Réf. : Cass. civ. 3, 4 décembre 2013, n° 12-27.293, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5512KQ9)
Lecture: 11 min
N0069BU4
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Séverin Jean, Maître de conférences à l'Université Toulouse I Capitole (EA 1919 IEJUC)
le 09 Janvier 2014
La cour d'appel de Colmar, par un arrêt du 20 février 2009 (2), a accueilli la demande considérant que la notification adressée aux époux -acquéreurs solidaires- était valable dans la mesure où ces derniers vivaient encore ensemble à l'adresse où cette notification a été délivrée. Dès lors, les acquéreurs, contestant la validité de la notification, formèrent un pourvoi en cassation. Ils furent entendus puisque la Cour de cassation cassa l'arrêt d'appel au motif que la notification de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation n'avait pas été effectuée par lettres distinctes adressées à chacun des époux acquéreurs, mais par une seule lettre libellée aux deux noms. En outre, elle précise que la notification aurait été valable si l'avis de réception avait été signé par chacun des époux ou si l'époux signataire disposait d'un pouvoir à l'effet de représenter son conjoint. L'affaire fut ensuite renvoyée près la cour d'appel de Metz qui, par un arrêt du 5 juillet 2012, fit droit à la demande de paiement de la clause pénale en estimant d'une part, que l'époux ne pouvait pas se prévaloir de l'irrégularité de la notification destinée à son épouse et d'autre part, parce que la faculté de rétractation est une prérogative strictement personnelle. Les époux -coacquéreurs- saisirent alors la Cour de cassation qui devait se demander si la mise en oeuvre par un seul des époux de la faculté de rétractation prévue par l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation avait pour effet d'anéantir le compromis de vente immobilière signé par les époux ? Les magistrats du Quai de l'Horloge, au visa des articles L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation et 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) estimèrent que l'exercice du droit de rétractation par l'épouse avait entraîné l'anéantissement du contrat.
L'arrêt du 4 décembre 2013 ne dément pas la solution retenue par la Cour de cassation le 9 juin 2010 consistant à dire que la notification prévue par l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation doit être personnelle, c'est-à-dire adressée à chaque acquéreur quand bien même les acquéreurs seraient mariés. En revanche, on aurait pu penser, comme la cour d'appel de Metz, qu'il résultait de la nature personnelle de la notification, une faculté strictement personnelle de rétractation ne pouvant dès lors être invoquée que par son bénéficiaire. Visiblement, ce n'est pas la voie suivie par les magistrats du Quai de l'Horloge qui semblent penser que la faculté de rétractation est une prérogative, certes strictement personnelle (I), mais qui profite aussi au coacquéreur. Sans doute, ne s'agit-il pas tant pour le coacquéreur de la possibilité de s'en prévaloir, mais plutôt d'en bénéficier en raison justement de sa qualité. En effet, la mise en oeuvre de la faculté de rétractation par un seul des acquéreurs -fût-il marié au coacquéreur- suffit à remettre en cause le contrat (II).
I - La faculté de rétraction : une prérogative strictement personnelle
L'analyse de cette décision passe inévitablement par un rappel de la solution énoncée par la Cour de cassation le 9 juin 2010 (3). Celle-ci considéra que la notification du délai de rétractation n'était pas valable, car elle devait être adressée à chacun des époux même s'ils étaient solidairement tenus par le compromis et même s'ils vivaient ensemble. En effet, on sait que l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation prescrit de notifier à chaque acquéreur ce fameux délai de rétractation. En revanche, on aurait pu penser que le fait que les acquéreurs soient mariés et vivent ensemble autorise la notification aux deux époux par une seule lettre recommandée avec accusé de réception peu important qu'elle ne soit signée que par l'un des époux.
Assurément, la solidarité existant entre époux ne permet pas de rendre opposable à l'épouse la notification faite à l'époux. Cette solution semble parfaitement compréhensible comme le rappelle Maître Sizaire (4). En premier lieu, la solidarité prévue à l'article 220 du Code civil (N° Lexbase : L2389AB4) ne saurait être invoquée, dans la mesure où il s'agit d'une solidarité pour les dettes contractées pour l'éducation des enfants et l'entretien du ménage. Or, l'acquisition d'un bien immobilier constitue une opération d'investissement exclue du champ d'application de ladite solidarité (5). En deuxième lieu, la solidarité, en vertu de l'article 1202 du Code civil (N° Lexbase : L1304ABW), ne se présume point ; elle doit être expressément stipulée, de sorte que la qualité d'époux ne saurait présumer une quelconque solidarité (6). En dernier lieu, il n'était pas inconcevable de considérer que la solidarité conventionnelle -celle des coacquéreurs au regard du compromis- assurait la validité de la notification en raison de la représentation mutuelle des codébiteurs. D'ailleurs, la jurisprudence a déjà estimé que la notification d'un congé à l'un des preneurs était opposable aux autres avant de dire récemment le contraire (7). Sans doute n'est-il pas possible de comparer la notification en matière de bail et celle en matière de vente immobilière, puisque, pour cette dernière, la jurisprudence a déjà eu l'occasion d'indiquer qu'"à défaut d'envoi séparé destiné à chacun des époux coacquéreurs, le mari qui n'a pas signé l'accusé de réception ne s'est pas vu valablement notifier l'acte de vente" (8). En définitive, la solidarité, quelle qu'en soit sa nature, ne permet de venir pallier au défaut de notification du délai de rétractation à chacun des époux imposé par la jurisprudence de 2010. De la même manière, le fait que la notification aux deux noms ait été adressée au domicile conjugal ne change rien.
En effet, on aurait pu estimer que la notification au domicile des époux, quand bien même l'accusé de réception n'aurait été signé que par l'un des époux, rendait malgré tout opposable la notification à l'épouse non-signataire. Pourtant, il faut se garder de cette analyse puisque l'article 670, alinéa 1er, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6848H7R), relatif à la notification des actes ordinaires, dispose que "la notification est faite à personne lorsque l'avis de réception est signé par son destinataire". Or, en l'espèce, la lettre avait deux destinataires de telle façon que la notification, pour être valable, aurait dû être signée par les deux époux. Reste que l'on aurait pu tenter d'invoquer l'alinéa 2 de ce même article, dans la mesure où il prévoit que "la notification est réputée faite à domicile ou à résidence lorsque l'avis de réception est signé par une personne munie d'un pouvoir à cet effet". Or, là encore, la lettre de cette disposition est très claire : la notification à domicile ne vaut que lorsque le signataire a le pouvoir de représenter le destinataire. En somme, il aurait fallu une procuration par laquelle l'époux était en mesure de recevoir le courrier adressé à son épouse. C'est d'ailleurs l'une des pistes -avec la possibilité somme toute irréaliste de la signature des deux époux de l'accusé de réception- dégagée par l'arrêt de 2010 quand il évoque l'époux signataire muni d'un pouvoir à l'effet de représenter son conjoint. Cependant, on sait que la qualité d'époux ne saurait reconnaître à l'époux signataire un tel mandat, lequel devrait être spécialement prévu. A cette fin, peut-être serait-il possible de prévoir dans le compromis, comme le propose avec réserve Monsieur Perruchot-Triboulet, une clause par laquelle les époux signataires se donnent mutuellement mandat de recevoir la lettre de notification (9).
Au final, la jurisprudence voit dans l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation l'exigence d'une notification personnelle du délai de rétractation quand bien même les destinataires seraient mariés et coacquéreurs solidaires. La solution est logique si l'on veut bien admettre que la faculté de rétractation est elle aussi une prérogative personnelle. La question qui se pose alors est la suivante : que devient l'acte lorsque la faculté de rétractation est mise en oeuvre par un seul des coacquéreurs ? L'acte survit-il au profit du coacquéreur qui n'a pas usé de cette faculté ? La réponse apportée par la Cour de cassation le 4 décembre 2013 est d'une clarté qui n'est pas à l'ombre de critiques : l'acte est anéanti.
II - La faculté de rétraction : une prérogative strictement personnelle profitant cependant au coacquéreur
La solution des magistrats du Quai de l'Horloge pourrait se résumer ainsi : si la faculté de rétractation prévue à l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation est strictement personnelle, en revanche, son effet est opposable non seulement au vendeur mais aussi au coacquéreur, quand bien même ce dernier n'aurait pas souhaité se rétracter !
La nature strictement personnelle de la faculté de rétractation consacrée par la Cour de cassation en 2010 semble avoir été entendue par les juges du fond, puisque la cour d'appel de Metz l'entérine. En outre, elle ajoute que l'époux n'est cependant pas en mesure de se prévaloir de l'irrégularité de la notification adressée à son épouse. En somme, pour la cour d'appel, on ne peut pas affirmer d'un côté que la notification est personnelle, puisque la faculté de rétractation est personnelle et, d'un autre côté, admettre que l'époux puisse s'en prévaloir auquel cas il serait bien difficile de soutenir que la notification est strictement (on souligne) personnelle. En réalité, si ce raisonnement est, a priori, logique, la Cour de cassation le rejette purement et simplement en en retenant un tout autre.
En effet, pour la Cour de cassation, la seule chose qui compte est que l'un des bénéficiaires de la faculté de rétractation l'ait exercée. Dès lors, pour les magistrats du Quai l'Horloge, l'effet de la mise en oeuvre de cette faculté ne peut conduire qu'à l'anéantissement du contrat de vente. Là encore, l'argumentation ne surprendrait aucunement s'il n'y avait qu'un seul acquéreur. En effet, s'il ne fait aucun doute que la faculté de rétractation de l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation est effectivement une prérogative strictement personnelle, il ne fait aussi aucun doute que sa mise en oeuvre est opposable au vendeur puisque le contrat est annulé. En revanche, en cas de pluralité d'acquéreurs -mariés ou non d'ailleurs- la solution pourrait paraître choquante. Cela revient à admettre que la mise en oeuvre d'une faculté strictement personnelle emporte l'anéantissement de la vente à l'égard de tous les acquéreurs. En d'autres termes, la rétractation personnelle a un effet à l'égard des deux acquéreurs alors même qu'un seul l'a mise en oeuvre ce qui fait dire au Professeur Philippe Brun "que ce rigorisme est aussi susceptible de se retourner contre les acquéreurs eux-mêmes, alors que la faculté de rétractation et ses modalités de mise en oeuvre n'ont d'autre vocation en principe que celle d'assurer la protection des acquéreurs" (10). Si nous partageons cette analyse, il faut toutefois la nuancer.
La Cour de cassation, en prenant soin de viser l'article 1134 du Code civil, offre une argumentation viable à la contradiction apparente. En effet, lorsque les acquéreurs ont conclu le compromis de vente, ils savaient -ou du moins étaient censés savoir-, tout comme les vendeurs, qu'ils pourraient se délier de leur engagement commun par la mise en oeuvre de la faculté de rétractation offerte personnellement à chacun d'eux. En d'autres termes, chacun des époux coacquéreurs savait que l'engagement commun pourrait être anéanti par la volonté d'un seul... ce n'est rien d'autre que le respect de la force obligatoire de l'engagement pris par les parties. Dès lors, le raisonnement de la Cour de cassation est parfaitement logique. D'abord, elle vérifie que la faculté de rétractation a bien été exercée, pour ensuite en déduire l'anéantissement du contrat. Ainsi, l'époux ne s'est pas tant prévalu de l'irrégularité de la notification destinée à son épouse, mais a profité de la faculté strictement personnelle de rétractation de son épouse demeurée efficace en raison de l'irrégularité de sa notification.
En définitive, la solution dégagée par les magistrats du Quai de l'Horloge paraît au commentateur juridiquement justifiée. Pour autant, celle-ci est discutable à l'égard du coacquéreur dans la mesure où ce dernier sera alors parfois victime de sa propre protection accordée par l'article L. 271-1 du Code de la construction et de l'habitation. Peut-être alors serait-il opportun que tout acte de vente portant sur un bien ou droit immobilier -du moins lorsqu'il est passé devant notaire- indique clairement les effets de la rétractation à l'égard notamment des coacquéreurs, mais ce serait certainement ajouter à l'exigence légale de notification de l'acte une condition qu'elle ne comporte pas...
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:440069