La lettre juridique n°950 du 22 juin 2023 : Temps de travail

[Pratique professionnelle] L’indemnisation du temps d’habillage et de déshabillage : gare aux imprécisions !

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par Elodie Pastor, Avocat, Docteur en droit

le 21 Juin 2023

Mots-clés : habillage • déshabillage • contrepartie • temps de travail effectif • accord

Aux termes de l’article L. 3121-3 du Code du travail N° Lexbase : L6910K9S, lorsque le port d’une tenue de travail est imposé par des dispositions légales ou conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail, et que l’habillage ou le déshabillage doivent être réalisés dans l’entreprise ou sur le lieu de travail, le temps nécessaire à ces opérations doit faire l’objet de contreparties. Ces dispositions sont d’ordre public. La mise en place de ces contreparties impose toutefois à l’employeur de faire preuve de minutie afin de se prémunir contre certaines difficultés.


Le législateur privilégie la voie conventionnelle s’agissant de la détermination des contreparties aux temps d’habillage et de déshabillage. De manière plus précise, l’article L. 3121-7 du Code du travail N° Lexbase : L6906K9N dispose qu’« une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche prévoit soit d’accorder des contreparties aux temps d’habillage et de déshabillage mentionnés à l’article L. 3121-3, soit d’assimiler ces temps à du temps de travail effectif ». À défaut d’accord, c’est le contrat de travail qui détermine ces éléments [1]. À cet égard, le Conseil constitutionnel, saisi dans le cadre d’une QPC, s’est prononcé sur la conformité de ces dispositions à la Constitution. Il précise que le renvoi au contrat de travail « se limite à déterminer si les temps d’habillage/déshabillage font l’objet des contreparties sous forme de repos ou sous forme financière ou s’ils sont assimilés à du temps de travail effectif ». Dans ce contexte, le législateur traite de la même manière tous les salariés placés dans la même situation en l’absence de convention ou d’accord collectif, de sorte qu’il n’existe aucune rupture d’égalité [2].

En l’absence d’accord ou de clause dans le contrat de travail, les contreparties aux temps d’habillage et de déshabillage sont fixées par le juge [3].

De prime abord, les sommes en jeu peuvent sembler modiques [4], cependant, l’octroi de ces contreparties à un nombre conséquent de salariés, associé à un risque de rappel de salaire sur trois ans en cas de contentieux, nous incite à alerter l’employeur sur la nécessité de se saisir de cette question.

Aux considérations d’ordre pécuniaire s’ajoutent également les crispations générées par ce type de litiges qui, bien souvent, sont en lien avec des problématiques d’hygiène et de sécurité au travail.

La détermination et la formalisation des contreparties au temps d’habillage et de déshabillage peuvent toutefois s’avérer être un exercice sensible. Une attention particulière doit être portée à la nature des contreparties versées (I), ainsi qu’aux situations pour lesquelles celles-ci sont dues (II).

I. La nature des contreparties aux temps d’habillage et de déshabillage

Par principe, les temps d’habillage et de déshabillage ne sont pas assimilés à du temps de travail effectif et ne sont pas rémunérés comme tels.

Toutefois, afin de compenser l’obligation mise à la charge des salariés de porter une tenue spécifique dès le début de leur prise de poste, l’employeur est tenu d’octroyer aux salariés concernés une contrepartie spécifique.

Repos ou contrepartie financière. L’article L. 3121-3 du Code du travail N° Lexbase : L6910K9S dispose que les contreparties aux temps d’habillage et de déshabillage sont accordées soit sous forme de repos, soit sous forme financière.

En pratique, un jour de repos compensatoire peut être accordé lorsque la durée cumulée des opérations d’habillage et de déshabillage, évaluée de manière forfaitaire, atteint « un poste complet » de 7 heures par exemple.

De la même manière, une prime, d’un montant calculé sur la base d’un temps forfaitaire (20 minutes par jour travaillé par exemple), peut être versée mensuellement.

L’attribution de ces contreparties suppose toutefois que les opérations visées soient accomplies en dehors du temps de travail. Si tel n’est pas le cas, et que les opérations d’habillage et de déshabillage sont rémunérées comme du temps de travail effectif, elles ne sont alors pas dues.

Assimilation à du temps de travail effectif. Le législateur consacre, de manière expresse, la possibilité pour l’employeur d’assimiler les opérations d’habillage et de déshabillage à du temps de travail effectif. En pareille hypothèse, il appartiendra à l’employeur, débiteur de l’obligation, d’apporter la preuve que les temps d’habillage et de déshabillage ont effectivement donné lieu à une comptabilisation dans le temps de travail effectif [5].

Cette assimilation doit être formalisée dans un accord d’entreprise, ou à défaut un accord de branche, ou à défaut dans le contrat de travail [6]. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt du 28 octobre 2009 [7]. Dans cette affaire, les juges d’appel, après avoir constaté que les agents de sécurité à la Cité des sciences et de l’industrie étaient tenus de porter une tenue de service, avaient considéré que ces derniers exécutaient la directive de l’employeur. Ils en avaient alors déduit que les salariés étaient à la disposition de leur employeur, puisque présents sur leur lieu de travail sans pouvoir vaquer librement à leurs occupations personnelles. En conséquence, le temps d’habillage et de déshabillage était compris dans la durée du travail effectif. La Haute juridiction casse la décision des juges d’appel au motif qu’il n’avait pas été constaté l’existence de dispositions assimilant ce temps à du travail effectif.

L’existence de dispositions conventionnelles assimilant les temps d’habillage et de déshabillage à du temps de travail effectif est donc essentielle comme le rappelle la Cour. Cependant, toute ambiguïté dans la rédaction de ces dernières pourrait s’avérer coûteuse pour l’employeur tel qu’en témoigne un arrêt du 9 février 2022 [8]. Au cas d’espèce, une note de service précisait que les opérations d’habillage et de déshabillage sur les lieux de travail devaient s’effectuer, au choix des salariés, après l’heure de service et avant la fin de service. Elles étaient ainsi décomptées et rémunérées comme du temps de travail effectif. La Haute juridiction considère que cette note ne fait pas obstacle au droit à une indemnité prévu à l’article L. 3121-3 N° Lexbase : L6910K9S. Ainsi, après avoir rappelé que « les contreparties sont déterminées par convention ou accord collectif de travail ou, à défaut, par le contrat de travail, sans préjudice des clauses des conventions collectives, de branche, d’entreprise ou d’établissement, des usages ou des stipulations du contrat de travail assimilant ces temps d’habillage et de déshabillage à du temps de travail effectif », la Cour indique que « l’application de la note de service avait été laissée par l’employeur au choix de chacun des salariés concernés, ce dont il résultait l’absence de généralité de l’assimilation des temps d’habillage et de déshabillage à du temps de travail effectif ».

Par cet arrêt, la Haute juridiction confirme la nécessité pour l’employeur de faire preuve de précision dans la mise en place des contreparties aux temps d’habillage et de déshabillage. Cet exercice impose également, en parallèle, de s’interroger sur l’étendue de l’obligation de l’employeur en la matière.

II. L’étendue de l’obligation de l’employeur

L’article L. 3121-3 du Code du travail N° Lexbase : L6910K9S fixe les conditions dans lesquelles les salariés peuvent prétendre à une contrepartie pour les temps d’habillage et de déshabillage auxquels ils sont soumis. Une interprétation littérale du texte permet d’appréhender l’étendue de l’obligation de l’employeur et éluder ainsi certaines situations litigieuses.

Double condition cumulative. Conformément aux dispositions précitées, des contreparties au temps d’habillage doivent être prévues si les conditions cumulatives suivantes sont réunies [9] :

  • le port d’une tenue de travail est imposé par des dispositions légales, conventionnelles, un règlement intérieur ou par le contrat de travail ;
  • les opérations d’habillage et de déshabillage doivent se faire dans l’entreprise ou le lieu de travail.

Cette double condition cumulative a été, à plusieurs reprises, réaffirmée par la Cour de cassation [10].

Il résulte de cet élément que lorsque le port d’une tenue est imposé, mais que les opérations d’habillage ou de déshabillage ne sont pas obligatoirement pratiquées dans l’entreprise, le salarié ne peut prétendre à aucune contrepartie [11].

La Haute juridiction s’est, par ailleurs, attelée à déterminer les situations dans lesquelles les deux conditions cumulatives étaient effectivement réunies. Ainsi, l’octroi de la contrepartie légalement prévue est justifié dans les cas suivants :

  • pour les salariés d’un hôpital tenus, pour des raisons d’hygiène, de revêtir une tenue imposée qu’ils ont l’obligation de mettre et d’enlever sur le lieu de travail [12] ;
  • pour les salariés qui, pour des raisons d’hygiène et de sécurité, sont tenus de porter un vêtement de travail et pour lesquels l’employeur mets à disposition des armoires ou des casiers vestiaires individuels [13] ;
  • pour les salariés travaillant sur des chantiers de travaux publics et manipulant des produits salissants et dangereux (goudron, bitume, ciment, etc.). Au cas d’espèce, l’employeur reconnaissait mettre à disposition des salariés des locaux comportant des casiers afin qu’ils puissent se changer. Toutefois, ce dernier contestait leur imposer de revêtir leur tenue sur le lieu de travail. Après avoir relevé que les salariés étaient astreints au port d’une tenue de travail et que les conditions d’insalubrité dans lesquelles ils exerçaient leur activité leur imposaient de se changer sur le lieu de travail, la Cour de cassation a jugé que c’est à bon droit que le conseil de prud’hommes en a déduit que l’employeur devait, à ce titre, la contrepartie [14] .

Salariés concernés. Les contreparties aux temps d’habillage et de déshabillage sont destinées à compenser les temps nécessaires aux salariés pour la réalisation de ces opérations. Comme indiqué précédemment, elles supposent toutefois que les opérations visées soient accomplies en dehors du temps de travail. Si tel n’est pas le cas, que les opérations d’habillage et de déshabillage sont rémunérées comme du temps de travail effectif, aucune contrepartie n’est due.

Ces éléments conduisent à s’interroger sur la possibilité ou non d’exclure les salariés au forfait-jours du bénéfice de ces contreparties. En effet, dès lors que ces salariés ne sont, en principe, soumis à aucun cadre horaire, peut-on en déduire qu’ils ne peuvent prétendre à ces contreparties dans l’hypothèse où ils seraient contraints de porter une tenue de travail ?

Une interprétation stricte des dispositions légales ne permet pas, à notre sens, de conclure à une telle exclusion. En effet, bien que la finalité du texte semble le suggérer, il n’est fait aucunement référence à la notion de temps de travail effectif dans les conditions posées par le législateur pour bénéficier des contreparties aux temps d’habillage et de déshabillage. Seul le lieu où sont réalisées ces opérations semble pouvoir être pris en considération. En conséquence, il ne saurait être recommandé aux employeurs d’adopter pareille position.

Traitement des absences. La finalité des contreparties instaurées interroge également sur la possibilité de conditionner le versement d’une prime d’habillage à la présence effective du salarié.

En effet, la contrepartie indemnitaire instaurée par le législateur à l’article L.3121-3 du Code du travail N° Lexbase : L6910K9S a pour finalité de compenser une sujétion particulière mise à la charge du salarié. Lorsque ce dernier est absent, et donc non soumis à l’obligation de porter une tenue de travail et de réaliser les opérations d’habillage et de déshabillage sur son lieu de travail, peut-on en déduire ipso facto que la prime d’habillage n’est pas due ?

Un arrêt du 13 octobre 2004 [15] sème le trouble sur cette question. Au cas d’espèce, le salarié d’une société avait cessé d’exercer effectivement ses fonctions dans l’entreprise en raison, notamment de son mandat de conseiller prud’homme. Son employeur avait alors cessé de lui verser la prime d’habillage que le salarié percevait jusqu’à présent conformément aux dispositions conventionnelles en vigueur. La Cour de cassation confirme la décision des juges d’appel et juge que les absences de l’entreprise des conseillers prud’hommes, qui sont justifiées par leur fonction, ne peuvent entraîner aucune diminution de leur rémunération ou des avantages y afférents en application de l’article L. 514-1 du Code du travail N° Lexbase : L4251HWD. En conséquence, le salarié pouvait prétendre au versement de la prime d’habillage.

Si cette décision se fonde sur une disposition légale prévoyant de manière expresse que « les absences de l’entreprise des conseillers prud’hommes du collège salarié, justifiées par l’exercice de leurs fonctions, n’entraînent aucune diminution de leurs rémunérations et des avantages y afférents » [16], il est recommandé aux employeurs, afin de se prémunir contre toute situation litigieuse, de stipuler expressément que la prime d’habillage mise en place sera versée par jour « effectivement travaillé ».

La littérature sur les contreparties aux temps d’habillage et de déshabillage demeure assez succincte. Malgré l’apparente simplicité des textes susvisés et de la finalité qu’ils poursuivent, il est toutefois recommandé à l’employeur de s’attacher à la lettre des textes et d’user d’une plume précise lorsque les salariés qu’il occupe sont astreints au port d’une tenue imposée.


[1] C. trav., art. L. 3121-8 N° Lexbase : L8661LGU.

[2] Cons. const., décision n° 2017-653 QPC, du 15 septembre 2017 N° Lexbase : Z690077I.

[3] Cass. soc., 16 janvier 2008, n° 06-42.983, n° 49, FS-P+B N° Lexbase : A7754D3L.

[4] Quelques euros par jour de travail effectif généralement.

[5] Cass. soc., 12 juillet 2006, n° 04-45.441, n° 1895, FS-P+B N° Lexbase : A4409DQD.

[6] C. trav., art. L. 3121-7 N° Lexbase : L6906K9N et L. 3121-8 N° Lexbase : L8661LGU.

[7] Cass. soc., 28 octobre 2009, n° 08-41.953, n° 2132, FS-P+B N° Lexbase : A6145EMK.

[8] Cass. soc., 9 février 2022, n° 20-15.256, F-D N° Lexbase : A18117NE.

[9] C. trav., art. L. 3121-3 N° Lexbase : L6910K9S.

[10] Cass. soc., 26 mars 2008, n° 05-41.476, n° 645, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5897D7K ; Cass. ass. plén., QPC, 18 novembre 2011, n° 10-16.491, n° 602, P+B+R+I N° Lexbase : A9318HZ7.

[11] Cass. soc., 18 octobre 2017, n° 15-23.108 à n° 15-23.118, n° 15-23.126 à n° 15.23.135 et n° 15-23.142 à n° 15-23.151, F-D N° Lexbase : A4632WWH.

[12] Cass. soc., 15 avril 2015, n° 13-28.715 et s., F-P+B N° Lexbase : A9417NGU.

[13] Cass. soc., 11 juillet 2012, n° 11-21.192, F-D N° Lexbase : A8215IQC.

[14] Cass. soc., 21 novembre 2012, n° 11-15.696, n° 2409, FS-P+B N° Lexbase : A4920IXI.

[15] Cass. soc., 13 octobre 2004, n° 02-47.725, publié au bulletin N° Lexbase : A6111DDP.

[16] Ces dispositions figurent désormais à l’article L. 1442-6 du Code du travail N° Lexbase : L1854IEE.

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