La lettre juridique n°616 du 11 juin 2015 : Procédure civile

[Jurisprudence] Le recours contre une décision fixant la rémunération d'un expert judiciaire peut être formé par une lettre simple

Réf. : Cass. civ. 2, 21 mai 2015, n° 14-18.767, F-P+B (N° Lexbase : A5413NIC)

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par Emmanuel Raskin, Avocat au barreau de Paris, cabinet SEFJ, Chargé d'enseignement à l'Université Paris V, Président de la Commission nationale "Procédure" de l'ACE

le 11 Juin 2015

Sous le visa des articles 714, alinéa 2 (N° Lexbase : L6919H7E), 715 (N° Lexbase : L6922H7I) et 724 (N° Lexbase : L6929H7R) du Code de procédure civile, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 21 mai 2015, vient de préciser très clairement le principe selon lequel il résulte de ces textes que le recours contre une décision du juge fixant la rémunération d'un expert est formé, dans le délai d'un mois, par la remise ou l'envoi au greffe de la cour d'appel d'une note exposant les motifs, une lettre simple suffisant pour former ce recours, la loi ne prévoyant pas l'envoi sous la forme recommandée avec demande d'avis de réception. L'arrêt commenté est un arrêt de cassation.

Il convient de revenir sur la procédure ayant abouti à cette décision.

Mme X a formé le 24 juin 2013 un recours contre la décision, qui lui a été notifiée le 4 juin 2013, fixant à une certaine somme la rémunération de M. Y, expert désigné par le tribunal de grande instance. Le premier président de la cour d'appel de Toulouse a rendu une ordonnance le 12 février 2014 jugeant le recours formé par Mme X irrecevable car formulé par lettre simple et non par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception "comme il est requis", selon les termes de ladite ordonnance. Mme X régularisa un pourvoi en cassation qui ne pouvait que prospérer.  La décision attaquée fut cassée en toutes ses dispositions et l'affaire fut renvoyée devant le premier président de la cour d'appel de Bordeaux, la cause et les parties ayant été remises dans l'état où elles se trouvaient avant l'ordonnance ainsi cassée.

I - La procédure en matière de taxation des honoraires de l'expert judiciaire

Selon l'article 282, alinéa 5, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7734IUY), le dépôt par l'expert de son rapport est accompagné de sa demande de rémunération, dont il adresse un exemplaire aux parties par tout moyen permettant d'en établir la réception. S'il y a lieu, celles-ci adressent à l'expert et à la juridiction ou, le cas échéant, au juge chargé de contrôler les mesures d'instruction, leurs observations écrites sur cette demande dans un délai de quinze jours à compter de sa réception.

Au-delà, l'article 284 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7735IUZ) précise que, passé le délai précité, le juge fixe la rémunération de l'expert en fonction notamment des diligences accomplies, du respect des délais impartis et de la qualité du travail fourni.

Il autorise l'expert à se faire remettre jusqu'à due concurrence les sommes consignées au greffe. Il ordonne, selon le cas, soit le versement des sommes complémentaires dues à l'expert en indiquant la ou les parties qui en ont la charge, soit la restitution des sommes consignées en excédent.

Lorsque le juge envisage de fixer la rémunération de l'expert à un montant inférieur au montant demandé, il doit au préalable inviter l'expert à formuler ses observations. Le juge délivre à l'expert un titre exécutoire. L'expert est tenu de justifier tous les éléments de sa facture, si le juge lui en fait la demande et/ou si les parties en contestent le montant. Au demeurant, l'expert n'adresse jamais sa facture aux parties, par interdiction de l'article 248 du code précité (N° Lexbase : L1760H4X).

L'expert dresse un mémoire de ses honoraires et frais qu'il adresse au juge en lui demandant de procéder à sa taxation.

Si le juge considère que les sommes demandées par l'expert sont justifiées, il délivre à l'expert une ordonnance de taxation, assortie de l'exécution provisoire dans le cas d'une expertise.

II - Un formalisme de recevabilité du recours à l'encontre de l'ordonnance de taxe simple en apparence

En vertu de l'article 724 du Code de procédure civile, les décisions mentionnées aux articles 255 (N° Lexbase : L1775H4I), 262 (N° Lexbase : L1792H47) et 284, émanant d'un magistrat d'une juridiction de première instance ou de la cour d'appel, peuvent être frappées de recours devant le premier président de la cour d'appel dans les conditions prévues aux articles 714, alinéa 2, et 715 à 718 (N° Lexbase : L0422ITS).

L'article 724 est le seul article consacré aux contestations relatives à la rémunération des techniciens (chapitre V du titre 18ème "Les frais et les dépens").

Si la décision émane du premier président de la cour d'appel, elle peut être modifiée dans les mêmes conditions par celui-ci. Le recours et le délai pour l'exercer ne sont pas suspensifs d'exécution. Le recours doit, à peine d'irrecevabilité, être dirigé contre toutes les parties et contre le technicien s'il n'est pas formé par celui-ci.

L'expert va notifier l'ordonnance de taxation aux parties et leur rappellera les articles du Code de procédure civile relatifs à la possibilité d'un recours qui leur reste ouvert (cette formalité est obligatoire et nécessite l'écrit).

L'article 715 précise que le recours est formé par la remise ou l'envoi au secrétariat-greffe de la cour d'appel, d'une note exposant les motifs du recours.

A peine d'irrecevabilité du recours, copie de cette note est simultanément envoyée à toutes les parties au litige principal. L'article précité n'exige, cependant, aucun autre formalisme s'agissant du recours : la remise au secrétariat greffe ne pose pas de difficulté.

L'envoi, en revanche, peut en poser une d'un point de vue probatoire : comment prouver que le recours a bien été envoyé, non seulement dans le délai légal d'un mois, mais également simultanément à toutes les parties au litige principal ?

L'article 715 ne prévoit pas de notification par la voie recommandée avec demande d'accusé de réception. Pourtant, le non-respect du délai de recours est sanctionné par son irrecevabilité.

Il en est de même du non-respect de la condition de simultanéité, la fin de non-recevoir étant même d'ordre public, étant ici précisé que le recours doit également être adressé simultanément à l'expert.

La deuxième chambre civile adopte une position tendant à faire respecter la lettre du texte : "le premier président, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, a violé les textes sus-visés".

La forme recommandée avec demande d'accusé de réception n'est pas requise.

Cela semble effectivement curieux car les difficultés de preuve ne vont pas tarir s'agissant surtout de la simultanéité de l'envoi à toutes les parties au litige principal.

Devrait-on se fier tout bonnement à la date qui figurera sur la copie de la lettre d'envoi alors qu'elle pourrait très bien ne pas correspondre à la réalité ?

Les destinataires conserveront-ils l'enveloppe contenant le recours afin de vérifier le cachet y apposé ?

Cela est peu probable, surtout s'ils sont opposés à l'auteur du recours. La problématique devient donc inévitablement probatoire. Il convient, en effet, de souligner que si l'on ne justifie pas du respect du délai de procédure que constitue le délai de recours et de la condition de la simultanéité de l'envoi du recours à l'expert et aux autres parties prévues par l'article 715, alinéa 2, l'irrecevabilité du recours est encourue.

Pour éviter de longs débats sur ce terrain probatoire et aboutir in fine à l'irrecevabilité du recours pour défaut de preuve du respect des conditions posées, il eût été préférable que le texte ajoute la forme recommandée avec demande d'avis de réception, sauf à considérer que la date figurant sur la lettre simple fait foi de la date d'envoi, auquel cas l'alinéa 2 de l'article 715 n'aura plus grand intérêt...

Quoiqu'il en soit, en l'état dura lex, sed lex.


(1) Cass. civ. 2, 20 novembre 2003, n° 01-14.910, FS-P+B (N° Lexbase : A1954DAM), D., 2003, IR, 3009.
(2) Cass. civ. 2, 20 décembre 2007, n° 06-20.324, F-P+B (N° Lexbase : A1250D3P), Bull. civ., II, n° 272.

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