Réf. : Cass. com., 17 mai 2023, n° 21-23.533, FS-B N° Lexbase : A39329U8
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par Stéphane Brena, Maître de conférences HDR en droit privé, Directeur de l’Institut de droit des affaires internationales de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne au Caire (Égypte)
le 28 Juin 2023
Mots-clés : agent commercial • agent immobilier • habilitation d’une personne morale (oui) • soumission volontaire au statut d’agent commercial (non)
À rebours de la position de la première chambre civile, la Chambre commerciale de la Cour de cassation admet que l’agent commercial habilité par l’agent immobilier à négocier pour son compte soit une personne morale. Elle maintient en revanche l’exclusion, sévère, de toute possibilité de soumission volontaire au statut d’agent commercial.
Instrument de diffusion des produits ou services de mandants professionnels, l’agence commerciale a vocation à être utilisée en matière immobilière. Cette utilisation n’est pas sans poser de difficulté en raison de l’existence de statuts régissant, pour l’un, les agents immobiliers [1] et, pour l’autre, les agents commerciaux [2]. Si un intermédiaire dans des opérations portant sur des immeubles et des fonds de commerce relève en principe du statut des agents immobiliers et non de celui des agents commerciaux [3], une loi du 13 juillet 2006 [4] a clairement soumis les intermédiaires indépendants utilisés par un agent immobilier au statut des agents commerciaux. Lorsque l’agent immobilier habilite un tiers, comme le lui permet l’article 4 de la loi du 2 janvier 1970, le cas échéant agent commercial, à diffuser les biens qu’il est lui-même chargé de commercialiser, il doit lui remettre une attestation justifiant de sa qualité et de ses pouvoirs, sans que ce diffuseur ne soit tenu de détenir la carte professionnelle d’agent immobilier. C’est dans ce contexte qu’est intervenue cette importante décision.
La société SGIP, agent immobilier, chargée de la commercialisation de programmes immobiliers pour le compte de promoteurs, avait conclu, en 2005 et en 2013, des « mandats commerciaux » avec la société BDM, contrats au titre desquels cette dernière était spécialement chargée de la diffusion de biens auprès de certains clients. L’agent immobilier ayant décidé de rompre unilatéralement ces mandats en 2018, la société BDM, se prévalant du statut d’agent commercial, réclamait le versement de l’indemnité de fin de relation prévue par l’article L. 134-12 du Code de commerce N° Lexbase : L5660AIH. L’agent immobilier contestant à l’intermédiaire le statut d’agent commercial, ce dernier agissait à son encontre.
La cour d’appel de Versailles [5] accueillait sa demande d’indemnité, retenant l’application du statut des agents commerciaux. L’agent immobilier introduisait un pourvoi en cassation, sur la base d’un moyen contestant cette application. Il estimait, d’abord, « que seules peuvent être habilitées, en vue de la négociation ou du démarchage par le titulaire de la carte professionnelle d’agent immobilier, des personnes physiques ». L’agent immobilier reprochait ensuite aux juges du fond d’avoir retenu la qualification de contrat d’agence sur la base de la seule volonté exprimée des parties au contrat en faveur de l’application du statut, indépendamment du contenu des prestations réalisées par le diffuseur. Enfin, il estimait que les juges du fond ne pouvaient, pour retenir la qualification d’agent commercial, se fonder uniquement sur les missions confiées à l’intermédiaire par le contrat, sans vérifier que le diffuseur avait effectivement prospecté de la clientèle et négocier des contrats pour le compte du mandant.
La Cour de cassation était ainsi confrontée à trois difficultés. La première consistait à savoir si l’agent immobilier peut habiliter un diffuseur personne morale au titre de l’article 4 de la loi du 2 janvier 1970. La deuxième portait sur la possibilité, pour les parties, de soumettre volontairement leur relation au statut de l’agence commerciale. La troisième conduisait à s’interroger sur les modalités de qualification de la relation contractuelle : faut-il s’en tenir à la mission contractuelle confiée à l’intermédiaire ou le juge doit-il examiner concrètement les actions menées par l’intermédiaire ?
La Haute juridiction, adoptant une position originale, répond positivement à la première question, considérant que la personne habilitée par l’agent immobilier à négocier pour son compte peut être un agent commercial personne morale. Quant au deuxième problème, elle estime que « l’application du statut d’agent commercial ne dépend pas de la volonté exprimée par dans le contrat » et que cette volonté est par conséquent inapte à soumettre la relation contractuelle au statut. Au sujet de la troisième et dernière difficulté, elle pose que la qualification d’agent commercial ne peut dépendre des seules missions confiées à l’intermédiaire par le contrat, mais suppose que soient recherchées « les conditions de fait dans lesquelles [le diffuseur] exerc[e] effectivement son activité ».
La Chambre commerciale de la Cour de cassation, rompant avec la position de la première chambre civile, étend ainsi le droit d’habilitation aux agents commerciaux personnes morales (I). Dans le même temps, elle maintient, à l’égard de l’influence de la volonté des parties sur la qualification de la relation, une défiance qui paraît fort discutable (II).
I. L’extension du droit d’habilitation de l’agent immobilier aux personnes morales
La Chambre commerciale de la Cour de cassation, par cette décision, adopte une position contraire à celle de la première chambre civile. En effet, dans un arrêt du 8 février 2005 [6], la première chambre civile de la Cour de cassation avait en effet estimé que « si l'article 4 de cette loi donne au titulaire de la carte la possibilité d'habiliter une personne physique à négocier, s'entremettre ou s'engager pour son compte dans les conditions prévues à l'article 9 du décret du 20 juillet 1972, il ne permet pas de conférer à une personne morale l'autorisation d'exercer l'activité d'agent immobilier, sans être elle-même titulaire de cette carte » . Plus récemment, cette même première chambre civile a considéré que l’agent commercial personne physique habilitée par l’agent immobilier pouvait, comme l’y autorisait le contrat, se substituer un tiers personne morale, à condition que cette dernière soit titulaire de la carte d’agent immobilier [7] ; autre manière d’exprimer la réservation de l’habilitation aux seules personnes physiques.
L’extension de l’habilitation aux agents commerciaux personnes morales paraît bienvenue. En effet, le recours à des collaborateurs agents commerciaux est expressément autorisé par l’article 4 de la loi du 2 janvier 1970 et le statut des agents commerciaux s’applique indistinctement aux personnes physiques et aux personnes morales [8].
La portée de la solution interroge cependant.
Sous l’empire du droit antérieur au décret n° 2015-702 du 19 juin 2015 N° Lexbase : L9201I8B, modifiant l’article 9 du décret du 20 juillet 1972, l’exclusion des personnes morales du champ de l’habilitation reposait sur les silences des textes ne comportant aucune indication sur leurs modalités d’application aux personnes morales et, tout particulièrement, à leurs dirigeants. L’argument peine cependant à convaincre, ce qui invite à pleinement souscrire à la position adoptée par la Chambre commerciale et à souhaiter son maintien
Toutefois, l’article 9 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 a été modifié par le décret n° 2015-702 du 19 juin 2015 et ne fait désormais référence, au titre de l’attestation que la personne habilitée doit être en mesure de produire, qu’à la seule « personne physique habilitée ». Or, en l’espèce, les contrats portant habilitation avaient été conclus avant cette modification réglementaire et l’on peut se demander si la Haute juridiction aurait statué dans le même sens à l’égard de contrats conclus postérieurement à ladite modification. Un argument plaide pour une réponse positive : la Cour de cassation ne recourt pas à la notion de « version applicable à l’espèce » de l’article 9 du décret, ce qui pourrait être compris comme une manifestation d’une approche intemporelle du texte.
Il est, de surcroît, légitime de s’interroger sur la légalité de l’exclusion réglementaire – et quasi-implicite – des personnes morales du champ de l’habilitation. En effet, une telle exclusion porte atteinte au principe du libre exercice d’une activité professionnelle et cette atteinte, qu’il faudrait alors justifier, relève de la compétence législative. Et si cette décision vient ajouter aux dissonances des textes législatifs et réglementaires, une cacophonie jurisprudentielle, une clarification législative est alors urgente.
Ceci étant, la personne habilitée par l’agent immobilier ne pourra prétendre au statut d’agent commercial qu’à la condition d’entrer dans son champ d’application.
II. La défiance discutable à l’égard du rôle de la volonté des parties dans l’application du statut d’agent commercial
Par principe, le négociateur indépendant habilité par l’agent immobilier bénéficiera du statut d’agent commercial dès lors que sa mission consistera, selon l’article L. 134-1 du Code de commerce, à titre de profession indépendante, de façon permanente, à négocier et, éventuellement, à conclure des contrats pour le compte d’un professionnel.
Lorsque ces conditions ne sont pas remplies, les parties peuvent envisager de soumettre volontairement leur relation au statut. Cette possibilité est, en d’autres domaines, largement admise, en particulier en matière de baux commerciaux [9]. Elle rejette pourtant la possibilité d’une extension conventionnelle du statut des agents commerciaux. La solution n’est pas nouvelle [10] ; elle n’en est pas moins discutable.
Il est en effet difficile de comprendre les raisons de refuser à l’intermédiaire la protection complémentaire qu’est susceptible de lui conférer cette soumission volontaire au statut. Il s’agira, certes, de s’assurer de la volonté claire des parties sur cette extension, de sorte que le titre du contrat, des références aux dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce ou encore la reproduction de mécanismes spécifiques à ce statut pourraient ne pas être considérés comme suffisants pour caractériser une telle extension. En l’espèce, la cour d’appel est censurée, non pas pour la faiblesse des indices sur lesquels elle s’est fondée pour caractériser la soumission volontaire au statut – mention de l’application des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, références multiples au statut, exigence d’immatriculation au registre des agents commerciaux, exigence de mention sur tous documents de la qualité d’agent commercial –, mais pour avoir admis le principe même d’une telle soumission, conduisant à une cassation pour violation de la loi.
Dans le prolongement de ce rejet de la soumission volontaire au statut, la Cour de cassation reproche aux juges du fond de ne pas être allés au-delà de la lettre du contrat, quant à la définition des missions de l’intermédiaire. Seule la réalité de ces missions peut donner lieu à application du statut d’agent commercial. L’approche est plus classique. Elle est cependant utilisée à des fins de dégradation de la protection du diffuseur. Pour cohérente qu’elle soit avec le rejet de toute soumission volontaire au statut d’agent commercial, une telle approche ne parvient pas à totalement convaincre.
[1] Loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 N° Lexbase : L7536AIX et décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 N° Lexbase : L8042AIP, régissant les activités d’intermédiaire dans les opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce.
[2] C. com., art. L. 134-1 et suiv. N° Lexbase : L9693L77, régissant les activités de négociation et, le cas échéant, de conclusion de contrats pour le compte de professionnels.
[3] C. com., art. L. 134-1, al. 2.
[4] Loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006, modifiant l’article 4 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 N° Lexbase : L2466HKK.
[5] CA Versailles, 30 septembre 2021, n° 19/08586 N° Lexbase : A852147Q.
[6] Cass. civ. 1, 8 févier 2005, n° 02-10.643, F-D N° Lexbase : A6821DGQ, AJDI 2005, p. 856, note M. Thioye.
[7] Cass. civ. 1, 3 février 2021, n° 19-21.403, FS-P N° Lexbase : A01634G7.
[8] C. com., art. L. 134-1.
[9] Cass. ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664, publié N° Lexbase : A6534AYN.
[10] Cass. com., 10 décembre 2003, n° 01-11.923, FS-P+B N° Lexbase : A4236DA7.
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