Réf. : CA Lyon, 6 décembre 2022, n° 21/01208 N° Lexbase : A75018YH
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par Xavier Baki Mignot, Doctorant, Université Jean Moulin Lyon 3
le 26 Juillet 2023
Mots-clés : Droit de se clore • servitude de passage
Le droit conféré à tout propriétaire de clore son héritage paraît si « naturel [1] », comme expression quintessentielle de l’exclusivisme, qu’on en admet trop mal la nécessaire relativité.
Dans cette affaire, un couple de propriétaires avait fait édifier un portail à l’entrée d’un chemin grevé d’une servitude de passage au profit du fonds voisin. Lesdits voisins demandent la démolition de l’ouvrage, mais sont déboutés successivement par le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, puis par la cour d’appel de Lyon, qui relève que le portail « ne rend pas plus incommode l’usage de la servitude à laquelle il leur est laissé la possibilité d’avoir accès ».
Les magistrats lyonnais ne peuvent qu’être approuvés d’avoir appliqué ici une jurisprudence ancienne et constante de la Cour de cassation, selon laquelle « le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude de passage conserve le droit de se clore, pourvu qu’il ne porte pas atteinte au droit de passage et ne le rende pas plus incommode [2] ». Il importait peu que la servitude fût ici légale (comme le soutenaient les défendeurs) ou conventionnelle (comme le soutenaient les demandeurs), car cette conciliation délicate de deux droits contraires, esquissée par le Code civil pour les seuls cas d’enclave (C. civ., art. 647 N° Lexbase : L3248ABW : « Tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l’exception portée en l’article 682 »), s’étend en vérité à « l’exercice de toute servitude de passage [3] ». Il n’y a là en effet qu’un principe général de la servitude, sur laquelle il est défendu de « rien faire qui tende à en diminuer l’usage et à le rendre plus incommode » (C. civ., art. 701 N° Lexbase : L3300ABT). Quant à savoir si l’incommodité est caractérisée par l’édification d’un portail, c’est une question de fait, où la casuistique règne en maître.
Bien sûr, il faut à tout le moins, pour sauver la clôture, que le propriétaire du fonds dominant se soit vu remettre un jeu de clefs [4]. La cour d’appel de Lyon prend soin d’observer en l’espèce que cette précaution a été prise. Mais il s’agit là d’une condition nécessaire, sans laquelle la jouissance de la servitude est évidemment impossible, non certes d’une condition suffisante. En jurisprudence, l’incommodité a pu résulter de ce que, le portail étant situé loin de la maison que desservait le passage, les visiteurs, incapables de se faire entendre à cette distance (depuis lors, c’est vrai, le cellulaire a quelque peu facilité la communication !), étaient de fait empêchés d’y accéder [5]. Il a été jugé une autre fois que la présence d’une chaîne cadenassée « à plusieurs mètres » de sa demeure imposait au propriétaire du fonds dominant « un déplacement aussi souvent qu’une personne ou un véhicule accédait » à sa propriété, rendant l’exercice de la servitude « plus difficile [6] ». On voit que chaque situation doit être examinée finement, et l’on ne peut guère se contenter de constater la seule persistance de l’accès, sans se demander si les conditions d’exercice du droit de passage ne se sont pas compliquées, dégradées.
Le droit de se clore paraîtrait peut-être moins péremptoire si l’on voulait bien percevoir, par-delà les mystifications de la loi, sa véritable nature juridique. Envisagé par le code au titre des servitudes, le droit de se clore semble jouer à armes égales avec la servitude de passage qu’il menace. Il n’en est rien. Le droit de se clore n’est pas comme cette dernière un droit réel, mais une prérogative inhérente à la propriété [7], dont elle épouse par conséquent les vicissitudes. Cette prérogative subit donc par contrecoup la réduction dont est essentiellement affectée la propriété démembrée. Le fonds grevé d’une servitude de passage est en effet amputé dans cette exacte mesure de sa puissance d’exclusion : cette deminutio infligée à l’exclusivité rejaillit alors mécaniquement sur le droit de se clore, qui n’en est que la phénoménalisation physique.
[1] M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, LGDJ, 1928, 11e éd. par G. Ripert, n° 2385.
[3] W. Dross, Droit civil. Les choses, LGDJ, 2012, n° 350-2.
[7] F. Terré, Ph. Simler, Droit civil. Les biens, Dalloz, 10e éd., 2018, n° 272.
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