Lexbase Droit privé - Archive n°458 du 20 octobre 2011 : Successions - Libéralités

[Jurisprudence] Revalorisation conventionnelle des soultes dans le cadre d'une donation-partage : l'ordre public protège le créancier

Réf. : Cass. civ. 1, 6 juillet 2011, n° 10-21.134, F-P+B+I (N° Lexbase : A9117HU9)

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par Sophie Deville, Maître de Conférences en droit privé, Institut de droit privé EA 1920, Université Toulouse 1 Capitole

le 20 Octobre 2011

Instruments efficaces d'anticipation successorale, les libéralités-partages connaissent les faveurs du législateur. En ce sens, leur champ d'application a largement été étendu par la loi du 23 juin 2006 (loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, portant réforme des successions et des libéralités N° Lexbase : L0807HK4). Il est désormais possible au disposant d'organiser la répartition de ses biens entre ses héritiers présomptifs et non plus entre ses seuls descendants (C. civ., art. 1075 N° Lexbase : L0222HPW). Au-delà, le texte a consacré la donation-partage transgénérationnelle, qui permet à son auteur de gratifier des descendants de degrés différents, voire de n'allotir que des descendants qui ne sont pas des héritiers présomptifs, avec l'accord de la génération intermédiaire (C. civ., art. 1075-1 N° Lexbase : L0223HPX). Antérieurement à cette importante réforme, l'acte, encore désigné sous le vocable "partage d'ascendant", présentait des vertus qui conduisaient à l'encourager, mais dans le respect d'exigences tendant à assurer la protection des parties. La décision de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 6 juillet 2011, rendue sous l'empire de la loi ancienne, illustre la volonté du législateur de garantir une certaine sécurité aux descendants gratifiés. Par acte du 18 février 1983, deux époux avaient consenti à leurs trois enfants une donation-partage sur des immeubles, avec réserve d'usufruit à leur profit. L'acte prévoyait qu'au décès du dernier des donateurs, l'un des descendants serait tenu de verser aux deux autres une soulte, vraisemblablement compensatrice du déséquilibre des lots. Une clause précisait en outre certaines modalités spécifiques de réévaluation de la somme : celle-ci varierait en fonction de l'indice du coût de la construction, mais serait minorée de 3 % par an pour tenir compte de la vétusté des immeubles concernés. Le partage d'ascendant ne suscita pas de difficultés particulières jusqu'au décès du dernier des disposants. A cette date consommant l'exigibilité de la soulte, un litige opposa la fille débitrice à l'un de ses frères, au sujet du montant de la créance due. Alors que la première se prévalait de la clause d'indexation prévue dans l'acte de donation-partage, le second contestait la validité de la stipulation, laquelle méconnaîtrait les dispositions légales impératives applicables à la réévaluation des soultes en la matière. Les juges de première instance déclarèrent la clause d'indexation non écrite sur le fondement des articles 833-1 (N° Lexbase : L3479ABH) et 1075-2 (N° Lexbase : L1152ABB) du Code civil, et furent suivis en ce sens par la cour d'appel. La débitrice forme alors un pourvoi en cassation... sans succès. Les arguments sont rejetés au motif, principalement, que l'indice de référence proposé par la clause d'indexation dérogeant au dispositif légal d'ordre public conduirait à une diminution de la soulte alors même que les textes du code auraient pour effet, dans cette situation, d'augmenter le montant de la somme due. La première chambre civile réaffirme l'inapplicabilité de la stipulation et impose la réévaluation légale, favorable aux créanciers.

Cet arrêt invite à s'interroger sur la teneur et la portée des dispositions prévues aux articles 833-1 et 1075-2 du Code civil, dans leur version antérieure à la loi du 23 juin 2006 (1). La question mérite l'attention, car si certaines décisions s'intéressent aux conditions d'application de ces textes (2), il est rare que les juges aient à statuer sur leur possible aménagement conventionnel. Or, si la réévaluation des soultes dues dans le cadre d'une donation-partage doit être opérée dans le respect des prescriptions légales qui sont présentées comme impératives, l'argumentation développée par les Hauts magistrats dans cette espèce n'interdit pas ipso facto tout stipulation en la matière. Simplement, si de telles clauses sont prévues, leur validité doit être conditionnée à leur résultat, lequel ne doit jamais conduire à une issue moins favorable que celle qui résulterait des termes du code. La Cour de cassation vient préciser que le législateur offre au créancier de la soulte un seuil impératif de protection a minima, une manifestation de volonté étant concevable uniquement si elle surpasse l'objectif du dispositif légal.

I - L'admission d'une stipulation relative à la réévaluation de la soulte

La donation-partage n'a cessé, au gré des réformes successives, d'acquérir une certaine flexibilité, laquelle participe de son dynamisme et, partant, de son efficacité. Affranchi du respect de l'égalité en nature dans la composition des lots depuis 1938, le disposant l'est également de l'égalité en valeur ; la loi du 3 juillet 1971 est en ce sens venue préciser que l'acte n'est plus rescindable pour lésion (C. civ., art. 1075-1 N° Lexbase : L1151ABA, version antérieure à la loi du 23 juin 2006). La liberté de composer des lots d'inégale valeur a pour seule limite le respect de la réserve héréditaire des descendants. Bien sûr, l'ascendant est maître du choix des biens attribués à chaque bénéficiaire ; à ce titre, il n'est pas rare que certains gratifiés perçoivent une somme d'argent, soulte à faire valoir au décès de l'ascendant ou deniers payables à terme sous forme de créance de quasi-usufruit, lorsque l'auteur de l'acte s'est réservé l'usufruit des biens donnés. L'inégalité des lots peut également être compensée par des stipulations imposant le versement de soultes entre les copartagés. Ces créances sont le plus souvent affectées d'un report d'exigibilité au décès de l'ascendant (3), notamment lorsque ce dernier est demeuré usufruitier des biens objets de la donation-partage.

Le rejet de l'égalité en nature a favorisé le recours à la monnaie, cette dernière constituant un moyen commode de compenser les disparités éventuelles entre les lots, non souhaitées par le disposant. Ceci étant, conscient du danger que peut représenter le nominalisme monétaire face à des situations juridiques à long terme, le législateur avait très tôt prévu un certain nombre de règles protectrices, notamment lorsque la donation-partage comprenait des stipulations prévoyant le versement non immédiat de soultes. La loi opérait en la matière par renvoi aux dispositions visant les modalités du partage successoral proprement dit. En ce sens, l'article 1075-2 du Code civil, dans sa version antérieure à la réforme de 2006, visait directement l'ancien article 833-1 du même code en imposant l'application de son alinéa premier aux soultes mises à la charge des donataires dans le cadre des donations-partages, ce "nonobstant toute convention contraire". L'article 833-1 organisait, pour sa part, un système de revalorisation de ces créances en ces termes : "Lorsque le débiteur d'une soulte a obtenu des délais de paiement, et que, par suite des circonstances économiques, la valeur des biens mis dans son lot a augmenté ou diminué de plus du quart depuis le partage, les sommes restant dues augmentent ou diminuent dans la même proportion". Le second alinéa du texte admettait que les parties au partage pouvaient faire échec, par leur accord, à la réévaluation. La combinaison des dispositions conduisait à percevoir la révision des soultes comme d'ordre public dans le cadre du partage d'ascendant, dès lors que les conditions d'application imposées étaient réunies, alors qu'elle n'était que supplétive pour le partage ordinaire, l'alinéa second de l'article 833-1 autorisant des manifestations de volonté contraire.

Quant aux motifs justifiant le caractère impératif, ils résidaient dans la volonté de protéger les descendants copartagés contre l'ascendant lui-même et ses possibles abus d'autorité. Par exemple, une clause pénale exhérédant le descendant qui demanderait une revalorisation de la soulte serait réputée non écrite sur ce fondement (4). Ceci étant, il importe de préciser que des aménagements conventionnels excluant la revalorisation demeuraient licites postérieurement au décès du disposant. Les copartagés pouvaient librement en décider ainsi, en connaissance de cause, tout risque de pression étant levé à l'égard de celui qui a consenti l'acte (5). La loi du 23 juin 2006 ayant repris la teneur des deux dispositions, les solutions sont transposables aux espèces régies par le nouveau texte, sans distinction.

Ceci étant, il est nécessaire de préciser la portée du caractère impératif de la réévaluation. Elle permet, en effet, d'éclairer l'issue livrée par la Cour de cassation, qui a approuvé le raisonnement tenu par les juges du fond dans cette affaire. Faut-il interpréter l'article 1075-2 ancien du Code civil strictement, comme interdisant toute stipulation relative à l'évaluation des soultes éventuellement dues à terme dans l'acte portant le partage d'ascendant ? Au contraire, est-il nécessaire, pour neutraliser une éventuelle clause, de se reporter à ses effets sur le montant de la soulte, par comparaison avec le dispositif légal qui prévoit des modalités précises ? L'hésitation est permise à la lecture des termes employés.

Quelle que soit l'analyse défendue, il est possible d'émettre, a priori, de sérieuses critiques à l'encontre des arguments du pourvoi. La demanderesse se fonde sur une interprétation erronée car imprécise des textes en prétendant qu'une combinaison des articles permettrait une stipulation neutralisant toute variation du montant de la soulte. Elle poursuit en admettant que si une clause faisant obstacle à la réévaluation est licite, alors celle permettant une indexation selon des critères différents de ceux avancés par la loi doit sortir des effets. La première idée émise ne saurait être défendue. En effet, si l'alinéa second de l'article 833-1 prévoit bien cette alternative pour le partage successoral simple, elle n'est pas reprise en cas de partage d'ascendant, l'article 1075-2 ne faisant clairement renvoi qu'à l'alinéa premier, en précisant par ailleurs que toute convention contraire aux procédés de réévaluation prévus serait illicite. Par déduction, toute clause ayant pour but ou effet de faire obstacle à la réévaluation doit être réputée non écrite. Cette partie de l'argumentation n'est d'ailleurs pas reprise par la Cour de cassation, qui se concentre sur le second élément, lequel est, il est vrai, totalement indépendant du premier.

C'est à ce stade que les juges viennent préciser le sens à donner aux termes du législateur. En effet, le raisonnement suivi est à cet égard significatif ; la présence d'une clause proposant un aménagement de la réévaluation des soultes n'est pas de fait illicite puisque les magistrats en analysent les effets, précisément sur le montant de la créance. C'est bien davantage sur le fondement du résultat obtenu par son application que la stipulation est sanctionnée pour atteinte à l'ordre public. En bref, toute manifestation de volonté n'est pas, de fait, condamnée, mais sa validité est conditionnée à l'issue qu'elle propose, par comparaison avec le dispositif légal.

II - La validité de la stipulation conditionnée au résultat de l'évaluation

En énonçant qu'"ayant relevé que la variation conventionnelle retenue pouvait conduire à une diminution de la soulte tandis que la variabilité légale pouvait aboutir à une augmentation de celle-ci, la cour d'appel en a exactement déduit que la clause conventionnelle de variation de la soulte, en ce qu'elle permettait d'exclure la variabilité légale d'ordre public, devait être déclarée non écrite [...]", les Hauts magistrats approuvent les juges d'appel d'avoir recherché le résultat concret de l'application de la clause avant de lui appliquer une sanction pour manquement à une disposition impérative. C'est dire que le respect de l'ordre public n'est pas a priori incompatible avec l'existence d'une stipulation de l'acte visant la réévaluation des soultes.

La revalorisation fondée sur des éléments différents de ceux prévus par la loi apparaît concevable. En l'espèce, c'était le cas de la clause contestée par certains copartagés, qui prévoyait une réévaluation calculée à partir de l'indice du coût de la construction, minorée de 3 % par an afin de tenir compte de la dépréciation des immeubles. Le dispositif imaginé par les auteurs de la donation-partage s'éloigne des termes légaux qui prévoient une variation proportionnelle du montant de la soulte lorsque la valeur des biens mis dans le lot du débiteur a diminué ou augmenté de plus du quart depuis le partage, en raison des circonstances économiques. La convention admet une révision automatique du montant de la soulte sur le fondement d'un indice particulier, le résultat étant ensuite minoré selon un pourcentage déterminé par les parties, alors que l'article 833-1 du Code civil impose seulement une réévaluation dans le cas où il a été constaté une variation de valeur des biens de plus d'un quart depuis le partage. A première vue, les aménagements issus du partage d'ascendant pourraient se révéler plus avantageux en ce qu'ils obligent à une révision systématique.

Ceci étant, et au-delà des modalités choisies, ce sont leurs effets sur la soulte qui sont déterminants. Le sort de la clause dépend du résultat qu'elle permet d'obtenir, lequel doit faire l'objet d'une comparaison avec le système instauré par le législateur. En ce sens, la Cour de cassation approuve les juges du fond qui se sont livrés à cette démarche. Dans tous les cas, l'issue ne saurait se révéler moins avantageuse pour le créancier ; le montant doit être au minimum égal à ce qu'il aurait perçu par application de la loi. Naturellement, une révision de la somme encore plus favorable au bénéficiaire doit être considérée comme licite (6), c'est d'ailleurs ce cas de figure qui justifie la validité des stipulations aménageant l'évaluation. Les articles 833-1 et 1075-2 sont donc impératifs en ce qu'ils instaurent un minima de protection en faveur du créancier de la somme due, un plancher incompressible qui ne saurait être amoindri par une manifestation de volonté de l'ascendant donateur (7).

Or, c'était justement l'effet de la clause litigieuse dans la présente affaire. Malgré une révision automatique, les indices retenus, et notamment la diminution de 3 % imposée à la soulte sur le fondement de la dépréciation des biens, avaient conduit à une issue moins favorable que le dispositif légal. De l'application de l'article 833-1 aurait résulté une augmentation de la somme due par la descendante des époux à ses frères, alors que la mise en oeuvre de la stipulation avait provoqué une dépréciation de la soulte. Dès lors, la sanction des magistrats est sans appel ; la clause doit être neutralisée et considérée comme non écrite car méconnaissant les principes impératifs protégeant le créancier.

Cette décision vient utilement préciser la force et la teneur du caractère d'ordre public des articles visant la revalorisation des soultes dans le cadre de la donation-partage. Ces dispositions, toutes tournées vers la protection du créancier, imposent une révision a minima de la somme. Toute stipulation incluse dans le partage d'ascendant ajoutant à ce seuil de protection par une augmentation du montant de la soulte, même sur la base d'indices différents, ou par une appréhension plus favorable des conditions de réévaluation, sera jugée respectueuse des objectifs fixés par le législateur en la matière (8). La précision est d'autant plus importante qu'elle a vocation à être appliquée aux nouveaux textes, issus de la loi du 23 juin 2006.


(1) Les textes ont été repris par la loi nouvelle, quasiment à l'identique, aux articles 828 (N° Lexbase : L9960HN9) et 1075-4 (N° Lexbase : L0226HP3) du Code civil.
(2) Pour un exemple : Cass. civ. 1, 30 janvier 2001, n° 98-14.930 (N° Lexbase : A9597ASA), Bull. civ., I, n° 20 ; JCP éd. G, 2001, I, 366, n° 9, obs. R. Le Guidec ; RTDCiv., 2001, p. 646, obs. J. Patarin. Voir encore : Cass. civ. 1, 30 mars 2004, n° 01-14.542, FS-P+B (N° Lexbase : A7447DBG), Bull. civ., I, n° 104 ; JCP éd. G, 2005, I, 187, n° 5, obs. R. Le Guidec ; Dr. Fam., 2004, n° 110, note B. Beignier.
(3) De tels allotissements sont parfaitement concevables car le bénéficiaire est titulaire d'une créance certaine, simplement affectée d'un terme. Il s'agit d'une disposition de biens présents, non de biens à venir. En ce sens, par exemple : Cass. civ. 1, 30 novembre 1982, n° 81-15.519 (N° Lexbase : A6009CKR), Bull. civ. I, n° 344, Defrénois, 1983,art. 33060, note G. Morin ; RTDCiv., 1983, p.578, obs. J. Patarin.
(4) CA Nancy, 10 décembre 1987.
(5) Cass. civ. 1, 19 janvier 1982, n° 81-10.608 (N° Lexbase : A0895CIY), Bull. civ. I, n° 31 ; D., 1982, IR, p. 474, obs. D. Martin.
(6) En ce sens, par exemple : M. Grimaldi, Libéralités, partages d'ascendants, Litec, p. 562, note 113.
(7) Etant entendu, nous l'avons précisé plus haut, que des accords entre les copartagés, dérogatoires aux principes légaux, sont possibles et licites postérieurement au décès du disposant).
(8) Par exemple, sera valable une clause imposant la révision alors même que les variations de valeur des biens depuis le partage sont inférieures à un quart. Cet exemple est également évoqué par le Professeur Grimaldi, précité.

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