Lexbase Fiscal n°466 du 15 décembre 2011 : Fiscalité internationale

[Questions à...] Evasion fiscale et planification fiscale agressive : l'OCDE s'en mêle - Questions à Raffaele Russo, Conseiller principal au Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE et Carine Stoffels, Conseillère au même Centre

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[Questions à...] Evasion fiscale et planification fiscale agressive : l'OCDE s'en mêle - Questions à Raffaele Russo, Conseiller principal au Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE et Carine Stoffels, Conseillère au même Centre. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/5654376-questionsaevasionfiscaleetplanificationfiscaleagressivelocdesenmelequestionsaraffaeler
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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 15 Décembre 2011

L'Organisation pour la coopération et le développement de l'économie (OCDE), organisation à vocation mondiale qui tend à assurer la pérennité du développement économique des pays développés à économie de marché, et à venir en aide aux pays en développement, s'intéresse, par le biais de son Comité des affaires fiscales (CAF), à la fiscalité de ses 34 Etats membres et de plusieurs Etats non-membres qui participent activement à ses travaux. Dans ce cadre, l'organisation publie des rapports, dressés par le Comité. Plusieurs de ces rapports tendent à lutter contre l'évasion fiscale et la planification fiscale agressive (PFA). Ainsi, un rapport intitulé "Lutter contre la planification fiscale agressive par l'amélioration de la transparence et de la communication de renseignements" a été publié en février 2011. Le terme "planification fiscale agressive" fait référence à deux domaines de préoccupation pour les administrations fiscales : la planification impliquant une situation fiscale tenable mais ayant des conséquences involontaires et inattendues en termes de recettes fiscales et le contribuable se place dans une situation fiscale favorable sans divulguer qu'il existe des incertitudes quant à la légalité de certains points importants de la déclaration fiscale (1). Afin de revenir sur l'activité de l'OCDE en matière de lutte contre l'évasion fiscale et la PFA, dans un contexte dans lequel les Etats cherchent à augmenter leurs recettes fiscales, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Raffaele Russo, Conseiller principal au Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, et Carine Stoffels, Conseillère au même Centre, qui ont accepté de répondre à nos questions. Les opinions exprimées par Raffaele Russo et Carine Stoffels sont à titre personnel et ne reflètent pas nécessairement celles de l'OCDE ou de ses pays membres.

Lexbase : Comment l'OCDE aborde la lutte contre l'évasion fiscale et la PFA ? Quels sont les moyens qu'elle se donne et qu'elle donne aux Etats pour y parvenir ?

Raffaele Russo et Carine Stoffels : La lutte contre l'évasion fiscale est, depuis longtemps, une priorité de l'OCDE. Les travaux de l'OCDE en cette matière ont débuté en 1977, lorsque l'OCDE a créé son Groupe de travail sur l'évasion et la fraude fiscales sous la direction du CAF. Le Groupe de travail réunit des experts de tous les pays membres de l'OCDE et de plusieurs pays non-membres (par exemple, l'Afrique du Sud, l'Argentine, la Chine, l'Inde, et la Russie) pour échanger des idées sur les meilleurs moyens de lutter contre l'évasion et la fraude fiscales. Ces échanges d'expérience permettent au Groupe de travail de dégager des pratiques permettant aux administrations fiscales d'appliquer d'une manière efficace et équitable leur législation. L'un des premiers rapports à paraître sur ce sujet était intitulé "Questions de fiscalité internationale. L'évasion et la fraude fiscales internationales : quatre études" (OCDE, 1987). La politique de longue date adoptée par l'OCDE dans la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales internationales est que la meilleure défense consiste à améliorer et à élargir la portée des mécanismes de coopération internationale et d'échange de renseignements.

L'OCDE a développé un certain nombre d'instruments fournissant le cadre juridique pour l'échange de renseignements : l'article 26 du Modèle de convention fiscale sur le revenu et la fortune, dont l'un des objectifs est d'empêcher l'évasion et la fraude fiscales (voir paragraphe 7 du commentaire sur l'article 1 du Modèle), l'Accord sur l'échange de renseignements à des fins fiscales (développé conjointement avec un certain nombre d'économies non membres) et la Convention multilatérale concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale (développée conjointement avec le Conseil de l'Europe), telle qu'amendée par un Protocole de 2010 (2). Depuis l'appel lancé en novembre 2008, lors du sommet du G20 de Washington, les normes en matière de transparence et d'échange de renseignements à des fins fiscales élaborées par l'OCDE sont universellement reconnues. Le sommet du G20 qui s'est déroulé en novembre 2011 à Cannes a marqué une autre avancée importante dans le domaine de la transparence et de l'échange de renseignements à des fins fiscales, tous les pays du G20 ayant participé à une cérémonie de signature de la Convention multilatérale.

En ce qui concerne la lutte contre la PFA, les travaux de l'OCDE consistent essentiellement à aider les administrations fiscales à répondre plus rapidement aux nouvelles formes de PFA, à identifier les tendances et dispositifs déjà identifiés et rencontrés par certaines administrations fiscales et à partager des expériences en la matière. Le partage, en temps opportun, de ces informations, vise à aider les Etats membres à comprendre de nouveaux dispositifs, à faciliter leur détection et à leur permettre d'adapter leurs stratégies de gestion de risques et d'identifier des stratégies de réponses administratives et/ou législatives effectives.

Les travaux de l'OCDE dans le domaine de la PFA ont débuté en 2004, quand le Groupe de travail sur l'évasion et la fraude fiscales a décidé de créer une plate-forme pour partager des renseignements en matière de PFA : le "Répertoire sur la PFA". Le Répertoire contient un nombre croissant de descriptions de dispositifs de PFA génériques, expliquant le contexte factuel et les dispositions légales qui sont exploitées, sans divulguer l'identité des contribuables concernés. Le rôle du Groupe de direction sur la planification fiscale agressive est de développer plus avant et de promouvoir l'utilisation du Répertoire sur la PFA au sein des pays membres du Groupe de direction, ainsi que de préparer des rapports sur des questions pertinentes portant sur la PFA, d'apporter un soutien et d'agir comme centre d'expertise pour le CAF et ses organes subsidiaires sur les questions relatives à la PFA.

Le Groupe de direction mène ces travaux conjointement avec le Forum sur l'administration fiscale, sous la direction du CAF. Le Forum constitue une tribune permettant aux administrations fiscales d'améliorer le service au contribuable et la discipline fiscale et d'élaborer de bonnes pratiques administratives en la matière. Ses membres sont les directeurs généraux des administrations fiscales de 43 pays, membres et non-membres de l'OCDE, ce nombre comprenant tous les pays du G20. L'importance des travaux de l'OCDE et du Répertoire dans la lutte contre la PFA a été reconnue à plusieurs reprises par le Forum.

Parmi les projets spécifiques menés dans le domaine de la PFA figurent des rapports sur :
- les pertes d'entreprises ("Pertes d'entreprises et planification fiscale agressive", OCDE, août 2011) ;
- les initiatives nationales en matière de communication de renseignements ("Lutter contre la planification fiscale agressive par l'amélioration de la transparence et de la communication de renseignements", OCDE, février 2011) ;
- la gestion des risques posés par les pertes de banques ("Gérer les risques fiscaux impliquant les pertes de banques", OCDE, septembre 2010) ;
- la gestion des risques fiscaux s'attachant aux opérations complexes de financement structuré, notamment dans le contexte de la crise financière et économique actuelle ("Vers une discipline fiscale transparente dans le secteur bancaire", OCDE, mai 2009) ;
- la gestion des risques posées par certains individus fortunés et leurs conseillers ("Dialoguer avec les particuliers les plus fortunés pour le respect de leurs obligations fiscales", OCDE, mai 2009) ; et
- la relation tripartite entre les administrations fiscales, les contribuables et les intermédiaires fiscaux ("L'Etude du rôle des intermédiaires fiscaux", OCDE, janvier 2008).

Lexbase : Pouvez-vous nous parler de la Convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale telle qu'amendée par le Protocole de 2010 ? Celle-ci est-elle un instrument utile pour lutter contre l'évasion fiscale et la PFA ?

Raffaele Russo et Carine Stoffels : La Convention est le fruit de travaux menés conjointement par le Conseil de l'Europe et par l'OCDE. C'est un instrument multilatéral ouvert à tous les pays qui prévoit toutes les formes possibles de coopération administrative entre Etats en matière d'établissement et de recouvrement des impôts, y compris l'échange de renseignements à la demande, l'échange de renseignements automatique, l'échange de renseignements spontané, le contrôle fiscal simultané, le contrôle fiscal à l'étranger, l'assistance en vue du recouvrement et la notification de documents. Comme déjà mentionné, au sommet du G20 de novembre 2011 à Cannes, tous les pays du G20 ont participé à une cérémonie de signature de la Convention.

La Convention offre un instrument puissant dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales internationales, tout comme d'ailleurs les instruments d'échange de renseignements mis en oeuvre dans le cadre de la lutte lancée par le G20. Tous ces instruments ont ouvert l'accès sur demande à des renseignements qui n'étaient pas disponibles auparavant et qui permettent de mieux détecter et de comprendre, non seulement les dispositifs de fraude fiscale internationale, mais aussi ceux d'évasion fiscale internationale. Prenons l'exemple d'un dispositif portant sur un instrument financier complexe impliquant une juridiction qui, auparavant, n'échangeait pas de renseignements. Dans ce cadre, il était impossible d'obtenir des renseignements concernant les aspects de la transaction qui se déroulaient dans cette juridiction. Ceci n'est plus le cas dans le nouvel environnement d'échange de renseignements sur la base des normes internationales. De même, il est désormais possible d'obtenir des renseignements, par exemple sur des dispositifs qui exploitent les discordances dans la classification des entités, des instruments ou des transferts dans différents pays.

Outre l'échange de renseignements sur demande, une autre forme d'échange de renseignements prévue par la Convention peut faciliter la détection de dispositifs de PFA. Il s'agit du contrôle fiscal simultané, c'est-à-dire de la communication de renseignements obtenus au cours d'un contrôle effectué en même temps, dans chacun des Etats concernés, sur la base d'un arrangement entre deux ou plusieurs autorités compétentes et portant sur la situation fiscale d'une ou de plusieurs personnes qui présente(nt), pour ces Etats, un intérêt commun ou complémentaire. Les contrôles fiscaux simultanés pourraient aussi s'avérer particulièrement fructueux pour le traitement des transactions entre entreprises apparentées, pour la détermination des prix de pleine concurrence.

Lexbase : Quels sont les principaux défis relevés par les Etats dans la lutte contre la PFA ?

Raffaele Russo et Carine Stoffels : Un premier défi concerne la nécessité, pour les administrations fiscales, d'avoir à leur disposition du personnel en nombre suffisant possédant les compétences, les capacités et l'expertise spécifiques nécessaires pour faire face efficacement à la PFA. Les administrations fiscales doivent être en mesure de comprendre pleinement le contexte -souvent très complexe et international- dans lequel des transactions ont lieu, afin de distinguer celles qui s'inscrivent dans une stratégie de PFA -et qui nécessitent potentiellement une réponse en termes de discipline fiscale ("compliance") et/ou de politique fiscale- de celles qui ne posent aucun problème fiscal, malgré leur complexité. Cette compréhension nécessite bien plus qu'un simple savoir sur la législation fiscale et les normes comptables. Elle nécessite aussi une connaissance adéquate des réalités commerciales sans laquelle les administrations fiscales risquent d'apporter une réponse génératrice de différends avec le contribuable et des incertitudes potentiellement coûteuses.

Le deuxième défi concerne la disponibilité en temps voulu de renseignements ciblés et complets. Comme l'indique le rapport de février 2011 ("Lutter contre la planification fiscale agressive par l'amélioration de la transparence et de la communication de renseignements"), la base de toute stratégie visant à s'attaquer à la PFA est d'assurer la disponibilité en temps voulu de renseignements ciblés et complets, ce que les contrôles classiques ne permettent plus, à eux seuls, d'obtenir. La disponibilité de tels renseignements en temps voulu est essentielle pour permettre aux Gouvernements d'identifier rapidement les domaines à risque et pour décider rapidement si et comment répondre à ces risques, ce qui offre également une plus grande certitude aux contribuables. Pour être plus effectives, les administrations fiscales cherchent à travailler de plus en plus en temps réel. Plusieurs pays ont, dès lors, mis au point, en matière de communication de renseignements, des initiatives complémentaires visant à améliorer leur capacité à détecter la PFA et à y répondre rapidement.

Le troisième défi pour les administrations fiscales est de parvenir au bon équilibre dans la lutte contre la PFA. D'une part, il convient d'adopter une politique de tolérance zéro à l'égard des contribuables qui essaient d'échapper au paiement de leur juste part d'impôt en se livrant à la PFA et de développer une politique de gestion de risque qui consacre une plus grande partie des ressources dont disposent les administrations fiscales vers les problèmes et les comportements à haut risque ; d'autre part, il faut garantir la certitude et la prévisibilité aux contribuables honnêtes, dans le cadre d'une relation améliorée fondée sur la confiance et la coopération mutuelle. L'expérience des pays montre que ce type de relations améliorées amène les contribuables et les administrations fiscales à coopérer en temps réel, ce qui apporte des avantages mutuels évidents : la résolution plus rapide de litiges, l'amélioration de la certitude juridique et le potentiel d'une réduction importante des coûts, tant pour les Gouvernements et les contribuables, par une meilleure allocation des ressources.

Lexbase : Quelles sont les initiatives les plus efficaces en matière de communication de renseignements qui ont été adoptées dans certains pays de l'OCDE et qui sont décrites dans le rapport de février 2011 ?

Raffaele Russo et Carine Stoffels : Le rapport de février 2011 traite de six catégories d'initiatives de communication de renseignements : des règles relatives à la communication préalable obligatoire de renseignements ; des déclarations supplémentaires propres à la PFA ; du recours aux questionnaires ; des programmes de discipline fiscale coopérative ; des régimes de décision ("rulings") ; et des règles de communication de renseignements en matière de PFA assorties de sanctions.

Ces stratégies diffèrent à plusieurs égards importants mais elles ont ceci en commun qu'elles imposent aux contribuables (et, dans certains cas, aux conseillers) de communiquer des renseignements pertinents à l'administration fiscale en temps voulu, ou les incitent à le faire. Elles ne s'excluent pas mutuellement et plusieurs pays en appliquent plusieurs.

En ce qui concerne l'efficacité de ces stratégies, il n'est pas possible de donner une réponse unique qui soit valable pour tous les pays. L'efficacité de toute stratégie fiscale dépend d'un nombre de facteurs qui diffèrent d'un pays à l'autre. Ces facteurs comprennent : les cadres administratifs, juridiques et culturels d'un pays, les caractéristiques comportementales des contribuables, y compris la franchise relative du contribuable au sujet de sa stratégie fiscale, la gouvernance d'entreprise ("corporate governance"), l'appétence pour la planification agressive et la volonté de travailler en temps réel et de communiquer les détails des transactions sujettes à incertitude fiscale.

En dépit de ces différences, les expériences des pays qui ont déployé des initiatives dans le domaine de la communication de renseignements ont été globalement positives. D'après les expériences des pays concernés, il semble que des règles relatives à la communication préalable obligatoire de renseignements sont particulièrement efficaces. Le Royaume-Uni est un bon exemple pour illustrer les résultats positifs obtenus par de telles règles. Selon des chiffres officiels publiés fin 2009, ses règles relatives à la communication préalable obligatoire de renseignements ont permis de réduire, depuis l'introduction de ces règles en 2004, de plus de 12 milliards de livres (environ 14 024 296 195 euros) les possibilités d'évasion fiscale. Il existe également de nombreuses preuves anecdotiques qui suggèrent que ses règles ont modifié l'économie de l'évasion fiscale au Royaume-Uni.

A noter, finalement, que les choses progressent très rapidement dans le domaine des initiatives de communication de renseignements. Pour citer quelques exemples : récemment, des représentants d'administrations fiscales, du secteur bancaire et de l'OCDE se sont réunis à Rome pour discuter des moyens susceptibles d'améliorer la relation entre les administrations fiscales et le secteur bancaire et d'arriver, ainsi, à une meilleure discipline fiscale. Au Canada, des propositions visant à établir un régime de communication préalable obligatoire de renseignements sont pendantes. En Allemagne, les discussions sur l'introduction d'un tel régime ont été relancées au niveau parlementaire. L'Australie vient d'introduire des règles obligeant certains contribuables à divulguer leurs positions fiscales incertaines. Ces exemples illustrent la sensibilisation accrue, parmi les administrations fiscales, à l'importance de la disponibilité en temps voulu de renseignements ciblés et complets et la volonté d'améliorer leur capacité de détecter la PFA et d'y répondre rapidement.


(1) Voir le glossaire de "L'Etude du rôle des intermédiaires fiscaux", OCDE, janvier 2008.
(2) Ce Protocole a été ratifié par la France par la loi n° 2011-1370 du 27 octobre 2011 (N° Lexbase : L2091IRU ; lire N° Lexbase : N8498BSK).

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