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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 11 Juin 2015
Pour sûr, Fabrice Defferrard, Maître de conférences à l'Université de Reims, Directeur de l'Institut d'Etudes Judiciaires et qui enseigne également à La Sorbonne, pouvait paraître "agité" pour s'embarquer dans une analyse juridique de l'Univers "Trekkien". D'abord, le sceptique était en droit de poser la question de l'intérêt d'une telle analyse, mais surtout -mais on en peut connaître la réponse avant de s'être posé la question- celle de sa pertinence au regard d'un sujet d'analyse relevant, de prime abord, du pur divertissement. Ensuite, la question du "coup de pub" taraude les esprits chagrins, qui cherchent à décrédibiliser inexorablement le projet, et ce faisant son issu, l'ouvrage : le droit selon Star Trek ? Et pourquoi pas le droit selon la Petite maison dans la prairie, ou selon Game of Throne ?! Enfin, quand bien même les 750 épisodes et les 12 films de la franchise seraient les catalyseurs d'un système juridique : la belle affaire ! Quelle influence ou quel écho peut bien avoir une telle organisation de droit dans nos sociétés actuelles ?
A toutes ces questions, sous l'égide des chaires nord-américaines "Droit et littérature", l'auteur trekkie répond de manière brillante, passionnée, enjouée, mais surtout juridique et pédagogique pour arriver à une conclusion évidente, après dissection de cinquante années de filmographie exhaustive : toute l'action de Star Trek repose sur une organisation, des principes fondamentaux, des libertés fondamentales relevant du droit international, certes adaptées à l'univers interplanétaire, mais issues d'une transposition troublante et volontaire. Le souhait de l'auteur de la série, Gene Roddenberry, était clairement d'édifier, dans son oeuvre, une société idéale, fondée sur la reconnaissance suprême de l'individu, sujet de droit, proche de celle aujourd'hui en vigueur dans nombre de pays occidentaux.
L'approche de Fabrice Defferrard est, dès lors, des plus classiques au regard d'un manuel d'introduction au droit. L'ouvrage est composé de quatre parties : les sources de droit ; les droits de la personnalité ; les liens de droits ; et la justice. Et, étonnamment -ou non, pour les fans de la série, adeptes des comic coms et autres conventions trekkiennes-, pas moins d'une centaine d'épisodes et certains des douze films permettent d'établir les fondements cohérents de cette société interplanétaire qui fait largement écho à nos sociétés, elles, planétaires, au droit international, aux droits fondamentaux et aux libertés fondamentales ; sans, et c'est là le tour de force, un anthropomorphisme exagéré, un fédéralo-centrisme consistant à ne faire que la transposition des normes onusiennes, notamment, à l'univers de Star Trek et à sa Fédération des Planètes Unies.
La première partie du livre est consacrée à la source fondamentale, droit objectif par excellence, qui innerve la série depuis cinquante ans donc : la Directive première qui interdit les voyageurs de l'espace, les officiers de Starfleet à bord de l'USS Enterprise, pour les connaisseurs, d'interférer dans les affaires (l'évolution naturelle) des civilisations qu'ils rencontrent, en vertu d'un principe absolu : celui de l'égalité des droits de tous les systèmes planétaires. Nous n'allons pas faire, ici, une fiche exégétique de l'ouvrage, mais, avec brio, l'auteur démontre que la somme des épisodes constitue un recueil de jurisprudence à part entière, au gré des interprétations de cette norme impérative, entraînant une obligation négative, mais parfois positive, pour qu'elle soit respectée ; et dont, même si elle ne constitue qu'une obligation de moyens au regard des péripéties de l'aventure, toute violation flagrante, peut entraîner un effet papillon, voire le chaos, et doit être sévèrement sanctionnée : c'est le cas dans le dernier opus cinématographique (Into darkness) dans lequel l'infatigable capitaine Kirk perd le commandement de son vaisseau pour avoir modifié le cours de la vie d'une planète et avoir interféré dans l'évolution scientifique de ses habitants. Toute règle, même suprême a ses exceptions (la Directive oméga), mais surtout le pouvoir prétorien du capitaine peut "contourner" cette norme pour de motifs "principiels" ou humanitaires. L'auteur ne s'en cache pas : il a compulsé plusieurs traités d'interprétation de la norme internationale et conclue à l'assimilation réelle des méthodes interprétatives proposée par la Doctrine internationale par les scénaristes de la série.
La deuxième partie du livre est, encore, plus technique ; encore plus proche de nos interrogations quotidiennes. La dynamique des droits de la personnalité met en scène l'ensemble des questions à résonance contemporaine : qu'est ce qu'un sujet de droit (à propos des droits revendiqués par l'androïde Data, par des machines mobiles intelligentes et douées de conscience, les Exocomps, par le produit d'une fusion organique accidentelle entre un Vulcain et un Talexien...) ? Des questions qui renvoient au statut de l'embryon, hier, de l'animal, aujourd'hui, du cyber-robot demain -et nous avons déjà écrit, à la suite de Maître Alain Bensoussan, sur la question-. Cette deuxième partie de l'ouvrage revient ensuite sur ce qui pourrait être l'épitaphe au fronton de la série : Pluralité, Altérité et Dignité. Ces trois caractéristiques du monde trekkien sont fondées sur plusieurs principes bien connus du droit international et du droit français en particulier : l'égalité entre les individus, entre les sexes ; l'interdiction des discriminations à raison des origines ou de la naissance, du handicap ; le droit à la vie, l'interdiction de la peine de mort, le droit à disposer librement de son corps, le droit à la vie privée, l'interdiction de l'esclavage, ou encore l'interdiction des manipulations génétiques. Oui ! Il y a tout cela dans Star Trek ; et à force d'exemples, l'auteur aborde chacune de ces notions avec le concours de la Doctrine (française le plus souvent) et des philosophes (Aristote, Cicéron, Kant, Tocqueville, Rawls...).
La troisième partie du livre s'intéresse à l'infinie diversité des liens de droit. Là, Fabrice Defferrard montre comment la qualité du lien de droit dépend de la reconnaissance de l'individualité, de la "juste distance" entre les personnes qui incarnent ce lien. Ainsi la série recèle la pluralité des liens communément rencontrés dans nos sociétés : lien statutaire, lien de citoyenneté, lien familial, lien filial, lien amoureux et lien amical ; chacun d'entre eux créant un ensemble d'obligations et de droits à charge ou au bénéfice des protagonistes de l'astronef comme de la station spatiale Deep Space 9. Et, assez logiquement d'ailleurs, cette diversité des liens de droit suppose bien l'altérité : c'est pourquoi sont condamnées toutes fusions, notamment mentales. Il s'agit là d'un élément important de la série fondé sur un choc civilisationnel entre, d'une part, la Fédération des Planètes Unies, regroupant les humanoïdes, reconnaissant la personne comme individu à part entière, et les Borgs, civilisation de la fusion eugénique et génocidaire, niant dès lors tout lien de droit.
La quatrième partie du cosmos juridique ainsi décrit par l'auteur a trait aux frontières d'une justice pénale équitable. Nombre d'épisodes, de toutes générations, reviennent sur la notion de procès équitable, sur le concept d'équité lui-même. Et, c'est le procès lui-même qui règle, bien souvent, les conflits normes, les questionnements juridiques auxquels sont confrontés les héros de la série. Si les principes d'indépendance et d'impartialité sont tout relatif, tout simplement pour des contraintes scénaristiques, les juges devant être eux-mêmes choisis parmi les héros de cet Univers clos, les auteurs de la série ne badinent pas avec celui du contradictoire et avec le droit à la preuve. L'application du principe de la légalité des délits et des peines peut même apparaître surprenante puisqu'elle exclue de sanctionner des extra-terrestres capables de manipuler les souvenirs... délit non prévu, certainement, par la charte ou les directives de la Fédération. La personnalité des peines y est également traitée face à l'arbitraire humanoïde, ainsi que les problématiques de la coaction, dans le cadre de la survivance de l'esprit symbiotique d'un criminel dans le corps d'un autre individu, et de l'iter criminis, dans la société des Maris qui condamne lourdement le simple fait... de penser volontairement à commettre des actes violents ! Fabrice Defferrard montre combien le respect de la présomption d'innocence n'est pas communément partagé par les civilisations rencontrées, ni les droits de la défense (droit au silence, le droit de non auto-incrimination, le droit à un recours...) : c'est l'exemple d'enseignes du Voyager qui sont définitivement condamnés pour des actes de terrorisme sur la planète Akritirian, alors que le capitaine Janeway a confondu les véritables responsables...
L'ouvrage ainsi primé permet, assurément, de faire un tour d'horizon des droits fondamentaux et des libertés qui jalonnent nos organisations nationales et internationales, toutes terrestres soient-elles, même s'ils sont interprétés et appliqués à des années et des années lumières de notre système... juridique.
"Espace, frontière de l'infini, vers laquelle voyage notre vaisseau spatial l'Enterprise. Sa mission de cinq ans : explorer de nouveaux mondes étranges, découvrir de nouvelles vies, d'autres civilisations et au mépris du danger, avancer vers l'inconnu" : soit ! Mais bien armé d'un corpus de "bonnes règles" qui ne s'usent pas à force de s'en servir durant cinquante années de diffusion et de rediffusions.
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