a pourtant considéré que l'empêchement à mariage était justifié "en ce qu'il répond à des finalités légitimes de sauvegarde de l'homogénéité de la famille en maintenant des relations saines et stables à l'intérieur du cercle familial, que cette interdiction permet également de préserver les enfants, qui peuvent être affectés, voire perturbés, par le changement de statut et des liens entre les adultes autour d'eux".
Le pourvoi reprend l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'Homme, en affirmant que "l'article 161 du Code civil, en ce qu'il interdit de manière absolue le mariage entre alliés en ligne directe en l'absence de décès de la personne qui a créé l'alliance, porte atteinte à la substance même du droit au mariage". Dans l'arrêt du 13 septembre 2005, la Cour européenne avait souligné la lourdeur et la complexité de la procédure de dispense pour permettre le mariage entre alliés. Or, en droit français une dispense n'existe que lorsque le mariage de la personne qui crée l'alliance a été dissout par un décès, et pas en cas de divorce.
L'indifférence de la Cour de cassation à l'article 12. La Cour de cassation se montre totalement indifférente à l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'Homme dont elle ne dit mot dans son arrêt, pour lui préférer l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR). C'est en effet ce dernier texte qui est contenu dans le visa, au titre du droit au respect de la vie privée et familiale qui fonde la cassation pour violation de la loi. Cette indifférence peut être interprétée comme un refus de consacrer en droit français la solution européenne contenue dans l'arrêt "B.L. c/ Royaume Uni". La Cour de cassation ne considère pas que l'empêchement à mariage entre alliés constitue une violation du droit au mariage. En tant que tel cet obstacle au mariage n'est pas remis en cause par la Cour de cassation au nom de l'article 12 de la CESDH. Ce faisant, la Haute Cour semble implicitement se rallier au raisonnement de la cour d'appel et considérer que la limitation au droit au mariage contenue dans l'article 161 du Code civil poursuit un but légitime nonobstant la position contraire de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Le recours à l'article 8. C'est en se fondant, par un moyen relevé d'office, sur l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, que la Cour de cassation va sauver le mariage entre le beau-père et sa belle-fille. Elle va en effet aborder la question sous l'angle du droit au respect de la vie privée et familiale -la référence à la vie familiale aurait été sans doute plus adéquate au regard de la jurisprudence européenne qui reconnaît la vie familiale d'époux alors que la vie privée et familiale fait plutôt référence à une prérogative individuelle liée à la famille telle que le nom ou le prénom- en considérant que les effets du mariage et particulièrement les effets patrimoniaux relèvent de la vie privée et familiale. L'enjeu pour l'épouse était en effet de conserver le bénéfice des libéralités consenties par son conjoint. Selon la Cour, en remettant en cause une relation effective, reconnue depuis vingt ans et jamais contestée jusqu'alors, la nullité du mariage porterait une atteinte injustifiée, et donc excessive, à la vie privée et familiale de l'épouse. Les faits ayant donné lieu à l'arrêt du 4 décembre 2013 diffèrent en réalité de ceux de l'arrêt "B.L. c/ Royaume-Uni", en ce que, dans le premier cas le mariage a été célébré et a duré de nombreuses années, alors que dans le second, il avait été empêché. On pourrait considérer que ce n'est pas vraiment la même question qui a été posée à la juridiction saisie. Dans l'arrêt "B.L. c/ Royaume-Uni", il s'agissait de l'accès au mariage et donc de liberté matrimoniale alors que dans l'arrêt du 4 décembre 2013 il s'agissait de la validité et donc des effets dudit mariage. Toutefois si les circonstances des deux affaires sont différentes, elles relèvent toutes les deux du droit au mariage. La Cour européenne des droits de l'Homme a ainsi rendu, sur le fondement de l'article 12 de la Convention, plusieurs arrêts concernant la validité du mariage notamment lorsque le mariage avait été célébré selon des rites religieux (3). La Cour de cassation s'est cependant sciemment placée sur le terrain de l'article 8 pour éviter qu'il soit donné à l'arrêt une portée trop générale quant à la conventionalité de l'article 161 du Code civil. Seules les circonstances mêmes du mariage sauvent celui-ci de la nullité.
II - Les conditions du maintien du mariage
Durée du mariage. La formulation de l'attendu ne laisse pas de doute sur l'importance de la durée du mariage dans le raisonnement de la Cour de cassation. C'est bien parce que le mariage avait duré plus de vingt ans qu'est caractérisée l'atteinte injustifiée au droit à la vie privée et familiale. Ainsi l'arrêt procède à une sorte d'effacement de la cause de nullité originelle par l'écoulement du temps. La Cour de cassation aurait sans doute admis l'annulation du mariage s'il n'avait pas duré aussi longtemps, a fortiori, s'il s'était agi d'une opposition à un mariage par encore célébré. La Cour européenne a suivi un raisonnement similaire dans l'arrêt "Munoz Diaz c/ Espagne du 8 décembre 2009 (4) dans lequel elle admet que le mariage célébré uniquement selon des rites roms peut, en principe, se voir priver d'effet, tout en condamnant l'Espagne pour son refus de reconnaître les effets d'un tel mariage dès lors que la requérante avait été traitée pendant la vie commune par les autorités comme une épouse officielle. Une sorte de possession d'état d'époux pourrait ainsi empêcher l'annulation du mariage ou son absence d'effets.
Absence d'opposition. Dans son attendu, la Cour de cassation relève que le mariage dont la nullité était soulevée, avait été célébré sans opposition. Il ne s'agit pas d'une voie de fait : les époux se sont mariés sans qu'aucune opposition ni du ministère public ni de la famille n'ait été émise et personne pendant vingt ans ne les a empêché de vivre leur union. La Cour de cassation semble ainsi sous-entendre que l'auteur de la demande en nullité, qui avait qualité pour s'opposer au mariage, aurait dû agir a priori et non a posteriori, surtout vingt ans après. Le fils de l'époux aurait ainsi, sans doute, dû s'opposer à son père, de son vivant, lors du projet de mariage et non pas attendre le décès de celui-ci pour s'en prendre à sa veuve. Peut-être la Cour de cassation veut-elle laisser entendre qu'en restant inactif alors qu'il ne pouvait ignorer le mariage, et ce pendant de très nombreuses années, le fils du mari avait en quelque sorte tacitement renoncé à demander la nullité. Ce serait remettre en cause la prescription trentenaire dans laquelle est enfermée la nullité absolue du mariage que le législateur de 2008 a pourtant réaffirmée lors de la réforme de la prescription (5).
Portée limitée de la solution. En limitant le maintien du mariage incestueux aux hypothèses dans lesquelles le mariage a duré de nombreuses années sans être contesté par ceux-là mêmes qui avaient qualité pour le faire, l'analyse de la Cour de cassation permet de préserver une situation acquise par l'écoulement du temps sans pour autant affirmer que l'empêchement à mariage de l'article 161 du Code civil est, en lui-même, inconventionnel. L'arrêt du 4 décembre 2013 n'aboutit pas du tout à contester les empêchements à mariage entre alliés comme l'a fait la Cour européenne ; tout au plus a-t-il pour résultat de protéger les mariages qui durent, fussent-ils au départ interdits... Ce faisant la Cour de cassation parvient à trouver un certain équilibre entre la protection de l'ordre public matrimonial et le respect des droits fondamentaux. Elle permet, en outre, d'éviter à la France une condamnation européenne sans pour autant adhérer au raisonnement de cette dernière qui devrait aboutir à condamner l'article 161 du Code civil au nom du droit au mariage.
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