Cahiers Louis Josserand n°3 du 27 juillet 2023 : Droit des biens

[Chronique] En matière de voisinage, gardons nos distances

Réf. : CA Paris, 6, 12, 13 janvier 2023, n° 19/06708 N° Lexbase : A152589D

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par Marion Ferrière, Doctorante, Université Jean Moulin Lyon 3

le 26 Juillet 2023

Mots-clés : Mitoyenneté • limite séparative • végétaux • distance légale • abus du droit de propriété • exclusivité


 

S’étant fait casser sur une affaire très similaire en 2009 [1], en 2022, la cour d’appel de Lyon joue la bonne élève.

Le conflit oppose deux voisins. Le premier reproche au second d’avoir fait déborder des végétaux sur sa parcelle. Il se plaint d’une haie plantée sans respect des distances légales de plantations prévues aux articles 671 N° Lexbase : L3271ABR et 672 du Code civil N° Lexbase : L3272ABS et d’un débord de végétaux sur sa propriété (C. civ., art. 673 N° Lexbase : L3273ABT). En contrepartie, le défendeur demande, pour effectuer les coupes des branches en débord, de pénétrer dans la propriété du demandeur à défaut de quoi il devra supporter l’empiètement. Le tribunal de Villeurbanne ordonne l’arrachage des souches et troncs de haie et l’élagage des branches, et déboute le défendeur de ses demandes. Ce dernier fait appel en infirmation du jugement.

L’enjeu du litige était ici mathématique. On sait que la distance entre la ligne séparative des fonds et les plantations ne doit pas être inférieure à un demi-mètre (C. civ., art. 671 N° Lexbase : L3271ABR) sauf règlements ou usages particuliers [2]. Mais la difficulté se niche dans le point de départ de cette distance. En 2009, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de casser la cour d’appel de Lyon pour une mauvaise base de calcul. Celle-ci avait pris pour base la souche des arbres, c’est-à-dire l’écorce [3]. L’arrêt est censuré. Pour la haute juridiction, la distance est celle comprise entre la ligne séparatrice des fonds et « l’axe médian des troncs des arbres [4] ». Dans notre affaire, en première instance, le tribunal a calculé la distance qui séparait l’axe médian des troncs et « le milieu du mur mitoyen [5] ». Sans doute était-il pénétré de doctrine, puisque chez les auteurs, on pouvait lire que « dans le cas où les deux fonds sont séparés par une clôture mitoyenne, c’est le milieu de cette clôture qui constitue la ligne séparative [6] ». Néanmoins, la cour d’appel de Lyon joue la prudence, et réforme le jugement en retenant non pas le milieu du mur mitoyen, mais la ligne divisoire des propriétés [7]. En somme, de peur de connaître le même sort qu’en 2009, elle interprète l’arrêt des juges du quai de l’Horloge à la lettre.

Aussi, après avoir été une bonne élève, elle endosse un rôle professoral s’agissant de la demande audacieuse du défendeur. Celui-ci demandait à être autorisé à pénétrer sur la propriété de son voisin pour une durée maximum de huit jours et moyennant un délai de prévenance de quinze jours avant le premier jour des travaux. Intriguée par la demande, la Cour lui remémore l’essence du droit des biens et le principe d’exclusivisme du droit de propriété.  Elle lui rappelle qu’il « est dépourvu de tout fondement de droit à imposer un passage sur la propriété de son voisin ». En effet, « la propriété sort des entrailles de la communauté [8] ». Au reste, le fait que son voisin donne l’accès à son fonds à un autre voisin ne l’engage pas à autoriser l’accès à tous. Toute personne est, avec son fonds, libre d’agir selon « ses bonnes ou mauvaises volontés [9] ».

 

[1] CA Lyon, 1re ch. civ. sect. B, 11 décembre 2007, n° 07/03636 [en ligne].

[2] Cass. civ. 1, 27 novembre 1963, publié au bulletin [en ligne] : RTD civ., 1964, 350, obs. J.-D. Bredin ; Cass. civ. 3, 27 mars 2013, n° 11-21.221, FS-P+B N° Lexbase : A2698KBK : D., 2013, 2123, obs. Reboul-Maupin ; RDI, 2013, 427, obs. Tranchant.

[3] CA Lyon, 1re ch. civ. B, 11 décembre 2007, n° 07/03636, préc. [en ligne].

[4] Cass. civ. 3, 1er avril 2009, n° 08-11.876, FS-P+B N° Lexbase : A5216EEW : D., 2009 ; AJ, 1087, obs. D. Chenu ; JCP, 2009, 337, n° 16, obs. Périnet-Marquet ; AJDI, 2010, 69, obs. Prigent.

[5] TI Villeurbanne, 19 août 2019, n° 11-17-003350.

[6] M. Planiol et G. Ripert, Traité de droit civil français, t. III, Les biens, LGDJ, 2e éd., 1952, par Picard, p. 888, n° 909 ; dans le même sens : C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civil français, t. II, Largier, 1839, p. 53, S. 241, note 3.

[7] CA Lyon, 6e ch. civ., 13 octobre 2022, n° 19/06708 N° Lexbase : A91268PP.

[8] F. Zenati-Castaing et T. Revêt, Les biens, PUF, 3e éd., 1998, p. 315, n° 193.

[9] CA Lyon, 6e ch. civ., 13 octobre 2022, n° 19/06708 N° Lexbase : A91268PP.

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