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par Anne-Lise Lonné-Clément, rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée
le 20 Octobre 2011
Charles Fontaine : C'est un arrêt rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 29 juin 2007, qui a posé le principe de la responsabilité civile des associations sportives, sur le fondement de la responsabilité du fait d'autrui de l'article 1384, alinéa 1er du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS), tout en retenant l'exigence d'une faute imputable à l'auteur du dommage comme condition de mise en oeuvre d'une telle responsabilité. Dans son attendu de principe, la Cour suprême a, en effet, énoncé que "les associations sportives ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres, sont responsables des dommages qu'ils causent à cette occasion, dès lors qu'une faute caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à un ou plusieurs de leurs membres, même non identifiés" (Ass. plén., 29 juin 2007, n° 06-18.141, publié N° Lexbase : A9647DW9).
Dans cette affaire, M. X, participant à un match de rugby organisé par le comité régional de rugby du Périgord-Agenais, dont il était adhérent, et le comité régional de rugby d'Armagnac-Bigorre, avait été grièvement blessé lors de la mise en place d'une mêlée. Il avait assigné en réparation, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, les comités et leur assureur commun.
Pour déclarer les comités responsables et les condamner à indemniser M. X, la cour d'appel de renvoi (CA Bordeaux, 1ère ch., sect. A, 4 juillet 2006, n° 04/03244 N° Lexbase : A1160EEP ; Cass. civ. 2, 13 mai 2004, n° 03-10.222, FS-P+B N° Lexbase : A2031DC9) avait retenu qu'il suffisait à la victime de rapporter la preuve du fait dommageable et qu'elle y parviendrait en démontrant que les blessures avaient été causées par l'effondrement d'une mêlée, au cours d'un match organisé par les comités, et que l'indétermination des circonstances de l'accident et l'absence de violation des règles du jeu ou de faute établie étaient sans incidence sur la responsabilité des comités dès lors que ceux-ci ne prouvaient l'existence ni d'une cause étrangère ni d'un fait de la victime.
Mais cet arrêt rendu par la cour d'appel de Bordeaux a été censuré par la Cour suprême au visa de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil : selon les juges de l'Assemblée plénière, la cour d'appel était tenue de relever l'existence d'une faute caractérisée par une violation des règles du jeu commise par un ou plusieurs joueurs, même non identifiés. Ce faisant, la Cour suprême excluait le principe d'une responsabilité de plein droit des associations sportives du fait de leurs joueurs.
Lexbase : L'arrêt rendu par la cour d'appel de Nîmes le 9 août 2011 s'inscrit-il dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation ? Quel est son apport ?
Charles Fontaine : Dans l'affaire soumise à la cour d'appel de Nîmes le 9 août 2011, M. D., âgé de 19 ans, avait été grièvement blessé le 27 février 2000 alors qu'il disputait un match de rugby à XIII opposant son équipe l'association Villefranche XIII Aveyron à celle de l'association Racing club Carpentras XIII, à la suite d'un choc survenu lors d'un contact avec M.H., joueur de l'équipe adverse. La cour d'appel a confirmé le jugement de première instance et condamné in solidum le joueur et son association sportive, après avoir retenu qu'était fautif un lever de coude pour écarter l'adversaire qui allait faire un placage.
Le cas soumis à la cour d'appel de Nîmes était différent, en plusieurs points de celui soumis à l'Assemblée plénière le 29 juin 2007, dans lequel, tout d'abord, la victime avait été blessée dans une mêlée, manifestement dans une action normale de jeu.
Il faut également préciser que l'on se trouvait dans le cadre d'un jeu à XIII et non d'un rugby à XV. Cela est toutefois sans incidence sur la mise en oeuvre des règles relatives à la responsabilité civile, alors même que les règles de jeu seraient différentes.
Par ailleurs, l'affaire avait donné lieu à un procès au contradictoire tant du joueur que de son club, et avait conduit à la condamnation personnelle de l'auteur des blessures dont la faute a été caractérisée au-delà de la simple action de jeu. Si l'arbitre avait considéré qu'il n'y avait pas eu de faute déterminante et que le choc subi était la seule conséquence d'un placage dont les effets devaient être assumés par les sportifs qui pratiquent le jeu, les juges ont, quant à eux, retenu une faute caractérisée. Pour cela, ils se sont référés aux règles du jeu en vigueur dans les compétitions organisées par la fédération française de rugby à XIII et plus particulièrement à l'article 11-1 m aux termes duquel le joueur est coupable de jeu déloyal "s'il réalise un geste imprudent ou intentionnel tel que lever le coude ou balancer le bras". Or, le visionnage vidéo permettait de voir que le geste du levé de coude avait délibérément été effectué pour écarter l'adversaire et, selon les juges d'appel, cette attitude ne pouvait être interprétée comme une conséquence involontaire du balancement des bras dans la course. Par ailleurs, "le fait qu'aucune faute n'ait été relevée par l'arbitre n'établit pas son inexistence et n'est pas de nature à priver la victime de se prévaloir d'un comportement fautif qui peut être apprécié dans le cadre d'une action en responsabilité au regard des règles du jeu et de celles de la responsabilité civile". S'agissant de la théorie de l'acceptation des risques, celle-ci a été écartée dès lors que le geste du joueur poursuivi ne constituait pas une maladresse mais une faute intentionnelle qui ne pouvait être considérée comme un risque prévisible et normal dans le cadre de la pratique du rugby.
Par ailleurs, à côté de la condamnation du club au visa de l'article 1384, alinéa 1er, on relèvera que les juges ont retenu une exonération de responsabilité personnelle du club qui n'avait pas manqué à son obligation de sécurité, ainsi que l'exonération de la responsabilité de la fédération (port du casque non obligatoire et secours suffisants).
Il convient enfin de relever l'obligation de garantie de l'assureur du club via la fédération, même si la faute relevée allait au-delà de ce qui est admis en action de jeu.
Cela étant rappelé, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Nîmes le 9 août 2011 présente le mérite d'avoir déclaré le joueur et son club responsables du préjudice, même si la blessure ne s'est pas produite en pure action de jeu comme dans le cas ayant généré l'arrêt de l'Assemblée plénière. A ainsi été retenue la faute du joueur, au-delà d'une action de jeu stricto sensu (coude levé intentionnellement à la hauteur de la tempe), même en l'absence de sanction disciplinaire de l'arbitre.
Il faut, enfin, relever que la cour d'appel a retenu l'obligation de garantie du club via l'assurance groupe de la fédération, même si la blessure est due à un fait fautif de joueur et non à un accident de jeu dans les règles.
L'arrêt rendu par la cour d'appel de Nîmes complète, donc, à mes yeux sans la contredire l'analyse préalablement connue de la Cour de cassation, car le cas d'espèce est plus riche tant sur la façon dont le joueur a été blessé, qu'au niveau du nombre des parties en présence et des obligations tant délictuelles que contractuelles à en dégager.
Lexbase : Quid de la responsabilité du club et de la Fédération française de rugby pour manquement aux obligations de sécurité et de conseil ?
Charles Fontaine : L'arrêt rendu par la cour d'appel de Nîmes présente également un intérêt en ce qu'il permet de cadrer les limites de l'obligation de sécurité du club, ainsi que les limites de la responsabilité de la Fédération française de rugby.
En effet, les requérants reprochaient au club et à la fédération de ne pas avoir imposé au moins le port d'un casque et d'un équipement approprié. Mais le grief est écarté par les juges nîmois qui rappellent que la pratique du rugby induit des contacts physiques permanents, notamment, lors des mêlées ce qui rend le port d'un casque tout à fait inapproprié et pouvant surtout être à l'origine de blessures graves.
Il leur était, ensuite, reproché de ne pas d'être entourés de toutes les précautions nécessaires pour que soit mis sur le terrain un service de secours d'urgence et d'évacuation sanitaire à proximité immédiate. Mais là encore, le grief est infondé, selon la cour, qui se trouve amenée à rappeler que la réglementation ne prévoit pas la présence de services de secours d'urgence sur le terrain. Par ailleurs, il résultait de la feuille de match que deux médecins étaient présents au moment de la rencontre et que la victime avait fait l'objet de soins immédiats, ce qu'attestait par ailleurs l'enregistrement vidéo. Il ne pouvait donc, sur ce point, être reproché aucun manquement au club ou à la fédération.
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