Réf. : CA Lyon, 1re ch. civ. B, 28 juin 2022, n° 18/07945 N° Lexbase : A135279X
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N6321BZ7
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par Margot Musson, Doctorante contractuelle, Université Jean Moulin Lyon 3
le 26 Juillet 2023
Mots-clés : donation • conjoint survivant • intention libérale • seconde noce
La qualification de donation rémunératoire [1], reposant sur une absence d’intention libérale en ce que le donateur a voulu rétribuer le bénéficiaire de services rendus par lui, permet de faire échapper l’acte au régime des libéralités en droit des successions et particulièrement aux règles du rapport et de la réduction, ainsi qu’aux droits de mutation à titre gratuit sur le plan fiscal. Elle fait l’objet d’une appréciation souveraine des juges du fond, au regard des éléments de fait qui leur sont apportés : le présent arrêt en constitue une illustration.
En l’espèce, un homme est décédé laissant pour héritiers deux fils et une épouse, avec laquelle il était lié par un régime de séparation de biens depuis 1985. Deux années avant son mariage, le couple avait acquis un bien immobilier à concurrence de moitié par chacun. Entre autres difficultés liées au partage successoral ayant donné lieu à un jugement du tribunal de grande instance de Saint-Étienne le 4 octobre 2018 s’est élevé un contentieux relativement à ce bien. En effet, l’un des fils du de cujus a invoqué l’existence d’une donation indirecte de son père à l’égard de la veuve, épouse en secondes noces, considérant que le bien immobilier acquis en 1983 l’avait été par un financement provenant presque exclusivement des ressources financières du de cujus.
Le tribunal lui a donné raison en caractérisant une intention libérale, la libéralité s’imputant alors sur les droits de la conjointe survivante à hauteur de 14,54 % de la valeur du bien. Cette dernière a interjeté appel de la décision en contestant la qualification de libéralité. À l’inverse, le fils a maintenu sa position, arguant de l’existence de celle-ci d’une résultante du financement différentiel du bien immobilier concerné.
La question se posait donc de la caractérisation de l’intention libérale, condition sine qua non de reconnaissance d’une libéralité au profit de la veuve. En pratique, il est fréquent que soit invoquée l’existence d’une donation indirecte résultant du financement inégalitaire pour l’acquisition d’un bien, que ce soit dans le cadre d’une séparation – c’est alors l’époux ayant davantage contribué au financement qui fera cette demande – ou d’une succession au décès de l’époux invoqué dans ce cas par un héritier ou légataire tiers.
Le second cas est celui qui concerne l’affaire commentée. Sur ce point, la cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 28 juin 2022, infirme le jugement de première instance et fait échapper le financement du bien concerné au régime des libéralités. Ce faisant, il ne saurait être imputé sur les droits de la conjointe survivante. Les juges ont sur ce point suivi les arguments de défense de cette dernière pour conclure qu’un tel financement par le de cujus « a eu pour cause sa volonté de compenser les sacrifices et le dévouement de Mme [WT], son épouse, pour leur foyer et pour lui dans le cadre de sa maladie ». Dès lors, la qualification de donation rémunératoire qui, en raison de l’existence d’une contrepartie, fait obstacle à la caractérisation d’une intention libérale doit être retenue.
En effet, un certain nombre d’éléments relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond ont permis de caractériser l’absence de volonté du de cujus de se dépouiller irrévocablement et, au contraire, celle de remercier son épouse pour les services rendus par elle : celle-ci s’est occupé des enfants du couple de même que de son mari atteint d’une maladie, et a renoncé à exercer et à reprendre une activité professionnelle pour ce faire. Sa dévotion était ici manifeste, ses sacrifices criants, et la volonté du de cujus de les compenser caractérisée.
La notion de donation rémunératoire permet d’allier droit des régimes matrimoniaux et droit des successions en ce que la qualification de libéralité peut céder face à la notion de contribution aux charges du mariage : il pourra être jugé que l’époux ayant majoritairement financé le bien n’a fait que contribuer à ces charges proportionnellement à ses facultés, en application de l’article 214 N° Lexbase : L2382ABT et à défaut de convention organisant les rapports pécuniaires des époux sur ce point. Alors les héritiers bénéficieront d’une créance à l’égard du conjoint survivant [2]. Néanmoins, dans l’espèce commentée, le fils opposé à la conjointe survivante n’a point invoqué l’idée selon laquelle le financement opéré par le de cujus allait au-delà de la simple contribution aux charges du mariage, ou même que les sacrifices opérés par la conjointe survivante relevaient de sa propre contribution à ces dernières.
Cette décision de la cour d’appel de Lyon s’inscrit donc pleinement dans la lignée jurisprudentielle des juges du fond et de la Cour de cassation attachée à protéger les droits du conjoint survivant – majoritairement l’épouse – face aux droits des autres héritiers, remède à l’absence d’anticipation par le de cujus de son vivant, ce qu’une auteure a pu qualifier de « coloration (à bon escient) féministe » [3]. On ne peut que valider.
[1] Sur la question, v. en particulier : V. Brémont, Rép. civ., Dalloz, v° Donation entre époux, mars 2013 (actualisation : février 2021), n° 27 et s. ; B. Vareille, Contribution aux charges du mariage et rémunération de la femme au foyer en régime séparatiste. La donation rémunératoire, RTD civ., 1997, p. 494.
[2] Pour une jurisprudence récente sur la question v. : Cass. civ. 1, 9 février 2022, n° 20-14.272, F-D N° Lexbase : A06507NE, D., 2022. 764, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; RTD civ., 2022. 693, obs. I. Dauriac ; Defrénois, 10 mars 2022, obs. I. Dauriac ; Dr. fam., 2022. comm. 87, S. Torricelli-Chrifi ; D. actu., obs. Q. Guiguet-Schielé.
[3] I. Dauriac, La contribution aux charges du mariage : encore une confirmation embarrassante…, obs. sous Cass. civ. 1, 9 février 2022, RTD civ., 2022, p. 693.
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