Lexbase Fiscal n°633 du 19 novembre 2015 : Impôts locaux

[Jurisprudence] Exonération de taxe foncière des bâtiments affectés à un usage agricole : soyez propriétaires de vos vignes !

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 378329, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3719NTW)

Lecture: 6 min

N9988BUH

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Exonération de taxe foncière des bâtiments affectés à un usage agricole : soyez propriétaires de vos vignes !. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/27210947-jurisprudence-exoneration-de-taxe-fonciere-des-batiments-affectes-a-un-usage-agricole-soyez-propriet
Copier

par Marie-Cécile Clémence, collaboratrice fiscaliste spécialisée en fiscalité locale et doctorante à l'Université Paris Panthéon Sorbonne sous la direction du Professeur Marie-Christine Esclassan

le 19 Novembre 2015

C'est à l'occasion d'un litige en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties opposant un producteur de champagne et l'administration fiscale que le Conseil d'Etat, dans une décision rendue le 14 octobre 2015, a confirmé sa position s'agissant du champ d'application de l'exonération des bâtiments ruraux affectés à un usage agricole prévue à l'article 1382, 6° du CGI (N° Lexbase : L4616I74) (CE 3° et 8° s-s-r., 14 octobre 2015, n° 378329, mentionné aux tables du recueil Lebon). La société productrice de champagne exerce, dans les locaux dont elle est propriétaire sur la commune de Celles-sur-Ourse, une activité de pressurage et de vinification de raisins issus de son propre domaine, mais également achetés auprès d'autres producteurs. La société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au terme de laquelle l'administration fiscale a remis en cause l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties dont elle bénéficiait en application des dispositions de l'article 1382, 6° du CGI pour le bâtiment affecté à son exploitation.

Estimant être en droit de bénéficier de l'exonération prévue en faveur des bâtiments agricoles, la société a contesté les impositions supplémentaires de taxe foncière mises en recouvrement entre ses mains. A la suite du jugement rendu par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne par lequel les juges du fond ont rejeté sa demande de décharge des impositions litigieuses, la société requérante se pourvoit en cassation.

Pour rejeter sa demande, le tribunal administratif a considéré que "les bâtiments en cause doivent être regardés comme partiellement affectés à une activité non agricole, qui ne constitue pas, eu égard à son importance, le prolongement d'une activité agricole" de sorte que "la SARL n'est pas fondée à se prévaloir d'une exonération de taxe foncière" prévue à l'article 1382, 6° du CGI.

En l'espèce, c'est à la question suivante que la Haute juridiction a été invitée à répondre : dans quelles conditions les opérations de pressurage et de vinification de raisins peuvent-elles être assimilées à une activité à caractère agricole au sens des dispositions de l'article 1382, 6° du CGI ?

Rappelons, tout d'abord, que l'exonération de taxe foncière dont bénéficient les bâtiments ruraux affectés à un usage agricole est relativement ancienne puisqu'elle trouve son origine dans la loi du 3 frimaire an VII relative à la contribution foncière qui prévoyait, à son article 85, que "sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties : [...] les bâtiments qui servent aux exploitations rurales, tels que granges, écuries, greniers, caves, celliers, pressoirs et autres, destinés soit à loger les bestiaux des fermes et métairies ainsi que le gardien de ces bestiaux, soit à serrer les récoltes".

Cette exonération traverse le temps... Force est de constater qu'au fur et à mesure des avancées législatives relatives à la contribution foncière, à la patente, à la taxe professionnelle et désormais à la cotisation foncière des entreprises, l'exonération des bâtiments ruraux affectés à un usage agricole perdure. Par sa jurisprudence, le Conseil d'Etat en a affiné les contours et s'est prononcé à plusieurs reprises sur le champ d'application de l'exonération prévue à l'article 1382, 6° du CGI tout en précisant l'étendue de la notion d'activité agricole.

Reprenant le considérant de principe dégagé dans sa décision du 20 novembre 2013 (CE 9° et 10° s-s-r., 20 novembre 2013, n° 360562, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0570KQ8), le Conseil d'Etat réaffirme, dans la décision commentée, sa position s'agissant de la définition des bâtiments ruraux exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties. Ainsi, "si le pressurage et la vinification de raisins, qui ne s'inscrivent pas dans le cycle biologique de la production végétale, peuvent être regardés comme des opérations en constituant le prolongement lorsque le producteur transforme le raisin qu'il produit, il n'en va pas de même lorsqu'il transforme, outre son propre raisin, du raisin acheté à des tiers viticulteurs dans une proportion importante ; qu'ainsi [...] les locaux de la société ne pouvaient être regardés comme affectés à un usage agricole et qu'elle ne pouvait par suite bénéficier de l'exonération prévue au 6° de l'article 1382 du CGI".

Pour bénéficier de ladite exonération, le Conseil d'Etat pose deux critères alternatifs relatifs à la nature des opérations réalisées : l'exonération s'applique aux bâtiments affectés à un usage agricole dans lesquels sont exercées, d'une part, des opérations qui s'inscrivent dans le cycle biologique de la production agricole ou, d'autre part, des opérations qui constituent le prolongement d'une activité agricole.

En l'espèce, la société requérante exerce une activité de pressurage et de vinification de raisins produits par elle-même mais aussi de raisins qu'elle achète à d'autres producteurs dans une proportion de plus de 29 % de sa production. Cette activité ne peut logiquement pas s'inscrire, par nature, dans le cycle biologique du raisin "qui s'achève lorsque les grappes mures sont détachées des ceps lors de la vendange", tel que l'a relevé le rapporteur public Benoît Bonhert dans ses conclusions sous l'arrêt n° 360562 rendu le 20 novembre 2013.

Le critère du cycle biologique devant, de fait, être écarté, c'est sur le seul fondement de l'exercice d'opérations qui constituent le prolongement d'une activité agricole que la société pouvait espérer bénéficier de l'exonération.

Au fil de sa jurisprudence, le Conseil d'Etat a défini l'étendu des opérations susceptibles de constituer le prolongement d'une activité agricole. En matière de viticulture, le Conseil d'Etat juge que la vente de vin en bouteille produit à partir de raisins appartenant en propre au viticulteur (CE 3° et 5° s-s-r., 4 juin 1976, n° 98863, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2936B7U) relève d'une activité agricole, alors qu'il considère que la vinification et l'élevage de raisins acquis auprès d'autres viticulteurs constitue une activité de transformation ne présentant pas un caractère agricole (CE 4° et 5° s-s-r., 18 février 2009, n° 300659, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2531ED4 et CE 9° et 10° s-s-r., 20 novembre 2013, n° 360562, mentionné aux tables du recueil Lebon, préc.).

Le rapporteur public Benoît Bonhert, dans ses conclusions sous l'arrêt n° 360562 précité, résumait assez simplement la position du Conseil d'Etat quant aux activités viticoles susceptibles d'ouvrir droit au bénéfice de l'exonération de taxe foncière prévue par les dispositions de l'article 1382, 6° du CGI. Il soulignait qu'"un viticulteur produisant du vin à partir de ses propres vignes pourra bénéficier de l'exonération de taxe foncière instituée par le 6° de l'article 1382 au titre des bâtiments affectés de manière permanente à cette activité. À l'inverse, le vinificateur qui se contente de produire du vin à partir de raisins achetés à des tiers n'exerce pas une activité agricole par nature, ni une activité prolongeant une activité agricole".

En l'espèce, la société requérante estimait pouvoir bénéficier de l'exonération de taxe foncière prévue à l'article 1382, 6° du CGI au motif que l'activité de pressurage et de vinification qu'elle exerce se situe directement dans le prolongement d'une activité agricole, et ce, nonobstant le fait qu'elle achète une partie des raisins auprès d'autres producteurs. Selon la requérante, l'achat limité de raisins auprès de tiers ne présente qu'un caractère accessoire à son activité et ne saurait l'exclure du bénéfice de l'exonération susmentionnée.

Telle n'est pas la position du Conseil d'Etat qui considère que les bâtiments où sont réalisés des activités de vente ou transformation de produits ne provenant pas de la propre exploitation de l'agriculteur sont exclues du champs d'application des dispositions de l'article 1382, 6° du CGI, dès lors que le caractère agricole n'est pas susceptible de s'appliquer à la partie de produits acquis auprès de tiers.

Le Conseil d'Etat souligne que le tribunal administratif (TA Châlons-en-Champagne, 20 février 2014, n° 1100286) "n'a pas commis d'erreur de droit en se fondant sur la proportion de raisins achetés à des tiers pour apprécier le caractère agricole de l'activité et qu'il a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en déduisant de la proportion importante de raisin acheté par la société requérante à d'autres producteurs que les locaux de la société ne pouvaient être regardés comme affectés à un usage agricole et qu'elle ne pouvait par suite bénéficier de l'exonération prévue au 6° de l'article 1382 du CGI". Ainsi, pour apprécier le caractère agricole d'une exploitation, le Conseil d'Etat s'attache à la provenance des produits nécessaires à l'activité. Ainsi, la vente ou la transformation de produits ne provenant pas de sa propre culture, bien que minime, fait perdre à l'exploitant propriétaire de bâtiment "ruraux" le bénéfice de l'exonération prévue à l'article 1382, 6° du CGI.

Alors que tout viticulteur assure la vinification, l'élevage, et le conditionnement et l'expédition du vin, le Conseil d'Etat opère donc une distinction entre ceux qui s'approvisionnent en raisins auprès de tiers et ceux qui sont propriétaires de leurs vignes, ces derniers bénéficiant d'un meilleur traitement fiscal.

newsid:449988

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus