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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction
le 11 Juin 2015
Laurent Martinet : Le choix de me présenter est le fruit de deux éléments : à la fois d'une rencontre et d'une réflexion.
La réflexion est liée au constat selon lequel si l'on veut entreprendre des choses pour cette profession, c'est possible et réalisable. Je l'ai testé et je le vis dans le cadre de mes fonctions. Vous pourriez croire que cette institution est un gros navire parfois difficile à faire évoluer mais en fin de compte pas du tout, il suffit de prendre les choses en main avec beaucoup de détermination. Dans le cadre de notre candidature avec Pierre-Olivier, vous vous souvenez que nous avions tout un ensemble d'obligations de résultat que nous avons toutes remplies. Bien sur, tout n'est pas parfait, mais pour imprimer et donner corps aux réformes, il faut du temps. Or le mandat de deux ans est très court. Je ne connais aucune institution professionnelle qui, en changeant de cap tous les deux ans, parvient à se moderniser. C'est tout simplement impossible.
Ensuite il y a eu une rencontre, avec Marie-Alix. Ce qui nous caractérise l'un et l'autre, c'est une très grande énergie, une forte détermination et une volonté d'agir. Marie-Alix et moi avons, en plus, pour vertu de représenter la profession dans ce qu'elle est, dans sa diversité, dans ses caractéristiques. Aujourd'hui il y a une quasi parité hommes-femmes et des exercices professionnels très différents. Et c'est l'alchimie de tout cela qui m'a fait me dire que c'était le moment d'agir au bénéfice des confrères.
Lexbase : Comment concilie-t-on aujourd'hui les fonctions que vous avez de vice-Bâtonnier, président de l'EFB, vice président du Conseil national des barreaux, avec votre campagne ?
Laurent Martinet : J'ai pris l'engagement, pour qu'il n'y ait aucune équivoque et aucune difficulté, avant même que la Commission en charge des élections ne me demande quoi que ce soit lorsque j'ai annoncé ma candidature au Conseil, d'abord de conserver mes fonctions parce que j'étais débiteur à l'endroit des confrères qui m'ont élu d'un mandat, d'une obligation d'action. Je n'entendais donc pas me départir de mes fonctions en raison des engagements pris à l'endroit de l'école, du CNB et puisque notre candidature s'inscrit également dans le cadre d'une continuité cela n'aurait eu aucun sens de s'inscrire dans une rupture. En revanche, pour éviter toute équivoque sur la question, j'ai annoncé, concomitamment, que je renonçais à tous les attributs, privilèges qui pouvaient être liés à mes fonctions de vice-Bâtonnier, en ce compris l'indemnité de vice-Bâtonnier, afin que l'on ne puisse pas considérer qu'elle servirait à financer ma campagne. De même, pour qu'il n'y ait pas de rupture d'égalité, je n'interviens plus en ma qualité de vice-Bâtonnier à aucune manifestation organisée par le barreau de Paris ou l'Ordre des avocats. En revanche, je conserve toute latitude à l'extérieur pour pouvoir m'exprimer donc je participe à des conférences, comme tout candidat est susceptible de donner des conférences. Tout cela sous le contrôle de la Commission en charge des finances et des élections.
Lexbase : Maître Canu-Bernard, quelle volonté vous a porté à candidater au Bâtonnat ?
Marie-Alix Canu-Bernard : L'idée m'est venue assez naturellement en fait, après avoir exercé mon mandat pendant trois ans au conseil de l'Ordre. J'ai réalisé qu'il y avait plein de chantiers à mener et que le champ de latitude était énorme. Initialement, je ne mesurais tout simplement pas à quoi servait l'Ordre. Je suis pénaliste et très franchement je ne connaissais pas du tout les instances ordinales. L'expérience du conseil de l'Ordre m'a donné envie de continuer à faire des choses pour les avocats. Et lorsque Laurent m'a proposé de l'accompagner dans cette aventure, il ne m'a fallu que quelques heures pour lui répondre "oui", tellement cela m'a paru absolument évident. Travailler avec un homme de parole qui place l'intérêt de la profession avant ses intérêts personnels, c'est rare. C'est d'ailleurs pour ses qualités et son bilan qu'il n'est jamais critiqué sur le fond !
Lexbase : Quels sont vos projets ? Qu'allez-vous faire pour le barreau de Paris ?
Laurent Martinet : Nous allons d'abord consolider l'existant, notamment sur la formation mise en place, avec toutes les conventions signées à l'étranger ; puis, sur la politique en matière de parité et d'égalité, que nous avons initiée sans fondement textuel puisque rien de tout cela n'existait. Ensuite nous allons nous servir également d'une chose très importante, -l'actuel Bâtonnat ayant mis en place une politique financière d'une orthodoxie incroyable qui fait qu'aujourd'hui l'Ordre est bénéficiaire-, pour nous permettre de mener une politique, sans obérer nos finances, très prospective et très audacieuse pour accompagner les confrères. Plus clairement, nous allons reconduire les mesures d'exonération. Nous allons aussi accompagner les confrères dans leur développement personnel avec le barreau entrepreneurial. Nous allons donc avoir une politique de présence et d'accompagnement des confrères qui sera extrêmement forte. Nous aurons également, car nous y sommes très attachés Marie-Alix et moi, une politique sociale forte à l'endroit du barreau. Je pense que le temps est venu de "l'avocat dans la cité", l'avocat des citoyens pour lutter contre l'exclusion, contre l'inégalité, contre la discrimination. Nous adhérerons à la "Charte de la diversité" que beaucoup d'entreprises ont signé. C'est dans notre projet.
Marie-Alix Canu-Bernard : Mon mode d'exercice, qui est un exercice très artisanal puisque j'exerce avec deux collaboratrices, fait que je suis très attachée aux petits cabinets et aux confrères qui travaillent seuls. Et ils sont très nombreux aujourd'hui mais souvent très seuls et je me rends compte que tout ceux que je croise sont isolés et donc faibles. Il n'est pas possible de faire une défense forte si l'avocat n'est pas fort. Et l'avocat ne peut être fort que s'il ressent son Ordre vraiment derrière lui : "un avocat fort, un Ordre protecteur". Je le vois dans la matière pénale : l'avocat est toujours suspect de tout, perquisitionné, écouté, cité en correctionnelle, et je parle de tous les avocats. Nous devons garder notre fierté d'être avocat, notre envie de défendre mais pour cela il ne faut pas que l'on soit seuls. Nous ne pourrons être forts qu'en étant unis les uns avec les autres et avec un Ordre derrière nous.
Laurent Martinet : Ce qu'on entend offrir à la profession, c'est un Ordre fort qui soit un véritable interlocuteur dans les défis de demain, notamment sur le périmètre du droit et les attaques que l'on subit en ce moment. Avant des voix dissonantes s'exprimaient et aujourd'hui c'est terminé. Il y a aussi une convergence de moyens. Le CNB vient d'être élu pour trois ans, et nous, nous serions élus pour un mandat de deux ans : il y a donc une identité parfaite en termes de temps, de mandat et d'action.
Nous allons mettre toute notre énergie sur le barreau entrepreneurial, sur tous ces débats très prospectifs, sur l'accompagnement des jeunes car il faut leur trouver des perspectives. C'est vraiment notre énergie, notre volonté et notre détermination que nous mettons au service de nos confrères avec un acquis que l'on peut nous reconnaître : toutes les idées que nous avons eues, nous les avons réalisées. Nous sommes les premiers à avoir remis en place le chantier de la formation, de la parité, etc..
Nous travaillons avec tout un ensemble de jeunes à qui nous avons demandé d'être extrêmement créatifs, en termes de visions prospectives sur ce que nous pouvons offrir à la profession aujourd'hui. C'est d'ailleurs pour ces raisons que nous sommes les seuls à proposer de réserver 4 places paritaires au conseil de l'Ordre pour les moins de 35 ans. Il faut des actes forts.
Et puis, nous allons porter un chantier qui est une vraie réalité : le déménagement du Palais aux Batignolles d'ici 2017. Nous nous devons, vis-à-vis des confrères, d'être présents, même si un tiers d'entre eux seulement côtoie le Palais.
Marie-Alix Canu-Bernard : Lors de notre premier "apéro de campagne" qui était tourné sur le pénal, nous avons élaboré un programme avec des propositions extrêmement complètes sur la matière pénale et le bureau pénal, qui repose aussi sur du lobbying, avec, notamment un mouvement à mettre en oeuvre vis-à-vis des pouvoirs publics sur l'accès au dossier, les perquisitions, la transposition des Directives européennes. Nous avons donc un programme pénal transversal qui est très précis et qui est en ligne sur notre site.
Laurent Martinet : Notre slogan est : "vous allez entendre parler de vous". Et même si nous l'avons déjà initié, il faut montrer que l'Ordre est vraiment au service des confrères. Nous avons essayé d'ouvrir l'Ordre le plus possible, nous avons mis en place une commission de transparence, une commission de contrôle des coûts, des conseils de l'Ordre ouverts, télévisés... Ce travail d'ouverture d'un Ordre au service exclusif des confrères doit donc être prolongé.
Lexbase : Quelles actions envisagez-vous concernant l'avocat en entreprise et la confidentialité ?
Laurent Martinet : Nous n'allons pas remettre ce chantier sur la table, clairement pas ! Si ce chantier doit revenir, il ne le peut que via la Chancellerie qui est notre autorité de tutelle. Si elle estime nécessaire de porter ce chantier, alors qu'elle le porte, qu'elle nous propose un texte. Dans ce cas, l'ensemble de la profession (CNB, barreau de paris et Conférence des Bâtonniers) y apportera réponse. Par ailleurs, nous avons convenu avec le CNB et la Conférence des Bâtonniers qu'il n'est pas absolument pas question de créer une nouvelle profession avec un legal privilege. Et il n'est pas non plus question de mettre en place un démembrement des fondamentaux de notre profession, notamment sur le secret et la confidentialité. Tout cela c'est vraiment l'ADN de notre profession et nous ne transigerons pas là-dessus.
Lexbase : Vous avez connu, durant vos fonctions de vice-Bâtonnier, les affres de la gouvernance entre le CNB et le barreau de Paris. En vos qualités de candidats, quel regard portez-vous sur la gouvernance de la profession ?
Marie-Alix Canu-Bernard : Concernant cette gouvernance je soutiens l'idée forte et intelligente de Jean Castelain de la création d'un Ordre national des avocats. Maintenant, la profession est-elle mûre pour cela ? Sans doute pas encore... Cet Ordre national ne pourra se faire que dans le cadre d'un consensus total avec le CNB et seulement une fois la confiance durablement renouée. Cette solution me semble aujourd'hui être la seule bonne solution, mais elle doit maintenant entrer dans les esprits et dans les moeurs. Elle doit devenir inéluctable et ne doit être en aucun cas un coup de force : elle doit s'imposer petit à petit, chacun devant se rendre compte que, finalement, c'est la seule issue possible...
Laurent Martinet : Sur la gouvernance, l'on peut dire que nous revenons de très loin... Aujourd'hui nous avons une stabilité qui existe entre les trois représentants des entités, une stabilité également entre les membres du bureau et je pense qu'il faut aussi que cette stabilité existe au sein de l'assemblée générale. Et pour cela il faut du temps. Donc oui, effectivement, un jour il faudra que l'on s'interroge sur la gouvernance de la profession, la gouvernance de notre Ordre, mais cela demande encore un peu de temps... Et comme le dit Marie-Alix, cela ne devra pas se faire en force car cela serait le meilleur moyen pour que l'on connaisse à nouveau d'une situation déjà vécue. Aujourd'hui, tous les éléments sont là pour s'interroger sur cette gouvernance mais laissons un peu de temps pour consolider ces travaux en assemblée générale, et après on pourra réfléchir. Pour l'instant c'est prématuré. Et puis nous avons des chantiers à mener sur l'expert-comptable, la parité, l'interprofessionnalité. Arrivons sur ces points à agréger une position unique et puis, le moment venu, nous reverrons ce chantier de gouvernance, mais sans animosité.
Lexbase : Quels sont vos projets pour les jeunes avocats ?
Marie-Alix Canu-Bernard : Nous essayons de voir comment les aider avec des propositions, là encore, extrêmement concrètes. Par exemple, pour les collaborateurs qui ne peuvent pas développer leur clientèle personnelle, nous avons réfléchi à deux choses. Nous nous sommes rendus compte que les jeunes s'installant tout de suite étaient isolés et seuls donc en risque. Ce d'autant que lorsqu'ils ont une question sur du judiciaire, du contentieux, du conseil, ils demandent à leurs amis, ce qui n'est pas forcément le plus adapté. Nous souhaitons donc mettre en place un lien avec les plus âgés, un groupe de tuteurs volontaires. Attention il faudra que ce soit une démarche volontaire de part et d'autre et en aucun cas cela ne saurait être une contrainte. L'idée serait de réintroduire, en quelque sorte, le patron bénévole car ceux qui ont l'expérience aiment transmettre. Dans le même ordre d'esprit, il faut remettre en place une facilité de la domiciliation qui est actuellement trop compliquée. Voici également une proposition précise pour aider jeunes et petites structures noyés dans les contingences matérielles, la création d'une plateforme, centralisant les offres de locaux par l'Ordre et tous les services de prestataires professionnels ainsi que la possibilité pour certains cabinets d'avoir accès à un vivier de jeunes confrères spécialisés pour des temps très brefs. C'est là que l'Ordre a un vrai rôle d'accompagnement à jouer et ce n'est pas une vague idée de principe.
Laurent Martinet : Dans le cadre de l'Université d'hiver du barreau de Paris, il y a eu un sondage mené par l'IFOP dont la conclusion est que les gens sont extrêmement fiers, en ce compris les jeunes, d'être avocats. C'est une profession qui attire énormément et ils sont très fiers d'être avocats. Nous avons donc cet actif, ce ciment qui est très positif pour la profession. Après il y a la réalité : nombres d'entre eux qui raccrochent la robe ; la moitié qui, au bout de cinq ans, rejoint l'entreprise. Ces réalités montrent clairement que l'Ordre, ou la profession, ne répond pas à leurs attentes, soit en termes de perspectives, de développement, ou de rémunération etc.. Et cela nous met face à tout un ensemble de chantiers où nous devons, de façon impérieuse, répondre aux attentes des jeunes. C'est pour cela que nous avons sollicité des jeunes pour être très prospectifs sur leurs attentes, sur comment les accompagner dans le cadre de la collaboration, en matière de rémunération, etc..
Nous envisageons aussi l'instauration d'un label, pour les cabinets qui mènent une politique de parité, d'égalité, de rémunération.
Nous aurons une politique extrêmement active à l'endroit des jeunes.
Il y aura dans cette campagne des idées très novatrices pour accompagner les jeunes, pour qu'ils se sentent fiers et trouvent des perspectives dans cette profession, pour que l'Ordre les accompagne dans des évolutions, vers des marchés nouveaux.
C'est le devoir impérieux de l'Ordre et ce sont les finances "prospères" qui vont être mises à profit pour justement offrir ces perspectives et accompagner les plus jeunes, pour qu'ils restent au sein de la profession, même si c'est bien aussi d'être dans l'entreprise. Nous ne voulons pas que les jeunes avocats se disent que l'entreprise est la solution et que c'est ce qui leur permettrait d'éviter cette disparité de rémunération, de pouvoir prendre leur congé paternité. Ce que nous voulons dire aux jeunes c'est que, s'il y a des points ou des aspects sur lesquels ils estiment fondamental d'être accompagnés, l'Ordre sera là et nous avons déjà montré notre capacité créative pour agréger plein de données nouvelles. Voyez l'exemple du congé de paternité : la profession l'a refusé, le barreau de Paris l'a voté.
Ce sont toutes ces idées que nous devons porter et que nous porterons pour que les jeunes soient, non seulement, fiers de la profession dans laquelle ils rentrent, ce qui est déjà le cas, mais encore qu'ils y restent et y trouvent des perspectives d'évolution.
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