Cahiers Louis Josserand n°3 du 27 juillet 2023 : Droit de la famille

[Chronique] Le rappel des éventuelles conséquences de l’établissement judiciaire de la filiation

Réf. : CA Lyon, 10 janvier 2023, n° 21/07303 N° Lexbase : A848687G

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par Aurore Camuzat, Doctorante, ATER, Université Jean Moulin Lyon 3

le 26 Juillet 2023

Mots-clés : Autorité parentale • filiation • intérêt de l’enfant • nom de famille.


 

Certains contentieux soulèvent des questions qu’il est parfois délicat de trancher, notamment lorsque cela intéresse la filiation et ses corollaires, à l’instar de l’autorité parentale ou du nom de famille.

Un couple a donné naissance à deux enfants, en octobre 2006 puis en novembre 2008. Le couple s’est séparé en octobre 2008, quelques semaines avant la naissance de leur deuxième enfant. En juin 2012, le père s’est marié avec une tierce personne, tandis que la mère a accouché d’un troisième enfant en avril 2013. Seule la filiation maternelle a été établie à l’égard de celui-ci, en application du traditionnel adage mater semper certa est (C. civ., art. 311-25 N° Lexbase : L8813G9B).

En droit français, la filiation paternelle peut être établie de plusieurs manières, à travers la présomption de paternité (C. civ., art. 312 N° Lexbase : L8883G9U), la reconnaissance (C. civ., art. 316 N° Lexbase : L1994LMS), la possession d’état (C. civ., art. 317 N° Lexbase : L7273LP3) ou l’exercice d’une action en justice (C. civ., art. 325 et s. N° Lexbase : L5825ICQ). C’est cette dernière voie qui nous intéresse plus particulièrement. Afin d’établir judiciairement la paternité d’un homme, il est notamment possible d’exercer une action en recherche de paternité (C. civ., art. 327 N° Lexbase : L8829G9U). Cette action a un caractère personnel, ce qui signifie qu’elle est réservée à l’enfant. Cependant, durant la minorité de celui-ci, le parent à l’égard duquel le lien de filiation a été établi, en l’occurrence la mère, a également qualité pour agir (C. civ., art. 328 N° Lexbase : L3419IQP, al. 1). À l’appui de cette action, la preuve peut se faire par tout moyen, la reine des preuves étant l’expertise biologique (C. civ., art. 310-3 N° Lexbase : L8854G9S, al. 2).

En 2017, la mère a saisi la justice afin de faire établir la paternité de son ancien compagnon, père de ses deux premiers enfants, à l’égard du troisième. Au soutien de sa demande, elle a précisé que son ex-compagnon et elles avaient eu des relations intimes en septembre 2012, conduisant à la naissance de l’enfant en avril 2013. Par ailleurs, le père présumé aurait accepté de se soumettre à un test de paternité dans une lettre recommandée datant de septembre 2016.

Dans un jugement avant dire droit en date du 27 février 2019, le tribunal de grande instance de Lyon a déclaré recevable l’action en recherche de paternité et a ordonné une expertise biologique, afin de déterminer la paternité du père présumé. À la suite du rapport d’expertise, qui conclut à la paternité de celui-ci, ce dernier a effectué plusieurs demandes. Il a sollicité l’adjonction de son nom de famille à celui de l’enfant, l’exercice en commun de l’autorité parentale et l’organisation d’un droit de visite et d’hébergement. En effet, en vertu de l’article 331 du Code civil N° Lexbase : L8833G9Z, « lorsqu’une action est exercée en application de la présente section, le tribunal statue, s’il y a lieu, sur l’exercice de l’autorité parentale, la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant et l’attribution du nom ».

1. Modalités de la déclaration d’appel. Dans un jugement du 19 mai 2021, les juges de première instance ont accédé aux demandes de la mère, tout en rejetant celles du père. Ce faisant, celui-ci a interjeté appel devant la cour d’appel de Lyon. Sa déclaration d’appel rappelle la nécessité de respecter les formes attendues, sous peine de voir jugées ses demandes irrecevables. En effet, le père a indiqué qu’il interjetait appel du rejet de ses demandes relatives au nom de famille, à l’exercice en commun de l’autorité parentale et aux dépens. Or, dans ses conclusions, il a également demandé que son droit de visite et d’hébergement soit organisé de manière similaire à celui de son deuxième enfant. Il n’en fallait pas plus pour que les juges d’appel de Lyon déclarent irrecevable cette dernière demande, sur le fondement de l’article 954 du Code de procédure civile N° Lexbase : L7253LED. En l’absence de mention de cette demande dans la déclaration d’appel, le jugement selon lequel aucun droit de visite et d’hébergement ne pouvait être mis en place, était devenu définitif sur ce point.

2. Compétence du tribunal judiciaire. S’agissant des mesures relatives à l’autorité parentale et au nom de l’enfant, la cour ne remet pas en question, à juste titre, la compétence du tribunal. En effet, si celui-ci est le seul compétent pour connaître des actions relatives à la filiation (C. civ., art. 318-1 N° Lexbase : L5347LT9), tel n’est pas le cas, en principe, en matière d’autorité parentale. En vertu de l’article 372 du Code civil N° Lexbase : L4364L7R, « les père et mère exercent en commun l’autorité parentale ». Par exception, notamment lorsque la filiation a été judiciairement établie à l’égard du second parent plus d’un an après la naissance de l’enfant, seul le premier est investi de l’exercice de l’autorité parentale. Pour établir un exercice en commun, il convient de faire une déclaration conjointe au directeur des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire ou de saisir le juge aux affaires familiales. Or, dans cette affaire, le père a demandé au tribunal judiciaire de Lyon de statuer sur l’exercice en commun de l’autorité parentale, violant ainsi, à première vue, l’article 372 du Code civil N° Lexbase : L4364L7R. Il convient pourtant de l’articuler avec l’article 331 N° Lexbase : L8833G9Z, préalablement cité. Lorsqu’une action est exercée sur le fondement de la section II « Des actions aux fins d’établissement de la filiation », à l’instar de l’action en recherche de paternité, le tribunal est également compétent pour se prononcer sur l’autorité parentale et l’attribution du nom.

3. Rejet de l’exercice en commun de l’autorité parentale. Pour écarter la demande d’exercice en commun de l’autorité parentale, les juges d’appel rappellent ce que suppose une telle autorité. Il s’agit de « l’ensemble des droits et pouvoirs que la loi reconnaît aux père et mère (on dirait aujourd’hui, aux parents) sur la personne et sur les biens de leur enfant mineur non émancipé afin d’accomplir leurs devoirs de protection, d’éducation et d’entretien et d’assurer le développement de l’enfant, dans le respect dû à sa personne [1] ». Cela suppose donc, pour les juges d’appel, de se tenir informé des évènements importants de la vie de ses enfants, de se consulter pour les nombreuses décisions à prendre (santé, école, orientation scolaire, activités, etc.) et d’entretenir des contacts réguliers. Or, il semblerait que le père, qui n’a pas voulu reconnaître sa paternité avant qu’elle ne soit judiciairement établie, ne se soit pas intéressé à la vie de son enfant et n’ait même pas cherché à le rencontrer. Un tel désintérêt pourrait justifier que l’autorité parentale ne soit pas exercée en commun. Cependant, en l’absence d’exercice en commun de l’autorité parentale et de droit de visite et d’hébergement, quelle place pour le père ? Où se situe l’intérêt de l’enfant ?  

4. Rejet de l’adjonction du nom de famille du père. Enfin, pour écarter la demande d’adjonction du nom de famille du père à celui de l’enfant, la cour d’appel de Lyon s’est fondée, à juste titre, sur l’intérêt de ce dernier. En effet, si la modification du nom de famille est possible, elle doit l’être suivant l’intérêt de l’enfant, qui est souverainement apprécié par les juges du fond [2]. Or, le père n’a pas démontré en quoi une telle adjonction serait de l’intérêt de son enfant, connu depuis sa naissance, soit depuis neuf ans, sous le nom de famille de sa mère. L’argument principal aurait peut-être pu reposer sur l’unité du nom de famille entre les enfants d’une même fratrie. Cependant, les deux premiers enfants portent uniquement le nom du père. Adjoindre le nom de celui-ci au nom de famille du troisième enfant ne participe donc pas à une quelconque unité. La solution aurait peut-être été différente s’il avait été question de substitution, plutôt que d’adjonction, du nom de famille.

 

[1] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, Droit de la famille, LGDJ, 8e éd., p. 789, n° 1243.

[2] Cass. civ. 1, 11 mai 2016, n° 15-17.185, F-P+B N° Lexbase : A0720RPD.

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