Réf. : CA Lyon, 9 juin 2022, n° 21/02636 N° Lexbase : A418177Y
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par Margot Musson, Doctorante contractuelle, Université Jean Moulin Lyon 3
le 26 Juillet 2023
Mots-clés : Filiation • reconnaissance de paternité • préjudice • perte de chance
La faute sur la vérité biologique relativement à une reconnaissance de paternité est traditionnellement analysée sous l’angle de la reconnaissance mensongère : est en cause l’auteur de celle-ci, en ce qu’il a volontairement créé un lien juridique avec l’enfant bien qu’il sache ne pas en être le père [1]. Le préjudice d’un tel mensonge est alors subi par l’enfant. L’affaire portée devant la cour d’appel de Lyon est d’un autre ordre, puisqu’il est ici question du préjudice causé par l’auteur d’une reconnaissance de paternité du fait du mensonge proféré par le couple parental quant à la filiation réelle de l’enfant.
En l’espèce, la mère biologique d’un enfant intenta une action en contestation de la reconnaissance prénatale de paternité effectuée par un homme qui pensait être le père de l’enfant, en sa qualité de représentante légale de l’enfant et son nom personnel, conjointement avec son époux. Un administrateur ad hoc de l’enfant a été désigné. Au cours de la procédure, le tribunal ordonna un examen comparatif des sangs de l’enfant, de l’homme l’ayant reconnu et de l’époux de la mère qui révéla que ce dernier était le père biologique. Le tribunal judiciaire de Saint-Étienne annula la reconnaissance de paternité et établit judiciaire la filiation à l’égard du conjoint de la mère, mais condamna in solidum les époux au versement au profit du tiers de dommages et intérêts, à hauteur de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Ceux-ci interjetèrent alors appel de la décision sur ce dernier point, niant tout fait générateur de responsabilité de leur part et tout lien de causalité avec un prétendu dommage subi par le tiers, et estimant qu’il avait « concouru à la production de son propre dommage ». Ce dernier forma par ailleurs un appel incident pour réclamer, entre autres, des dommages et intérêts plus importants à hauteur de 35 000 euros.
La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 9 juin 2022, confirme en tous points le jugement du tribunal. Elle caractérise en premier le préjudice moral subi par l’auteur de la reconnaissance ainsi que le lien de causalité avec la faute commise par les époux, en application de l’article 1240 du Code civil N° Lexbase : L0950KZ9. D’une part, en effet, les conséquences du mensonge proféré sur l’état de santé psychologique du premier sont avérées – l’argument selon lequel ce dernier avait « une personnalité fragile » n’étant appuyé par aucun élément de preuve – de même que le préjudice lié au lien d’affection développé à l’égard de l’enfant dont il se croyait véritablement le père. À cet égard, la cour retient que « la rupture brutale de tout lien avec l’enfant a constitué pour M.[K] [R], une perte de chance de pouvoir élever un enfant et le considérer comme sien ».
D’autre part, la faute commise par les époux est caractérisée par une négligence de leur part en laissant croire à l’auteur de la reconnaissance qu’il était le père, en lui permettant de nouer des liens avec l’enfant par le biais notamment d’une résidence alternée, alors même que des doutes quant à cette paternité avaient émergé « dès la grossesse et au fur et à mesure que l’enfant grandissait ». C’est reconnaître qu’ils auraient dû informer le requérant de ces interrogations et auraient donc été en capacité de prévenir – ou du moins de contribuer à réduire – le préjudice résultant de la découverte de son défaut de filiation biologique à l’égard de l’enfant. La question du caractère intentionnel de la faute commise interroge, d’autant plus lorsque la cour parle d’une attitude « cruelle » de la part des époux : il est permis de se demander si ces derniers n’ont pas en réalité volontairement tu la vérité sur la filiation. Une telle qualification aurait pu permettre de les condamner plus sévèrement au regard du montant des dommages et intérêts, « de manière inavouée [2] », comme le réclamait le requérant. Sur ce point, celui-ci a d’ailleurs été débouté de ses demandes par la cour d’appel, laquelle a confirmé le raisonnement du tribunal selon lequel son préjudice n’était pas « équivalent à celui de parents endeuillés par le décès d’un enfant ». Néanmoins, on sait les difficultés en matière probatoire pour démontrer une telle intention, laquelle s’entend selon une jurisprudence constante non seulement de la volonté de commettre l’acte mais également de celle de causer le dommage effectivement subi [3]. Bien qu’il puisse être argué que les époux, par le mensonge, avaient nécessairement connaissance du préjudice qu’ils allaient causer à l’auteur de la reconnaissance, ces éléments permettent d’expliquer que la négligence ait été préférée pour qualifier la faute commise.
[1] T. civ. Seine, 3 juillet 1913 : Gaz. Pal., 1913, 2, 199 ; Cass. civ. 2, 12 février 1960, JCP G, 1960, II, 11689, note J. Savatier.
[2] Ph. Brun, Rép. civ., Dalloz, V° Responsabilité du fait personnel, mai 2015 (actualisation : mai 2022), n° 32.
[3] V. par ex. : Cass. civ. 2, 1er juillet 2010, n° 09-10.590, FS-P+B N° Lexbase : A6699E3I : D., 2010, p. 1869 ; D., 2010, p. 2102, chron. Sommer, Leroy-Gissinger, Adida-Canac et Grignon Dumoulin ; RGDA, 2010, p. 686, obs. Kullmann ; RCA, 2010, n° 266, obs. Groutel ; D., 2011, p. 1926, obs. Groutel.
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