Cahiers Louis Josserand n°3 du 27 juillet 2023 : Droit de la famille

[Chronique] L’absence de lien filial préexistant, obstacle à l’adoption par une grand-mère

Réf. : CA Lyon, 4 mai 2022, n° 21/02813 N° Lexbase : A595577P

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par Margot Musson, Doctorante contractuelle, Université Jean Moulin Lyon 3

le 26 Juillet 2023

Mots-clés : Adoption • nationalité • grand-parent


 

L’adoption intrafamiliale est strictement encadrée par le droit français « eu égard au risque de perturbation de la vie familiale et d’instrumentalisation de l’adoption simple [1] ». Cette question, d’actualité au regard de la récente loi sur l’adoption, est particulièrement prégnante s’agissant de l’adoption par un grand-parent [2]. Un récent arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon témoigne de la fermeté des juges en la matière.

En l’espèce, une femme française née au Bénin saisit le tribunal judiciaire de Lyon en 2020 afin de faire prononcer l’adoption simple de son petit-fils âgé de dix-huit ans – également né au Bénin et de nationalité française – mais fut déboutée de sa demande. Les juges de première instance considérèrent à titre principal qu’elle n’apportait pas la preuve de l’existence d’un lien filial préexistant, condition sine qua none du prononcé d’une adoption par un grand-parent.

La grand-mère interjeta appel de cette décision sur le fondement des articles 343 et suivants du Code civil N° Lexbase : L5135MEW, arguant que les conditions de l’adoption envisagée étaient réunies et que cette adoption était justifiée en raison notamment du lien filial et affectif l’unissant à son petit-fils. Elle invoqua en outre au soutien de sa demande une coutume béninoise confirmé par un certificat de coutume en vertu de laquelle « la grand-mère élève son premier petit-fils comme étant le dernier de ses fils ».

Par un arrêt du 4 mai 2022, la cour d’appel confirme le jugement de première instance en rappelant que conformément à la loi française applicable à raison de la nationalité française de la grand-mère, l’adoption intrafamiliale est subordonnée à la démonstration d’un lien filial préexistant qu’elle viendrait consacrer, lequel fait ici défaut comme l’avait déjà souligné le ministère public. L’adoption ne saurait dès lors être prononcée, bien que les conditions liées à l’âge des parties et au consentement de l’adopté soient conformes aux dispositions du Code civil. Fondamentalement, la décision est conforme à la jurisprudence classique et n’apporte que peu de nouveauté. En particulier, la cour confirme que le consentement de la mère – seul parent encore vie – n’était ici pas requis, l’adopté étant majeur.

En revanche, la décision est intéressante à deux points de vue. En premier lieu, l’élément d’extranéité caractérisé par le lieu de naissance des parties emporte application des règles de conflit de lois qui, ici, donnent compétence à la loi française conformément à l’article 370-3 du Code civil N° Lexbase : L5380MEY. De ce fait, la coutume étrangère invoquée – dont la valeur probante relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. civ. 1, 30 janvier 2007, no 03-12.354, F-P+B N° Lexbase : A7760DTL) – ne pouvait ici se voir reconnaître aucune portée. Comme le rappelle la cour, « une coutume étrangère alléguée ne saurait prévaloir sur la loi française » applicable au litige.

Surtout, l’insuffisance probatoire de l’existence d’un lien filial préexistant entre la requérante et son petit-fils, « au-delà du lien d’affection » et découlant d’une communauté de vie, est confirmée par la cour qui reprend les motifs du tribunal, lequel avait caractérisé notamment une absence. La requérante invoquait en particulier, attestations de son entourage à l’appui, l’opportunité de cette adoption au regard du lien l’unissant à son petit-fils et de la situation d’isolement dans laquelle elle se trouve. Néanmoins, ces éléments sont insuffisants car la condition du lien filial préexistant développée par la jurisprudence est appréciée strictement par les juges ; elle se justifie par la nécessité de préserver l’enfant d’un bouleversement de ses rapports familiaux, en ce qu’une adoption par l’un de ses grands-parents est de nature à entretenir une « confusion des générations » dans son esprit [3]. Dans cette affaire, point de manœuvres à visée successorale ou fiscale déjà sanctionnées par les tribunaux [4] ; la seule constatation du défaut de lien filial préexistant, caractérisée par l’absence d’une communauté de vie entre les intéressés, suffit. L’absence de référence par les juges d’appel à l’intérêt du petit-fils peut néanmoins surprendre, au regard de la finalité de l’adoption [5] et de l’appréciation par les juges de son opportunité [6] : la décision mentionne simplement l’intérêt de l’absence pour la grand-mère, jugé insuffisant pour justifier celle-ci.

Cette décision trouve une résonnance particulière à la lumière de la loi n° 2022-219, du 21 février 2022, sur l’adoption N° Lexbase : L4154MBH, laquelle encadre plus strictement les conditions des adoptions intrafamiliales et particulièrement celles entre grands-parents et petits-enfants. En effet, désormais en vertu de l’article 343-3 du Code civil N° Lexbase : L4401MBM, l’adoption entre ascendants et descendants en ligne directe est prohibée par principe, sauf à prouver l’existence de motifs graves eu égard à l’intérêt de l’adopté. Ce renversement du paradigme était d’ailleurs encouragé par certains auteurs [7].

 

[1] F. Eudier et S. Bétant-Robert, Rép. civ., Dalloz, octobre 2008, V° Adoption, n° 410.

[2] À ce propos, v. : M. Schmitt, L'adoption de l'enfant par ses grands-parents, AJ fam., 2022, p. 91.

[3] Cass. civ. 1, 16 octobre 2001, n° 00-10.665, F-P N° Lexbase : A4630AWE : D., 2002, 1097, note F. Boulanger ; AJ fam., 2002, 26 ; RDSS, 2002, 118, obs. F. Monéger ; RTD civ., 2002, 84, obs. J. Hauser ; LPA, 2002, n° 43, note Massip ; RJPF, mars 2002, 20, obs. Villa-Nys ; Dr. fam., 2002, 18, obs. Murat.

[4] V. not. : Cass. civ. 1, 16 octobre 2001, n° 00-10.665, préc. N° Lexbase : A4630AWE.

[5] À ce propos, v. : J. Hauser, Quelle est la finalité de l'adoption simple : différence d'âge et détournement, RTD civ., 1995, p. 345.

[6] Th. Garé, Les grands-parents dans le droit de la famille, Éditions du CNRS, 1989, p. 107 et s.

[7] V. en particulier : A. Batteur, L’interdit de l’inceste. Principe fondateur du droit de la famille, RTD civ., 2000, p. 759.

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