Cahiers Louis Josserand n°3 du 27 juillet 2023 : Droit de la famille

[Chronique] La date du testament olographe (n’)est (pas toujours) une condition de validité

Réf. : CA Lyon, 1re ch. civ. B, 10 janvier 2023, n° 20/07301 N° Lexbase : A844387T

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N6323BZ9

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par Aurélien Molière

le 26 Juillet 2023

Mots-clés : date du testament • formalisme du testament • libéralité • testament olographe • validité du testament (conditions)


 

Un testament olographe dénué de date est-il valable ? La question paraît être d’une déconcertante simplicité pour qui connaît l’article 970 du Code civil N° Lexbase : L0126HPD. En disposant qu’il « ne sera point valable, s’il n’est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur », il fait de la date une condition de validité. Toutefois, la jurisprudence a largement nuancé cette exigence en admettant qu’en présence d’un testament olographe non daté, la nullité n’est pas systématique. C’est ce que tend à rappeler la décision soumise à commentaire, laquelle s’inscrit dans la droite ligne des arrêts Payan (Cass. civ. 1, 9 mars 1983, n° 82-11.259, publié au bulletin N° Lexbase : A7423CGZ) et Sauviat (Cass. civ. 1, 10 mai 2007, n° 05-14.366, FS-P+B N° Lexbase : A1079DWU).

À la suite d’un décès, deux lettres contradictoires ont été présentées au notaire en charge de la succession. Dans la première, le défunt entend faire de la Ligue contre le cancer son légataire universel. Écrite de sa main, elle n’est pas datée, contrairement à l’enveloppe qui la contient et sur laquelle figure le cachet de La Poste. Dans la seconde, il exprime sa volonté de léguer son patrimoine à sa sœur. Si elle est bien datée, elle est cependant dactylographiée. La sœur du testateur demande l’annulation du testament rédigé au profit de l’association. Après avoir succombé en première instance, elle interjette appel.

C’est sans surprise que la cour d’appel de Lyon, confirmant le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Saint-Étienne, refuse d’annuler le testament litigieux. Marchant dans les pas de la Cour de cassation et des arrêts précités, elle affirme que : « La mention de la date sur le testament olographe se justifie par la nécessité de vérifier la capacité du testateur et de déterminer, en cas de pluralité de testaments, le plus récent, qui doit seul recevoir exécution puisqu’il emporte révocation du précédent, cette détermination étant indispensable en cas d’incompatibilité entre les dispositions ». Il faut donc comprendre, a contrario, qu’en l’absence de difficultés liées à la capacité du testateur ou à l’existence d’autres dispositions testamentaires, la date de l’acte devient secondaire. Pour autant, il reste important de déterminer quand la rédaction a eu lieu, pour savoir si de telles difficultés se posent. C’est ce que révèlent les deux éléments vérifiés par la Cour, avant d’admettre que le testament olographe dénué de date demeure valable.

Premièrement, la période au cours de laquelle l’écriture a eu lieu doit pouvoir être déterminée au moyen d’éléments intrinsèques, éventuellement corroborés par des éléments extrinsèques. En l’espèce, les mentions contenues dans le testament, à savoir l’adresse de l’auteur et les coordonnées du notaire, destinataire de la lettre, permettent de dater l’époque de la rédaction. Elle a eu lieu entre le jour où le scripteur s’est installé à l’adresse indiquée et la date de l’arrêté du garde des Sceaux acceptant la démission du notaire (le 27 janvier 2017). La première date est incertaine, mais l’appartement occupé par le testateur étant un logement de fonction, mis à sa disposition en sa qualité de gardien d’immeuble, il était donc forcément majeur lorsqu’il a rédigé son testament. À ces éléments intrinsèques s’ajoute un élément extrinsèque : la date portée sur l’enveloppe, qui renseigne sur le jour où le courrier a été expédié. Il s’en déduit que le testament a été rédigé entre le jour où le de cujus a fêté ses dix-huit ans et le 22 décembre 2012.

Deuxièmement, il faut s’assurer qu’au cours de cette période, le testateur n’a pas été frappé d’une incapacité de tester et qu’il n’a pas rédigé d’autre testament, expressément ou implicitement révocatoire. S’agissant de la capacité du de cujus, la cour d’appel constate qu’aucune contestation n’est élevée par la requérante. On regrettera, à ce sujet, l’expression malheureuse utilisée par les juges, observant qu’il n’est pas soutenu que le défunt « ait été affligé d’une altération de ses facultés mentales le rendant incapable de tester ». Une telle altération, faut-il le rappeler, n’est jamais de nature à rendre incapable de tester, contrairement aux mesures judiciaires de protection qui peuvent en résulter. S’agissant de l’existence d’un autre testament, en tout ou partie révocatoire, la requérante produit le courrier rédigé par son frère, trois jours avant sa mort ; autrement dit, postérieurement au testament olographe litigieux. Mais elle le fait en vain, car la chronologie des actes ne soulève aucune difficulté : si le testament olographe a été rédigé avant le 22 décembre 2012, le prétendu testament révocatoire est, quant à lui, daté du 4 novembre 2018. L’écart est tel qu’il est aisé de savoir l’ordre de leur rédaction. Dès lors, l’absence de date du premier testament se révèle être anodine et sans effet sur sa validité. Au demeurant, ce prétendu testament révocatoire est, dans un second temps, annulé par la cour d’appel à la demande de la Ligue contre le cancer. Pour qu’un testament soit valable, peu important qu’il soit révocatoire ou non, il doit revêtir l’une des formes imposées par l’article 969 du Code civil N° Lexbase : L0125HPC. Ne pouvant être ni authentique ni mystique, il était nécessairement olographe et sa forme dactylographiée le condamnait donc à la nullité. On saluera à cet égard la rigueur de la cour, restée indifférente à l’argument inopérant de la requérante. Selon cette dernière, il est « particulièrement injuste, à l’heure du numérique, d’examiner l’article 970 du Code civil avec une extrême rigueur concernant l’exigence d’un texte écrit de la main du testateur ». Argumenter de la sorte, c’est méconnaître le rôle d’une telle exigence dans l’identification du testateur et les fonctions respectives d’une cour d’appel et du législateur.

En résumé, cet arrêt rappelle que la date du testament olographe, érigée en condition de validité par l’article 970 du Code civil N° Lexbase : L0126HPD, n’entache pas systématiquement sa validité lorsqu’elle fait défaut. Plus précisément, son absence n’emporte pas sa nullité, à moins que des griefs y soient attachés, comme l’incapacité du testateur ou l’existence d’autres testaments. Cette décision constitue la manifestation d’une application raisonnée et raisonnable des dispositions légales. En se ralliant à la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, la cour d’appel de Lyon s’inscrit dans la tendance des juridictions françaises à favoriser la mise en œuvre des dernières volontés.

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